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L'acte au-delà de la Loi:

Kant avec Sade comme point de torsion de la pensée lacanienne.

 

 

Toute thèse drastique est fausse.

Au plus profond d'elles-mêmes, la thèse du

déterminisme et celle de la liberté coincident.

Toutes deux proclament l'identité[1].

Adorno

 

"Notre voie est l'expérience intersubjective où le désir se fait reconnaître"[2]. Pendant presque trente ans, cette formule a guidé tous les efforts de Lacan dans le projet de repenser la rationalité de la praxis analytique. La défense de l'existence d'une logique intersubjective active dans la psychanalyse a permis à Lacan de retourner à Freud sans que cela signifiât partager le vocabulaire scientiste et le poids biologiciste propres à des articulations majeures de la métapsychologie freudienne.

Nous savons comment, à travers l'adoption du paradigme de l'intersubjectivité, Lacan a été capable de restructurer le noyau de l'expérience analytique en y trouvant une dialectique de la reconnaissance du désir 'inspirée' de l'Anerkennung hégelienne. La cure viendrait à travers la nomination d'un désir qui, jusque là, ne pouvait apparaître que sous la forme de symptôme. Il s'agissait d’amener le sujet à l'assumer dans la première personne et à l'intérieur d'un champ symbolique structuré comme une langage.

            Mais le motif de la reconnaissance intersubjective sera abandonné par Lacan. Ainsi il dira, en 1961 que: "L'expérience freudienne se fige dès qu'elle [l'intersubjectivité] apparaît. Elle ne fleurit que de son absence"[3]. Une proposition claire qui indiquait le besoin de revoir le programme de rationalité et de reconstruire la cartographie conceptuelle qui soutenait la praxis analytique. Un projet auquel Lacan vouera les vingt dernières années de son enseignement.

            Malheureusement, une question majeure est restée en suspens dans ce processus de reformulation interne de l'expérience intellectuelle lacanienne. Peu enclin à l’auto-critique, Lacan n'a jamais exposé de façon claire les motifs de son échec et de l'incompatibilité entre l'intersubjectivité et la psychanalyse. Au contraire, après l'abandon du paradigme de la reconnaissance intersubjective, il lui arrivera de revenir à certains concepts-clés de sa première période afin de montrer sa pertinence et son actualité[4].

            L'objectif de cet article est d'indiquer le locus de la rupture et de l'épuisement du paradigme lacanien de l'intersubjectivité. Nous verrons comment ce locus, rarement reconnu en tant que tel, n'est autre que la critique lacanienne de la philosophie pratique de Kant à travers l'articulation entre Kant et Sade. En ce sens, Kant avec Sade doit être lu comme un symptôme majeur de l'impasse de la rationalité intersubjective à l'intérieur de la clinique analytique.

            Mais, avant de faire un pas en avant vers Kant et Sade, il faut faire un pas en arrière, afin de comprendre ce que Lacan entendait exactement par intersubjectivité. Une telle compréhension nous conduira à l'enjeu propre de la critique développée par Lacan de la moralité kantienne, dans les années 1959 à 1962.

 

La transcendance négative du désir

 

Habituellement, lorsqu'on pense à cette choregraphie intersubjective de la reconnaissance du désir par l'Autre, on oublie la teneur de la réponse lacanienne aux questions comme : 'quel désir attendre avec insistance par reconnaissance ?' 'Qu'est ce que signifie exactement donner un nom au désir?' Toutes ces questions restent obscures si l’on néglige l'importance donnée par Lacan à la catégorie de désir pur : dispositif qui servira pendant un bon moment comme orientation au désir de l'analyste[5]. La cure serait ainsi nécessairement liée à la reconnaissance que la vérité du désir est d'être désir pur.

À propos de cette catégorie du désir pur, notons que, dans la théorie lacanienne, le caractère principal du désir est d'être dépourvu de procédure naturelle d'objectification. A savoir, il est foncièrement sans objet, désir de "rien de nommable"[6]. Comme le notera Lacan, avec une certaine nostalgie : “Les Anciens mettaient l’accent sur la tendance elle-même, alors que nous, nous la mettons sur son objet (...) nous réduisons la valeur de la manifestation de la tendance, et nous exigeons le support de l’objet par les traits prévalents de l’objet”[7]. Un désir incapable de se satisfaire avec des objets empiriques et de se réaliser dans un champ phénoménal.

Mais pourquoi cette pure tendance qui insistait au-delà de toute relation d'objet, est devenu quelque chose d'absolument incontournable pour Lacan? Nous pouvons en donner deux explications. 

D'abord Lacan a développé une théorie de la constitution des objets à partir des considérations sur le narcissisme. Dans ce moment de la pensée lacanienne, aussi bien les objets que les autres sujets empiriques pris dans la condition d'objets du désir, sont toujours des projections narcissiques du moi. Il arrive à Lacan de parler du caractère egomorphique des objets du monde empirique. D'où s'en suit un narcissisme fondamental guidant toutes les relations d'objet et, le besoin de traverser ce régime narcissique de relation à travers une critique du primat de l'objet dans la détermination du désir. Ce motif de la critique du primat de l'objet apparaît chez Lacan principalement à travers la critique des relations réifiées dans la dimension de l'Imaginaire, puisque l'Imaginaire lacanien désigne, en grand partie, la sphère où se déploie la logique du narcissisme.

La deuxième explication réside dans le fait que Lacan a bien perçu comment la psychanalyse était née dans une situation historique dans laquelle le sujet était compris comme entité non-substantielle, dénaturée et marquée par le timbre d'une "liberté négative" qui lui permettait de n'être jamais totalement identique à ses représentations et à ses identifications. L'opération de 'purification du désir' cachait une stratégie majeure. Au fond, tout se passait comme si Lacan projetait la fonction transcendantale propre au concept moderne de sujet dans une théorie du désir et, arrivait à la conclusion que, au-delà des ses réalisations phénoménales, il y avait une "permanence transcendantale du désir"[8]. Ce qui nous renvoie à cette définition fameuse du sujet comme manque-à-être: “Le désir est un rapport d'être à manque. Ce manque est manque d'être à proprement parler. Ce n'est pas manque de ceci ou de cela mais manque d'être par quoi l'être existe"[9]. Dans ce cas, cet étrange manque qui n'est ni de ceci ni de cela n'est que le régime d'expérience subjective de la structure transcendantale du désir. Transcendantale parce que le manque-à-être serait la condition a priori pour  la constitution du monde des objets du désir humain. Nous pouvons parler d'a priori parce que le manque n'est dérivé d'aucune perte empirique. Ce qui explique pourquoi Lacan semble vouloir faire une vrai 'déduction transcendantale' du désir pur, puisque, contrairement à Freud, il n'identifie pas la cause du manque propre au désir à la perte de l'objet maternel produite par l'interdiction venue de la Loi de l'inceste. Rappelons que, pour Freud: "Avant tout, L'homme est en quête de l'image mnésique de sa mère, image qui le domine depuis les débuts de son enfance"[10].

Ici certes il est question de Lacan mais on pourrait songer à Sartre qui essayait aussi d'articuler la fonction transcendantale (dans son cas, la conscience en tant que champ transcendantal vide) et la négativité du désir. Il suffit de souligner d’ailleurs son affirmation  selon laquelle : « L’homme est fondamentalement désir d’être et l’existence de ce désir ne doit pas être établie par une induction empirique ; elle ressort d’une description a priori de l’être du pour-soi, puisque le désir est manque et que le pour-soi est l’être qui est à soi-même son propre manque d’être »[11]. Par conséquent, la manifestation de ce désir, qui se confond avec le pour-soi, est nécessairement néantisation de l’en-soi ou, comme avait dit Kojève, révélation d’un vide. Si on laisse un peu de côté l'aversion de Sartre pour la notion freudienne d'inconscient, on arrive à une description ontologique du désir assez proche de Lacan. La séparation entre les deux ne se trouve pas dans l'ontologie du désir, mais dans la compréhension de la structure de la conscience (Lacan nous fournit une définition matérialiste de la conscience qui est une critique au champ transcendantal sartrien).

Mais comment Lacan pensait-il les procédures de reconnaissance objective de ce désir sans objet? Comment reconnaître et donner un statut objectif à ce qui est pure négativité ; qui ne cesse pas de ne pas s'écrire? Lacan serait-il en quête d'un genre d'ataraxie dans laquelle le sujet prendrait distance de toute relation d'objet afin de jouir d'une certaine indifférence absolue? D'un autre coté, il y a des psychanalystes après Lacan qui ont insisté sur le risque d'hypostasier ce désir de manque et de le transformer dans un pur désir de mort et de destruction[12]. Comme si le désir pur était, en vérité, la simple manifestation des fantasmes masochistes.

L'impératif lacanien de subordonner le désir pur au désir de reconnaissance essayait exactement d'éviter une telle dérive. En ce sens, il montrait que le vrai problème de l'expérience analytique était : comment symboliser, comment écrire le manque-à-être qui indique l'irréductibilité ontologique de la négativité de la subjectivité aux procédures d'objectification. Symboliser la négation sans la dissoudre, ou encore, instituer le manque à l'intérieur de la relation d'objet[13], voici le programme à suivre par la rationalité analytique.

 

Unir un désir à la Loi

 

La première condition pour la réalisation de ce programme est apparue à travers la distinction stricte entre les domaines de l'Imaginaire et du Symbolique. Cela permis à Lacan d'établir une différenciation entre intersubjectivité imaginaire[14], liée à la parole qui circule entre le moi et l'autre, et ce que Lacan appelle les "rapports authentiquement intersubjectifs"[15]. C’est un motif structuraliste classique. Les relations interpersonnelles sont déterminées inconsciemment pour un système symbolique de lois[16]. Par exemple, lorsqu'un homme et une femme se marient (c'est-à-dire, lorsqu’ils font un choix d'objet), ils n'ont pas conscience des lois des échanges matrimoniaux qui déterminent leurs choix. Ils réifient un objet dont la valeur vient simplement de la place qu'il occupe à l'intérieur d'une structure articulée comme une chaîne de signifiants. C'est à dire que les rapports avec l'autre ont tendance à cacher les médiations des structures socio-linguistiques. Ils ont tendance à nous faire oublier comment, nous avons des relations avec la structure avant d'avoir des relations avec les autres.

La psychanalyse devrait donc amener le sujet à comprendre comment le locus de la vraie relation intersubjective se trouvait dans l'espace de rapport entre le sujet et la structure qui détermine la conduite[17]. C'est-à-dire, elle devrait montrer au sujet comment le désir de l'homme est toujours attaché au désir de l'Autre: cette figure qui, à l'intérieur de l'expérience subjective, présentifie et singularise l'action de la structure.

