Des miroirs sans
images
Mimesis et
reconnaissance chez Lacan et Adorno
Au-delà de la grille basse
Qui me sépare de moi même
Qui divise tout sauf mes cendres
Sauf la terreur que j’ai de moi.
Paul Éluard
L’histoire du
rapport entre philosophie et psychanalyse a connu, en France et en Allemagne,
ses deux moments majeurs. On tient pour acquis que ces expériences
intellectuelles ont engendré des destins absolument différents et dépourvus de
dispositif commun d’analyse. En Allemagne, la confrontation entre philosophie
et psychanalyse a été mise en oeuvre par l’Ecole de Francfort, avec sa
stratégie de ré-introduction des découvertes freudiennes à l’intérieur de
l’histoire des idées. En France, le recours philosophique à la psychanalyse a
été un mouvement constamment présent dans la pensée française contemporaine.
Néanmoins, le principal moment de cette confrontation a été fourni par la
re-construction lacanienne de la métapsychologie freudienne – re-construction
faite par des recours massifs à la philosophie, que ce soit dans sa version
phénoménologique, dialectique ou structuraliste.
Mais, en principe, on accepte qu’il n’y a eu aucun champ de partage
dialogique entre l’expérience intellectuelle de l’Ecole de Francfort et celle
de Jacques Lacan. En fait, il n’y a pas eu de débat manifeste entre ces deux
pôles. On pourrait essayer de donner une première raison à cette méconnaissance
mutuelle d’entreprises aussi contemporaines. En gros, l’Ecole de Francfort
(pensons surtout à Adorno, Horkheimer, Habermas, Marcuse et Axel Honneth) a
privilégié d’abord la tentative de construire un genre d’archéologie des
liens sociaux et des processus de socialisation à partir des lectures,
parfois divergentes, de la théorie freudienne des pulsions. Une archéologie
capable d’orienter le renouvellement des aspirations émancipatrices de la
praxis social, aussi bien que les modalités de sa critique. Mais la voie de
Jacques Lacan semblait relever à une autre cartographie. Il est vrai qu’on
trouve une certaine archéologie lacanienne des liens sociaux, surtout si l’on
pense au rôle de la théorie des “cinq” discours (le discours de l’hystérique,
de l’universitaire, du maître, de l’analyste et du capitaliste) et aux
re-lectures lacaniennes des textes freudiens comme Totem et tabou et Moise
et le monothéisme. Cependant, nonobstant cet intérêt pour la production
d’une théorie du discours, Lacan aurait développé une clinique fondé surtout
sur la reconnaissance de l’irréductibilité du blocage produit par le champ de
l’inconscient, du sexuel et du pulsionnel aux processus d’auto-réflexion.
En ce sens, la psychanalyse lacanienne n'admettrait aucune notion de synthèse positive capable de tisser la réconciliation entre la conscience et la négativité radicale de l'inconscient. Discours du clivage et de la discordance, elle prêcherait la discontinuité radicale entre le savoir de la conscience et la vérité de l'inconscient. Une discontinuité dont la figure majeure serait la compréhensionde la fin de l´analyse comme une opération radicale de destitution subjective qui se poserait dans le contre-courant de tout élargissement de l’horizon de compréhension de la conscience et de toute des-aliénation possible. Ce qui rendrait impossible tout dialogue entre Lacan et les aspirations émancipatrices, profondément marqués par un certain hégélianisme, de l’Ecole de Francfort.
Mais il est possible que notre temps a déjà acquis le droit de critiquer
cette façon de disposer les donnés du problème. Car une analyse atentive peut
nous montrer l’existence des chiasmes importants entre la psychanalyse
lacanienne et des dévéloppement propres à l’École de Francfort, surtout ceux
amenés par Thedor Adorno. Une histoire de convergences non reconnues qui revèle
l’existence des ressemblances de famille entre des expériences intelectuelles
en France et en Allemagne dans la deuxième moitié du Xxème siècle.
Rester
devant le sujet ... à travers l’objet
Il est vrai que la notion de ‘cure’ propre à la clinique lacanienne n’est
pas compatible avec les processus de développement individuel et le
culturalisme d’Erich Fromm ou avec l’horizon utopique de réconciliation sociale
proposé par Herbert Marcuse. D’autre part, la clinique lacanienne semble très
éloignée des tentatives de Habermas et de Honneth de fonder une théorie de l’intersubjectivité
à travers le recours aux élaborations psychanalytiques. Mais, avec Lacan et
Adorno, nous sommes devant deux moments de l’histoire contemporaine des idées
très proches l’un de l’autre. Il ne s’agit pas de csimplement cosntruire un
catalogue de proximités, mais d’approfondir certaines conséquences produites
par la reconnaissance de cette convergence entre deux penseurs apparemment
absolument éloignés.
D’abord, nous savons que aussi bien Adorno que Lacan ont soutenue leur
expériences intelectuelles à travers um projet de retour à Freud. Ce
mouvement est clair en ce qui concerne à Lacan, mais nous ne devons pas oublier
le rôle déterminant du dialoque entre Adorno et la pensée freudienne. Ce
dialogue ne se réduit pas à des textes ponctuels sur des problèmes
métapsychologiques, mais il a influencé de façon décisive le projet
philosophique d’Adorno jusqu’à la structure de son concept de auto-critique de
la raison. D´ailleurs, le biais matérialiste propre à Adorno devient simplement
incompréhensible si l’on méconnaît ce que la psychanalyse lui a montré à propos
de la génétique du moi, du rapport entre pulsion (Impuls) et la
structuration de la pensée, du rôle majeurs des identifications dans la
détermination de l’auto-identité et de la puissance narcissique du fantasme
dans la colonisation des formes de la vie sociale. L´importance de ce recours à
la psychanalyse est aussi evidénte que des commentateurs comme Honneth ont
compris cela comme la cause d´un certain « défict sociologique »
visible dans l’impossibilité d’Adorno en fournir une vraie réfléxion sur les
modes sociales de organisation de la société[1].
D’autre côté, cette filiation à l´ésprit des
découvertes freudiennes a amené Adorno à très tôt critiquer le révisionnisme de
la psychologie de l’ego, thème cher à Lacan. Pour Adorno, la psychologie de
l’ego avec sa notion de cure comme réalisation sociale efface la nature de
l’expérience négative propre à l’inconscient. Pour Lacan, il s’agit donc de
faire la critique du moi comme construction de l’Imaginaire et de récupérer
l’irréductibilité du concept d’inconscient aux procédures de symbolisation
réflexive.
Mais en ce qui concerne le rencontre possible
entre Lacan et Adorno, je dirais que son noyau central devient visible
lorsqu’on se souvient que, contrairement aux tendances majeures de l’histoire
contemporaine des idées, aussi bien Lacan qu’Adorno ont essayé de renouveler
les modes de soutenir le principe de subjectivité à partir d’une stratégie
absolument convergente. Lacan et Adorno n´ont jamais assumé le discours de
la mort du sujet ou du retour à l´immanence de l´être, à l´archaïque ou à
l´ineffable (et je crois qu´il faut repenser le rôle de certaines élaborations
ultérieures de Lacan, comme parlêtre et apparole), mais ils ont
soutenu l´idée d´un príncipe de subjectivité depourvu de dépéndance à la notion
d´identité. Ils ne veulent plus penser le sujet como une éntité substatielle
qui fonde les processus de auto-détérmination, mais le transformer dans le locus
de la non-identité et du clivage. Une opération que devient visible
lorsqu´on met em lumière comment la
racine hégélienne commune de leurs expériences intellectuelles a produit une
articulation foncière entre sujet et
négation qui indique une stratégie capable de soutenir la figure du sujet dans
la contemporanéité. Ainsi, la non-identité, c’est-à-dire, une négativité
non-récuperable qui structure une subjectivité qui ne se perd pas dans le
milieu universel du langage, constituera aussi bien l’horizon utopique adornien
que ce qui doit être reconnu par le sujet à la fin de l’analyse
lacanienne. En ce qui concerne le sujet, cette non-idéntité rencontre, dans les
deux cas, son site privilégié de manifestation dans l’expérience de la pulsion,
du corps et de ses modes de subjectivation[2].
Cette notion du sujet comme locus de la
non-idéntité peut devenir plus claire si nous rappelons que Adorno et Lacan,
contrairement à nouveau aux tendaces majeures de la pensée de la fin du XXème
siècle, ont soutenue le rôle central des expériences de confrontation entre le
sujet et l’objet dans la détermination d´une pensée de la non-identité. Ils
n’ont pas abbandonnée la dialectique sujet/objet pour autant qu’il aurait un
descentrement, foncier pour la détermination de la subjectivité, qui n´est
serait possible qu´à travers un certain régime d’idéntification entre sujet et
objet.
