À
propos d´un rire qui ne réconcilie pas
C´est qu´il parodie ce qui
existe de meilleur :
la réconciliation.
Adorno
Celui qui plaisante à la
tête du gouvernement
tend à la tyrannie.
Saint-Just
À l´aurore de la post-modernité et au milieu d´une polémique à propos de la
philosophie adornienne de la musique, Jean-François Lyotard affirmait :
Nous avons sur Adorno l´avantage de vivre dans un kapitalisme plus
énergique, plus cynique, moins tragique. Il met tout en représentation, la
représentation se redouble (comme chez Brecht), donc se présente. Le tragique
laisse place au parodique (...)[1].
Sans entrer
directement dans la question de cette prétendue obsolescence de la pensée
adornienne, disons que l’affirmation de Lyotard avait au moins le mérite de
présenter une mutation majeure dans les pratiques du pouvoir et dans leur
processus de légitimation. Cette mutation apparaissait dans l’étrange passage
d’un capitalisme « tragique » vers un capitalisme « cynique ».
Mais quel est le sens de ces deux termes dans ce contexte ?
Une réponse directe serait : au
lieu de la tragédie d´un système socio-économique qui doit voiler le caractère fétichiste de ses processus de détermination
sociale de la valeur, tragédie d´un système qui ne peut pas assumer ce qu’il
est vraiment, qui doit donc refouler ses présupposés, nous aurions le cynisme
de pratiques de pouvoir capables de dévoiler
le secret de leur fonctionnement et de continuer à fonctionner. Des
pratiques de pouvoir capables de doubler leurs propres systèmes de
représentations, de prendre une distance brechtienne par rapport à leurs
propres énoncés, comme dans une parodie éternelle. Lyotard est plus clair à ce
sujet lorsqu’il affirme, dans le même texte :
En même temps que le kapital maintient, dans la vie et dans l´art, la loi
de la valeur comme séparation, épargne, coupure, sélection, protection,
privatisation, - en même temps, il sape partout la valeur de la loi, nous
contraint à la regarder comme arbitraire, nous défend d’y croire. Il est
bouffon (...). La critique ne peut pas aller au-delà de cette bouffonnerie[2].
L’affirmation ne pouvait pas être plus claire. La force du capitalisme
viendrait de sa façon de ne plus se prendre au sérieux, pour autant qu´il sape
la valeur de la loi même qu´il énonce. Le capitalisme n´exigerait aucun genre
de croyance aveugle dans les contenus normatifs qu´il présente, la croyance
étant entendue ici comme le soutien d´un principe légitime d’indexation entre
des critères de validité et des situations de la pratique. Cette
caractéristique du capitalisme impliquerait un blocage pour l’efficacité des
processus de critique pensés à partir d’une dynamique de dévoilement des contradictions performatives. En fait, nous
pourrions tous prendre distance par rapport aux contenus normatifs de l´univers
idéologique capitaliste puisque le discours du pouvoir rit déjà de soi-même.
Néanmoins, cette absence apparente de légitimité serait le véritable noyau de
la force du capitalisme. Sa crise de légitimité serait son moteur.
Ainsi, le diagnostic de Lyotard ne concernait pas exactement le moment où
les sociétés capitalistes ont commencé à sentir une crise générale de
légitimation, mais le moment où elles ont été capables de se légitimer à
travers une « rationalité cynique », en rendant stable une situation
qui, dans d’autres circonstances, serait une situation de crise typique. Cette
différence est importante, surtout si l´on accepte que « la critique ne
peut pas aller au-delà de cette bouffonnerie ». Car l´impuissance de la
critique serait le résultat de la force du capitalisme pour, disons, réaliser cyniquement la critique. Si
l’on accepte que la critique a été généralement considérée comme une condition
pour l´arrivée d’un événement capable d’avoir la force performative de
reconfigurer des rapports sociaux, alors ces réflexions doivent permettre aussi
de comprendre un certain régime de blocage des événements à l’intérieur du
capitalisme contemporain. Un régime de blocage venu d´une nouvelle configuration
de l´idéologie.
Néanmoins, il n’est pas sans ironie trouver exactement chez Adorno la
conscience de ce cynisme constitutif du régime contemporain de fonctionnement
du capitalisme et de sa structure idéologique. Ce qui doit être vu comme une
preuve supplémentaire du décalage dans les processus de réception entre la
pensée française et la pensée allemande contemporaine. En ce sens, il vaut la
peine de commencer par rappeler certains aspects majeurs de la discussion
adornienne concernant l´idéologie.
Adorno et le rire que vient du pouvoir
La lecture attentive de certains textes d´Adorno sur l’idéologie nous
démontre son effort pour penser l’obsolescence des catégories comme fausse
conscience, réification, méconnaissance et illusion. Il s’agit là du résultat
direct de la prise en compte de l´impact des modifications historiques sur la
configuration du concept d´idéologie. Sur ce point, Adorno est clair :
L´idéologie dans un sens précis apparaît là où l’on trouve des relations de
pouvoir (Machtvehältnisse) qui ne
sont pas transparentes, qui sont médiatisées et ainsi atténuées. Mais la
société actuelle, accusée de façon trompeuse d´être excessivement complexe,
s´est transformée en quelque chose de trop transparent (durchsichtig)[3].
Ce qui veut
dire que le défi actuel consisterait à penser le concept d´idéologie à partir
des relations de pouvoir qui se posent sur le terrain de la transparence.