Mais Lacan n'est pas un structuraliste classique. Si la vraie relation intersubjective est dans la dimension du rapport entre le sujet et la Loi symbolique, ce n'est pas simplement parce qu'il s'agit d'une dimension qui nous donne l'accès à la logique du processus de constitution des fixations imaginaires d'objet. Si c’était le cas, Lacan aurait simplement transformé la psychanalyse en une modalité de la critique de la réification très à la mode dans son milieu intellectuel. Ce qui est fondamental dans cette chorégraphie entre le sujet et la Loi, c'est de parier que le sujet ne sera reconnu comme sujet qu'à travers le dévoilement de son désir en tant que désir de la Loi, désir du signifiant de la Loi, et non désir pour des objets. On arrive ici à une formule clé : l'intersubjectivité lacanienne était la reconnaissance du désir pur par la Loi.

C’est un point majeur car, pour Lacan, au lieu de s'opposer au désir, la Loi symbolique peut donner une détermination objective au désir pur, puisque la Loi est “au service du désir”[18]. Le sujet pourrait jouir de la Loi, comme nous voyons dans l'affirmation: "il faut que la jouissance soit refusée, pour qu'elle puisse être atteinte sur l'échelle renversé de la Loi du désir"[19]. Au-delà du plaisir propre à l'aliénation du désir dans les objets empiriques et narcissiques, il y aura une jouissance propre à la reconnaissance du désir dans la dimension symbolique de la Loi.

Mais, à la première vue, cela semble un contresens, puisque Freud nous avait averti que la Loi est toujours restrictive en ce qui concerne les motions pulsionnelles du sujet. Pour Freud, la Loi ne se réconcilie avec la pulsion qu'à travers la figure sadique du surmoi : ce mélange destructeur entre conscience morale (Gewissen) et pulsion de mort. Mais, bien sûr, celui-ci n'est pas le chemin de Lacan - qui a toujours essayé de distinguer la transcendantalité de la Loi et le sadisme du surmoi.

Nous avons donc une question majeure: comment le dévoilement de la présence de la Loi symbolique était capable de résoudre le problème de la reconnaissance du désir pur et de promettre une jouissance atteinte sur l'échelle renversée? Comment une Loi apparement restrictive pouvait être au service du désir? La réponse de Lacan passait par une spécificité majeure dans sa compréhension de la Loi et qui venait de sa filiation structuraliste. Selon Lacan, la Loi symbolique n'était qu'une chaîne fermée de signifiants purs dépourvue de signifié. Elle était, en fait, une pure forme vide incapable d'énoncer une norme sur la jouissance ou sur l'objet adéquat à la jouissance.

La notion de signifiant pur est ici foncière. Elle est le résultat de la radicalisation d'une conception non-réaliste du langage présente chez Lacan depuis sa thèse de doctorat de 1932. Signifiants purs sont des termes sans force dénotative, ils ne dénotent aucune référence extra-linguistique. Comme Lacan n'a jamais céssé de souligner: "Le signifiant est un signe qui ne renvoie pas à un objet, même à l'état de trace, bien que la trace en annonce pourtant le caractère essentiel. Il est lui aussi le signe d'une absence"[20]. En ce sens, le signifiant pur doit être compris comme la formalisation de l'impossibilité de l'adéquation du langage aux choses sensibles.  

            Si nous revenons à la notion de désir pur en tant que désir dépourvu de tout procédé  naturel d'objectification, nous pouvons déjà atteindre le noyau de la stratégie lacanienne. Car, dans ce contexte, 'unir un désir à la Loi signifie symboliser, donner une détermination signifiante à l'impossibilité du désir se lier à un contenu objectal empirique. À travers la notion de langage comme ensemble des signifiantes purs, Lacan essayait de montrer comment nommer un désir était, au fond, formaliser la non-identité entre le désir et les objets du monde phénoménal. 

Nous pouvons trouver un bon exemple de ce régime de subjectivation du désir à travers ce dispositif central de symbolisation analytique qui occupe le lieu de signifiant-maître capable de fonder la Loi. Je me réfère au Phallus: le signifiant qui articule la diversité des modes possibles de sexuation et de jouissance.

Il y a un intérêt supplémentaire dans la discussion sur la structure du Phallus car, actuellement, nous connaissons plusieurs critiques qui accusent Lacan d'avoir hypostasié une Loi symbolique de fort contenu normatif[21]. A partir du moment où il a déterminé la totalité des modalités de cure à travers l'investissement de l'identification symbolique à une Loi paternelle et phallique d'aspiration universelle, Lacan aurait annulé la différence irréductible propre au désir et, par conséquent, il aurait restreint la multiplicité plastique d'identités sexuelles et sociales possibles. La critique la plus importante contre les conséquences d'un tel 'phallocentrisme' est venu de Derrida avec sa définition du signifiant phallique comme opérateur de symbolisation herméneutique et de totalisation systémique.

Mais nous pouvons relativiser cette lecture dès que nous insistons dans la détermination oppositive propre à la construction du concept de Phallus.

D’un côté, le Phallus apparaît comme le signifiant par excellence du désir. Dans l'univers lacanien tous les sujet désirent le Phallus, soit sous la forme de l'avoir ­- pour la position masculine, soit sous la forme de l'être - pour la position féminine. Il est donc le seul emblème possible de la symbolisation du désir. Mais le Phallus est aussi le signifiant de la castration, ce qui est apparement une contradiction absolue; sauf si nous admetons l'existence de quelque chose comme un désir de castration qui guiderait la conduite des sujets - ce qui n'est évident que pour l'hystérique.

La stratégie lacanienne devient plus compréhensible si nous rappelons comment la castration lacanienne indique, principalement, l'impossibilité d'un objet empirique (le pénis organique) à être fonction de jouissance et objet adéquat au désir. Le Phallus n'est qu'une façon dont le sujet dispose pour donner une détermination objective et permettre la reconnaissance intersubjective de la négativité radicale de son désir en relation au pénis organique (et à tout objet imaginaire qui essaye de lui substituer comme, par exemple, le fétiche). En ce sens, le Phallus n'est que la symbolisation d'une négation. son contenu normatif et positif est nul, puisqu'il ne peut rien dire sur l'objet empirique adéquat à la jouissance.

Voici la façon dont la théorie de la Loi comme formalisation des négations essayait d'unir le désir au signifiant afin de rendre viable une expérience de reconnaissance intersubjective. À travers la Loi phallique, le sujet pouvait formaliser et permettre la reconnaissance de la transcendance négative du désir, pour autant qu'il trouvait, dans l'ordre symbolique, la même négativité qui animait son désir. Un rencontre que Lacan nommera plus tard de séparation. Selon lui, grâce à un dévoilement des négations, la réfléxivité propre à l'intersubjectivité pouvait se réaliser.

 

Mais, à partir de 1961, Lacan abandonne ce programme et se met à critiquer la même intersubjectivité qui a été, pendant des années, le fondement de la métapsychologie et de la praxis analytique. Qu'est-il arrivé?

Malheureusement, nous n'avons pas de réponse ou d'indication directe puisque Lacan n'a jamais exposé critiquement les motifs de son impasse. Mais il a eu recours à un procédé rusé et digne des meilleurs coups de scène intellectuel: il a mis un autre à sa propre place puis l’a critiqué. Cet autre n'était autre qu’Emmanuel Kant. Le coup était encore plus théâtral car, au lieu de le critiquer directement, Lacan, à plusieurs reprises, s'en est servi à travers Sade et à travers Antigone: deux personnages chargés de relever les défis de la psychanalyse envers le discours sur la dimension pratique de la rationalité moderne. Ainsi, cette vraie pièce de théâtre avec deux personnages plus un (Kant avec Sade, plus Antigone) était, au fond, un jeu orchestré par Lacan contre lui-même, dans lequel se décidait les prochains mouvements de sa théorie analytique dans la tentative de penser la dialectique négative du désir. C'est-à-dire: Kant avec Sade doit être lu comme symptôme de l'impasse de la rationalité intersubjective à l'intérieur de la clinique analytique.

Mais examinons le rapport entre Kant et Lacan de plus près.

           

L'intersubjectivité entre Kant et Lacan

 

Kant comme le double spéculaire de Lacan.  Qu'est-ce que cela peut signifier? Une bonne façon de commencer à démêler la question consiste à attirer l'attention sur un point souvent négligé lorsqu'on parle de la lecture lacanienne de Kant: la dimension pratique de la philosophie kantienne est, au fond, une théorie de l'intersubjectivité.

Voici quelque chose que Lacan doit avoir perçu, bien qu'il n'en jamais parlé de façon explicite. Je dis 'doit avoir perçu' puisque ce n'est pas un hasard si, entre le séminaire VI, Le désir et son interprétation, où l'intersubjectivité est encore vue comme le paradigme de la rationalité analytique, et le séminaire VIII, Le transfert¸ où Lacan affirme que l'expérience freudienne se fige dès que l'intersubjectivité apparaît. il y a le séminaire VII, espace d'opération de l'articulation de Kant avec Sade. Ce qui démontre comment Kant avec Sade est, dans la trajectoire lacanienne, un lieu de rupture et de réordination du problème de la rationalité analytique qui donnera une nouvelle direction à la clinique analytique et à la question de la fin de l'analyse.

Que la dimension pratique de la philosophie kantienne comporte une théorie de l'intersubjectivité dans son horizon, n'est pas difficile à démontrer. Mais le plus intéressant est de rappeler comment elle est symétrique en plusieurs points à son homologue lacanien.

Commençons par Kant. Nous savons que le philosophe allemand veut reconcilier la raison avec sa dimension pratique à travers la fondation d'une Loi morale inconditionnelle, catégorique et d'aspiration universalisante. Loi valide: "dans tous les cas et pour tous les êtres”[22]. Si la raison ne pouvait pas postuler la réalité objective d'une Loi morale valide universellement, alors l'agir serait déterminé par la contingence de la causalité naturelle ou historique. L'homme ne serait que le résultat de ses circonstances, une volonté libre serait le non-sens et: "ce serait donc la nature qui donnerait la loi"[23].

Afin d'exorciser ce déterminisme dans la dimension pratique, Kant doit d'abord défendre que tous les hommes, même les pervers, peuvent entendre immédiatement la voix intérieure de la Loi morale: "Tout homme, en tant qu'être moral, possède en lui, originairement, une telle conscience"[24]. Il n'a pas besoin de quelque chose comme une genèse de la Loi morale, puisque sa réalité objective est le résultat d'une déduction transcendantale. Nous sommes loin, par exemple, de Nietzsche et de la tache philosophique d'établir les coordonnés historiques de la généalogie de la morale. Nous sommes également loin de Freud,  pour qui la genèse de la conscience morale (Gewissen) était indissociable d'un fait de l'histoire du sujet: la menace de castration venue du père - d'où se suit l'affirmation qu'il n'y a de conscience morale que là où il y a de la pression venue du surmoi: “Le surmoi, la conscience morale [Gewissen] à l’oeuvre en lui, peut alors se montrer dur, cruel, inexorable à l’égard du moi qu’il a sous sa garde. L’impératif catégorique de Kant est ansi l’héritier du complexe d’Oedipe” [25].  Pour le matérialiste Freud, l'expérience morale est le résultat du sentiment de culpabilité advenu de la rivalité avec le père.