Ce régime d’idéntification ne peut pas être
compris ni à partir des mécanismes de projection du moi sur le monde des
objets ni à partir de l´assimilation de l´objet à travers une rémémoration (Erinnerung)
capable d’internaliser les scisions que la conscience aurait elle-même
produite. Au contraire, il s’agit de amener le sujet à reconnaître, à
l’intérieur du soi même, qualque chose de l’ordre de l’opacité de ce qui se
détermine comme obs-tant (Gegenstande). C’est-‘a-dire, reconnaître que
le sujet porte dans son intérieur « un noyaud de l´objet (ein kern von
Objekt)” (ADORNO, 1990, p. 747) normalement lié aux dimensions du corps et
non réductible aux processus de individuation et d´apréhension réflexive.
Ainsi, la subjectivité ne doit pas être reconnue de façon exclusive à
l’intérieur du terrain intersubjectif que soutient le champ des processus de
socialisation et des intérations sociales symboliques, mais dans une
récupération de la confrontation propre à la dialectique entre sujet et
l’objet. Car il s’agit de montrer que: « le sujet n’est jamais tout à
fait sujet ne l’objet tout à fait objet : mais tous deux ne sont pas pour
autant les élcats d’un tiers qui les transcenderait »[3]. Cela implique une structure de reconnaissance des
dimensions de la subjectivité qui ne se épuisent pas dans la auto-objectivation
du sujet dans le champ intersubjectif du langage.
Adorno donne un nome à ce mode de reconnaissance
lié à une figure du sujet pensée comme locus de la non-identité : mimésis.
Cet article veut montrer que le problème adornien de la mimesis n´est pas
simplement la preuve d’une tendace cachée vers la Naturphilosophie. En
fait, la mimesis est une pièce majeure pour la ré-orientation des discussions à
propos des modes de reconnaissance disponiles au sujet. C’est dans ce sens que
nous devons comprendre les tentatives adorniennes de fournir un modèle de
communication qui n’est plus pensé à partir de la communication entre des
sujets :
S’il était possible de spéculer sur l’état
de réconciliation (Versöhnung), il ne serait pas question de le penser sur la
forme de l’unité indifférenciée entre le sujet et l’objet ou sur la forme d’une
antithèse hostile, mais comme une
communication du différencié (Kommunikation des Unterschiedenen). Alors, le
concept de communication peut rencontrer son lieu de droit comme quelque chose
d’objectif. Le concept actuel est honteux parce qu’il trahi le meilleur, la
force d’un entendement (Einverständnisses) entre hommes et choses, et nous
offre à sa place la communication (Mitteilung) entre des sujets tel que la
raison subjective requiert [4].
Normalement, on voir dans cette affirmation
d’Adorno le symptôme d’une philosophie qui persiste à penser le rapport du sujet
au monde exclusivement comme confrontation entre sujet et objet, confrontation
propre au cadre de la philosophie de la conscience, tout en négligeant le cadre
intersubjectif qui détermine le rapport à l’objet. D’où viendrait, par exemple,
le besoin de récupérer un concept nuageux de mimésis comme promesse
d’entendement entre hommes et choses, en dépit des processus réflexifs de
compréhension déjà présents dans la communication propre à la vie ordinaire.
Néanmoins, cette lecture inverse les pôles et voit
comme « négligence » c’est qui est le résultat d’une critique. En
fait, critique à l’effacement de toute dignité ontologique de ce qui apparaît
comme résistance et opacité de l’objet au cadre intersubjectif de
signification, résistance de l’objet à l’accord intersubjectif à propos de la
détermination nominale de ce qui apparaît comme non-identique au sujet. D’autre
part, critique aussi à l’effacement de toute dignité ontologique concernant l’irréductibilité
du sujet et de ses fonctions aux déterminations positives de la parole
partagée dans les usages du langage de la vie ordinaire. Cela nous permet
d´affirmer : une communication du différencié qui ne vueille pas nous
conduire vers l’unité indifférenciée doit être sensible à ce chisame grâce au
quel le sujet trouve dans l’objet la même opacité qui pourra constituer des
auto-relations non-narcisiques. Cette recherche d’un concept alternatif de
communication à partir de la confrontation entre sujet et objet rapproche Lacan
et Adorno.
En ce que concerne Lacan, nous acceptons
normalement que le motif de la reconnaissance serait lié à un moment de sa
pensée encore très marqué par un certain hégélianisme français (Kojève,
Hyppolite) avec ses thématiques de la lutte pour la reconnaissance
intersubjective du désir. Cette tentative de reconstituer la rationalité de la
praxis analytique à travers la thématique de la reconnaissance du désir ne
aurait pas duré jusqu’à la maturité de la pensée lacanienne. À sa place, le
psychanalyste aurait insisté sur le besoin de savoir soutenir des singularités
pures, ainsi que l’imédiaticité de l’individuel. Il suffit de se rappeler des
affirmations tardives comme: « Il n´y a pas d´universel qui ne doive se
contenir d’une existence qui la nie »[5].
En ce sens, tout se passait comme si Lacan opérait un tournant
« post-structuraliste » à l’intérieur de son expérience
intelectuelle, voire, par exemple, la façon dont le problème de
l’irréductibilité de la différence pure ou des multiplicités non-structurés apparaîssent
dans les discussions de philosophes comme Deleuze et Derrida.
En fait, ce soutient des singularités pures en
dépit de la centralité des processus de reonnaissance dans la clinique semblait
mettre la psychanalyse lacanienne dans la voie d’une certaine logique
non-avouée de retour pré-réflexif à immanece de l’être. La cosntruction
tardive, dans la théorie lacanienne, d’un mot-valise comme parlêtre, cela
à fin de designer le lieu de l’enonciateur, pouvait être comprise comme une
évidence de ce nouveau chemin. Ce faisant, parce que Lacan semblait abandonner
l'aspiration universalisant de la reconnaissance, cette immanence se conjuguait
au particulier et n'admettait qu'une jouissance muette (rappelons comment la
jouissance féminine est caractérisée exactement par le mutisme venu de sa
position hors symbolique),
monologique, qui ne cachait pas sa proximité avec la psychose. Un peu comme si
Lacan acceptait la tentation de « fermer l’individuel sur soi même »,
à propos de laquelle Gaston-Granger avait dejà signalée (1960, p. 192).
Neánmoins, il faut insister que, à partir du
moment où la psychanalyse essaye de s'écarter de la réflexivité propre à un
sujet foncièrement marqué par le désir de se faire reconnaître, comme c’est le
cas du sujet lacanien, elle perd tout critère pour établir la vérité de ce qui
se pose comme expérience du Réel. Sauf si d'une façon souterraine, l’on en revient à une notion non-problematisé de certitude subjective qui n'a pas
besoin de la médiation de l'Autre pour se légitimer. Il faut
donc montrer que la cure dans la clinique lacanienne est indissociable d´un mouvement de subjectivation
qui est nécessariamente auto-objetictivation
du sujet dans un champ structuré
– ce que nous demontre l’impossibilité
de penser une clinique dépourvue des procédures de reconaissance. La vraie question gît autour
du régime de reconnaissance capable de
repondré aux impératif
d’auto-objectivation spécifiques
du sujet descentré lacanien et à l’opacité de la pulsion, du sexuel
et du corps.
Rappelons ici que la psychanalyse se doit rendre
compte d’un double impératif. Elle doit apparaître comme critique de la
connaissance à travers la compréhension de la conscience comme synonyme
d’aliénation. Car, en admettant le caractère auto-illusoire de la conscience, la
psychanalyse pourrait critiquer sa capacité cognitive. En ceci, elle est
discours de la discordance, du clivage entre savoir et vérité. Une clivage qui
demontre comment elle n´a rien à faire avec les thématiques propres à la
philosophie de la conscience.
Mais, en s'opposant à l'auto-identité immédiate de
la conscience, la psychanalyse ne peut pas se transformer dans l'hypostase de
la différence, du non-savoir et d'un discours de la désintégration du sujet.
Dans le cadre analytique, la désintégration du sujet ne peut produire que la
psychose et la forclusion du
Nom-du-Père, c'est-à-dire, une fragmentation de l'identité propre aux délires
paranoïaques du Président Schreber[6].