Cela nous renvoie à une tâche
complexe. Car, lorsque nous sommes devant des relations explicites de pouvoir,
il n´y a pas besoin de parler d´idéologie, puisque alors l’« idéologie est
justification (Rechtfertigung) »[4]. Elle est une opération de conformation des
situations empiriques à des exigences universalisables de légitimité. Elle
impose que l’exercice du pouvoir soit médiatisé
par la réflexion à propos de sa légitimité ; une médiation qui
amènerait par exemple le pouvoir à masquer ses véritables présupposés là où ils
ne pourraiennt pas être posés sans contradiction. C’est la reconnaissance de
ces exigences de légitimité dans toute construction idéologique qui amène
Adorno à insister sur l’existence d´une élément rationnel toujours présent dans
l´idéologie. Ainsi, la critique de l’idéologie pourrait exposer ces nœuds
symptômaux où nous lisons la contradiction entre des procédures de
justification d’un côté et le domaine des situations de l’autre. La critique ne
ferait pas autre chose que de montrer comment la construction idéologique ne
réalise pas son propre concept.
Que dire alors d´une situation où la
transparence semble être le soutien majeur de l´idéologie ; d’une
situation où les présupposés du pouvoir sont clairement posés dans leurs
contradictions mais sans que cela provoque un besoin de réorientation des
comportements des sujets ? C´est un problème bien énoncé par Peter
Sloterdijk lorsqu´il perçoit qu’il « y a une nudité qui ne démasque plus
et qui ne fait apparaître aucun “fait brut” sur le terrain duquel on pourrait
se tenir avec un réalisme serein »[5].
Il ne s’agit plus simplement de penser des relations de pouvoir construites à
partir d’une dissymétrie des forces. Il s’agit plutôt de comprendre comment le
régime contemporain de transparence du pouvoir a été capable de remplir des
exigences de validité et de légitimité. Le premier pas de ce programme consiste
à accepter qu’il n’est possible de comprendre cette « nudité qui ne
démasque plus » que grâce à l´identification, en son cœur, d´une certaine
ironie. Comme si le régime contemporain de fonctionnement de l’idéologie ne
pouvait être décrit qu’à travers une réflexion préalable sur l’ironie.
En principe, cette proposition
semble inconsistante. Car nous connaissons tous les figures multiples de
l´ironie comme arme des Lumières dans la construction rhétorique de la
critique. Un des mobiles majeurs de la critique aufklärer a été le rire en tant que mode de dévoilement des
impostures du pouvoir, dévoilement de la contradiction performative entre
procédures de justification et dimensions de l´action. Cela est déjà présent
chez les cyniques grecs qui, en radicalisant l´ironie socratique, ont
transformé le rire en élément majeur de la critique. Pensons, par exemple, au
sarcasme de Diogène contre l’hypocrisie de la logique propre aux superstitions,
à la morale et à la politique. Nous voyons, ici, le rire comme figure d’une
critique qui essaye de disqualifier et de démasquer l’apparence socialement
soutenue. Cette théorie classique du rire comme acte de démasquer permet de
comprendre pourquoi, dans ce contexte, les vices risibles sont surtout
l’hypocrisie et la vanité, et non pas la perversité. Car hypocrisie et vanité
expriment l´inadéquation entre les dimensions de l’apparence et les
déterminations de l’essence, ce qui n´est pas le cas de la perversité, dont
l’absence de naturalité est posée en tant que telle[6].
Mais cette notion d’une ironie rattachée à l’efficacité rhétorique de la
critique ne trouve pas de résonances chez Adorno. Rappelons, par exemple, le
paragraphe 134 de Minima Moralia nommé
« L´erreur de Juvénal », le même Juvénal qui disait : difficile est satyras non scribere. Dans
le fragment d´Adorno, l´ironie, surtout celle qui apparaît sous la forme de la
satire, est entendue comme réaction du pouvoir face aux impératifs de
changement, ce qui nous explique pourquoi l’objet privilégié de la satire est
normalement la « décadence des moeurs». La critique qui se sert de
l’ironie serait ainsi liée à la logique de la conservation parce que son
critère « est ce que le progrès constamment
menace ». Ainsi, l´ironie : « est d´abord considéré comme
faisant partie de l´idéologie dominante dans la mesure où le phénomène qui
semble non conforme à la règle est condamné, sans qu´une discussion rationnelle
lui fasse justice »[7]. Cette ironie-là s´orienterait toujours à
partir d´un common sense qui n´est
jamais mis en question.
Adorno ne semble pas ici faire autre chose que récupérer un thème toujours
présent dans la théorie classique du rire et qui concerne le caractère normatif
de l’humour en tant que mécanisme de défense, parmi d’autres, propre à la
logique de la conservation[8]. Comme si la perspective d´Adorno devait
être comprise comme un déploiement d’affirmations comme celle de Hobbes, pour
qui le rire était la sanction contre le « détour », la réaction qui
vient lorsqu´on « aperçoit chez autrui quelque disgrâce en comparaison de
quoi on s’applaudit soudain soi-même »[9].