Mais nous devons souligner comment la reconnaissance de la présence de la Loi morale en tous les hommes va permettre la construction d'un horizon régulateur de validation de la conduite rationnelle. Un horizon intersubjectif qui amenera le sujet à guider ses actions vers la réalisation de ce qui Kant nomme 'le règne des fins', c'est-à-dire, "la liaison systèmatique de divers êtres raisonnables par des lois communes"[26]. A travers la thématique du règne des fins, Kant démontre comment la Loi morale peut apparaître en tant qu'élément capable de fonder un espace transcendantal de reconnaissance intersubjective de l'autonomie et de la dignité des sujets[27].

La question demeure: quel est le rapport entre tout cela et l'intersubjectivité lacanienne, dans laquelle la négativité du sujet est reconnue à travers une Loi phallique et paternelle constituée par des signifiants purs?

Il faut tout d'abord souligner la façon dont Lacan défend lui aussi la possibilité d'une Loi d'aspiration universelle capable de fonder un espace de reconnaissance intersubjective. L'importance de la fonction de l'Universel de la Loi dans la clinique amène Lacan à affirmer : "Il n’y a de progrès pour le sujet que par l’intégration où il parvient de sa position dans l’universel"[28]. Mais nous savons que, dans le cas de Lacan, l'Universel est construit par la Loi phallique et paternelle. Loi qui montre comment le sujet ne sera reconnu qu'à partir du moment où son désir passera par la fonction universelle de la castration. Et ce n'est pas un hasard si la négation du Phallus, à travers la forclusion du Nom-du-Père, ne peut produire que la psychose, comme nous le montre le cas du President Schreber. 

Ce glissement si inattendu de la Loi morale à la Loi phallique peut être expliqué si l'on se souvient comment la psychanalyse a essayé d'introduire, au-dessus de la morale, une érotique. Résultat d'une certaine perspective matérialiste qui essaye de: "Mettre le rapport homme/femme au centre de l'interrogation éthique"[29].

Il est vrai que Kant n'a jamais introduit la différence sexuelle à l'intérieur des considérations éthiques. Il a préféré s'adresser au générique de tout homme. Pour Kant, introduire ici la différence sexuelle montrerait une confusion entre les domaines de l'anthropologie et de la morale qui nous amènerait à soumettre la transcendantalité de la fonction du sujet à quelque chose de l'ordre matériel de la loi de la nature. Mais, si la psychanalyse suit Kant dans son programme de reconcilier la raison avec la dimension pratique, elle nous signale que la fondation du Logos doit tenir compte de la logique d'Eros[30]. Et si l'éthique est inséparable de la présupposition d'un horizon intersubjectif de validation de la praxis, on ne peut pas oublier que la relation intersubjective par excellence est (ou au moins devrait être) la relation sexuelle. Elle est la seule relation où le sujet pourrait être présent à l'Autre à travers la matérialité du corps (cela, bien sûr, s'il y avait relation sexuelle). D'où le besoin de mettre le rapport homme/femme au centre de l'interrogation éthique.

 

La Loi morale est le désir à l’état pur

 

À ce point de notre analyse, j'aimerais noter que la convergence entre Kant et Lacan ne se limite pas à la seule tentative d'ouvrir une perspective universaliste à travers la fondation d'un champ transcendantal de reconnaissance intersubjective. Il y a encore une très importante convergence de méthode. Autant Kant que Lacan essayent d'affirmer la dimension de la Loi contre le primat des objets empiriques dans la détermination de la volonté et à travers une opération de "rabaissement du sensible"[31].

En ce qui concerne Kant, nous connaissons sa chorégraphie. Il s'agit, pour lui, de défendre l'existence d'une volonté libre et inconditionnée du point de vue empirique qui agit par amour a priori pour la Loi (et non pas simplement conformément la Loi - tel un enfant qui agit conformément au commandement paternel non par conscience de l'obligation du devoir, mais dans l'espoir de gagner une autre chose).

Une volonté qui agit sans être conditionnée par l'empirique, c'est-à-dire qui a fait: "abstraction de tout objet, au point que celui-ci n'exerce pas la moindre influence sur la volonté"[32] ne peut être pensable que si l'on admet que le sujet ne détermine pas la totalité de ses actions à travers le calcul du plaisir et de la satisfaction propre au bien-être. Pour Kant, il y a une volonté au-delà du principe du plaisir. Sur ce point, on ne peut pas oublier sa distinction majeure entre das Gute (lié à une détermination a priori  du Bien) et das Wohl (lié au plaisir et au bien-être du sujet).

Les objets liés à das Wohl et, par conséquent, au plaisir (Lust) et au déplaisir (Unlust) sont tous empiriques, puisque : “on ne peut connaître a priori d’aucune représentation d’un objet, quelle qu’elle soit, si elle sera liée au plaisir, à la peine ou si elle sera indifférente[33]. Le sujet ne peut pas savoir a priori si une représentation de l'objet sera liée au plaisir ou à la peine, car un tel savoir dépend du sentiment empirique de l'agréable et du désagréable. Et il n'y a pas de sentiment qui puisse être déduit a priori (exception faite au respect - Achtung)¸ puisque, du point de vue de l'entendement, les objets capables de produire une satisfaction sont indifférents. La faculté de désirer est donc déterminée par la capacité de sentir (Empfänglichkeit), qui est particulière à la pathologie des expériences empiriques de chaque moi et qui méconnaît des invariables universels.

Cela permet à Kant d'affirmer qu'il n'y a pas d'universel à l'intérieur du champ des objets du désir, puisque ici chacun suit son propre sentiment de bien-être et les principes narcissiques dictés par l'amour de soi. D'un autre côté, nous ne devons pas oublier qu'il n'y a pas de liberté lorsque le sentiment physiologique du bien-être guide la conduite. Car le sujet est soumis à une causalité naturelle où l'objet et les instincts liés aux satisfactions des besoins physiques font la Loi à la volonté, et non le contraire. D'où s'en suit des affirmation comme : "Ceux qui sont habitués uniquement aux explications physiologiques ne peuvent pas se mettre dans la tête l'impératif catégorique"[34]. À ce niveau, l'homme ne se distingue pas de l'animal.

Il n'y a de liberté que là où le sujet peut donner de façon autonome un objet à la volonté. Afin de pouvoir faire cela, il doit s'appuyer sur la raison contre les penchants pathologiques du désir. L'homme est le seul animal qui peut avoir: "la faculté (facultas) de surmonter toute impulsion sensible"[35] et développer le : “pouvoir de se faire d’une règle de la raison le motif d’une action”[36]. C'est à travers ce vide, ce rejet radical de la série des objets pathologiques, que la conduite humaine avec son système de décisions peut être autre chose que l'effet de la causalité naturelle. Ainsi, elle s'affirme en son propre régime de causalité, que Kant nomme: causalité par liberté (Kausalität durch Freiheit). Ce qui n'étonne personne, puisque, pour Kant, la vraie liberté consiste à: "être libre vis-à-vis de toutes les lois de la nature, n'obéissant exclusivement qu'à celles qu'il [le sujet] édicte lui-même et d'après lesquelles ses maximes peuvent appartenir à une législation universelle"[37]. La liberté consiste à conformer sa volonté à l'universalité de la raison.

Malgré tout, cette purification de la volonté à travers le rejet radical de la série des objets pathologiques pose un problème, puisque toute volonté doit diriger sa réalisation à travers un objet. Il faut un objet propre à la volonté libre. Afin de résoudre cette impasse, Kant introduit le concept de das Gute: un bien au-delà du sentiment utilitaire du plaisir[38]. Sa réalité objective indique que la raison pratique peut donner une détermination a priori à la volonté à travers un objet suprasensible dépourvu de toute qualité phénoménale. Il est autant le principe régulateur de l'acte moral que celui de toute conduite qui se veut rationnelle.

Dire que l'acte moral est dirigé par un objet dépourvu de réalité phénoménale nous amène loin. Car on ne peut avoir aucune intuition correspondante à cet objet (il n'y a d'intuition que des phénomènes catégorisés dans l'espace et le temps). Ceci ne semble pas poser problème à Kant, puisque, si quelque chose doit être gut: "ce serait seulement la manière d'agir (...) et non une chose qui pourrait être ainsi appelée"[39]. C'est-à-dire, la volonté qui veut das Gute ne veut qu'une façon d'agir, une forme spécifique pour l'action, et non pas un objet empirique privilégié. La forme est déjà l'objet pour la volonté libre.  Ou, comme dit Lacan: "la forme de cette loi est aussi sa seule substance"[40].

Et de quelle forme s'agit-il ici? On la trouve dans le contenu de la maxime morale: "Agis de telle sorte que la maxime de la volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d'une législation universelle". Nous somme ici devant une pure forme vide et universalisante, forme qui ne dit rien sur les actions légitimes, puisqu'elle n'énonce aucune norme. "La loi", dira Kant, "ne peut indiquer de façon précise comment et dans quelle mesure doit être accomplie l'action en vue de la fin qui est en même temps un devoir"[41]. Tel qu'on voit Lacan, la transcendantalité de la Loi soutient le silence envers  la détermination d'un objet empirique adéquat à la jouissance venue respect de la Loi.

Ici, on peut comprendre pourquoi Lacan a affirmé que: "La loi morale n'est autre chose que le désir à l’état pur"[42]. L'opération visée par Lacan consiste à rapprocher les concepts de volonté libre et de désir pur.  Chacun de ces deux dispositifs indique une inadéquation foncière entre le désir du sujet et la satisfaction promise par les objets empiriques. Tandis que Kant critique le désir emprisonné dans les chaînes de l'égoïsme et de l'amour de soi, Lacan développe une vaste analyse à propos de la nécessité de critiquer l'aliénation du désir dans la logique narcissique de l'imaginaire. Dans les deux cas, le sujet ne peut être reconnu en tant que sujet qu'à partir du moment où il assume son identification avec une Loi qui est pure forme vide, dépourvue de contenu positif. Dans le cas de Kant, il s'agit de la Loi morale. Dans le cas de Lacan, nous avons la Loi phallique et paternelle. Nous sommes devant deux procédures symétriques d'ouverture à la réalisation d'un champ transcendantal de reconnaissance intersubjective à travers l'identification du désir à la Loi.