Le vrai défi de la psychanalyse n’est conssite pas en postuler la
désintégration du sujet, mais en trouver la puissance de cure propre à ces
expériences de non-idéntité et de descentrement qui brisent aussi bien le
cercle narcisique du moi que le cadre controlé des échanges intersubjectives
préalablement structurés. Mais lorsqu’on parle d’une expérience qui
n’est pas une ascèse spirituel, on présuppose nécessairement un horizon formel
de synthèse et de reconnaissance disponible au sujet. Dans le cas de
Lacan, cette reconnaissance qui ne suit pas la logique communicationnelle ne se
donne pas totalement dans le champ intersubjectif du langage. Au contraire,
elle est dépendante de la confrontation du sujet avec la opacité d´un objet qui
cause son désir et qui n´est pas totalement assimilable à l’inscription
symbolique dans le champ intersubjectif.
Il est possible de mieux cerner ce point si l´on
se souvient que le sujet doit perdre ses liens symbiotiques avec des objets des
pulsion partielles auto-érotiques, cela à fin de se socialiser dans le champ
intersubjectif du langage. C’est une motif majeur de la littérature
psychanalytique : le bébé vit dans un état d´indifférenciation symbiotique
qui doit être rompu pour que les processus de socialisation puissent opérer.
Néanmoins, cette rupture empêche le sujet de se confronter avec ce que ne se soumet
pas à l’individuation dans le champ de socialisation du langage, ainsi qu’à
l’image individuée du corps propre. Une des spécificités de la clinique
lacanienne consiste à defendre le besoin du sujet se confronter à nouveau avec
ces objets (qui vont continuer à causer son désir) à fin de récuperer ce qui
est « non-subjectif dans le sujet » pour autant que ces objets sont
opaques aux processus de réflexion (d’où, par exemple, l’idée que le
dévoilement de l’objet a ne peut être vécu que sous la forme d’angoisse).
Ainsi, l’auto-objectivation du sujet, selon Lacan, ne sera pas liée à la
position de dimensions expressives des individus socialisés. Elle sera liée à
la reconnaissance du sujet dans un objet qui ne porte pas son image, qui ne
porte pas les marques de l’individuation.
La raison du besoin d’une telle stratégie, qui
pourrait sembler une espèce rusée de retour à l’espotanéié pré-discursive d’un
corps qui n’est pas encore individué, se trouve dans le fait de Lacan convergir
mécanismes de socialisation et processus de aliénation. Sans
doute, il s’agit d’une proposition risquée, mais elle se trouve au centre de
l’oriéntation lacaninne à cause d’une raison absolument claire.
Critiques de l’intersubjectivité
Cette
convergence stricte entre des mécanismes de socialisation et des processus de
aliénation est sponsorisée par une cetaine « critique totalisante de la
reification du langage ordinaire » qui peut être trouvée dans Lacan et
dans Adorno. Dans les deux cas, il s’agit de comprendre le langage ordinaire
comme space des processus de reification et d’aliénation. Ce qui amenera aussi
bien Lacan qu’Adorno à soutenir une tension irréductible entre certaines
dimensions de la subjectivité et le champ linguistique intersubjectif. En fait,
il s’agit là d´un deploiment de l’affirmation de l’impossibilité de
l’auto-objectivation du sujet à l’intérieur de la réalité aliénnée des sociétés
modernes.
En ce sens, Lacan est clair. Il lui arrive
d’esquisser une critique à la rationalité instrumentale en montrant que la parole
vide du langage réifié produit une communication soumise : « à
l’énorme objectivation constituée par la science et que permettra au sujet
d’oublier sa subjectivité »[7].
Un discours instrumental dont les objetivations nous conduisent à :
« L´aliénation la plus profonde du sujet dans la cibilisation
cientifique » (LACAN, 1966, p. 281). Cela amene Lacan à parler du langage,
dans cette dimension et dans ce contexte
instrumental, comme un « mur » qui empêche le sujet d’établir des
« rapports authentiquement instrusubjectifs » (LACAN, 1978, p. 285)
qui seraient articulés à l’intérieur d’un langage capable d’exprimer le
processus structural de fonctionement de l’univers symbolique et qui serait
liberée du poids de la reification.
Mais, dans les années 60, Lacan élargissera sa
critique à la reification du langage en l’elévant à une question liée au
fonctionement même des structures symboliques. Cela devient clair lorsque Lacan
abandonne ses considérations sócio-historiques à fin de affirmer :
Le signifiant se produisant au champ de
l’Autre fait surgir le sujet de sa signification. Mais il ne fonctionne comme
signifiant qu’à réduire le sujet en instance à n’être plus qu’un signifiant, à
le pétrifier du même mouvement où il appelle à fonctionner, à parler, comme
sujet [8].
Le champ intersubjectif de la chaîne signifiante ne peut faire
parler le sujet qu’en le pétrifiant et en le divisant : « s’il
apparaît d’un côté comme sens, produit par le signifiant, de l’autre il
apparaît comme aphanisis »[9].
Que le sujet doive apparaître de l’autre côté comme ce qui est en
train d’échapper comme aphanisis, cela indique un rapport foncier
d’inadéquation entre subjectivité et intersubjectivité. Rappelons comme Lacan
sera toujours sensible à ce que le sujet doit perdre pour se constituer comme
instance d’autoréférence à travers des processus de socialisation.
De son côté, pour Adorno, le sujet de notre époque
serait devant une réalité mutilée par la pensée identifiante de la logique des
équivalents propre au fétichisme de la marchandise. Cette pensée identifiante
ravalée à sa condition instrumentale nous amène nécessairement vers un langage
réifié qui : « ne détruit pas seulement les qualités, elle contraint les
hommes à être de véritables copies conformes »[10].
Cette soumission
de l’existant à l’objectivité fantasmatique de l’abstraction fétichiste
instaure une inadequation entre les aspirations de singularité de la
subjectivité et le champ intersubjectif du langage. D’où se suit des
affirmations comme:
Lorsque la vie publique atteint un stade
où la pensée se transforme inéluctablement en une marchandise et où le langage
n’est qu’un moyen de promouvoir cette marchandise la tentative de mettre à nu
une telle dépravation doit refuser d’obéir aux exigences linguistiques et
théoriques actuelles avant que leurs conséquences historiques rendent une telle
tentative totalement impossible[11].
Il ne reste donc à la subjectivité que rentrer dans la quête du toujours
non-identique. Elle sera rempli à travers le recours philosophique à l´art.
Souvenons-nous que cette critique à la reification
du langage ordinaire peut nous expliquer porquoi, aussi bien chez Adorno que
chez Lacan, nous trouvons un refus de comprendre le concept positif de raison à
partir d’une rationalité communicationnelle. En ce sens, il est certain
que : « le concept adornien d’expérience ne prennait pas en compte
une théorie de l’intersubjectivité » (BUCK-MORSS, 1981, p. 182). Mais
cette exclusion se soutient dans une critique du langage qui suit le même modèle
de critique qui a amené Lacan à affirmer que : "L'expérience freudienne se fige dès qu'elle
[l'intersubjectivité] apparaît. Elle ne fleurit que de son absence"
(LACAN, S VIII, p. 19). Dans lês deux
cãs, il s’agit d’affirmer que l’expression à l’intérieur du champ intersubjectif
est nécessairement soumise à des processus de reification et d’objetification.
L’auto-objetivation du sujet ne peut se donner qu’à travers la négation des
détermination intersubjectives, négation dialectique que ne doit pas nous
amener vers l’innefable ou l’archaique.
Mais, en principe, il semble que ces démarches de
Lacan et d’Adorno ne sont pas totalement convergents, pour autant que le
diagnostique adornien de la réification du langage serait le résultat d’un
constat historique lié aux modes de dévéloppement du capitalisme, en tant que
le diagnostique lacanien serait plutôt d’ordre structural. Néanmoins, j’insiste
sur un certain historicisme problématique propre à la critique
adornienne de la réification du langage qui se déploie comme critique de
l’intersubjectivité. Adorno est le premier à soutenir que la disqualification
du sensible qui apparaît comme résultat d’un langage réifié et soumis à la
rationalité instrumentale est un phénomène qui se confond avec la raison
occidentale : « De Parménide à Russell, la devise reste : Unité.
Ce que l’on continue à exiger, c’est la destruction des dieux et des
qualités »[12].