Néanmoins, Adorno fait plus que cela. S´il ne n’insiste pas sur les liens
présents entre ironie et critique aufklärer
c´est parce qu’il veut montrer comment il y a une ironie au cœur du
pouvoir. Cette ironie n’apparaît plus comme un accord intersubjectif à propos
des normes et des valeurs, qui disqualifierait tout ce qui ne lui est pas
conforme. En fait, elle apparaît comme un genre « d´accord universel à
propos des contenus » (inhaltlich
universalen Einverständnis), c’est-à-dire, comme une étrange impossibilité
de surmonter ce qui se présente dans la réalité (Wirklichkeit). Ainsi, il ne s’agit pas de penser l’ironie comme un
mode de recours à une vérité intersubjective partagée mais transcendante à la
situation ironisée. Au contraire, il s’agit de penser une étrange ironie qui
soutient la réalité en se moquant de ceux qui veulent se moquer d´elle.
C´est en ce sens que nous devons
comprendre l´affirmation majeure d´Adorno selon laquelle « la différence
entre idéologie et réalité (Wirklichkeit) a disparue ». Cette disparition ne
renvoie pas à l’idée marxiste classique selon laquelle les contradictions que
l’idéologie essaye de justifier ne sont pas le résultat d’un décalage entre
idée et réalité, mais des processus constitutifs de la réalité elle-même. Si
cela était le cas, Adorno ne ferait pas autre chose que répéter Marx, surtout
si l’on pense à l´idée marxiste selon laquelle le fétichisme n’est pas
exactement une illusion de la fausse conscience, mais un genre de
« contradiction objective », contradiction venue de l’objet lui-même.
En fait, en affirmant que la différence entre idéologie et réalité a disparue,
Adorno cherche à souligner que, dans la contemporanéité, l´idéologie s´affirme en tant que telle, sans que
cela change le rapport des sujets à la réalité sociale. Il insiste sur
l’existence d’un rapport de dédoublement (Verdoppelung)
entre idéologie et réalité, cela afin de rappeler que « l´idéologie n´est
plus une couverture (Hülle), elle est
l´acceptation (Antlitz) menaçante du
monde »[10].
Soulignons encore ici que cette transparence ne doit pas être comprise
comme réalisation directe des anticipations de justification présentes dans
l’idéologie. L’idée de transparence ne sert qu’à indiquer comment les sujets
agissent ici comme des fausses
consciences éclairées, c´est-à-dire, comme des consciences qui dévoilent de
façon réflexive les présupposés qui déterminent leurs actions aliénées (car ils
savent ce qu’est la réalité), mais qui sont tout aussi capables de justifier de
façon rationnelle la nécessité de ces actions. De tels sujets ont comme une
« croyance dépourvue de croyance »[11] (glaubenslosen
Glauben). Position subjective qui résulte du contact avec une réalité qui porte en soi même sa propre critique.
Du fascisme au mariage de Béatrice de Hollande
Cette étrange croyance dépourvue de croyance ne peut être comprise que si
nous prenons en compte la façon dont l’idéologie est capable, aujourd´hui, de
mettre en marche un processus « d´ironisation » de la réalité qui
répond aux exigences de justification incluses dans le concept même
d´idéologie. Cela nous permet de montrer comment la question posée par Lyotard
à propos d´un capitalisme bouffon était déjà posée par Adorno, mais á
l´occasion de ses analyses sur le fascisme. Pour Adorno, le fascisme était,
d´une certaine façon, ce rire qui vient du pouvoir.
Nous pouvons dire cela parce que le caractère « carnavalesque »
de l´idéologie fasciste était le secret de sa force. C’était le caractère
propre à une parodie qui absorbe, en même temps, des contenus idéologiques
apparemment contradictoires comme, par exemple, le lien paysan à la terre et le
culte futuriste de l´industrie. Tout était apparence, posée en tant
qu’apparence, de sorte que tout le monde savait de quoi il retournait. Adorno
insiste sur le fait que personne ne croyait à la mythologie du fascisme, même
pas ses porte-parole, mais il y avait de
la croyance – autrement dit la responsabilité de la croyance était toujours
renvoyée à un Autre, à un « sujet supposé croire », si l´on veut
utiliser un terme de Slavoj Zizek. Il y aurait eu ainsi dans le fascisme une
distance ironique agissant de façon réflexive au coeur même du pouvoir.
Ici, il est impossible de résister à l’idée de
citer en entierle texte d´Adorno dédié à cette analyse :
De la même façon que les gens ne croient pas, au
fond de leur cœurs, que les Juifs sont le démon, ils ne croient pas totalement
au leader. Ils ne s’identifient pas intégralement avec lui, mais jouent cette
identification (act this identification),
ils jouent (perform) leur propre
enthousiasme et participent ainsi de la performance du leader. C’est grâce à
cette performance qu’ils trouvent un moyen terme entre leurs pulsions (instinctual urges) continuellement mobilisées et le stade historique de modernisation
qui ne peut pas être oblié de façon arbitraire. C´est probablement la méfiance
dans la fiction de leur propre « psychologie des masses » qui fait
les masses fascistes aussi impitoyables et insurmontables. Si elles arrêtaient
pendant un seconde pour penser (to reason),
la performance serait finie et elles seraient laissées dans un état de panique[12].
Le fascisme ne serait donc qu´un grand jeu de masques, une grande parodie
carnavalesque. Comme s’il réalisait l’affirmation célèbre de Saint-Just:
« Celui qui plaisante à la tête du gouvernement tend à la tyrannie »[13].