 

Das Ding, das Gute et la jouissance au-delà du plaisir

 

Ces symétries ne sont pas hasardeuses. Autant Lacan que Kant définissent le sujet à partir d'une fonction transcendantale et cherchent à penser les conséquences d'un tel cheminement dans la dimension de la pragmatique (même si Lacan opère avec une notion 'large' de pragmatique dans laquelle éthique, érotique et esthétique se mêlent). La transcendantalité apparaît dans la dimension pratique comme résistance à la tentative d'expliquer la totalité de la rationalité de la praxis à travers des arguments utilitaristes. Kant est clair sur ce refus de confondre le bien et l'utile[43]. Il lui arrive de souligner le sentiment de douleur que das Gute produit, puisque le sujet doit sacrifier la quête inconditionnelle au bien-être et doit humillier son amour propre. Lacan, de son côté, ne permet pas que l'éthique de la psychanalyse se transforme en une meilleure façon d'organiser le 'service des biens' avec son principe utilitariste. Autant le philosophe allemand que le psychanalyste français perçoivent, dans le vrai acte moral, l'affirmation d'une satisfaction au-delà du principe du plaisir.

Cependant, cette détermination transcendantale de l'acte ne peut pas avoir seulement une définition négative, en tant que ce qui résiste aux arguments utilitaristes. Elle doit aussi avoir une définition positive en tant qu'acte fait par amour pour la Loi. De cette façon, Kant promet une réconciliation à travers la conformité parfaite de la volonté à la Loi, où la volonté deviendrait logos pur[44]. Das Gute se confond ici avec l'amour pour la Loi, ce qui permet à Kant de réintroduire le concept aristotélicien de Souverain Bien en tant que synthèse entre la vertu et le bonheur. Synthèse qui produirait une: "agréable jouissance de la vie (Lebensgenuss) et qui cependant est purement morale"[45]. Une jouissance propre au contentement de soi (Selbstzufriedenheit) venue du respect de la Loi apparaît dans l'horizon régulateur du Souverain Bien. Gardons cette formule: la conformité parfaite de la volonté à la Loi nous promet une jouissance au-delà du plaisir. Même si cette conformité apparaît comme lieu d'un "impossible"[46], elle sera toujours horizon de régulation de détermination des critères rationnels pour le jugement de l'acte.  

Et Lacan? Il est aussi à la recherche d'une jouissance au-delà du principe du plaisir. En nous reportant au début du Séminaire VII, nous le verrons cherchant cette jouissance à partir du questionnement sur le vrai statut de la distinction freudienne entre le principe de plaisir et le principe de réalité. À cause du non-réalisme précoce de ses conceptions, Lacan avait déjà critiqué la prétention épistémologique du principe de réalité[47]. Mais ici il la situe sur le plan éthique. Car reconnaître la distinction c'est reconnaître l'existence de quelque chose qui pousse l'expérience humaine à aller au-delà du principe du plaisir. Ce quelque chose est nommé par Lacan : das Ding. Un concept que le psychanalyste croyait symétrique au concept kantien de das Gute.

Lacan ira trouver das Ding dans un manuscrit de Freud, Esquisse d'une psychologie scientifique, où l'appareil psychique est encore expliqué à travers un langage neurophysiologique. Après le séminaire VII, das Ding presque disparaîtra des textes lacaniens puisque, d'une certaine façon, sa fonction sera absorbée par l'objet petit a. Ce qui compliquera considérablement la distinction entre fantasme et Réel.

Si nous revenons à Freud, nous verrons que le mouvement du désir était coordonné par la répétition hallucinatoire des expériences premières de satisfaction. Ces premières expériences laissent des images mnésiques de satisfaction dans le système psychique. Lorsqu'un état de tension ou de désir réapparaît, le système psychique actualise d'une façon automatique ces images, sans savoir si l'objet correspondant à l’image est ou n'est pas effectivement présent. Afin de ne pas confondre perception et hallucination, il faut l'avènement d'un principe de réalité. Dans l'Esquisse, Freud parle d'un 'indice de réalité' (Realitätszeichen) venu de la perception d'un objet au monde extérieur.

Mais il y a un donné qui complique la question. Freud sait que l'adéquation entre la perception d'un objet dans le monde et l'image mnésique de satisfaction présuppose une possibilité de jugement (Urteil) faite par le moi. La structure syntaxique du jugement va permettre au moi de développer des opérations plus complexes que la simple comparaison biunivoque. Par exemple, il pourra rapprocher l'objet et l'image à travers la division syntaxique entre le sujet et le prédicat. Si un objet n'est que partiellement semblable à l'image mnésique, le moi pourra juger que les différences portent sur des prédicats, des attributs, en bref, sur des accidents, et non pas sur le sujet, le noyau de l'objet en question. Cela lui permettra de poser une relation d'identité avec le sujet propositionnel et soumettre la réalité au plaisir. La division entre perception et hallucination redevient floue.

Mais il y a un deuxième type de cas, celui qui intéresse vraiment Lacan. Il arrive que surgisse: "une perception ne s'accordant d'aucune manière avec l'image mnémonique désirée"[48]. Dans l'Esquisse, Freud l'introduit à travers le nommé complexe d'autrui (Komplex des Nebenmensch), c'est-à-dire, la première expérience dans laquelle l'objet venu de l'extérieur est en fait un semblable, "c'est un objet du même ordre qui a apporté au sujet sa première satisfaction (et aussi son premier déplaisir)"[49], c'est-à-dire, la mère.

Qui arrive-t-il lorsque l'enfant est devant un semblable pour la première fois? Ici, nous voyons une inversion par rapport à l'exemple antérieur. Le moi divise l'objet, mais le sujet de la proposition reste opaque, Freud dit qu'il reste ensemble comme chose (als Ding beisammenbleibt); en tant que les attributs, les prédicats, pourront être compris et transformés en représentation (Vorstellung) mnésique. L'articulation est ici extrêmement importante car, comme nous le signale Lacan, il s'agit d'une: "formule tout à fait frappante, pour autant qu'elle articule puissamment l'à-côté et la similitude, la séparation et l'identité"[50].

Lorsque l'enfant est devant un semblable, le moi inscrit à l'intérieur du système psychique tout ce qui est familier: les traits du visage de l'autre, les mouvements du corps, tout cela devient un complexe de représentations. Mais il y a quelque Chose qui reste inassimilable à la représentation, inassimilable à l'image et qui pourtant apparaît à la place grammaticale du sujet: c'est l'irréductible étrangeté du prochain, ce que Freud nommera plus tard das Unheimliche et que nous indique, entre autres, l'angoisse venue de la perception du double. C'est l'angoisse de découvrir ce qui est: "étranger à moi tout en étant au coeur de ce moi"[51]. Une étrangeté que nous rappelle la division interne du sujet à lui-même. La vraie altérité vient donc de ce qui nous est le plus familier, pour autant qu'elle bouleverse la division entre différence et identité, entre proche et lointain, entre moi et l'autre[52].

Lacan articule l'Esquisse avec le texte freudien sur La négation (Die Verneinung) afin de rappeler que das Ding n'est autre chose que ce qui a été verworfen par le Lust-Ich à travers le jugement d'attribution. Souvenons-nous comment, à travers un jugement d'attribution, le moi essayait d'expulser hors lui le Réel (surtout le réel des motions pulsionnelles) qui rompait avec le principe de constance sur le plan des excitations de l'appareil psychique. Cette expulsion permettait les opérations primordiales de symbolisation (Bejahung) qui formeront le système de représentation signifiante. Ce que nous explique la formule de Lacan sur la Chose comme: "ce qui du réel pâtit du signifiant"[53].

Ici, la ruse lacanienne mobilisée pour rapprocher sa construction métapsychologique de la stratégie kantienne de détermination d'une volonté morale consistait à montrer comment il y a un désir qui cherche toujours à attendre das Ding. C'est un désir qui veut la transgression d'une jouissance au-delà du principe du plaisir, puisque attendre das Ding signifie nécessairement l'annihilation du système de détermination fixe d'identités et de différences qui fonde le moi. Et l'effondrement de l'illusion de l'identité propre au moi ne peut produire que l'angoisse de l'effacement. Ce désir est notre bien connu désir pur, qui a maintenant un objet propre à son statut transcendantal[54]. Mais soulignons aussi comment le prix du rapprochement de la psychanalyse avec la problématique kantienne se paye par un certain éloignement de la démarche initiale freudienne. Dans l'Esquisse, das Ding est plus proche de l'irreductiblité du sensible à la pensée fantasmatique que de cette irréductibilité du transcendantal à l'inscription phénoménale que Lacan semble vouloir soutenir en rapprochant das Ding et das Gute. 

Pour terminer, notons comment la thématique de das Ding se noue avec le problème de la reconnaissance. Das Ding est apparu chez Freud comme limite à la reconnaissance de l'autre car il est manifestation de la négation propre à l'altérité[55]. Chez Lacan, il continue à l'être. En fait, la Loi ne nous dit pas comment attendre de façon positive la jouissance de das Ding. Au contraire, elle est inscription de l'absence de la Chose. Néanmoins, Lacan a essayé de transformer l'altérité de das Ding en négativité inscrite à l'intérieur du système signifiant. Ce que nous pouvons déduire de l'affirmation: "Il est en fin de compte concevable que ce soit comme trame signifiante pure, comme maxime universelle, comme la chose la plus dépouillée de relations à l'individu, que doivent se présenter les termes de das Ding"[56].

 

Mais cette promesse de réconciliation entre Loi et objet du désir pur ne va pas s’opérer et sera vivement critiquée par Lacan. Ce qui nous permet d’interroger les coordonnés de cet échec.

D'abord, notons que, si la trame signifiante pure pouvait présenter les termes de das Ding c'est parce qu'il y aurait une façon de symboliser, à travers la négativité transcendantale du signifiant pur, ce qui a été verworfen comme réel. Ici se répète une impasse propre aux articulations entre réel et symbolique chez le premier Lacan. Même si nous acceptons que das Ding soit ce qui du réel pâtit du signifiant, même si nous acceptons que la Loi ne fournisse aucun énoncé positif sur la façon d'attendre das Ding, nous ne pouvons oublier que das Ding est une limite présupposée par l'action du signifiant et, en tant que limite du signifiant, sa négativité est inscrite à l'intérieur de la Loi du signifiant à travers un renversement qui nous rappelle la dialectique entre limite (Granze) et borde (Schranke) dans la logique hégélienne de l'être.

Dans le cas de Lacan, ce renversement peut suivre deux stratégies différentes. Si la Loi reste comme pure forme transcendantale qui ne dit rien sur le contenu empirique adéquat à l'action, alors il peut y avoir une façon de réconcilier Loi et das Ding. C'est-à-dire, pour que la négativité de das Ding soit inscrite dans la Loi: "il faut que nous tenions la place vide où est appelé ce signifiant [le Phallus] qui ne peut être qu'à annuler tous les autres"[57]. Il faut que le désir s'attache au signifiant pur de la Loi et qu'il désire la pure forme de la Loi[58]. Comme nous le verrons, cette stratégie va échouer nécessairement dans une impasse qui amènera Lacan à réviser sa clinique analytique.