On connaît les pages de la Dialectique de la
raison consacrés à ce genre de considération. Axel Honneth avait déjà
insisté sur une certaine
« inversion » de la perspective marxiste classique chez Adorno
et Horkheimer puisque, dans la Dialectique de la raison :
« l’échange de marchandise est simplement la forme historiquement
développée de la raison instrumentale »[13]
dont les sources doivent être cherchées (et ici Adorno ne pouvait pas être plus
freudien) dans le processus humain d’auto-préservation devant les dangers la
nature. C’est-à-dire, les coordonnées historiques de la critique de l’économie
politique vont se soumettre à une vraie philosophie de l’histoire.
Mais il ne me semble pas incorrect d’insister sur
certaines coordonnées ontologiques de cette philosophie adornienne de
l’histoire. Tel que dans la philosophie de l’histoire de Hegel et dans la
critique de la technique de Heidegger, le diagnostique de l’histoire adornien
présuppose un ensemble de positions proprement ontologiques sur les modes de
présentation de l’essence[14].
Cela nous rappelle que le problème de la réification du langage ne s’épuise pas
dans une considération historique régionale (ce que peut nous expliquer
pourquoi la critique adornienne doit passer de la critique
« restreint » de l’économie
politique à la critique « généralisée » de la rationalité instrumentale)
mais il a le poids d’une considération d’ordre structurale, tel que chez
Lacan . Ce raprochement entre considération structurale et considération
ontologique n’est pas évidente, ce qui ne nous empêche pas de penser une
certaine convergence.
Mimesis, nature et étrangété
Nous connaissons une
certaine interprétation « hégémonique » concernant le problème de la
mimésis chez Adorno. Elle a été synthétisée surtout par Habermas, Albrech
Wellmer et Axel Honneth. En tant que récupération d’une affinité non
conceptuelle qui se soustrait à la conception d’une relation entre sujet et
objet déterminée sur le mode cognitif-instrumental, le recours adornien à la
mimésis semble promettre surtout un mode possible de réconciliation entre le
sujet et la nature. Une réconciliation capable d’opérer une ouverture par delà la soumission du
divers de l’expérience sensible à la structure catégorielle d’une raison qui
aurait hypostasié son propre concept, soumission qui, selon Adorno, indique le
processus d’imbrication entre rationalisation et domination. Mais, en principe,
cette façon de penser une réconciliation fondée sur des affinités non
conceptuelles semble s’inscrire dans une perspective de retour à un concept de
nature pensé comme plan positif de donation du sens.
Habermas, par exemple, dit que la logique de la
mimésis apparaît comme : « une remonté aux origines où l’on tente de
revenir en deçà de la rupture de la culture avec la nature »[15].
Une orientation de retour à l’origine qui mettrait Adorno à côté de Heidegger.
D’où l’affirmation que : « la mémoire de la nature tombe dans une
proximité choquant avec la réminiscence de l’être »[16].
Et dans les deux cas cette pensée de l’origine et de l’archaïque nous amènerait
forcément à un certain abandon de la philosophie en dépit d’un recours
philosophique au poème, pour autant que la puissance mimétique de l’art peut
nous indiquer ce que le concept rate toujours. Dans le cas de la mimésis chez
Adorno, on pourrait même songer à une certaine Naturphilosophie qui n’a
pas le courage de dire son nom. Il suffit de comprendre ce dévoilement
mimétique des « multiples affinités entre ce qui existe »[17]
comme récupération d’une puissance cognitive de l’analogie et de la
ressemblance.
Mais il me semble que ces interprétations, avec
ses innombrables modulations possibles, présuppose chez Adorno un concept de
nature pensé comme horizon de donation positive de sens accessible à un genre
quelconque d’intuition. La nature apparaît comme un signe d’authenticité.
Ce qui va contre toute possibilité d’une pensée dialectique de la
nature, pensée où celle-ci n’est posée ni comme horizon de donation positive de
sens ni comme simple construction discursive réifiée. A mon avis, c’est une
telle pensée qui est cherché par Adorno. Il suffit de se rappeler que, étant la
médiation posée comme un processus universel[18],
il est simplement impossible à la nature d’apparaître comme l’originaire ou
l’archaïque. Si la médiation est universelle, il n’y a aucun sens en
« revenir à l’origine ». Au contraire, si, selon Adorno, la nature
dont l’art poursuit l’image n’existe pas encore ce n’est pas parce que le
philosophe rentre dans les rets d’une théologie négative, mais parce que la
nature n’est définie que comme ce qui empêche
l‘indexation intégrale des existants par le concept. La nature n’est
qu’une figure du négatif, ce qui n’est pas étrange pour quelqu’un comme
Adorno qui lit le problème de la nature interne sous le signe de la théorie
freudienne des pulsions – théorie qui dénaturalise toute base instinctuelle
possible dans l’homme pour autant qu’elle ne reconnaît pas un objet naturel à
la pulsion.
Cette idée de la nature comme figure du négatif
peut nous expliquer des affirmations comme : « L’art n’est fidèle à
la nature phénoménale que lorsqu’il représente le paysage dans l’expression de
sa propre négativité »[19].
La nature est donc ce qui ne peut pas se poser comme immédiatement présent. Et
si nous rappelons la remarque adornienne selon laquelle les temps chargés de
sens dont le jeune Lukács souhaitait le retour sont tout autant le produit de
la réification, alors il faut se demander si le blocage de la présentation de
la nature est en réalité un problème d’ordre historique ou ontologique. Si
c’est un problème d’ordre ontologique, alors l’accès à la nature n’est pas une
aporie, mais il marque la manifestation d’une essence qui ne peut se donner que
comme négation dialectique de l’apparence.
C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre
l’importance du recours adornien à la mimésis. Cependant, pour cerner la
spécificité d’un tel concept, il faut se rappeler qu’il est construit pour
rendre compte de quatre questions différentes, mais complémentaires, à savoir,
le problème du contenu de vérité de la pensée analogique qui soutienne les
pratiques magiques et rituelles[20],
la tendance pulsionnelle à régresser à un état de nature marqué par la
dépersonnalisation[21],
le mimétisme animal et, surtout, les expériences esthétiques contemporaines de
confrontation avec des matériaux réifiés[22].
Théorie anthropologique de la magie, théorie psychanalytique des pulsions,
mimétisme animal et le problème esthétique de la représentation :
voici les axes de la problèmatique adornienne du mimétisme. Analysons ces axes.
Nous savons comment la pensée qui marque la raison
moderne refuse tout contenu cognitif à la mimésis, à l’analogie et à la
ressemblance, pour autant que la pensée « magique » serait encore
emprisonné aux chaînes de la sympathie et de la participation. Néanmoins,
Adorno et Horkheimer diront qu’il y a un contenu de vérité dans cette
rationalité mimétique propre à la pensée magique, ce qui ne signifie pas du
tout dire qu’on est en train de revenir en deçà de la rupture de la culture
avec la nature. Cela signifie simplement que la pensée magique est capable
d’exposer certaines procédures logiques refoules par la raison réduite à sa
condition instrumentale. Ces procédures concernent surtout la façon dont l’auto
identité se reconnaît comme un moment de la position de la différence. Lacan a
bien montré cela en commentant la nature de « l’identification
itérative » du Bororo que dit «Je suis une ara ». Selon
lui :
Seule la mentalité antidialectique qui,
pour être dominée par des fins objectivantes, tend à réduire à l’être du moi
toute activité subjective, peut justifier l’étonnement produit par un Van den
Steiner par le Bororo qui dit «Je suis une ara ». et touts les sociologues
de la ‘mentalité primitive’ de s’affirmer autour de cette profession
d’identité, qui pourtant n’a rien de plus surprenant pour la réflexion que
d’affirmer : « Je suis un médecin » ou « Je suis citoyen de
la République française », et présente sûrement moins de difficultés
logiques que de promulger : « Je suis un homme », ce qui dans sa
pleine valeur ne peut valoir dire que ceci : « Je suis semblable à
celui qu’en reconnaissant comme homme, je fonde à me reconnaître pour tel’. Ces
diverses formules ne se comprenant en fin de compte qu’en référence à la vérité
du ‘Je est un autre’, moins fulgurante à l’intuition du poète qu’évident au
regard du psychanalyste[23]
La remarque indique comment l’affirmation Bororo de auto identité à travers
l’identification avec l’autre (qui ici équivaut nécessariament à une
idéntification mimétique) révèle ce qui est de l’ordre des individuations
modernes. Si le « Je suis une ara » a la même valeur que le « Je
suis citoyen de la République française » et le « Je est un
autre », c’est parce que, dans les trois cas, la référence-à-soi ne se
constitue qu’à travers la médiation par ce qui est posé comme marque
d’altérité. Mais si la « mentalité antidialectique » s’étonne qu’un
sujet puisse trouver des affinités entre lui et une ara, c’est parce que
l’identité du moi moderne se fonde sur la dénégation du rôle constitutif
de l’identification mimétique avec l’autre. D’un point de vue propre à la
logique dialétique, nous pouvons dire que le moi de l’homme moderne se fonde
sur la négation simple du rôle constitutif de l’opposition dans la
détermination de l’identité, pour autant que la délimitation de auto identité
du moi ne se fait qu’à travers l'exclusion hors de soi de toute altérité.