Chaque idée présente ici doit être prise au sérieux. D´abord, la notion
d´une identification ironique qui amène les sujets à « jouer leur propre
enthousiasme ». Un « comme si » cynique qui désarticule la
distinction classique entre « enthousiasme » et
« désenchantement » et qui n´exige plus l’identification symbolique
des sujets avec des types idéaux présents dans la vie sociale. Comme si le
pouvoir qui rit de lui-même exigeait des sujets la dérision de leurs rôles
sociaux. Deuxièmement, la simulation en tant que formation de compromis entre
des exigences rationnelles de jugement et des « pulsions constamment
mobilisées » (des pulsions qui sont déjà absolument stylisées, puisque la
« régression » est ici une fiction), c’est-à-dire que la simulation
est ici ce qui permet aux sujets rationnels d´agir de façon ironique, comme
s´ils ne savaient pas. Finalement, une certain « syndrome de
panique » qui apparaît au moment où ce jeu d’apparences menace de
disparaître.
Ainsi, nous pouvons mieux comprendre des affirmations apparemment étranges
d´Adorno comme celle-ci : « La soi-disante psychologie du fascisme
est largement engendrée par manipulation »[14]. Une « manipulation » de l´inconscient,
une « expropriation » de l´inconscient par le contrôle social, une
« appropriation de la psychologie des masses par le leader », comme
nous pouvons le lire dans Freudian theory
and the patterns of fascist propaganda. Ces mots, compris en dehors de
leurs contextes, peuvent nous induire à penser qu’Adorno opère à l’intérieur
d’une logique de l’idéologie comme illusion de la fausse conscience et
résultant du voilement des présupposés d’action d´un pouvoir qui, contrairement
à ce que Foucault nous a montré, semblerait alors avoir un centre très défini.
Néanmoins, c’est une perspective erronée en ce qui concerne Adorno. Le
concept majeur permettant de comprendre la « manipulation » fasciste
est phonyness : un terme qui
indique la position de quelque chose de faux qui s’affirme en tant que tel de
façon ironique. Cela est un point décisif : pour Adorno, les leaders
fascistes ne sont pas hypocrites, ils sont phony.
En ce sens leurs régime de manipulation ne peuvent être compris qu´en
répondant à la question : comment et pourquoi le sujet investit-il des
liens sociaux clairement phony ?
C’est une question qui obéit à l’impératif adornien de ne pas critiquer
l’idéologie à travers la réfutation de thèses, de ne pas la critiquer non plus
à travers l’analyse systémique de la cohérence des énoncés, mais à travers
l’analyse des dispositions de comportement que l’idéologie essaie de produire.
Nous devons comprendre quel sujet ce discours idéologique présuppose.
Avant de répondre à une telle
question, nous devons en poser une autre. Ne pourrions-nous pas dire que cette
analyse de l’idéologie fasciste semble étrangement proche de quelque chose de
fondamental dans nos sociétés « post-idéologiques », des sociétés qui
seraient marquées par le refus de tout projet utopique ? Si cela est le cas, alors la ressemblance de
famille entre le capitalisme bouffon post-idéologique de Lyotard et le fascisme
dans la version adornienne ne serait pas un hasard. Car dans les deux cas nous
serions devant des mécanismes de pouvoir fondés sur ce que nous pouvons appeler
une ´idéologie de l´ironisation. Et
cette ressemblance n’aurait probablement rien d’étrange pour Adorno.
De fait, le schéma présent dans l´analyse adornienne du mécanisme de
fonctionnement de l´idéologie fasciste apparaît aussi dans son analyse du
capitalisme contemporain. Rappelons, par exemple, la manière dont finit son
texte dédié à la télévision comme idéologie : « Parmi les scripts analysés, nombreux
sont ceux qui jouent délibérément du kitsch,
et font un clin d´œil au spectateur par trop naïf, comme pour dire qu’ils
n’y croient pas eux-même, qu´ils ne sont pas si bêtes »[15]. Voici un exemple majeur d’une idéologie qui
continue à fonctionner exactement parce qu’elle ne se prend pas au sérieux.
Une affirmation de cette nature sur la télévision gagne en importance si
l’on se souvient que, pour Adorno, les industries culturelles et les structures
de communication de masse occupent une position hégémoniquedans les processus
de socialisation. En ce sens, la vraie question posée par Adorno ne concerne
pas les « manipulations » qui méconnaissent la multiplicité possible
des modes de réception et de réinterprétation d’un programme télévisuel. Elle
concerne les effets des processus de socialisation médiatisés par des contenus préalablement ironisés. Les réflexions
d´Adorno semblent suivre cette direction, surtout dans un texte tardif comme Temps libre (1969) où il est question, à
la fin, de révier le concept d’industrie culturelle tel qu´il a été présenté
dans la Dialectique de la raison.
En partant d’une étude empirique développée par l’Institut de Recherches
Sociales à propos des modes de réception de la retransmission médiatique du
mariage de la princesse Béatrice deHollande, Adorno perçoit le besoin
d’abandonner un schéma classique d’illusion idéologique en faveur de l´analyse
des « symptômes d´une conscience dédoublée » (Symptome eines gedoppelten Bewubtseins). À propos de ces symptômes, il
dira :
Nous avons vérifié que plusieurs spectateurs avaient un comportement assez réaliste.
Ils évaluaient de façon critique l’importance politique et sociale d´un
événement dont la singularité bien diffusée les avaient laissés cloués devant
la télévision. Ainsi, si ma conclusion n’est pas pressée, les gens acceptent et
consomment ce que les industries culturelles leur offre pour remplir le temps
libre, mais avec une certaine réserve (Vorbehalt),
comme même les plus naïfs ne voient pas comme réel ce que leur offre le théatre
et le cinema. Encore mieux : on n’y croit pas complétement[16].
