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Psychanalyse et musique

A l’instar de la littérature et des arts plastiques, la musique a rarement été l’objet d’études psychanalytiques. L’aversion de Freud envers la musique est connue. Pour sa part, Jacques Lacan, psychanalyste toujours prêt a travailler l’interface entre psychanalyse et esthétique, ne s’est jamais livré à des considérations sur des phénomènes musicaux.

Une telle situation provient principalement de la résistance du matériau musical aux interprétations analytiques du type ‘herméneutique’ telles qu’elles sont développés par Freud dans ses essais dédiés à l’esthétique. On peut parler d’herméneutique puisqu’il s’agit toujours de déchiffrer les contenus présents dans l’œuvre à partir d’une interprétation fondée sur le complexe d’Œdipe ou sur la quête de la scène primitive. Le phénomène esthétique est perçu comme une métaphore, la lecture comme une archéologie. Il reste alors peu de place à une analyse formelle du matériau et aux considérations sur le contexte socio-historique inhérent aux œuvres.

On peut dégager de la littérature concernant psychanalyse et musique, quatre types de textes.

La plus grande partie sont des travaux orientés sur l’analyse psychanalytique de l’écoute. Ce sont des études qui cherchent à déterminer les mécanismes d’investissement libidinal de l’écoute en général. La plus connue a été écrite par Theodor Reik (The hauting melody). Reik se sert du système interprétatif psychanalytique en partant de l’analyse de sa propre fixation sur une mélodie de la Première symphonie de Mahler, après la mort d’un ami. Cela lui permet de comprendre le phénomène de la ‘mélodie obsédante’ en tant qu’expression d’une représentation psychique refoulée par la conscience. Ces travaux n’ont pas beaucoup à voir avec une stricte critique musicale, ils se rapprochent davantage de la psychologie de l’audition.

Un second groupe important de textes est constitué des psychobiographies : des études qui se servent de l’interprétation analytique du roman familier ou de la nosographie du compositeur pour fournir une analyse de son œuvre. Ce point de vue peut conduire à réduire l’œuvre à une sublimation des conflits familiaux ou pulsionnels. Ida Macalpine (Rossini: piano pieces for the primal scene) et le couple Sterba (Beethoven et sa famille) sont des exemples représentatifs de cette approche.

Le troisième type de textes réunit les analyses proprement herméneutiques des compositions musicales. Il est significatif que la plus grand partie de ces travaux sont des analyses d’opéras. L’étude du récit y est privilégié et la distinction entre littérature et musique n’est pas claire.  La spécificité du matériau musical n’est pas prise en compte; c’est qu’on voit dans les écrits de Melanie Klein sur L’enfant et ses sortilèges, de Ravel (Les situations d’angoisse de l’enfant et leur reflet dans un œuvre d’art et dans l’élan créateur) et dans ceux d’Otto Rank sur le Don Juan, de Mozart (Le mythe de Don Juan) e sur Lohengrin, de Wagner (Die Lohengrinsage).

Une certaine ‘psychanalyse de la forme musicale" est animée par une approche différente. Il s’agit de considérations sur la structure formelle des œuvres musicales à travers la conceptographie analytique. Ce sont les travaux qui conjuguent psychanalyse et musique sans pour autant dissoudre la spécificité de la critique musicale. Ce style d’analyse a été inauguré par Adorno dans le texte Le fétichisme de la musique et la régression de l’audition¸de 1963. Dans la psychanalyse, le fétichisme est une fonction métonymique qui permet à une partie de l’objet d’occuper la valeur du tout. Adorno articule cette logique avec la problématique du fétichisme de la marchandise pour parler de la perte de l’unité synthétique de l’oeuvre dans la modernité tardive. Un diagnostic qui apparaissait déjà dans la critique de l’oeuvre de Stravinsky.

Dans les années 70, Jean-François Lyotard (Plusieurs silences) se sert du concept psychanalytique de pulsion de mort pour penser l’avènement d’une musique au-delà de l’organisation sérielle. Pour lui, la pulsion de mort marque une intensité pure insistante, un bruit qui échappe à l’unité structurée formée par les systèmes d’organisation des sons. C’est la musique de John Cage, avec son indifférenciation entre son et bruit, sa sensibilisation au matériau et son ouverture à l’événement, qui présente de façon affirmative la pulsion de mort.

Certains musicologues français (Ivanka Stoianova, Musique répétitive) ont également utilisé la pulsion de mort d’une autre manière, pour analyser le minimalisme nord-américain à partir du cadre de la compulsion de répétition.

Bibliografia :

Adorno, T., Ueber Fetischcharackter in der Musik und die regression des Hoerens, Goettingen, 1963 ; Lyotard, J-F., Les dipositifs pulsionels, Galilée, Paris, 1976 ; Macalpine, I., Rossini : piano pieces for the primal scene, American Imago, n. 1 ; Rank, O ., Die lohengrinsage, Deuticke, Leipzig und Wien, 1911 ; Reik, T., The hauting melody: psychoanalytic experiences in life and music, Evergreen, New York, 1953 ; Sterba, E., Beethoven et sa famille, Correa, Paris, 1955 ; Psychanalyse et musique, Musique en jeu, n.9, Seuil, Paris.

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