Mais si la Loi assume une facticité et prescrit des interdictions surmoïques, alors nous rentrerons dans un mauvais infini qui est bien illustré à travers l'appropriation lacanienne du dit de Saint Paul: "Est-ce que la Loi est la Chose? Que non pas. Toutefois je n'ai eu connaissance de la Chose que par la Loi. En effet, je n'aurais pas eu l'idée de la convoiter si la Loi n'avait dit - Tu ne la convoiteras pas (...) sans la Loi la Chose est morte"[59].

C'est-à-dire, lorsque la Loi dit ce que l'on doit ou ce que l'on ne doit pas faire (Tu ne convoiteras pas), elle produit une mauvaise dialectique entre désir et Loi. Car elle produit des situations semblables à celle d'un névrosé qui a besoin des chaînes justement pour pouvoir les transgresser. La Loi nomme das Ding comme le lieu marqué par l'interdiction, comme dans le cas de la nomination de das Ding comme la mère, ce qui nous explique pourquoi Lacan affirme que: "C'est en tant que la loi l'interdit qu'elle impose de la désirer, car après tout la mère n'est pas en soi l'objet le plus désirable"[60].

En ce sens, Lacan peut dire qu'on "désire au commandement". Un mode du désir qui, à la fin, ne peut que produire le désir de mort: "le rapport dialectique du désir et de la Loi fait notre désir ne flamber que dans un rapport à la Loi, où il devient désir de mort"[61]. Le désir se transforme donc en un pur désir hystérique de destruction de la Loi.

            Mais c'est la première impasse qui nous intéresse, puisqu'elle obligera Lacan à une reformulation radicale du programme de rationalité de la cure analytique.

           

Le piège sadien

 

            Je voudrais provoquer ici un court-circuit. Laissons pour l'instant, cette question sur la Loi, das Ding et das Gute. Je vais essayer de trancher son noeud. C'est un détour par Sade, puisque aux yeux de Lacan, Sade apporte la vérité de la raison pratique kantienne.

            Que signifie, dans ce contexte, faire une comparaison entre Kant et Sade? Mon hypothèse est que, loin de se limiter à donner une dignité morale à l'entreprise sadienne, l'objectif majeur de Lacan était de démontrer comment la Loi morale se trouvait dans l'incapacité d'annuler le défi du discours pervers. C'est-à-dire, pour la psychanalyse, on peut être pervers et kantiens en même temps. Il y a un renversement de la Loi en perversion qui est autorisé par la Loi elle-même.

D'un autre côté, s'il est vrai que Kant apparaît dans ce contexte comme un double spéculaire de Lacan, alors Sade devra apporter aussi la vérité de Lacan, au moins de la Loi lacanienne, pour autant que le problème de la perversion va mettre en chèque une rationalité analytique fondée sur la reconnaissance du désir pur dans la pure forme de la Loi. Sade représente un défi à la praxis analytique de Lacan, au sens où il présente les coordonnés  d’inversion de la reconnaissance intersubjective en perversion. Voyons cela de plus près.

            Si Kant avait su que, au XXème siècle, sa philosophie pratique aurait rencontré des critiques qui lui reprochaient de ne pas répondre à la perversion, il aura sûrement trouvé cela drôle. Car Kant avait déjà conçu une réplique possible à une telle critique. Pour lui, l'acte de transgresser la Loi démontrait déjà que le pervers acceptait la réalité objective d'une loi: "dont il reconnaît le prestige en la transgressant même"[62]. C'est-à-dire que, en transgressant, je reconnais a priori la présence de la Loi en moi-même. Je ne suis simplement pas capable de me libérer de la chaîne du particularisme du monde sensible. Le désir de transgression ne fait que renforcer l'universalité de la Loi.

            Malheureusement pour Kant, l'argument est faible. La nature du défi sadien est d'un ordre plus complexe. Sa perversion ne consiste pas non plus en l'hypocrisie ou en la mauvaise foi de cacher des intérêts particuliers en conformant l'action à la forme de la Loi. Quinze ans avant le texte lacanien, Adorno avait déjà montré comment les personnages de Sade étaient poussés par l'obéissance inconditionnel à la pure forme d'une Loi morale structurellement identique  à l'impératif catégorique kantien. Ce qui permettait à Adorno de dire: "Juliette n'incarne ni une libido non sublimée, ni une libido régressive, mais la jouissance intellectuelle de la régression, l'amour intellectualis diaboli, le plaisir de détruire la civilisation avec ses propres armes"[63]. Juliette n'était pas attachée aux particularismes de ses penchants; elle agit aussi par amour pour la Loi. Elle ne fait autre chose que de démontrer comment: "même là, dans la perversion où le désir, en somme, apparaîtrait en se donnant pour ce qui fait la loi, c'est-à-dire, pour une subversion de la loi, il est en fait bel et bien le support d'une loi[64].

Mais comment cette transgression par l'obéissance à la Loi est-elle possible?

D'abord, Kant et Sade partagent une notion d'Universel fondée sur le même rejet radical du pathologique. C'est-à-dire, sur un mépris pour le sensible et pour la résistance de l'objet. Comme nous dira Lacan: "Si l'on élimine de la morale tout élément de sentiment, à l'extrême le monde sadiste est concevable"[65]. Car Sade est aussi à la recherche d'une purification de la volonté que la libère de tout contenu empirique et pathologique. A propos du projet sadien, Blanchot parlera du désir de: « fonder la souveraineté de l’homme sur un pouvoir transcendant de négation » [66]. D'où, par exemple, le conseil du bourreau aufklärer Dolmancé à la victime Eugénie, dans la Philosophie dons le boudoir: “tous les hommes, toutes les femmes se ressemblent: il n’y a point d’amour qui résiste aux effets d’une réflexion saine”[67]. Une indifférence à l'égard des relations d'objet qui présuppose la dépersonnalisation et l’abandon du principe du plaisir. C'est le sens d'un autre conseil de Dolmancé à Eugénie: "qu'elle fasse même, si cela est exigé, le sacrifice de ses goûts et de ses affections"[68].

D'autre part, cette inconditionnalité et indifférenciation du désir sadien dans son rapport à l'objet empirique nous amène à une maxime morale qui a des prétentions universelles analogue à l'impératif catégorique kantien. Il s'agit du droit à la jouissance du corps de l'autre: “Tous les hommes ont donc un droit de jouissance égal sur toutes les femmes”, sans oublier qu'à cela s'ajoute que, en ce qui concerne les femmes: “je veux que la jouissance de tous les sexes et de toutes les parties de leur corps leur soit permise comme aux hommes”[69]. Nous arrivons à la formule forgée par Lacan: "Prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut vous être agréable [70].

            Lacan ne se limite pas à affirmer que aussi bien Sade que Kant sont fils des lumières en matière de morale. Pour la psychanalyse, Sade révèle ce qui était refoulé dans l'expérience morale kantienne, un peu comme le pervers qui met en lumière le fantasme refoulé par la conscience de l'obsessionnel.

            A cet endroit, Lacan fait deux considérations. Il affirme que: "La maxime sadienne est, de se prononcer de la bouche de l'Autre, plus honnête que la voix du dedans, puisqu'elle démasque la refente, escamotée à l'ordinaire, du sujet"[71]. De l'autre cöté, il parle du dévoilement de ce: "troisième terme qui, pour Lacan, ferait défaut dans l'expérience morale. C'est à savoir l'objet, que, pour l'assurer à la volonté dans l'accomplissement de la Loi, il est contraint de renvoyer à l'impensable de la Chose-en-soi"[72].

            Qu'est-ce que ces remarques peuvent signifier?

 

Acte et division subjective

 

            Lorsque Lacan insiste sur la manière dont Sade montre la voix de la conscience qui énonce la Loi morale provenant de la bouche de l'Autre, il pense principalement à une certaine structure triadique propre aux romans sadiens. Il y a toujours trois personnages centraux avec des rôles bien définis. Dans la Philosophie dans le boudoir, par exemple, nous avons: Madame de Saint-Ange (celle qui représente et commande la Loi), Dolmancé (le bourreau qui doit exécuter la Loi de façon apathique, sans se permettre d'avoir du plaisir) et Eugénie (la victime qui doit être éduquée, s'assujettir et être arrachée au domaine du désir pathologique)[73]. Pour Lacan, avec ce menuet à trois, Sade met en scène la division subjective propre à toute expérience morale. Madame de Saint-Ange est l'Autre qui apparaît comme représentant de la Loi, Eugénie est le moi pathologique qui reçoit le commandement de la Loi et apparaît au niveau du sujet de l'énoncé, Dolmancé est le terme moyen dont nous découvrirons le statut tout de suite. Remarquons que, en mettant la  division subjective en scène morcelée en trois personnages, Sade évite sciemment de la poser en un seul personnage. Ceci montre la manière dont "le sadisme rejette dans l'Autre la douleur d'exister"[74].

Dans un premier temps, Kant aussi n'écarte pas l'idée d'une division subjective dans l'acte d'énonciation de l'impératif catégorique. Apparemment, il n'escamote pas la refente du sujet. Il suffit de se reporter au chapitre de la Métaphysique des moeurs qui a le titre symptomatique de: "Du devoir de l'homme envers lui-même comme juge naturel de lui-même". Kant y parle d'un tribunal intérieur inscrit en l'homme et dans lequel notre conduite est jugée par la voix terrible de la conscience morale. Il lui arrive d'affirmer que: "la conscience morale de l'homme, à propos de tous ses devoirs, doit nécessairement concevoir, comme juge de ses actions, un autre (à savoir l'homme en général) qu'elle-même. Cela dit, cet autre peut aussi bien être une personne réelle qu'une personne simplement idéale que la raison se donne à elle-même"[75]. On entend ici les échos de la division lacanienne entre sujet de l'énoncé et sujet de l'énonciation.

Mais l'autre selon Kant n'est pas exactement l'Autre lacanien. L'autre selon Kant n'est qu'un pli de la conscience, pour autant que la division à laquelle Kant fait allusion se donne entre la conscience morale et la conscience empirique. L'Autre Lacanien, il ne faut jamais l'oublier, est inconscient. Cela entraîne plusieurs conséquences. Par exemple, chez Lacan, l'extériorité de la Loi gagne la forme d'une altérité radicale de la Loi. Le sujet ne sait pas ce que la Loi énonce.

C'est quelque chose d'inadmissible pour Kant, puisque cela signifierait défendre une altérité radicale à la conscience en relation à la voix de la raison. Il serait alors obligé de reconnaître une opacité foncière entre le principe transcendantal de l'impératif et sa réalisation empirique. Ce que Kant est loin d'accepter car cela l'amènerait à assumer l'impossibilité de la conscience juger l'action. Or, pour lui: "Juger ce qu'il y a à faire d'après cette loi [la Loi morale], ne doit pas être d'une difficulté telle que l'entendement le plus ordinaire et le moins exercé ne sache s'en tirer à merveille, même sans aucune expérience du monde"[76].