Si Adorno
insistait encore sur la possibilité d’émancipation à travers cette distance par
rapport à la croyance dans les contenus idéologiques des industries
culturelles, nous pouvons dire que cette « croyance dépourvue de
croyance » est désormais devenue le support de l’idéologie dans la
contemporanéité. Les contenus sont préalablement ironisés et c´est cela qui leur permet de continuer à circuler dans le tissu
social.
Il y a dans ce diagnostic d´une
auto-ironie propre aux industries culturelles une voie importante ouverte par
Adorno pour l’analyse des formations contemporaines de l’idéologie. En fait,
une analyse empirique des produits récents des industries culturelles
démontrerait la présence massive de ce schéma. Des personnages de contes de fée
qui critiquent leurs propres rôles, des
publicités qui ironisent sur le langage publicitaire, des célébrités et des
représentants politiques qui font de l´autodérision dans des programmes de
télévision : ces faits ne sont que des figures d’un processus général d’ironisation
des modes de vie qui nous ramène vers ce que Peter Sloterdijk a appelé idéologie réflexive, c’est-à-dire une
position idéologique qui porte en soi la négation des contenus qu’elle-même
présente. C´est une façon rusée de pérenniser ces contenus dans des situations
historiques où ils n’ont plus d’enracinement substantiel.
En ce sens, la conservation de la thématique de l’idéologie peut montrer sa
pertinence. Nos sociétés « post-idéologiques » ne sont pas
caractérisés par l’absence de constructions idéologiques dans la justification
des pratiques et des valeurs sociales. Au contraire, elles sont caractérisées
par la présence de ces constructions mais sous
la forme de l´ironie. Car même si ces constructions sont des objets
d’ironie, elle continuent à fournir le cadre stable et socialement partagé de
description des pratiques et des valeurs. Une critique de l´idéologie qui
voudrait rendre compte des modes de fonctionnement du pouvoir à partir d’une
rationalité cynique se doit donc d’être une critique
de l’ironie.
Capitalisme carnavalesque
Il y a une raison supplémentaire pour penser la critique de l’idéologie à
partir de la critique de l’ironie. Tout se passe comme si le capitalisme
contemporain suivait une certaine logique « carnavalesque ».
Ce terme vise surtout la description fournie par Mikhaïl Bakhtine des modes
de suspension de la loi dans des fêtes anomiques du moyen âge. Même si cela
peut paraître improbable, ces modes de suspension de la loi peuvent nous
indiquer comment l´idéologie du capitalisme contemporain est capable, comme
disait Lyotard, de maintenir la loi de la valeur en même temps qu’il sape la
valeur de la loi, de soutenir la loi en même temps qu’elle énonce la fragilité
de sa légitimité. Peut-être, cela peut-il aussi nous donner une raison inavouée
pour que soit consacrée la figure de Bakhtine comme pilier des cultural studies d’inspiration
post-moderne.
Bakhtine avait un grand intérêt pour les fêtes anomiques du moyen âge,
spécialement pour le carnaval, puisqu’il aurait vu dans ces fêtes la présence
du caractère subversif du rire populaire contre les impostures du pouvoir. Il
insiste sur l´impossibilité pour une fête civique au moyen âge d’avoir lieu
sans l’intervention d’éléments comiques :
On trouve dans le folklore des peuples primitifs, parallèlement aux cultes
sérieux (par leur organisation et leur ton), des cultes comiques qui tournaient
en dérision et blasphémaient les divinités (« rire
rituel ») ; parallèlement aux
mythes sérieux, des mythes comiques et injurieux ; parallélement aux
héros, leurs sosies parodiques[17].
Nous devons nous demander quelle est la signification de ce dédoublement
parodique des structures générales de socialisation présentes dans les fêtes
civiques et dans les mythes médiévaux. Bakhtine comprend cela comme la
manifestation des tendances de subversion et de réinterprétation populaire de
la loi sociale, des tendances qui auraient une forme plus visible dans des
fêtes anomiques comme le carnaval. D’où l’affirmation suivante : « le
carnaval était le triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la
vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les
rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous »[18]. Il figure un mode de rapprochement entre des
contraires qui caractérise au fond les utopies de flexibilisation des normes et
qui promet « un mode particulier d´existence (...) basé sur le principe du
rire »[19]. Un rire qui dissout toute déterminité et
qui renverse tout principe normatif, cela afin d´affirmer la vie comme flux continu
des formes.
La précision historique de cette interprétation des fêtes anomiques
exigerait une analyse empirique minutieuse. Néanmoins, il est impossible de ne
pas discuter cette opposition bakhtinienne stricte entre suspension et respect à
la loi. En principe, la réduction de la vie à un flux continu des formes dans
des moments d’anomie ne semble pas s´opposer à l’ordre juridique. Si la
relation était vraiment une relation d’opposition, il serait difficile
d’expliquer comment l’ordre juridique était capable de se reconstruire
immédiatement après les périodes d’anomie sans que cette expérience d’anomie ne
produise le besoin de réorientation des processus de normativité. Comment
expliquer que l’ordre juridique revienne tel qu’il était avant ? Ainsi, par-delà
la tentative bakhtinienne d’affirmation du caractère subversif du rire
populaire dont l’espace privilégié serait le carnaval –un rire populaire qui
serait une des racines du cynisme grec – il faut insister sur la
complémentarité entre la position de la norme et celle de son ironisation
parodique. Nous devons voir les mythes comiques comme étant une partie constitutive des mythes sérieux, comme
participant de leur déploiement interne, c’est-à-dire comme ce qui permet au
sérieux d’internaliser sa propre critique.
