ANNALES

DE

CHIMIE ET DE PHYSIQUE


§ VII. --Accord de l'orgue par les battements et le métronome, pour le cas du diapason normal.

Bien que la méthode d'accorder par unisson, d'après des fourchettes données, soit beaucoup plus exaxt que la méthode usitée, cependant la méthode d'accorder par des fourchettes auxiliaires respecitvement plus basses que les sons vrais, d'un nombre de battiments connu, est incomparablement plus exacte ; car, par celle-ci, on obtient toujours mathématiquement la même échelle quand les fourchettes sont correctement graduées ; et quand elles ne le sont pas, les mêmes principes servent à les corriger.

Il suffit même d'avoir six fourchettes qui son-
nent les tons
siut#ré#fasolla
dont il est très-utile cependant d'avoir
aussi les octaves ; quant aux six autres
tons, faisant quinte des deux côtés, sa-
voir
fa#sol#sibutmi
on les intercale ensuite facilement entre les premiers.

On le voit, l'idée fondamentale de Scheibler est celle-ci : que l'oeil, discernant de simples mouvements du pendule, conduit à des résultats d'une justesse que l'oreille la plus délicate n'obtiendrait jamais par la simple sensations de l'unisson ou d'une consonnance quelconque. D'où il résulte qu'avec l'oreille la plus fausse on peut néanmoins parvenir, dans l'accord des instruments, à un degré de précision incomparablement supérieur aux résultats les plus exacts que l'on ait pu obtenier par les méthodes usitées jusqu'ici. Et en effet, on a vu des musiciens très-exercés ne pouvir reconnaître aucune différencee entre deux sons rendus par des fourchettes d'acier, et les accepter en conséquence comme donnnant un unisson parfait, tandis que Scheibler, au moyen des battements , prouvait qu'il y avait une différence entre les sons donnés, évaluait cette différence en vibrations et fractions de vibrations, et la faisant disparaître à volonté. Mais laissons l'auteur parler lui-même :

«Personne, dit-il, n'a encore réussi à accorder à l'unisson parfait 12 cordes de harpe éolienne, en accordant la deuxième sur la première, la troisième su la deuxième, et ainsi de suite jusqu'à la douzième d'après l'onzième (1). Et cependant il est bien autrement difficile de tempérer un ton (en l'accordant par consonnance avec un autre) que de l'accorder à l'unisson.»

(1) Ce début ressemble d'une manière remarquable à celui du Traité du Canon harmonique de Bacchius l'Ancien (voyez les Notices et estraits des manuscrits, etc., tome XVI, 2e partie, page 66).

«Dans ma méthode, continue-t-il, rien n'est confié à l'oreille musicale ; c'est l'oeil qui compare les mouvements du pendule avec les battements que l'on compte, et il faudrait être négligent au delà de toute expression, pour que, muni d;un bon métronome, on se tromp'at d'un huitième à un quart de vibration sur quelques demitons ; et encore cela n'influerait-il en rien sur les autres tons de l'échelle, qui tous dérivent directement du LA. D'ailleurs même, un ton auxiliaire est bien plus sûr qu'un unisson (1) ; et pour avoir un la vérifié, je le fais sur un auxiliare avec lequel il doit faire des battements en nombre donné. Je ne regarde donc pas les tons auxiliares comme des déductions. --Pour faire un diapason quelconque, dit-il ailleurs, il faut le faire d'après les battements si l'on veut qu'il soit exact.»

«Aussi M. Spohr, maître de chapelle de l'électeur du Hesse-Cassel, non moins célèbre comme virtuose sur le violon, que comme compositeur, après avoir examiné très-scupuleusement un forté-piano et un des orgues d'église de cette ville, tempérés d'après mes procédés, a trouvé ce tempérament si juste, qu'il a craint que l'on ne voulût plus entendre de musique d'orchestre, si l'on avait souvent occasion d'entedre de la musique exécutée sur des instruments accordés avec une telle précision.

»La méthode d'acccorder par les battement, outre son exactitude, présent encore cet avantage, qu'en tout temps on peut faire une révision sur des données positives et corriger les différences survenues, sans toucher aux tons qui n'ont point changé.

(1) Dans la méthode ordinaire, l'octave est plus difficile à accorder que l'unisson, la quinte que l'octave, la quarte que la quinte, etc. Ici, c'est tout le contraire. En effet, tandis qu'une pulsation d'erreur produit 1 seul battement sur l'unisson, elle en produit, par exemple 4 sur un tierce majeure à l'aigu, et 5 sur une tierce majeure en grave ; et ainsi des autres consonnances.

»Pour accorder l'orgue, les tons auxiliaires fa et la suffiraient à la rigueur ; mais, pour les commençants, il est bon d'employer aussi un mi et un si auxiliaire.»