D’ailleurs, rappelons comment, déjà dans sa thèse
de doctorat, Lacan avait insisté sur le rapport entre la logique de la dite
pensée magique et la structuration de auto identité du moi de l’homme moderne[24].
Si, à cette époque, Lacan affirmait que l’absence apparente des principes logiques
de contradiction, de localisation spatio-temporelle et de l’identité dans la
pensée magique pouvait indiquer une proximité avec la psychose, c’est pour
rappeler que la structure même des individuations dans la modernité suit une
logique paranoïaque qui ne peut assumer le rôle constitutif des identifications
imaginaires que sous la forme des explosions de rivalité et d’agression. D’où
le besoin de penser la psychose paranoïaque dans ses rapports avec le
processus de formation du sujet en tant que personne.
Ces remarques sont absolument convergentes avec
l’enjeu propre à la démarche adornienne. D’abord, rappelons la façon dont la
problématique du contenu de vérité de la dite pensée magique se pose pour
Adorno. Si la pensée rationnelle doit dénier toute puissance cognitive de la
mimésis c’est parce qu’il s’agit de soutenir : « l’identité du moi qui
ne peut pas se perdre dans l’idéntification avec un autre, mais [qui] prend
possession de soi une fois pour toutes comme masque impénetrable »[25].
L’identité du moi est donc dépendante de l’entification d’un système fixe
d’identités et différences catégorielles. La projection d’un tel système sur le
monde est ce qui Adorno et Horkheimer appellent exactement de « fausse
projection » liée à la logique du narcissisme et aux processus de
catégorisation propres au sujet de la connaissance[26].
Mais, si la rationalité mimétique de la pensée
magique peut révéler les multiples affinités entre ce qui existe, c’est parce
qu’elle plus ouverte à la reconnaissance de cette nature constitutive de
l’identification. Nous pouvons dire que la pensée magique nous permet de voir
comment l'identité fixe des objets est-elle bouleversée lorsque la pensée prend
en compte la nature constitutive des rapports d'opposition (et dans ce contexte
l’opposition a la valeur d’une identification qui n’est pas encore posée)[27].
Cela peut nous expliquer l’importance des considérations comme :
« l’esprit qui s’adonnait à la magie n’était pas un et identique ; il
changeait comme les masques du culte qui étaient supposés ressembler aux
nombreux esprits »[28].
Mais si la pensée magique nous révèle la structure
d’identification qui supporte les déterminations d’identité, elle ne fournit
pas à Adorno un concept positif de nature. Car, insistons encore sur ce point,
l’assimilation de soi à l’objet dans le mimétisme ne peut pas être comprise
comme promesse de retour à l’immanence de l’affect et de l’archaïque. D’où le
besoin adornien de penser le concept de nature à partir de la théorie
pulsionnelle freudienne. Suivons à ce propos une remarque canonique sur le
mimétisme. Il serait l’index d’une :
tendance à se perdre dans l’environnement
(Umwelt) au lieu d’y jouer un rôle actif, la propension à se laisser aller, à
régresser à la nature (Natur). Freud l’a qualifié de pulsion de mort
(Todestrieb), Caillois de mimétisme[29].
Si la pulsion de mort nous indique les coordonnés
de la réconciliation avec la nature, alors il faut admettre plusieurs
conséquences. Car la pulsion de mort
freudienne expose l’économie libidinale qui amène le sujet à se lier à une
nature comprise comme l’espace de l’inorganique, figure majeure de l’opacité
matérielle aux processus de réflexion. Cette « tendance à se perdre dans
l’environnement » dont parle Adorno en pensant à la pulsion de mort est le
résultat de la reconnaissance de soi dans ce qui est dépourvue d’inscription
symbolique.
Il est vraie que Freud parlait d'une
autodestruction de la personne propre à la satisfaction de la pulsion de mort[30].
Mais personne doit être compris ici comme l’identité du sujet à l’intérieur
d’un univers symbolique constitué. Cette mort propre à la pulsion est donc
l'opérateur phénoménologique qui nomme la suspension du régime symbolique et
fantasmatique de production des identités. Elle marque l'effacement du pouvoir organisateur des structures
symboliques de socialisation et qui, à la limite, nous amène vers la rupture du
moi comme formation imaginaire. Ici, Adorno est très proche de Deleuze. Le même
Deleuze qui a essaié de comrpendre la pulsion de mort par délà la répétition
compulsive de l’instinct brut de destruction. Car c’est de Deleuze
l’affirmation, foncière pour accepter la stratégie adornienne, selon laquelle
la mort cherchée par la pulsion c’est:
L’état des différences libres quand elles
ne sont plus soumises à la forme que leur donnaient un Je, un moi, quand elles
se développent dans une figure qui exclut ma propre cohérence au même titre que
celle d’une identité quelconque. Il y a toujours un ‘on meurt’ plus profond que
le ‘je meurs’ (DELEUZE, Différence et répétition, Paris: PUF, 1968, p. 149).
Ainsi, le négatif de la mort peut aparaître comme figure du
non-identique. Si l´on laisse de côté le discours à propos des différences
libres qui guide Deleuze et qui est étrange à Adorno, on a ici la même
idée : les fonctions synthétiques des mois socialisés ne peuvent pas
rendre compte de ce qui apparaìt comme expérience pour un sujet.
Cela devient encore plus clair si l´on prend au
sérieux le recours fait par Adorno à Roger Caillois. Il s‘agit d’une opération
éclairante pour autant qu’elle nous aide à comprendre mieux ce que signifie
cette « tendance à se perdre dans le milieu » à propos de laquelle
parle Adorno. Car rapellons que Callois, avec son concept de psychaténie
légéndaire, essayait de démontrer comment le mimétisme animal ne pouvait
pas être compris comme un systhéme de défense, mais comme un « tendance à
se transformer en espace » qui produisait des disturbes du
« sentiment de personnalité en tant que le sentiment de la distinction de
l’organisme dans le milieu » (2002, pp.
110-111). En parlant de cette tendace, propre au mimétisme, de se perdre dans
le milieu, Caillois affirme :
L’espace semble à ces esprits dépossédés
une puissance dévoratrice. L’espace les poursuitm les cernem les digère en une
phagocytose géante. A la fin, il les remplace. Le corps alors se désolidarise
d’avec la pensée, l’individu franchit la frontière de sa peau et habite de
l’autre côté de ses sens. Il cherche à se voir d’un point quelconque de
l’espace. Lui-même se
sent devenir de l’espace, de l’espace noir où l’on ne peut mettre de choses. (CAILLOIS, 2002, p. 111)
Ce espace noir à l’intérieur du quel on ne peut
pas mettre des choses (pusiqu’il n’est pas un espace catégorisable, condition
transcendentale de constitution d’un état des choses) c’est une espace qui nous
empêche d’étre semblable à quelque chose de déterminé.
D’autre côté, tel que
la notion freudienne de tendance de retour à un état inorganique, Caillois
rapelle que l’animal mimétise non pas seulement le végetal ou la matière, mais
le végetal corrompu et la matière décomposée : « La vie recule d’un
dégré », dira Caillois (2002, p. 113). Nous pouvons comprendre comment la
pensée du mimétisme en tant qu’idéntification avec le milieu à permis à Adorno
de libérer le concept de mimétisme de sa subordination à la nature en tant que
plan immanente et positif de donation du sens.