Georges Bataille a bien
compris cela dans ses études sur la fête, le sacré et l´érotisme. Grosso modo, Bataille essayait de penser
une solidarité entre transgression et interdiction énoncée par la loi. Ces
structures sociales sont basées sur une normativité qui accepte sa propre
suspension temporaire : « Il n´est pas d’interdit qui ne puisse être
transgressé, écrit Bataille. Souvent la transgression est admise, souvent même
elle est prescrite »[20]. La transgression apparaît donc comme un
mode de fonctionnement du lien social, pour autant que la transgression n’est
pas un retour à la nature. Elle est une façon pour la norme d’internaliser des
moments d’anomie mais sans se détruire, une manière, autrement dit, de produire
des évènements sans véritable force performative. D’où cetteaffirmation de
Bataille : « la transgression lève l´interdit sans le
supprimer ».
Giorgio Agamben, avec ces réflexions de Bataille en vue, est arrivé à une
conclusion symétrique en s’appuyant sur des études de Karl Meuli à propos de la
relation entre les fêtes anomiques et certains institutions juridiques
archaïques comme la Friedlosigkeit allemande
ou la persécution du vargus dans
l’ancien droit anglais. C´est une façon de rappeler que la suspension de loi
est un phénomène d´exception réglé dans un code juridique. Cela nous permet de
dire que la suspension ironique de la loi ne signifie pas son abolition et que
la zone d’anomie instaurée par une telle suspension n´est pas dépourvue de
relations avec l’ordre juridique. L’alternance entre ordre et désordre ne met
pas en question la cohésion du pouvoir. Ayant en vue ces phénoménes de
complémentarité entre exception et ordre et prenant en compte la dynamique
idéologique du capitalisme contemporain, il est possible de voir un processus
qui était avant restreint à des moments d’anomie se poser aujourd’hui comme
mode hégémonique de fonctionnement de la Loi.
Identifications ironiques
Il y a encore un aspect du problème
qu’il convient d’ajouter. Nous ne pouvons comprendre le besoin de cette
auto-ironie propre au fonctionnement de l’idéologie qu’en prenant en compte
l’avènement d’un nouveau mode identification des sujets avec le lien social.
Les sujets contemporains ne sont pas appelés à s’identifier avec des types
idéaux construits à partir des identités fixes et déterminées, pour autant que
cela exigerait d’eux la force de l’engagement et la croyance en une certaine
« éthique de la conviction ». En fait, ils sont appelés à soutenir
des identifications ironiques, c´est-à-dire
des identifications avec lesquelles les sujets affirment toujours leur distance
par rapport à ce qu’ils sont en train de jouer ou de représenter, par rapport à
leurs actions. Tout se passe comme si Adorno avait pointé un problème majeur au
sujet des modes d’individuation et de socialisation dans le sociétés
capitalistes contemporaines, lorsqu’il a perçu que les sujets jouaient leurs identification avec le
leader fasciste.
La psychanalyse, en particulier la
psychanalyse d’orientation lacanienne, a insisté sur le rôle des
identifications comme processus majeurs dans la socialisation et dans le
soutien des liens sociaux. Être socialisé c’est « faire comme», c’est agir
à partir de types idéaux qui apparaissent comme des modèles. Néanmoins, pour
rendre compte de deux modes différents du « faire comme », la
psychanalyse lacanienne a établi une distinction stricte entre identification imaginaire (basée sur
l’introjection constitutive et spéculaire de l’image d’un autre qui a la valeur
d’un type idéal) et identification
symbolique (qui indique la reconnaissance de soi dans un trait unaire venu
d’un Autre qui est dans la position d’Idéal symbolique du moi). Cette forme
symbolique d´identification est un mode de reconnaissance qui n’impose pas le
partage d’une identité fixe basée sur des images statiques. Au contraire, elle
amène le sujet à reconnaître son désir dans ce qui n’a pas d’objectivation
préalablement déterminée (le trait unaire).
À travers la dualité de ces
mécanismes d’identification, Lacan essayait d’expliquer comment les processus
de socialisation permettaient aux sujets de se reconnaître dans des fonctions
symboliques qui ne s’épuisent pas dans les figures contingentes de leurs
porteurs. Néanmoins, tout se passe aujourd’hui comme si nous étions en train de
transformer en ironie cette absence d’objectivation préalablement déterminée
propre aux fonctions symboliques.
Comme dans les identifications symboliques, les identifications ironiques
ne sont pas liées à l’introjection des images idéales privilégiées. Depuis
longtemps, la dissolution ironique de la déterminité à été aussi comprise comme
dissolution de la fixité de l’image de soi. Lorsqu’il expose la distance entre
l’énoncé et l’énonciation, celui qui ironise apparaît comme celui qui n’est
jamais présent dans son direet qui ne fournit jamais une image de soi. Ce que
déjà Schlegel disait de Socrate.