Tout ceci étant bien établi, il est bon encore, avant d'entreprendre la question de l'accorde de l'orgue pour le tempérament égal, de commencer, pour nous familiariser avec l'emploi de la formule du § IV,

x = (B - (m/n)A) (n/2) (60/N),

devoir comment il faudrait s'y prendre pour opérer l'accord conformément aux rapports exacts des consonnances, ou, en d'autres termes, suivant la gamme géométrique juste.

Supposons, commme nouse venons de le dire, que l'on ait établi quatre tuyaux auxiliaires, mi1, la1, fa2, sib1 pour servir de base aux différentes opérations.

Dans la déterminations de ces quatre tuyaux, c'est B qui est l'inconnue ; X est le numéro du métronome : on se le donne à priori arbitrairement, quoique dans certainses limites ; et si l'on veut avoir B, on le détermine par la formule

B = (m/n)A + X ((n/2) (60/N))

ou, en faisant constamment N = 4,

B = (m/n)A + (12X / 15n)

Ainsi, en accordant les notes mi1, la1, fa2, sur le LA supposé de 880 vibrations, et faisant pour le

mi1 x =-40,
la1-20,
fa1-60,

(le signe - indiquant qu'il faut baisser le tuyau auxiliaire au-dessous de sa valeur consonnante), on aura, pour le

mi1 m = 3, n = 4, A = 880, d'où B = (3/4) 880 - (2.40/15.4) = 658 2/3,
la1, m = 1, n = 2, B = (1/2) 880 - (2.20/15.2) = 438 2/3
fa2, m =2, n =5 B - (2/5)880 - (260/15.5) = 350 2/5

Pour le sib, on l'accorde sur le 1, qui vaut, comme quarte aiguë du la1, 586 2.3 vibrations, en lui faisant faire avec ce la1, 4 battements au n° 50, en moins ; ce qui donne

A = 586 2/3, m =4, n =5, N = 4, X = -50,

d'où

B= (4/5) 586 2/3 - (2.50/15.5) = 468.

Mais, comme il est facile de le voir, les valeurs de A et de B sont inutiles à connaître, et l'opération est indépandante du diapason. En effet, lest quatre tuyaux auxiliaires étant déjà eux-mêmes fixés par les battements, pour accorder les tons définitifs, il faut reprendre la formule sous la forme

X = (B - (m/n) A) (n/2) (60/N),

et observer qu'en apellant J le tuyau juste correspondant au tutau auxiliaire sur lequel il doit être accordé, et qui est ici représenté par A, on a

B = (m/n) J,

d'où, simplement,

X = (J - A) (15 m /2)

Mais (J -A ) est connu d'après le nombre de battements sur lequel on accorde A, et cela indépendamment de A et de J, en même du diapason : car cette différence est représentée par le terme (2X/15n) de la formule précédente, appliquée au tuyau auxiliaire. Désignons par (2X/15n) cette valeur spéciale du terme, et nous aurons

X = (X1/n') m.

De là nous pouvons former le tableau suivant, applicable à tous les diapasons. ( le tableau n° VII.) Ce tableau peut aussi se vérifier d'après la formule du § V, quatrième question, savoir

n β B - mγ B' = 0.

Par exemple, pour l'accorde du sol#, d'après mi1, on a

m = 16, β= 4, p = 12, γ = 3, n = 15;
B = X1 = 4-, B' = X = 50 ;
40 * 4 : 16 = 50 * 3:15.

(On pourrait aussi se servir de cette même formule pour déterminer B' = (n β/m γ)B.)

Passons maintenant à la question de l'accord dans le cas de la gamme tempérée ; en supposant le LA ou diapason doneé, de 880 vibrations par exemple, ou de 440 pulsations, ou enfin, pour parler comme l'auteur, de 6600 degrés, ce LA étant considéré comme diapason normal.

Pour cela, il faut recourir aux tableaux nos IV, V et VI, dont nous avons déjà expliqué la compositions au § IV, sixième question, remarques deuxième, troisième et quatrième.

Seulement, nous devons mentionner ici les additions que nous avons faites aux deux derniers tableaux, des nombres de vibrations qu'il faut attribuer aux quatre tons auxiliaires, ainsi que leurs différeneces avec les tons calculés justes d'après les consonnances, différences qui doivent être, pour chaque note, indépendantes du diapason. Au reste, la simple vue des tableaux explique suffisamment cette addition, ainsi que quelques autres qu'ils contiennent encore.