Il est vrai que Kant reconnaît une limite à la conscience cognitive dans la dimension pratique à cause de l'impossibilité radicale de connaître la réalité de l'Idée de liberté, et, par suite, de connaître la réalité de das Gute, puisque la conscience de la liberté n'est fondée sur aucune intuition. Ce qui nous amène à accepter la Loi morale comme un fait (faktum) de la raison. Et si l'on ne peut pas connaître la réalité objective de la liberté, alors il est impossible de: "dénicher dans l'expérience aucun exemple où cette loi fût exactement suivie"[77].  

Mais cela ne pose pas de problèmes à Kant, puisque, avec lui, nous savons toujours dans quelles conditions un acte doit être réalisé pour qu'il soit le résultat d'une volonté libre. Notre non savoir porte sur la présence effective de ces conditions. C'est-à-dire, le non-savoir kantien est simple reconnaissance de la multiplicité innombrable des circonstances présentes dans l'accomplissement de l'acte. En bref, je ne saurais jamais si je dis la vérité par peur des conséquences de la découverte du mensonge ou par amour pour la Loi. Mais je sais toujours que raconter des mensonges est contre la Loi morale. Voici un point fondamental: même s'il n'y a pas de transparence entre l'intentionnalité et le contenu de l'acte, il y en a une entre l'intentionnalité et la forme de l'acte. Je sais toujours comment je dois agir. Il n'y a pas d'indécidable à l'intérieur de la praxis. Comme nous l'a démontré Adorno, Kant croit que la détermination transcendantale et la réalisation empirique de la Loi morale sont toutes deux soumises à un principe d'identité et, pour dire cela de façon plus claire, à un principe d'immanence[78]. Ceci démontre que, pour Lacan, la vraie erreur de Kant consistait à croire que la pure forme de l'acte déterminait a priori sa signification. La signification de l'acte se présenterait comme simple indexation transcendantale de la particularité du cas; ce qui viderait de toute dignité ontologique le sensible à l'intérieur de l'expérience morale. Ici, la procédure transcendantale semble suffisante pour donner  la signification à la pragmatique parce qu'il y aurait entre das Gute et la Loi un rapport d'immanence complet.

En ce sens, nous pouvons dire que la division subjective kantienne est maîtrisée par un principe d'immanence qui garant l'identité de droit entre le sujet de la volonté transcendantale et et la forme vide de l'acte. Disons que ce principe d'immanence est le symptôme de la philosophie pratique kantienne, pour autant qu'il est l'endroit où la philosophie transcendantale kantienne dit le contraire de ce qu'elle veut dire. Afin de penser une Loi au-delà du principe du plaisir, Kant doit postuler la division radicale entre conscience empirique et conscience transcendantale. Mais, comme il s'agit aussi de fournir une coordonnée pour réconcilier la puissance jugeante de la raison avec la dimension pratique - praxis qui se donne nécessairement dans un monde phénoménal - elle doit indexer la signification de la multiplicité du cas à travers un dispositif transcendantal. Indexation qui, en fait, est position d'un principe d'identité.

Ici, il faut souligner la façon dont Lacan croit que l'acte kantien est, en fait, proche de l'acte sadien. Pour lui, Kant et Sade défendent une immanence absolue entre la Loi morale et la conscience. Dolmancé croit aussi qu'il n'y a rien de plus facile que de juger ce qu'il y a faire d'après la Loi de la jouissance. Cette Loi est: "écrite dans le coeur de tous les hommes, et il ne faut qu'interroger ce coeur pour en démêler l'impulsion"[79]. C'est en ce sens qu'on doit comprendre l'affirmation de Deleuze: "Quand Sade invoque une Raison analytique universelle pour expliquer le plus particulier dans le désir, on n'y verra pas la simple marque de son appartenance au XVIII siècle : il faut que la particularité, et le délire correspondant, soient aussi une Idée de la raison pure"[80]. Comment ne voir pas ici la reconnaissance d'un principe d'immanence entre Loi et acte?

La seule différence d'avec Kant c'est que, chez Sade, le vrai Autre est la Nature. C'est la nature qui jouit à travers les actes du libertin et de la libertine.  Elle est l'Autre jouisseur. Disons que la raison chez Sade est une raison naturalisée et que la philosophie dans le boudoir est une philosophie de la nature. Ce qui nous explique l'affirmation fort intéressante de Deleuze: "Chez Sade apparaît un étrange spinozisme - un naturalisme et un mécanisme pénétrés d'esprit mathématique"[81]. Comme nous dira Sade: "Rien n'est affreux en libertinage, parce que tout ce que le libertinage inspire l'est également par la nature"[82].  Une  nature qui cache, au-delà du concept de mouvement vital où s'articulent ensemble création et destruction, une nature première conçue comme pouvoir absolue du négatif, comme pulsion éternelle de destruction. Une nature première qui apparaît sous la figure de l'Étre-suprême-en-méchanceté[83].

Ce qui nous permet de dire que la transcendantalité de Kant et le matérialisme de Sade, a priori divergents, se retrouvent dans une même croyance de l'immanence entre la raison et la conscience. Une immanence qui restreint les conséquences de la division subjective. Dolmancé a la Loi de la Nature dans son coeur et c'est ce même coeur qui porte la Loi morale du sujet kantien. Ainsi, il faut poser une limite à l'affirmation lacanienne sur la maxime sadienne comme dévoilement du clivage du sujet, normalement escamoté. Ce dévoilement ne se présente pas au libertin et à la libertine, dont les conduites seront soumises à la certitude subjective venue de la présupposition d'un principe d'immanence entre désir pur et Loi. Pour que le clivage puisse être reconnu, il faut un travail d'interprétation fait par le psychanalyste. Aux yeux de Lacan, l'avantage de Sade sur  Kant consisterait, en fait, à permettre la configuration exacte de l'opération qui permet la construction d'un tel principe d'identité.

 

Nous savons comment cette opération passe par l'identification du sujet avec l'objet de jouissance de l'Autre de la Loi. Ici, le meilleur exemple n'est autre que Dolmancé, l'agent sadien exécuteur du commandement de la Loi dans la Philosophie dans le boudoir. J'avais noté qu'il était le terme moyen entre le moi empirique de la victime et l'Autre de la Loi. Il exécute de façon apathique la Loi sans se laisser guider par aucun penchant empirique. Une apathie qui apparaît comme obéissance aux injonctions de ce représentant de l'Autre de la Loi qui est Madame de Saint-Ange: "Je m'oppose à cette effervescence. Dolmancé, soyes sage" dira lui, "l'écoulement de cette semence, en diminuant l'activité de vos esprits animaux, ralentirait la chaleur de vos dissertations"[84]. C'est-à-dire, il s'agit de nier l'effervescence du plaisir sensible lié au moi pour que la chaleur du pouvoir démonstratif de la Loi se fasse sentir.

Des considérations de cette nature ont permis à Lacan d'affirmer, à propos de Dolmancé, que: "sa présence à la limite se résume à n'en être plus que l'instrument"[85] de la jouissance de l'Autre. Lacan parlera aussi d'un "agent apparent [qui] se fige en la rigidité de l'objet"[86], d'un "fétiche noir" afin de caracteriser une telle position . L'apathie ici est négation radicale du désir encore attaché aux choix d'objet particuliers. Deleuze parlera très justement de l'apathie sadienne comme: "le plaisir de nier la nature en moi et hors de moi, et de nier le Moi lui-même"[87]. Le vrai bourreau sadien est donc celui qui a d'abord nié son moi pour devenir pur instrument de la Loi.

Ainsi, Dolmancé, le vrai sujet de l'expérience morale. est en vérité l'objet de la jouissance de l'Autre. Il s'est identifié avec l'objet, en passant par une destitution subjective afin de soutenir la consistance de cet Autre jouisseur qui est la Nature. Il faut souligner l'idée de 'destitution subjective' parce que quand Dolmancé parle, il croit que c'est la Loi qui parle en lui, cela grâce à la négation qui réduit son moi empirique au silence. Quand il agit et jouit, c'est la Loi qui agit et jouit à travers lui. En bref, il se pose comme un genre de particulier nié, un objet qui se nie afin de pouvoir incarner, de façon renversée, l'Universel de la Loi. Toute inadéquation et toute résistance qui pourrait se manifester dans la relation d'identification entre le sujet et la Loi devra être niée. Il n'a rien dans l'action qui échappe aux coordonnés d'une économie fantasmatique de la jouissance. Acte de coudre un principe d'immanence que nos explique comment le pervers peut être: "un singulier auxiliaire de Dieu"[88]. 

 

Est-il possible de juger l'acte?

 

Il n'y a rien de plus éloigné de cette immanence que la notion lacanienne de l'acte, travaillée par le psychanalyste principalement dans les séminaires sur La logique du fantasme et L'acte analytique. Et ce n'est pas par hasard qu'il dira que: "le sujet ne reconnaît jamais l'acte dans sa véritable portée inaugurale, même quand il est capable d'avoir cet acte commis"[89].

Il y a une opacité objective de l'acte, car le simple recours à la Loi (même s'il s'agit de la Loi de l'éthique du désir) ne nous permet pas d'appréhender ses effets et son produit. La facticité de la réalité sensible où se donne l'acte ne permet pas l'indexation à travers la Loi, un fait qu’Adorno aussi savait[90]. Nous pouvons donc compléter: "Le sujet ne reconnaît jamais le vrai acte dans le cadre de la Loi". Rappelons comment, après Kant avec Sade, le vrai acte, c'est-à-dire, celui qui nous amène à la voie de la jouissance féminine, de l'expérience du corps au-delà de l'image, de la sublimation, de l'expérience du Réel et de la pulsion se posera toujours comme excès à la Loi phallique et paternelle. C'est un acte au-delà de la reconnaissance intersubjective promise par la Loi, pour autant qu'il nous permet de traverser la Loi. Cet acte pose la nécessité, à la clinique, de penser des procédures nouvelles de subjectivation, au-delà de la symbolisation du désir faite par le Phallus et le Nom-du-Père.

            Cette opacité irréductible inscrite dans l'anatomie de l'acte sera foncière pour les déploiements de la clinique lacanienne. Nous savons que, à partir de Kant avec Sade, Lacan verra la psychanalyse moins comme une thérapeutique que comme une éthique avec des conséquences cliniques. Mais, dans le cas de Lacan, fonder une clinique de la subjectivité à partir de considérations d'ordre éthique n'est une opération possible que si l'on admet la possibilité de juger nos actions à partir de la Loi de l'éthique du désir: cette Loi que nous commande de ne pas céder sur le désir. Il s'agit donc de savoir s’il est posible d'évaluer nos actions à partir du jugement: "Avez-vous agi conformément au désir qui vous habite?"[91].