Ainsi, la destruction de la prégnance des images de soi peut se transformer
dans la mise en œuvre continuelle d’une distance ironique par rapport à toute
déterminité empirique, par rapport à tout rôle identitaire qui déterminerait
une praxis sociale. Une telle prise
de distance peut devenir stable à partir du moment où les sujets se servent de
leurs identités comme si elles étaient des semblants,
des apparences posées comme des apparences. Ils se lient à des identités
sociales qui n’ont aucune réalité substantielle en raison même du fait qu´elles n´ont aucune réalité substantielle. Cette
logique de l’ironisation peut engendrer, par exemple, la
« flexibilité » d´une subjectivité plastique qui intègre les
identités sociales comme des apparences
qui n´ont pas peur de dire leur nom. C’est une logique qui produit une
subjectivité s’affirmant comme jeu de
masques insoumi à tous principes d’unification[21].
On comprendra l’importance de ce
régime d’identification en se souvenant que la distance ironique est
actuellement la condition nécessaire pour le fonctionnement de l’idéologie. Il
suffit d´insister sur cette affirmation d’Althusser (qui, au moins sur ce
point, est proche d’Adorno) selon laquelle l’idéologie n’est pas une question
de fausse conscience ou de croyance aveugle, mais de répétition des rituels
matériels. Une répétition qui peut laisser de côté tout besoin d´engagement
subjectif. En fait, il est même meilleur que le sujet prenne une distance
critique par rapport à son action et qu’il ne se confonde pas avec ses rôles et
rituels sociaux. Ainsi, l’inertie sera encore plus forte car le sujet se
désolidarise de son propre acte qui gagne la force de l’automatisme. Répéter
sans croire, ou comme le dit Pascal lorsqu’il renverse la relation entre l’acte
et la croyance : « Mettez-vous à genoux, priez et vous allez croire ». Ce qui nous rappelle que la croyance idéologique n´est pas exactement un concept lié à des états
intentionnels, mais plutôt à des structures de la praxis. C’est en ayant
cela en vue qu’Adorno pouvait parler de « croyance dépourvue de
croyance ». Un bel exemple de ce genre de position subjective nous est
aussi donné par Richard Rorty dans son Contingency,
Irony and Solidarity.
Rorty pense en effet l’ironie comme une position générale vis-à-vis des
valeurs qui essaient de fonder des critères fixes d’évaluation des
comportements et des institutions. Ces valeurs, que Rorty appelle
« vocabulaire final » afin d´insister sur leur tendance à essayer de
posséder une dignité métaphysique, ces valeurs seraient mises en question par
l’ironiste. L’ironie est produite par la conscience de la contingence
historico-culturelle de tout vocabulaire de description pour des critères de
justification. Elle inclut un relativisme propre à ceux qui savent que les
termes avec lesquels nous décrivons nos exigences de justification sont
toujours sujets à des nouvelles descriptions ; relativisme de ceux qui
savent que les questions de justification
ne sont pas dépendantes des problèmes de vérité, pour autant que les
critères de justification ne relèvent que de « la platitude capable de
définir des termes d’un vocabulaire final d’usage courant »[22].
Selon Rorty, l’ironiste n’investit pas les processus de socialisation avec
une vraie conviction. Mais Rorty reconnaît que ce concept d’ironie exige une
distinction stricte entre espace privé et espace public. Car l’ironie concerne
une certaine façon de se lier à des valeurs qui soutiennent l’espace public, ce
qui ne veut pas dire que la rhétorique publique soit ironique. Certes
« l’ironiste prend les mots qui sont le fondement de la métaphysique et,
en particulier, de la rhétorique publique des démocraties libérales, comme un
texte »[23]. Néanmoins, il agit comme s’il prenait
ces mots au sérieux. Rorty ne peut pas penser que les valeurs des démocraties
libérales sont énoncés de façon ironique. Comme il le dit : « Je ne
peux pas imaginer une culture qui socialise sa jeunesse d’une façon qui la
fasse douter de son processus de socialisation lui-même »[24]. C’est
pourtant non seulement ce que nous pouvons mais ce que nous devons faire.
Il s´agit, pour Rorty, d’insister sur la distance nécessaire qui devrait
exister par rapport à l’absolutisation des valeurs, ce qui renvoie
nécessairement vers le Kant de Was ist
Aufklärung ?, avec sa distinction entre l’usage public et l’usage
privé de la raison. Cette distance permettrait aux sujets d’être immunisés
contre la tentation métaphysique de croire que nos valeurs sont capables de
rendre compte de la description correcte des croyances, des actions et des
systèmes des ceux qui partagent des valeurs différentes des nôtres. Néanmoins,
comme l´ironie est ici une affaire privé,
la rhétorique des démocraties libérales peut être acceptée, précisément parce qu´elle n´exigte pas de conviction. Peut-être
est-ce là la condition sine qua non pour
la perpétuation de démocraties libérales privées de tout événement. Un prix
trop haut ?