Maintenant, avec ces données, voici la manière d'opérer. Supposons qu'il s'agisse d'accorder su le LA = 880, le mi, au-dessous (tableau n° VIII, troisième opération). Le mi1 juste aurait 880 * (3/4) = 660 vibrations ; tempéré, on n'en a que 659,255 ; différence : 0,745. Comme ce sont des vibrations et non des pulsations, et qu'il s'agit de la corde grave de la quarte, il faut multiplier par 2, ce qui donne 1,49 au n° 60, que l'on réduit à 1 battement au n° 89,40 (ou 2 battements au n°44,70) en multipliant 1,49 par 60.

Il faut d'ailleurs savoir que ce battement doit s'obtenier en baissant la corde, parce que la quarte tempérée est plus étendue que la quarte juste.

A ce propos, ils n'est pas inutile de rappeler ici que les altérations dont on affecte les intervalles géométriques provoquent les mêmes battements, soit qu'elles auent lieu en plus ou en moins ; et il fait toujours savoir d'avance dans quel sens on doit opérer, ce que d'ailleurs les tableaux indiquent par les signes + et -.

Mais il s'en faut que l'opérations à exécuter soit toujours aussi simple que la précédente : il arrive le plus souvent que la note à accorder ne fait, avec le LA, de battements comptables à aucun des numéros du pendule.

Dans cette hypothèse, il faut accorder, sur le diapason, un son auxiliaire qui fasse avec lui de battements comptables à un certain degré du pendule, et qui, par réciprocité, puisse conduire de même, par de battements comptables, aux divers sons de l'échelle tempérée qu'il s'agit d'établire: Voici, dès lors, la règle à suivre.

Conformément à la méthode exposée au § V, soient A le nombre de vibrations du tuyau fondamental ; (m/n) le rapport du la consonnance juste qui correspondrait au son qu'il s'agit d'accorder avec le premier, sauf le tempérament ; B le nombre de vibrations du second son, conforme au tempérament, ou bien le nombre de vibrations calculées s'il s'agit d'un tuyau auxiliaire ; N le nombre de battements (de 1 à 4) le plus facile à compter, tout en donnant un quotient (60/N) qui ne sorte pas des limites du métronome ; enfin, soit X le numéro du métronome : on aura

X = (B - (m/n)A) (n/2)(60/N).

Ici, il faut bien faire attention au signe de la différence (B - (m/n)A) afin de faire descendre ou monter le tuyau B suivant que cette différence sera positive ou négative, mais après avoir commencé par l'accorder juste : cette observation est très-importatante pour la pratique, si l'on ne veut s'exposer à se tromper.

Au moyen de cette formule, en suivant la marche indiquée au tableau n° VIII, la partition de l'orgue comprend dix-sept opérations scccessives qui, toutes, se réduisent à amener un tuyau B à faire, avec un tuyau A, N battements pendant une oscillation du métronome monté au n° X.

Tableau n° VIII. - Partition de l'accord de l'orgue pour le cas du diapason normal de 880 vibrations par seconde.
NUMÉRO D'ORDRE.SON NOM.SA NATURE.NOMBRE
de vibrations du
tuyau
fondamental.
NATURE
de
la consonnance.
montant
ou descandant.
VALEUR
du rapport
SON NOM.NATURE DU TUYAU
à accorder.
NATURE
de la relation.
NOMBRE
de vibrations dela consonance
exacte.
NOMBRE
de vibrations du
tuyau
à accorder.
ALTÉRATION
de
la consonnance.
COEFFICIENT
de la consonn.
BATTEMENTSDEGRE'S
du métronome.
1laDiapason880.000Quarte.D1/4miAC660.000660.900+0.9004+254.00
2miAuxiliare660.900Quarte.D3/4siTF495.675493.884-1.7914-453.73
3laDiapason880.000Quarte.D3/4miTP660.000659.255-0.7454-189.40
4""880.000Octave.D1/2laAC440.000442.667+2.6672+280.00
5laAuxiliare442.667Tierce maj.M3/4ut#TF553.333554.365+1.0324261.92
6""442.667Quarte.M4/3TF590.222587.329-2.8933-465.09
7""442.667Sixte maj.M5/3fa#TF737.778739.989+2.2113+366.33
8Tempéré.587.329Quarte.M4/3solTP783.105783.991+0.8863+179.74
9laAuxiliare442.667Dixe maj.M5/2ut#TF106.6671108.731+2.0642+261.92
10ut#1Tempéré.1108.731Quarte.D3/4sol#TP831.548830.609-0.9394-256.34
11laDiapason880.000Dixe maj.D2/5fa#AC352.000350.933-1.0675-280.00
12faAuxiliare350.933Quarte.M4/3sibAC467.911465.244-2.6763-460.00
13sibAuxiliare465.244Quarte.M4/3mibTF620.326622.253+1.9273+357.81
14faAuxiliare350.933Quarte.M4/3sibTF467.911466.164-1.7473-278.61
15""350.933Quinte.M3/2ut#TF526.400523.251-3.1492-362.98
16""350.933Octave.M2/1fa#TF701.867698.456-3.4111-251.16
17""350.933Tierce maj.M5/4laTC438.667440.000+1.3334+280.00
ABBRÉVIATIONS. -D. descandant ; M, montant. - A, auxiliare ; T, tempéré. - C, constant ; P, proportionnel au diapason ; F, conforme à la formule générale.
NOTA. - Les tuyaux auxiliares sont indiqués par des notes noires ; les notes accordées définitivement sont désignées par un point au centre.