Ainsi, l’impératif
mimétique de reconnaissance de soi dans la mort comme négation de la puissance
d’organisation du Symbolique (Freud) et dans l’extérieur vide de concept
(Caillois) nous indique où le sujet doit se reconnaître pour s’affirmer dans sa
non-identité. Josef Früchtl a bien compris ce point lorsqu’il a affirmé :
« L’ambivalence envers la mimésis qui est possible d’identifier chez
Adorno doit être expliquée à travers sa reconnaissance du caractère absolument
solidaire entre réconciliation et destruction »[31]; c’est-à-dire,
reconnaissance de la solidarité entre réconciliation avec l’objet et
destruction du moi en tant qu’identité subjective figée à l’intérieur d’un
univers symbolique constitué
On voit comment cette
articulation entre Freud et Caillois implique l’idéntification avec une
négativité qui vient de l’objet en tant que moteur de descentrement. Car le
problème de la mimésis montre que, pour Adorno, l’objet est ce qui marque le
point dans lequel le moi ne reconnaît plus son image, point dans lequel le
sujet se voit devant un sensible qui est : « matérialité sans
image » (ADORNO, 1975, p. 204). La mimésis aparaît comme reconnaissance de
soi dans l’opacité de ce qui ne s’offre que comme négation. C’est elle que peut
nous indiquer comment réaliser cette promesse de reonnaissance posée de façon
aussi suprenant par Adorno :
Les hommes ne sont humains que lorsqu'ils
n'agissent pas ni ne se posent pas en tant que personnes; cette partie diffuse
de la nature où les hommes ne sont pas des personnes ressemble aux linéaments
d'un être intelligible, à un Soi qui serait délivré du moi (jenes Selbst, das
vom Ich erlöst wäre): l'art contemporain en suggère quelque chose"[32].
C’est-à-dire, la reconnaissance des hommes en
tant que sujets est dépendante de la leur capacité à se poser, à s’idéntifier
avec ce que ne se soumet plus aux linéaments auto-idéntiques d’un moi avec ses
protocoles d’individuation. Si l’on rappelle de l’idée de la mimésis en tant
qu’opération d’idéntification avec une nature comprise comme figure du négatif,
il est possible de comprendre comment cette reconnaissance s’articule. Il est
ici qu’on doit introduire quelques considérations sur le recours à la mimésis
dans la Théorie esthétique d’Adorno. Cela peut expliquer comment l’art contemporain suggère
qualque chose de ce Soi délivré du moi.
Une analyse exhaustive
du problème de la mimésis dans l’esthétique adornienne exige un autre article.
Ici, il suffit d’insister qu’il y a une spécificité majeure dans le recours
adornien à la mimésis dans le champ de l’esthétique qui peut, entre outres,
expliquer la spécificité du régime de recours philosophique à l’art proposé par
Adorno. Dans l’esthétique adornienne la mimésis n’est pas directement liée à
l’impératif de réconciliation avec l’image positive de la nature, tel quel dans
la réflexion traditionelle à propos de la mimésis dans l’art. Adorno est très
critique envers les projets qui essaient de récupérer quelque chose de cette
réflexion traditionelle comme, par exemple, le programme de reconstitution de
la rationalité musicale à partir des tentatives de position des protocoles de
affinité mimétique avec la facticité immanente et non-strucuturée du sonore. En
ce sens, l’analyse de la critique adornienne à John Cage est extrememant
instructive.
En vérité, l’exigence adorinenne passe par le
besoin de l’art en poser son affinité mimétique avec ce qu’il y a de plus mort
et ruiné dans la réalité sociale. Il faut prend au sériex des affirmation
comme : "L'art ne réussit
à s'opposer qu'en s'identifiant avec ce contre quoi il s'insurge"[33]. Adorno est clair sur ce point pour autant qu’il aurait toujours dans l’art véritable un abandon
mimétique à la réification, c’est l’abandon de l’art à son principe de mort
(ADORNO, 1973, p. 201)[34].
Une affirmation apparement étrange, puisque la tendance hegémonique voit dans
l’art moderne, au contraire, la refus de tout affinité mimétique avec la
société réifiée ; voire, par exemple, la critique de la réprésentation et
de la figuration.
Mais si Adorno insiste sur ce point c´est parce
que la force de la mimésis ne vient pas d’une promesse de reconciliation avec
la immanece de la nature, mais elle vient du déscentrament provoqué par
l’idéntification avec des matériaux posés comme absolument mortifiés par
l’abstration, dépourvues de ce qui est propre de la dynamique du vivant, figés
comme de matière opaque.
En fait, élever cette
exigence, faite au sujet, de poser ce qui est de l’ordre de l’expression
subjective à traver la confrontation avec de matériaux reifiés à condition
deprogramme esthétique peut sembler une exigence de réconciliation absolument
étrange. Mais c´est elle qui anime ce qu’un jour Adorno a appellé de « communication
du différencié », fondement pour l’entendiment entre des hommes et des
choses. Car :
Se o sujeito não tem mais possibilidade
de falar , ele deve – segundo a idéia da arte moderna não fundada na
construção absoluta – falar através das Coisas (Dinge), de sua forma (Gestalt)
alienada e mutilada (ADORNO, 1973, p. 179).
Mais le sujet ne peut parler à travers la forme aliénée et mutilée des
choses que parce que les choses portent, en tant que marques de leur
mutilation, l’inadéquation irréductible entre ses réalités sensibles et la
soumission à la forma marchandise. Parler à travers les choses n´est possible
que lorsque le mutisme du sensible apparaît comme résistance du matériel à la
reification. Cela n’a rien à voir avec des modes de retour à l’archaique ou à
l’originaire, comme s’il y avait une expérience de spontanéité pré-discoursive
du sensible pas encore marquée par l’abstration féticishite. Il s’agit
simplement d’explorer la puissance disruptive des expériences dans laquelles le
sujet se voit en investissant libidinalement des ruines, c’est-à-dire, en
s’idéntifiant avec des objets qui, par delà leur condition de support de la
forme marchandise, ne sont que matérialité opaque dans laquelle le moi ne peut
plus projéter son image. Cela peut-être nous explique porquoi :
"Celui pour qui le chosifié est le mal radical tend à l'hostilité à
l'égard de l'autre, de l'étranger (Fremd)
dont le nom ne résonne pas par hasard dans aliénation (Enfremdung)"[35].
Spécularité
et opacité
Mais si l´on revient à Lacan, cette
discussion à propos de la mimésis semblera très éloignée. D’abord, il n’y a pas
chez Lacan une discussion conceptuelle très visible sur le concept de
« nature ». Néanmoins, si l’on suit l’intuition d’Adorno et si l’on
essaie de dériver un concept negatif de nature (la nature comme ce qui résiste
à la réflexivité du concept) à partir de la théorie des pulsion, on aura un
chemin possible à l’intérieur du texte lacanien.
De toute façon, un approche initial de la pensée lacanienne nous amenerait
à l’idée qu´elle est fondamentalement anti-mimétique. Le domaine de la mimésis
chez Lacan semble se lier nécessariament à la dimension des rapport duels et
trasitifs qui sont, en fait, des symptômes des structures narcisiques et
imaginaires d’apréhension d´objet. Dans un premier abord, Lacan semble ne pas
opérer avec la distinction adornienne entre false projection narcisique et
mimésis. Ce que nous explique cette disqualification de l’Ímaginaire dans le
premier Lacan. En ce moment de la pensée lacanienne, aussi bien l’objet que les
autres sujets empiriques ne sont que des projections narcisiques du moi.
Un exemple ici c´est le « stade du miroir ». Nous savons que,
avant d´acceder à la pensée conceptuelle, le bébé se guide par des opérations
mimétiques. A fin d´orienter son désir, le bébé mimétise un autre dans le rôle
de moi idéal. Ces opérations ne sont pas liés seulement à l´oriéntation du
désir, mais ont une valeur majeure dans la constitution du moi comme centre
fonctionel et instance d´auto-référence; le bébé introjecte l´imagem d´un autre
à fin de cosntituer son propre moi. L´introjection est le dernier stage à
l’intérieur d’un processus de rupture avec l ‘indifférenciation symbiotique
avec la mère et avec les objets partiels (seins, regard, voix, fèces). En se
dé-liant des objets disposés dans une zone d’intération avec la mère, le bébé
pourra enfin avoir une imagem du corps propre responsable par l’organisation
d’un schèma corporel.
Nonobstant, cette opération mimétique de assumption des rôles et des images
idéales ne signifie pas la consolidation du rapport communicationel entre des
sujets. Lacan a essaié de démontrer comment les figures multiples de
l’agressivité et de la rivalité dans le rapport à l’autre étaient des symptômes
de l’impossibilité du moi assumer le rôle constitutif de l’autre dans la
détermination interne de sa propre auto-identité. Ainsi, le résultat des
opérations mimétiques de assumption des rôles et d’images idéales sera la
confusion narcisique entre le moi et l’autre. D’où l’affirmation: "Nous considérons
le narcissisme comme la relation
imaginaire centrale pour le rapport
interhumain" (LACAN, S III, p. 107). L’identité du moi moderne comme le
résultat de la dénegation du rôle constitutif de l’indétification mimétique
avec l’altérité.