            Mais, qu'est-ce que signifie soutenir une relation de conformité entre le désir et l'acte, dans ce contexte? L'éthique du désir aurait-elle son fondement dans un principe régulateur d'identité et d'adéquation entre la Loi du désir et la dimension de la praxis de sujet? Rappelons que, si la Loi du désir trouve sa meilleure exposition dans la transcendantalité de la Loi phallique, pour autant que le Phallus est "présence réelle"[92] de la négativité du désir dans son rapport aux objets empiriques, alors notre question est au fond: comment indexer l'effectivité à travers un dispositif transcendantal de justification. Question kantienne, il nous semble. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est en ce point que la pensée de Lacan et la tradition de la dialectique hégelienne deviennent sécantes.

            Le problème lacanien de l'action faite en conformité à la Loi du désir nous amène à la problématique hégélienne du Mal et son pardon: figure majeure de la dernière partie de la Phénoménologie de l'Esprit. Ici, la conscience qui agi doit aussi répondre au commandement: "Avez vous agi conformément à la Loi qui est en vous?". Mais la réponse de la conscience agissante était nécessairement négative. Pour Hegel, en un certain sens, nous sommes toujours coupables dès que nous agissons et donnons une détermination particulière à la pure forme de la Loi: "Aucune action peut échapper à un tel jugement, car le devoir au nom du devoir, ce fin pur, est l'ineffectif"[93]. En ce sens, pour Hegel, la tentative d'indexer l'effectivité à travers un dispositif transcendantal de justification était impossible. On ne peut jamais agir en conformité à la Loi.

            Mais que dire d'une culpabilité qui obéit à ces coordonnés? Y-a-t-il un sens à culpabiliser le sujet de quelque chose qui est marqué par l'impossible? Notons comment nous sommes près d'une problématique lacanienne, pour autant que nous pouvons aussi demander quel sens il y a à  juger l'action à partir d'une conformité entre acte et Loi du désir qui est impossible, sauf dans la perversion ou grâce à un retour de l'immédiat de la certitude subjective. Devons-nous abandonner le commandement de ne pas céder sur son désir? 

Dans ce contexte, le recours à Hegel est extrêmement utile pour comprendre l'éthique du désir sans tomber dans une impasse. Car, dans ces deux cas, le jugement éthique est composé d'un double mouvement qui montre comment le sujet doit assumer la Loi et la surmonter, en posant un acte au-delà de la Loi.

Revenons à ce moment dans la Phénoménologie de l'Esprit où la conscience agissante: "se confesse ouvertement à l'autre [en fait, c'est à l'Autre de la Loi], et attend de son côté que l'autre, comme il s'est en fait mis sur le même plan qu'elle, répète aussi son discours, et exprime dans ce discours son égalité avec elle"[94]. Cette confession (Geständnis) de la conscience est un mode de construction d'une reconciliation possible avec l'effectivité. Il y a deux mouvements ici, un double mouvement qui permet la résolution de l'impasse. D'abord, se confesser signifie être "particularité abolie" et reconnaître la Loi dans son coeur. C'est grâce à la confession  que le sujet peut rompre avec toute immediateté envers l'action et poser un principe de transcendance que lui permet de se reconnaître comme sujet de la Loi. Il reconnaît que son action a été mauvaise et, dans ce mouvement, il pose sa différence envers l'action.

Mais demander que la Loi répète elle aussi le discours de la confession c'est un mouvement tout à fait différent de la simple reconnaissance de la non-identité entre Loi et l'action. En fait, la conscience agissante veut que la Loi reconnaisse la rationalité de la non-conformation de l'acte au cadre transcendantal de justification, ce qui nous amène à la voie de la reconnaissance de l'opacité radicale de l'acte (opacité car il y a un 'reste pathologique' présent dans l'acte qui n'est plus signe d'un attachement à l'immédiat). En ce sens, il est possible de dire que, pour Hegel, le vrai acte franchit toujours le cadre transcendantal de signification déterminé par la Loi. et si les "blessures de l'esprit se guérissent sans laisser des cicatrices"[95], c'est parce qu'il n'y a rien de plus conforme à la Loi hégélienne que la reconnaissance du besoin de, d'une certaine façon, trahir la Loi. Nous pourrions même dire, avec Lacan, que tout acte doit comporter un ratage par raport à la Loi, ce que nous explique pourquoi:: "l'acte ne reussit jamais si bien qu'à rater"[96]. Car pour ne pas pervertir la Loi, il faut savoir traverser la Loi.

Nous pouvons comprendre cette anatomie de l'acte lacanien à travers son commentaire à propos de Sygne de Coûfontaine: le personnage central  de L'Otage, de Paul Claudel. Il y aurait beaucoup à dire à propos de cette pièce et de ses impasses éthiques. Mais soulignons seulement comment la tragédie de Sygne suit, à sa façon,  cette mise en intelligibilité du problème de l'acte moral lacanien.

L'histoire de Claudel rassemble tous les éléments d'un choix de quelqu'un qui a traversé la Loi. Afin de sauver le Pape qui risque d’être livré à ses ennemis, la très catholique Sygne doit accepter un chantage en se mariant avec celui qui a exterminé sa famille et en annulant un pacte d'amour qui l'unissait à son cousin, puisque sa foi marque le mariage avec le sceau de l'adhésion au devoir d'amour.

Lacan souligne que céder à un tel chantage signifie renoncer à son attachement à cette Loi paternelle de la famille où elle a engagé toutes ses forces, à quoi elle a lié tout sa vie, et qui était déjà marqué du signe du sacrifice. Ce que l’amène à affirmer: "Lá où l'héroïne antique [Lacan pense à Antigone] est identique à son destin, Até, à cette loi pour elle divine qui la porte dans l'épreuve, - c'est contre sa volonté , contre tout ce qui la détermine, non pas dans sa vie, mais dans son être, que, par un acte de liberté, l'autre héroïne [Sygne] va contre tout ce qui tien à son être jusqu'en ses plus intimes racines"[97]      

Mais si la pièce terminait sur ce point, nous aurions une simple soumission du sujet à la Loi transcendantale de la foi qui relativise la centralité de la Loi paternelle. Sygne nie son attachement à tout objet pathologique, à son sang et à la terre. Mais cela pourrait être compris comme une hypostase de la Loi qui l’amène vers une éthique du sacrifice afin de, au fond, préserver la consistance fantasmatique de la place de la Cause. N'oublions pas quelle est la justification donnée par Sygne pour mettre en évidence la rationalité de son action: "Je sauve le Père des hommes"[98], même si, au fond, elle sait que ce père est un père humilié et, donc, impossible d'être sauvé. Une affirmation qui montre encore l'attachement de son désir à la Loi. En ce moment, la foi de Sygne envers la Cause est l'objet petit a qui supplée le manque, la non-consistance de la Cause et de ses commandements[99].  

            Le vrai acte de Sygne peut être conçu comme une négation de cette négation produite par la Loi. Il est fait au moment de sa mort, lorsqu'elle dit "non" et refuse de pardonner à son mari et de renouveler le devoir de l'amour. Ici, il y a un retour au sensible contre le primat de la Loi. Elle sait que ce "non" représente une rupture de son engagement envers la Loi et la défense d'un choix pathologique d'objet, même s'il est fondé sur la haine, plutôt que sur l'amour. En ce sens, Sygne fait un acte moral qui n'est supporté par aucune Loi, un acte qui ne peut pas être reconnu à l'intérieur d'un champ intersubjectif. À travers la première négation, elle est allée au-delà de toute immanence et immédiateté possible de son désir à des objets pathologiques; mais il restait une immanence entre le sujet et la forme de la Loi. Ici, le vrai acte consiste à rompre avec cette immanence à travers le retour au pathologique. Mais notons qu’il s'agit d'un pathologique qui n'est supporté par aucun cadre transcendantal capable de lui donner du sens, ni par aucun attachement fantasmatique (puisque tout immédiat a été effacé par le primat de la Loi posé par la première négation). En ce sens, il s'agit d'un pathologique qui se présente comme opacité radicale: le même statut du pathologique reconnu par la Loi chez Hegel. Tel que chez Hegel, le "non" fait par Sygne en face du prêtre qui va lui rendre l'extrême-onction est demande de reconnaissance de l'irréductibilité du sensible. Mais, ici aussi la Loi reste muette.

 

 

Vladimir Pinheiro Safatle



[1] ADORNO, Dialectique négative, Payot: Paris, 2001, p. 255

[2] LACAN, Ecrits, Seuil: Paris, 1966, p. 279

[3] LACAN, Séminaire VIII: Le transfert, Seuil: Paris, 2001, p. 21

[4] Voir, par exemple, comment le concept de parole pleine  revient dans LACAN, Séminaire XVIII: D'un discours qui ne serait pas du semblant, séance du 10/03/71, non-publié.

[5] Comme on peut voir dans l'affirmation:"la place pure de l'analyste, en tant que nous pourrons la définir dans et par le fantasme, serait la place du désirant pur" (LACAN, Séminaire VIII, Op. cit. p. 432). C'est vrai que Lacan dira plus tard: "Le désir de l'analyste n'est pas un désir pur" (LACAN, Séminaire XI: Les quatres concepts fundamentaux de la psychanalyse, Seuil: Paris, 1973, p. 244). Mais ce changement de direction dans la direction de la clinique doit être compris comme résultat de la critique lacanienne à Kant, plus précisement, comme le résultat de l'affirmation lacanienne de la Loi morale kantienne comme le désir à l’état pur..

[6] LACAN, Séminaire II: Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de l'analyse, Seuil: Paris, 1978, p. 261

[7] LACAN, Séminaire VII: L'éthique de la psychanalyse, Seuil: Paris, 1986, p. 117

[8] LACAN, Séminaire VIII, Op. cit., p. 102. Nous pouvons demander pourquoi, au lieu de parler d'un 'permanence transcendantale' du désir, Lacan n'a pas parlé tout simplement d'une transcendance du désir, tel quel Kojève. Lacan serait-il en train de confondre transcendantalité et transcendance? Soulignons comme il y a une certaine duplicité dans la détermination de la structure du désir. D'une part, le désir pur transcende toute possibilité de réalisation phénoménale, puisqu'il est dépourvu d'objet empirique et se manifeste comme pure négativité. Mais, d'autre part, Lacan ne s'engage pas dans une 'genèse empirique' de la négativité du désir. D'où s'en suit la possibilité de parler aussi bien d'une structure transcandental du désir lacanien que de sa transcendance.. 

[9] LACAN, Séminaire II, Op. cit., p. 261.