Les sons résultants et les battements sont d'un grand secours lorsqu'il s'agit d'accorder des tuyaux dorgues, des diapasons, etc. ; ils indiquent avec une très-grande précision la différence dfe hauteur de deux notes. M. Koenig a pu ainsi accorder encore un ut9 de 32,000 vibrations et un 9 de 36,000 par leur son différentiel, qui est l'ut6 de 4,000 vibrations.

C'est un manufacturier en soieries de Créfeld, Henri Scheibler, qui a surtout contribué à vulgariser l'emploie des battements comme moyen d'accorder les instruments de musique. Cet homme, qui s'était épris d'une belle passion pour l'acoustique, ne consacra pas moins de vingt-cinq ans à perfectionner sa méthode. Il construisit, avec une peine inouïe , vu l'état de la science à cette époque, une rérie de 56 diapasons échelonnés du la de 440 au la de 880, embrassant par conséquent un octave entière par degrés de 8 vibrations simples. Cette série de diapasons formait ce qu'il appelair un tonomètre. Pris deux à deux, dans l'ordre où ils se succèdent, ils donnent toujours 4 battements par seconde, qu'il est facile de compter avec le secours d'une montre. On les accorde ainsi par différences, et quand on arrive au dernier, il fait qu'il soit exactement à l'octave du premier. Si ce résultat a été atteint, on est sûr que le premier fait 440, le dernier 880 vibrations par seconde, car les battements prouvent qu'ils diffèrent de 440, et on sair, d'un autre côté, qu'ils sont entre eux comme 1:2. On comprend que ces 56 diapasons , dont les notes sont parfaitement déterminées, permettent d'accorder, avec une précision mathématique, une note quelconque comprise entre les limites de leur octave : on n'a qu'à compter les battements que cette note donne avec le diapason dont elle se rapproche le plus. Si la note est dans une autre octave, on la détermine par procuration, au moyen d'un diapason supplémentaire qui forme avec elle une octave juste.

Scheibler publia sa méthode en 1834. Il vint aussi à Paris pour y fair la propagande du tonomètre, mais la difficulté de le construire effraya les facteurs, M. Wölfel seul eut la patience de s'en contruire un pour miex accorder ses pianos. Aujourd'hui, grâce au progrès de la science, cette précieuse méthode est à la portée de tout le monde. M. Koenig contruit courammment des tonomètres de 65 diapasons qui embrassent l'octave moyenne du pianos (de 512 à 1024 vibrations simples). Il est même allé plus loin : il a rempli de la même manière toute l'échelle des sons perceptibles. Dans les octaves basses, on abrége en se servant de grands diapasons, munis de poids mobiles que l'on fait glisser ser les branches ; suivant la position des poids, le diapason donne des notes différentes. Dans les octaves très-élevées, M. Koenig remplace les diapasons par des tiges droites. Le tonomètre qu'il à exposé en 1867 se compose : 1° de huit grands diapasons pour les quatre octaves comprises entre l'ut de 32 et celui de 512 vibrations simples ; chacun de ces diapasons peut donner 32 notes, de sorte qu'ils représentent ensemble une échelle de 256 notes ; 2° l'octave moyenne(512-1024) est représentée par 64, l'octave suivant par 86, celle qui suit (2048-4096) par 172 diapasons, ce qui fait un total de 330 fourchettes d'acier ; 3° à partir de l'ut6 de 4096 vibrations, M. Koenig emploie des tiges d'acier, dont la longueur est inversement proportionnelle à la hauteur de leur son longitudinal ; 96 tiges représentent ainsi les quatre octaves depuis ut6 jusqu'à ut10 (64,000). La dernière octave est déja presque en dehords des limites des sons perceptibles ; peu de personnes entendent encore le sol9 d'environ 48,000 vibrations, que M. Koenig obtient par les vibrations transversales d'une tige d'environ 8 centimètres. (R. Radau. L'Acoustique ou Les Phénomènes du son. Hachette, Paris. 1867)


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