Mais si le problème est celui-ci, alors il y est possible de penser que la
simple position de la centralité de l’idéntification mimétique avec l’autre
serait capable de libérer le sujet des ilusion idéntitaires du moi et l’amener
à assumer l’antériorité des relations intersubjectives dans la constitution des
sujets socialisés. Comme si les expectatives mises dans la mimésis seraient
réalisés lorsqu’on comprendre de façon correcte ce que sont des relations
intersubjectives. Mais si les processus
de socialisation et d’individuation sont tels que Lacan les conçoit,
c’est-à-dire, fondés d’abord à travers l’introjection de l’image d’un autre qui
forme le moi et le corps propre, alors le dévoilement des dynamiques
d’introjection et de projection ne peuvent qu’amener le sujet à comprendre la socialisation
comme aliénation nécessaire de soi dans l’image d’un autre. Compréhension
de que les relation à soi, les dynamiques du désir et les expectatives du moi
en tant que sujet de la connaissance sont formés à partir de l’autre.
Ainsi, si l’on pose les méchanismes
de socialisation comme processus d’aliénation, il y a, grosso modo, deux façons
de amener le sujet au délà de la confusion narcisique avec l’autre. La première
façon consiste en insister dans l’existence d’une fonction de transcendance
constitutive des positions des sujets. Transcendance qui implique dans
l’absence de toute affinité mimétique entre le sujet et ce qui apparaît dans le
champ empirique. Cette stratégie apparaît chez Lacan à travers la thémique du
désir comme pure négativité, comme « manque-à-être » primordial qui
pose la non-adéquation entre le sujet et ce qui est apparaît dans le champ
empirique. Amener le sujet à se reconnaître dans la pure négativité du désir
serait un manière le guérir les illusion du narcisisme et de l’aliénation. En
ce sens, il vaut pour Lacan ce que Sartre avait dit à propos du désir comme
fonction intentionelle constitutive des sujets :
L’homme est fondamentalement désir d’être et
l’existence de ce désir ne doit pas être établie par une induction
empirique ; elle ressort d’une description a priori de l’être du pour-soi,
puisque le désir est manque et que le pour-soi est l’être qui est à soi-même
son propre manque d’être [36].
Il y aurait
beaucoup à dire à propos de certaines proximités entre Sartre et Lacan en ce
qui concerne la théorie du désir. Rapellons encore que le signifiant dans son
arbitrariété fondamentale est dépourvue de toute affinité mimétique avec ce
qu’il représente. Ainsi, lier le désir au signifiant à fin d’insister que la
vérité du désir consiste à être purifié de tout objet empirique equivaut à
admettre l’inexistence de tout idéntification mimétique entre sujet et objet.
Neánmoins, il vaut la peine de rappeller ici que cet appel à une fonction
de transcendance du manque-à-être constitutif du sujet sera realativisée par
Lacan. À partir principalement des années 60, il reconnaîtra que la vrai
puissance de non-idéntité ne viendra pas d´une certaine transcendance négative
du désir, pour autant que Lacan comprendra que le désir n´est pas exactamente
un manque primordial, mas qu´il est causé par des objets partiels (objet a) qui
avaient été perdus dans les processus de socialisation et de formation du corps
propre. Comme si la formation de auto-idéntité était toujours solidaire de la
production d’un reste qu’insiste au délà du désir socialisé.
En principe, cette stratégie peut
paraître un façon rusée de penser le retour à l’archaique et à l’informe comme
protocole de cure. Un retour aminé par la nostalgie d’un état perdu
d’indiférenciation pré-discursive. Et c’est Lacan lui-même qui parle de l’objet
perdu à fin de faire réference à ce qui continue comme « reste » des
processus de socialisation. Mais il faut insister la vrai question ici consiste
à affirmer que les sujets peuvent se poser dans ce qui ne se soumet de façon
intégrale à l’individuation. Cette opération est foncière pour qu’on puisse:
« dissiper, avec la force du sujet, l’illusion d’une subjecticité
constitutive » (ADORNO, 1975, p. 10). Il ne s’agit pas d’une opération de
retour, mais simplement de comprendre le sujet comme l’espace de tension entre
des exigences de socialisation (soumises aux protocoles d’aliénation) et la
reconnaissance de l’irréductibilité de l’opacité des obejts pulsionel qui ne se
conforment pas à l’image de soi.
C´est à partir de ces questions que
nous pouvons comprendre le besoin lacanien de recuéprer l’Imaginaire à fin de
parler, à partir des années 60, d’un Imaginaire non-narcisique et
non-spéculaire. A ce propos, Lacan aprlera de deux modes d’idéntification
imaginaire : une liée à l’image spéculaire et, l’autre liée ‘à quelque
chose d’autre, l’objet, l’objet du désir comme tel ». Un objet qui échappe
à condition de pôle de projection narcisique, pour autant qu’il s’agit d’un objet
dans lequel le sujet ne peut pas reconnaître son image et qui serait soumis
à « un autre mode
d’imaginarisation ».
Peut-être, un très beaux exemple de
cet autre mode d’imaginarisation c’est la façon dont Lacan reprend une certaine
« phénoménologie du regard » présentée par Sartre dans L’être et
le néant, cela à fin de penser le statut de l’objet a. Prenant en
compte une longe tradiction de la philosophie de la conscience qui se sert des
métaphores scopiques à fin de parler des processus d’auto-refléxion, Lacan
insiste que le regard est un objet spécial car toujours elidé à l’intérieur des
relations intersubjectives. « Le regard se spécifie comme
insaisissable », dira Lacan (1973, p. 79). Façon
d’insister qu’il y a quelque chose du sujet qui ne trouve pas de place dans le
champ intersubjectif.
Ici, Lacan fait appel à la phénoménologie du regard de Sartre,
c’est-à-dire, à cet impasse intersubjectif qui, pour Sartre, apparaît
principalement dans les rapports amoureux. L’amant veut être le regard dans lequel
la liberté de l´autre accepte de se perdre, regard sous lequel l´atre accepte
de se transformer en objet. Car l´amant exige « une liberté qui, en tant
que liberté, réclame son aliénation » (SARTRE, 1943, p. 415). Ainsi,
lorsque je me pose à la place du sujet, je n´ai jamais un regard désirante,
regard qui donne présence à l’autre. J´ai seulement un regard reifié et
transformé en objet narcisique dans lequel je ne voit que ma propre image. Je
ne peut avoir devant moi un regard qu’à condition de me poser comme objet.
Car « je m’identifie totalement `mon être-regardé pour mantenir la
liberté regardante de l’autre et, comme mon être-objet est la seule relation
possible de moi à l’autre, c’est cet être-objet seul qui peut me servir
d’instrument pour opérer l’assimilation à moi de l’autre liberté »
(SARTRE, 1943, p. 404). La reconnaissance intersubjective d’un être qui, pour
Sartre, est transcendance seria ainsi vouée à l’échec. Le regard (de la
conscience) réduit toujours l ‘autre à la condition d’objet. « Jamais tu
me regardes Lá où je te vois. Inversement, ce que je regarde n’est jamais ce
que je veux voir », dira Lacan (1973, p.
95).
Mais, au lieu de rentrer
dans cet impasse lié à des operations d’une philosophie de la conscience, Lacan
insiste dans la possibilité de poser, à travers la confrontation entre sujet et
objet, ce que ne trouve pas de place dans la relation entre des sujets. Pour
cela, le sujet doit avoir l’expérience que : « du côté des choses, il
y a le regard » (LACAN, 1973, p. 100). Ce qui implique l’abandon d’une
conception de l’être pensée foncièrement comme transcendance, ainsi que le
développement d’un concept de subjectivité lié à la reconnaissance que le sujet
porte, en soi même, quelque chose de l’ordre de l’opacité des objets. Car dire
q’il y a un regard qui vient des choses signifie insister que le sujet peut se
reconnaître dans la dimension de l’objet. Cette position peut être soutenue par
Lacan dans la mésure que le regard est exactament un de ces objets avec qui le
sujet était lié dans des relations d’indiférenciation symbiotique avant les
processus de socialisation.