[10] FREUD, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard: Paris, 1987 p. 173

[11] SARTRE, Jean-Paul, L’être et le néant, Gallimard: Paris, 1943, p. 61

[12] Voir, par exemple, GUYOMARD, Patrick, La jouissance du tragique, Flammarion: Paris, 1998

[13] Selon la formule lacanienne: "C’est l’ordre même dans lequel un amour idéal peut s’épanouir – l’institution du manque dans la relation de l’objet". (LACAN, Séminaire IV: Les relations d'objet, Seuil: Paris, 1994, p. 157)

[14] LACAN, Séminaire II, Op. cit., p. 213

[15] ibidem, p. 285

[16] Il suffit  de suivre Lévi-Strauss dans son affirmation que la résolution du problème de la communication entre les sujet passe par “l’appréhension (qui ne peut être qu’objective) des formes inconscients de l’activité de l’esprit”, puisque l'opposition entre moi et autrui pourrait nous amener à l' incomunicabilité si elle ne pouvait: “être surmontée sur un terrain, qui est aussi un terrain où l’objectif et le subjectif se rencontrent, nous voulons dire l’inconscient [en tant que système symbolique des lois]”(LÉVI-STRAUSS, Claude, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss in MAUSS, Sociologie et antropologie, PUF: Paris, 1991 p. XXXI)

[17] Il est vrai qu'il s'agit ici d'une intersubjectivité étrange parce que non-réciproque. La Loi symbolique détermine le sujet sans s'ouvrir à la possibilité d'un mouvement inversé. Mais est-il possible de continuer à parler d'intersubjectivité lorsque les relations réciproques disparaissent? Au fond, Lacan croyait que oui à cause de la possibilité de la reconnaissance du sujet comme sujet de la Loi

[18] LACAN, E., p. 852. Souvenons-nous, par exemple, de l'affirmation de Lacan: "La vraie fonction du père est d'unir, et non pas d'opposer, un désir à la loi" (LACAN, Ecrits, Op. cit.. p 832)

[19] ibidem, p. 827

[20]LACAN.; Séminaire III: Les psychoses, Seuil: Paris, 1981, p. 188

[21] Une question bien soulevé par Borch-Jacobsen: « Quelle est le sens de retablir la Loi, tel que Lacan essaye le faire, à travers son identification à la Loi du symbole et du langage? Ne serait-il mieux d'admettre qu'elle a été définitivement effacée? » (BORCH-JACOBSEN, Mikkel, The Oedipus Problem in Freud and Lacan in PETTIGREW et RAFFOUL, Disseminating Lacan, SUNY: New York, 1996, p. 312)..

[22] KANT, Critique de la raison pratique, PUF: Paris, 2000, p. 24

[23] KANT, Fondation de la métaphysique des moeurs, Flammarion: Paris, 1994, p. 129

[24] KANT, Métaphysique des moeurs - II, Flammarion: Paris, 1994, p. 244

[25] FREUD, Die ökonomische Problem des Masochismus in Gesammelte Werke XIII,Fischer Taschenbuch: Frankfurt, 1999, p.380. Cette affirmation perd un peu de son caractère suprennant si l'on accepte, comme David-Ménard, que: "la construction du concept d'universalité, chez Kant en tout cas, mais aussi chez beaucoup d'autres  penseurs, est solidaire de sa liaison à une anthropologie des désirs et à une analyse très particulière et plutôt masculine - de l'expérience coupable". (DAVID-MÉÉNARD, Les contructions de l'universel, PUF: Paris, 1997, p. 2).

[26] KANT, Fondation de la métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 114

[27] Si Lacan ne parle pas beaucoup de la thématique du règne des fins c'est surtout parce qu'il étudie la Critique de la raison pratique et laisse un peu de côté la Fondation de la métaphysique des moeurs, où ce sujet se trouve plus développé.

[28] LACAN, Ecrits, Op. cit., p. 227

[29] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 192

[30] Comme le souligne Rajchman: "Si donc Freud repartait ainsi 'du pas antique' de l'éthique, c'était pour réintroduire le problème de l'éros dans nos vies: la question du savoir éthique, du comment parler vrai de sa vie ou tenir dessus un logos vrai, devenait un problème érotique" (RAJCHMAN, Erotique de la vérité, PUF: Paris, 1994, p. 44)

[31] Une idée bien développé par DAVID-MÉNARD, Monique; La construction de l'Universel, Op. cit..

[32] KANT, Fondation de la métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 125

[33] KANT, Critique de la raison pratique, Op. cit., p. 20

[34] KANT, Métaphysique des moeurs - II, Op. cit., p. 215

[35] ibidem, p. 241

[36] KANT, Critique de la raison pratique, Op. cit., p. 62

[37] KANT, Fondation de la métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 117

[38] "Wohl ou Uebel  ne désignent jamais qu'un rapport à ce qui dans notre état est agréable ou désagréable. (...) Gute et Böse indiquent toujours une relation à la volonté, en tant qu'elle est déterminée par la loi de la raison à faire de quelque chose son objet" (KANT, Critique de la raison pratique, Op. cit., p. 62). Lacan a bien noté que: "la recherche du bien serait donc un impasse, s'il ne renaissait das Gute, le bien qui est l'objet de la loi morale" (LACAN, Ecrits, Op. cit., p. 766)   

[39] KANT, Critique de la raison pratique, Op. cit., p. 62

[40] LACAN, Ecrits, Op. cit., p. 770.

[41] KANT, Metaphysique des moeurs - II, Op. cit.. p. 231

[42] LACAN, Séminaire XI, Op. cit., p. 247, ou encore: « La Loi morale ne représente-t-elle pas le désir dans le cas où ce n’est plus le sujet, mais l’objet qui fait défaut ?» (LACAN, Ecrits,Op. cit., p. 780)

[43] KANT, Critique de la raison pratique, Op. cit., p. 60

[44] Cf. ADORNO, Dialectique Négative, Op. cit., p. 322. Je n'oublie pas que pour soutenir cette reconciliation possible, Kant met en scène les Idées regulatrices d'immortalité de l'Âme, de l'existence de Dieu et de la liberté.

[45] KANT, Métaphysique des moeurs II, Op. cit., p. 364

[46] Cf. LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 364

[47] Voir, par exemple, Au-delà du principe de réalité in LACAN, Ecrits, Op. cit.

[48] FREUD, La naissance de la psychanalyse, PUF: Paris 1996, p. 348

[49] ibidem

[50] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 64

[51] ibidem, p. 87

[52] Rapellons comment Freud joue avec l'ambivalence du terme heimlich: "ce terme de heimlich n'est pas univoque, mais il appartient à deux ensemble de représentations qui, sans être opposés, n'en sont pas moins fortement étrangers, celui du familier, du confortable, et celui du caché, du dissimulé (...) Heimlich est donc un mot dont la signification évolue en direction d'une ambivalence jusqu'à ce qu'il finisse par coincider avec son contraire Unheimlich" (FREUD, Das Unheimliche in Gesammelte Werke XII, Fischer Taschenbuch: Frankfurt, 1999, pp. 235-237)

[53] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 142

[54] Soulignons que, dans le séminaire VII, Lacan n'a pas encore établie une distinction entre désir et pulsion. Cela lui permettra de definir das Ding aussi bien comme: "le lieu des Triebe" (ibidem, p. 131) que comme ce qui se révèle dans le rapport dialectique du désir et de la Loi (cf. idem, p. 101).

[55] "Cette analyse d'un complexe perceptif a été qualifiée de reconnaissance (erkennen), implique un jugement et s'achève avec ce dernier" (FREUD, La naissance de la psychanalyse, Op. cit., p. 349)

[56] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 68

[57] LACAN, Séminaire VIII, Op. cit., p. 315

[58] Suivons Zupancic et affirmons que: "Dans ce contexte, l'éthique du désir est presentée comme un 'héroisme du manque', comme l'attitude à travers laquelle, au nom du manque de l'objet Vrai,  nous rejetons tout objet et nous nous satisfaisons avec aucun" (ZUPANCIC, Ethics of the real, Verso: London, 2001, p. 240). Mais il faut peut-être corriger la proposition et affirmer que le sujet n'agit pas exactement au nom du manque de l'objet, mais au nom de l'objet comme manque, comme objet transcendental qui ne se manifeste que comme manque d'une adéquation à l'empirie.

[59] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 101

[60] LaCAN, Séminaire X: L'angoisse, séance du 16/01/63, non-publié

[61] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 101

[62] KANT, Fondation de la métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 143.

[63] ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique des lumières, Gallimard: Paris, 1974, p. 104

[64] LACAN, Séminaire X, séance du 27/02/61, non-publié

[65] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 96

[66] BLANCHOT, Lautréamont et Sade, Minuit: Paris, 1949, p. 36 

[67] SADE, La philosophie dans le boudoir, Gallimard: Paris, 1970, p, 172

[68] ibidem, p. 83

[69] idem, p. 227.

[70] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 237

[71] LACAN, Ecrits, Op. cit., p. 770

[72] ibidem, p. 771

[73] C'est une intuition fort intéressante présente in BAAS, Le désir pur, Peteers: Louvain, 1992, p. 40

[74] LACAN, Ecrits, Op. Cit., p. 778

[75] KANT, Métaphysique des moeurs - II, Op. cit., p. 296

[76] KANT, Critique de la raion pratique, Op. cit., p. 37

[77] ibidem, p. 65,

[78] Cf. ADORNO, Dialectique négative, Op. cit., p. 218

[79] SADE, Op. cit., p. 199

[80] DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, Minuit: Paris, 1967, p. 22

[81] SADE, Op. cit., p. 157

[82] ibidem, p. 157

[83] A propos de cette double nature chez Sade, voir BLANCHOT, Lautréamont et Sade, Op. cit.

[84] SADE, Op. cit., p. 97

[85] LACAN, Ecrits, Op. cit., p. 773

[86] ibidem, p. 774

[87] DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, Op. cit. p. 27

[88] LACAN, Séminaire XVI:D'un Autre à l'autre, séance du 26/03/69, non-publié

[89] LACAN, Séminaire XIV: La logique du fantasme,  séance du 22/02/67, non-pulbié

[90] Car: "ce qu'il y a de désesperant dans le blocage de la pratique qu'on attendrait, procure paradoxalement un temps pour la pensée; ne pas utiliser ce temps serait, sur le plan de la pratique, un crime. Ironie des choses: la pensée profite aujourd'hui de ce que l'on n'ait pas le droit d'absolutiser son concept" (ADORNO, Dialectique négative, op. cit., p. 237).

[91] LACAN, Séminaire VII, Op. cit., p. 362

[92] LACAN, Séminaire VIII, Op. cit., p. 294

[93] HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, Aubier: Paris, 1941, p. 195

[94] ibidem,  p. 197

[95] idem, p. 199

[96] LACAN, Autres Ecrits. Seuil: Paris, 2001, p. 265

[97] idem, Séminaire VIII, p. 323

[98] CLAUDEL, L'otage, Gallimard: Paris, 1972, p. 123

[99] Ce que nous explique l'impasse de suivre l'idée lacanienne selon laquelle: "À l'héroine de la tragédie moderne il est demandé d'assumer comme une jouissance l'injustice même qui lui fait horreur" (LACAN, Séminaire VIII, Op. cit., p. 359). La moralité de cette idée est aisement renversée car rien nous empêche d'opérer une inversion perverse et d'affirmer, par exemple, que cela serait la réalisation même du fantasme sadique. Tout ce qu'on demande a Justine, pour rester à la victime par excellence, c'est l'angoisse de jouir de ce que lui fait horreur.

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