Vladimir Safatle. Professeur au Département de Philosophie
de l’Universidade de São Paulo (Brésil). Professeur invité aux Universités
Paris VII et Paris VIII. Docteur en philosophie à l´Université de Paris VIII
avec la thése : La passion du
négatif : Lacan et la dialectique. Directeur du Centre d´Etudes en
Théorie Sociale, Philosophie et Psychanalyse de l´Université de São Paulo
(Latesfip/USP), il est auteur de plusieurs ouvrages en brésilien sur les
rapports entre philosophie et psychanalyse, l´esthétique musicale et sur les
problèmes venues de la tradition dialectique hégélienne. En français et anglais,
il est auteur notament de « L´acte au delà de la Loi : Kant avec Sade comme point de torsion de
la pensée lacanienne » (Essaim, 2002), « Faire des synthèse sans
croire au tout : sur l´usage de la notion de fragment chez Adorno »
In : Olive, Jean-Paul ; La défection de l´oeuvre, (L´harmattan,
2004), « Mirrors without images : Mimesis and recognition in Lacan
and Adorno » (Radical Philosophy, 2006), « La nouvelle tonalité et
l´épuisement de la forme critique » (Filigrane, 2006), « Dissolution
du moi et destitution subjective dans l´oeuvre de John Cage » (Filigrane,
2007), « Annuler le temps : retour au problème du caractère fétiche
de la musique chez Adorno » In : Soulez, Solomos &
Vagionne ; Manière de faire de sons (L´harmattan,
2007). Il prépare, entre autres, un livre sur le cynisme comme figure
« post-idéologique » de l´idéologie (Boitempo, 2008), dont ce texte
fait partie, et une copilation des articles sur philosophie et psychanalyse
(SUNY Press, 2008)
[1] Jean-François Lyotard,; Des dispositifs pulsionels, Paris, Galilée, 1994, p. 100
[2] idem, p. 130
[3] Theodor Adorno, « Beitrag zu Ideologielehre » In : Gesammelte Schriften VIII, Frankfurt, Suhrkamp, 1999, p. 467. [Toutes les traductions d’Adorno sont de l’auteur, à part les traductions indiquées].
[4] idem, p. 465
[5] Peter Sloterdijk, Critique de la raison cynique, Paris, Christian Bourgeois, 1987, p. 30
[6] Cette notion de comique lié à l´inadéquation de l´apparence peut être trouvé chez Bergson lorsqu´il affirme que l´on trouve dans le risible une : « raideur de mécanique là où l´on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d´une personne » (Henri Bergson, Le rire, Paris, Félix Alcan, 1913, p. 10)
[7] Theodor Adorno, Minima moralia, Paris, Payot, p. 196.
[8] A ce propos,
voir Quentin Skinner, Hobbes e a teoria clássica do riso, São
Leopoldo, Unisinos, 2002. Nous pouvons aussi rappeller cette affirmation
de Simon Critchley: “Most humour, in particular the comedy of recognition – and
most humour is comedy of recognition – simply seeks to reinforce consensus and
in no way seeks to criticize the established ordre or change the situation in
which we d ourselves (Simon Critchley, On
humor, New York, Routledge, 2001, p. 11)
[9] Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Sirey,
1971, p. 54.
[10] Theodor Adorno, “Beitrag zu
Ideologielehre” op. cit. p.
477
[11] idem, p. 476
[12] Theodor Adorno, Freudian theory and
the patterns of fascist propaganda In: Gesammelte
Schriften VIII, Frankfurt, Suhrkamp,
1999, p. 418
[13] Cette lecture adornienne du fascisme comme parodie peut trouver un appui dans l’impossibilité technique de définir Hitler et Mussolini comme des dictateurs. Mussolini était le chef légal du gouvernement et Hitler le Kaiser légal du Reich. Comme le rappelle Agamben: « ce qui caractérise aussi bien le régime fasciste que le nazisme, c´est le fait qu’ils ont laissé subsister les constitutions vigentes, en faisant la constitution légale s´accompagner d´une deuxième structure non formalisée du point de vue juridique et qui peut exister grâce á l´état d´exception – cela selon un paradigme qui a été défini comme « État duel » (AGAMBEN, Estado de exceção, São Paulo, Boitempo, 2004, p. 76). Ne serions-nous pas devant un étrange cas de structure bakhtinienne de la norme, une norme toujours accompagnée de son double parodique ? Comment comprendre la position subjective des sujets qui se soumettent à un pouvoir qui suit, en même temps, la Loi et sa négation ? Cynisme serait-il le nom idéal d’un tel pouvoir ?
[14] Theodor Adorno, idem, p. 430
[15] Theodor
Adorno, « La télévision comme idéologie » In : Modèles Critiques, Paris, Payot, p.
75.
[16] Theodor
Adorno, « Freizeit » In : Gesammelte
Schriften X, Frankfurt, Suhrkamp, 1999, p. 127
[17] Mikhail Bakhtine, L´Oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen age et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970, p. 14
[18] idem, p. 18
[19] idem, p. 16
[20] Georges Bataille, L´érotisme, Minuit, Paris, 1960, p. 71
[21] Comme si le présent avait réalisé le diagnostic précis de Nietzsche : « Il y a des époques où l´individu est convaincu de pouvoir à peu près tout faire, d´être à la hauteur d’à peu près tous les rôles, où chacun s’essaie, improvise, essaie de nouveau, essaie en y prenant plaisir, où toute nature cesse et se fait art. Les Grecs, une fois engagés dans cette croyance aux rôles (...) devinrent réellement comédiens (...) Mais ce que je crains, ce que l´on touche déjà du doigt aujourd´hui, pourvu qu’on ait envie de le toucher, c´est que nous, hommes modernes, sommes déjà pleinement engagés sur le même chemin ; et chaque fois que l’homme commence à découvrir dans quelle mesure il joue un rôle et jusqu’à quel point il peut être comédien, il devient comédien » (Friedrich Nietzsche, Le gai savoir In ; Oeuvres, Paris, Flammarion, 2000, pp. 272-273)
[22] Richard
Rorty, Contingence, irony and solidarity,
Cambridge University Press, 1989, p. 75
[23] idem, p. 99
[24] idem, p. 87