Il y a plusieurs façons de comprendre cette
transformation de la nature dans un « Argos de mille regards », comme
disait Hegel, mais il y a une façon que, dans notre contexte, mérite une
attention spéciale. Elle nous pose dans les voies du problème du mimétisme, tel
qu’il apparît chez Adorno. Et il n’est pas par hasard qu’aussi Lacan convoque
Roger Caillois à fin de nous rappeller que le mimétisme animal nous explique comment
un sujet peut se reconnaître là où les représentation, avec ses systèmes fixes
d’indentités, vacilent. Um moment qui nous permet de dire, avec
Merleau-Ponty (une autre référence constante dans se séminaire ):
De sorte
que le voyant étant pris dans cela qu’il voit, c’est encore lui qu’il
voit : il y a un narcisisme fondamental de toute vision ; et que,
pour la même raison, la vision qu’il exerce, il la subit aussi de la part des
choses, que, comme l’ont dit beaucoup de peintres, je me sens regardé par les
choses, que mon activité est identiquement passivité, - ce qui est le sens
second et plus profond de narcissisme (MERLEAU-PONTY, 1964, p. 183).
En me sentant regardé par des choses qui semblaient totalement soumises aux
protocoles narcisiques, je me trouve devant quelque chose de moi qui m’empêche
de hipostasier le concept d’identité. Il y aura encore beaucoup à dire à propos
du sens d’une telle expérience, mais il est certain que, grâce à elle, Lacan e
Adorno ont essaié de casser l’illusion de la subjectivité constitutive avec la
force du sujet.
ADORNO, T., Ästhetische Theorie, Frankfurt,
Suhrkamp, 1973
___ , Negative Dialektik, Frankfurt,
Suhrkamp, 18]975
___ , Stichworte in Gesammelte
Schriften vol. X, Frankfurt, Suhrkamp, 1990
ADORNO, T., e HORKHEIMER, M., Dialética
do Esclarecimento, Rio do Janeiro, Zahar, 1985
BUCK-MORSS, S., The origins of negative
dialectic, Free Press, 1981
BUBNER, R., Ästhetische Erfahrung, Frankfurt,
Suhrkamp, 1989
CAILLOIS, R., Le mythe et l´homme, Paris,
Gallimard, 2002
DELEUZE, G., Différence et répétition, Paris,
PUF, 2000
DEWS, P., Logics of disintegration:
post-structuralist thought and the claims of critical theory, Londres,
Verso, 1997
FRÜCHTL, J., Mimesis: Konstellation
eines Zentralbegriffs bei Adorno, Würzburg, 1986
HABERMAS, J., Theorie des
kommunikativen Handelns I, Frankfurt, Suhrkamp, 1995
HONNETH, A., Critique of power:
reflective stages in a critical social theory, MIT Press, 1992
LACAN, J., De la psychose paranoïaque
dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975b
___ , Ecrits, Paris, Seuil, 1966
___ , Séminaire II, Paris, Seuil,
1978
___ , Séminaire III, Paris, Seuil,
1981
___ , Séminaire XI, Paris, Seuil,
1973
MERLEAU-PONTY, M.. Le visible e t
l´invisible, Paris, Gallimard, 1964
SAFATLE, V., Mimesis e fetichismo na
filosofia da música de Adorno in Discurso, 2005
SARTRE, J.-P., L´être et le néant, Paris,
Gallimard, 1943
WELLMER, A., The persistence of
modernity: essays on aesthetics, ethis and postmodernism, MIT Press, 1986
[1] “À la place de la quesiton sociologique sur les modes d’intégration sociale de conflit social, il apparît chez
Adorno la question concernant
l’influence reciproque entre les pulsions
individuelles et la reproduction
économique – c’est-à-dire, le rapprochement posible
entre psychanalyse et analyse
du système economique (HONNETH, 1991, p. 101)
[2] En ce sens, rappelons que le programme adornien d’une « synthèse non-violente » (ADORNO, Théorie esthétique, p. 196) doit concerner surtout : « la reconnaissance du non identique dans la compréhension de la réalité et dans le rapport du sujet à soi même » (WELLMER, Albrecht ; Die Bedeutung des Frankfruter Schule heute in HONNETH et WELLMER, Die Frankfurter Schule und die Folgen, Berlin, 1986, p. 25
[3] ADORNO, Dialectique négative, p. 172
[4] ADORNO, Stichworte in Gesammelte schriften 10.2, p. 743
[5] LACAN, Autres écrtis, p. 451
[6] On doit remarquer ce que Lacan dit de Schreber : « Il y a littéralement fragmentation de l’identité, et le sujet est sans doute choqué de cette atteinte portée à l’identité de soi-même (...) On trouve d’un côté les idéntités multiples d’un même personnage, de l’autre ces petites identités enigmatiques, diversement taraudantes et nocives à l’intérieur de lui-même, qu’il appelle par exemple les petits hommes ».(LACAN, S III, pp. 112-113).
[7] LACAN, E, p. 282 [citation modifiée]
[8] LACAN, S XI, pp. 188-189
[9] LACAN, idem, p. 191
[10] ADORNO et HORKHEIMER,Dialectique de la raison, p. 30
[11] idem, p. 14
[12] idem, p. 25
[13] HONNETH, Axel, Kritik der Macht,Ftankfurt, Surkhamp, 1985,
[14] Il faut suivre Bubner lorsqu’il affirme que la théorie critique demande une : « théorie de l’histoire qui aspire à un statut ontologique » (BUBNER, Rüdiger ; Äesthetische Erfahrung, Surkhamp, 1989)
[15] HABERMAS, Jurgen, Théorie de l’agir communicationel I, p. 387
[16] Idem, p. 389. Cette visée nous explique certaines affirmations comme : ‘le théme d’un moi qui revient à la nature prend plutôt chez Adorno les traits d’une utopie sexuelle et d’un certain anarchisme. Parfois il laisse cette utopie d’une nature réconciliée avec la civilisation perdre presque insesnsiblement de son éclat, parce qu’il désepère de sa possibilité, et finalement se conforndre avec cette nature attirante qui en fait paye ses bienfaits d’un abandon de l’individuation (HABERMAS, Profils philosophiques et politiques, p. 239)
[17] ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, p. 28
[18] Cf. ADORNO, Mahler : une physionomie musicale, p. 31
[19] ADORNO, Théorie esthétique, p. 101
[20] ADORNO et HORKHEIMER, Le concept d’Aufklärung in Dialectique des lumières, pp. 21-57
[21] idem, p. 245
[22] ADORNO, Théorie esthétique, p. 146
[23] LACAN, E., p. 117
[24] LACAN, De la psychose paranoïaque dans ses rapports à la personnalité, pp. 294-298
[25] ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, p. 27
[26] En ce sens, suivons l’affirmation : « Chaque fois que les énergies intellectuelles sont concentrées intentionnellement sur le monde exérieur (…) nous ignorons souvent le processus subjectif dans la schématisation et nous posons le système comme la chose même. Comme la pensée malade, le penser objectivant implique l’arbitraire de la finalité subjective qu’est étrangère à la chose elle-même » (idem, p. 201)
[27] Martin Jay a bien souligné que, chez Adorno, le comportement mimétique n’est pas une imitation de l’objet, mais l’assimilation (anschmiegen) de soi à l’objet (JAY, Mimésis and mimetology in HUHN et ZUIDERVAART, The semblance of subjectivity, p. 30)
[28] idem, p. 27
[29] idem, p. 245 [traduction modifiée]
[30] "Même l'autodestruction de la personne ne peut se produire sans satisfaction libidinale" (FREUD, Le problème économique du masochisme in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 207)
[31] FRÜCHTL, Mimesis : Konstellation eines Zentralbegriffs bei Adorno, Würzburg, 1986, p. 43
[32] ADORNO, Dialectique négative,op.cit, p. 267
[33] ADORNO, Théorie esthétique, p. 190 Ainsi: "le oeuvres moderne s'abandonnent mimétiquement à la réification, à leur principe de mort" (ADORNO, idem, p. 190)
[34] Há várias passagens na Teoria
estética que repetem tal imperativo; por exemplo : "a arte deve
absorver seu inimigo mortífero, a forma –equivalente (Vertauschbarkeit)
e deve, através da sua concretude, apresentar (darstellen) a totalidade das relações abstratas e
desta forma resistir a ela." (ADORNO, 1973, p. 203)
[35] ADORNO, idem, p. 186
[36] SARTRE, L’être et le néant, Paris: Gallimard, 1989, p.. 61