REVUE

MUSICALE,


Les instrumens exposés cette année sont :

1°. Des piano-forte de MM. Andree, Green, Heine, Kaselitz, Reichenbach, Schleip, Schneider, Westermann et Zattlasch ;
2°. Un violon et une viole de M. Otto ; une viole de M. Wolf.
3°. Une harpe de M. Stumpf, de Gotha, actuellement de Londres, et
4°. Une guitare de Mathes.

Le premier instrument que nous examinerons est le piano à queue fabrique par M. Schneider. Cet artiste a fait plaquer en argent toutes ses cordes, pour éviter qu'elles ne se rouillent ; mais comme l'acier est dur, et l'argent, au contraire, fort tendre, il ne résulte pas entre ces deux métaux une adhérence aussi exacte qu'elle le serait, s'il eût employé le laiton ou le cuivre au lieu de l'argent ; et d'ailleurs, en supposant cette dernière matière aussi dure que les deux autres, la corde n'en resterait pas moins dure au dedans et tendre à l'extérieur. Il en résulte que la nature du son est couverte à peu près comme celle de la voix d'un chateur qui est légèrement voilée. L'année dernière, M. Schneider avait fait un autre essai. Il avait employé, pour les cordes des deux dernières octaves graves, le nouvel argent (neusilber), au lieu du laiton dont on se sert ordinairement : cet essai ne put réussir. Ces cordes voisines (beitone) se heurtaient et faisaient une résonnance prolongée, et la basse était étouffée. L'acier et le laiton restent toujours les meilleurs métaux pour les cordes de pianos. M. Schneider n'en mérite pas moins de éloges pour ces essais, et ne doit pas se laisser décourager dans la voie des perfectionnemens. Il a en outre tenté une autre amélioration qui consiste à arrondir les bords des touches blanches (untertasten), pour faciliter les gammes d'octaves, si fréquentes dans la nouvelle musique de piano. L'avantage est réel sous ce rapport ; mais, comme toute chose a une double face, on doit dire aussi que lorsqu'il s'agit de sauts d'intervalles plus éloignés, d'une dixième, par exemple, la même facilité qui fait glisser le doigt sur la touche arrondie qu'il cherche, peut fréquemment le fair glisser sur celle d'à côté, ou entre les deux, et les faire résonner ensemble. C'est pourquoi nous préférons toujours un clavier à touches horizontales. Du reste, l'instrument de M. Schneider est bien construit, et d'un excellent jeu ; mais la nature du son gagnerait, si, comme nous l'avons remarqué, il replaçait ses cordes plaquées par d'autres en acier et en laiton.

Le second instrument dans lequel nous avons remarqué des modifications, est un piano de la fabrique de M. Andree. Le sommier, partie de l'instrument sur laquelle sont fixées les chevilles, est de métal, et plane au-dessus de la table sonore, dont les vibrations ne sont plus arrêtées par l'obstacle de ce sommier, comme cela arrivait dans l'ancien mode de construction. Le sommier étant maintenant indépendant de la table sonore, il a pu être placé près du chevalet, et les cordes peuvent avoir maintenat une longueur à peu près égale ; ce qui est un avantage, non pour l'économie, qui ne serait pas d'un demi-thaler, mais en raison d'un accord plus durable. Les cordes des octaves élevées ont ordinairement un pied à un pied et demi de longueur, sur laquelle on n'emploie que trois ou quatre pouces pour la résonnance. Le reste doit être étouffé derrière le chevalet : il en résulte que la partie sonore, plus courte, est par conséquent plus tendue que la partie inutile ; d'où il arrive que les cordes du dessus perdent toujours l'accord plus promptement que la basse, et que l'instrument devient par momens impractible dans les octaves supérieures. Plusieurs facteurs, frappés de cet inconvénient, avaient déjà essayé de placer les chevilles plus près du chevalet ; mais, comme les dessus avaient perdu de leur sonoriété, ils ont été obligés d'y renoncer. Le perfectionnement de M. Andree a encore cet avantage, qu'il prévient les causes de fentes pour la table sonore, qui est entièrement indépendante par les quatre côtés dans l'instrument, et n'a de rapport avec les cordes que par le chevalet, de telle sorte qu'elle peut se resserrer plus ou moins, en cas de sécheresse, sans être exposée à se fendre violemment, comme cela arrive dans l'ancien mécanisme, où elle est fortement assujétie. Nous devons cependant rapporter quelques objections contre ce perfectionnement. On a dit que le sommier étant de métal comme les chevilles qui y sont établies, celles-ci devaient ou se polir par le frottement pendant l'opération de l'accord, dont elles rendaient ainsi le maintien impossible, ou se rouiller, et empêcher alors l'opération elle-même.

Ces objections paraissent avoir quelque fondement ; mais nous répondrons qu'une expérience de deux ans a prouvé que les chevilles ne se polissent pas dans l'opération de l'accord, et qu'elles n'ont pas agrandi les trous. D'ailleurs, si ces inconvénient s'était manifesté, on y aurait remédié d'avance, en donnant aux chevilles une forme conique, qui permettrait de les faire descendre à mesure que les trous s'aggrandiraient. Quant à la rouille, il n'est guère possible que l'air ambiant suffise pour l'engendrer dans l'intérieur d'un instrument toujours tenu à sec ; mais, pour la prévenir, M. Andree a construit aussi des sommiers en bois encadrés dans le métal. M. Andree a exposé aussi deux pianos carrés auxquels il a appliqué cette amélioration, mais d'une manière différente. Dans l'un, les chevilles sont derrière le chevalet, comme à l'ordinaire ; et dans l'autre, sur le dossier, là où les marteaux frappent les cordes. Le son est également mélodieux dans les deux instrumens, aussi égal dans toutes les octaves, et le jeu aussi commode. Le travail est très-soigné. M. Andree a fait subir cette année une autre modification à ses pianos carrés : il ne leur a donné que trois pieds, ce qui évite l'inconvénient du vacillement sur un terrain inégal, et prévient la nécessité d'y mettre des cales.

Le troisième instrument dans lequel on avait introduit des perfectionnemens est un piano vertical avec pédale, par M. Schleip. L'idée d'adapter un jeu de pédale au clavier n'est pas nouvelle ; mais M. Schleip est le premier qui l'ait employé à Berlin pour le piano-forte. Il y a déjà dix ans qu'on se sert de pareils instrumens à Vienne. M. Schleip en avait exposé un il y a quatre ou six ans ; mais celui de cette année mérite toute espèce d'éloges. Le son de la pédale est beau et puissant, mas il y a quelques notes qui ne répondent pas d'une manière suffisante, ce qui tient probablement à peu de chose. Une autre amélioration très-facile consisterait à garnir de cuir les touches de la pédale, pour obvier au bruit que produit le pied au moment de la pression, bruit qu'on ne peut entrendre dans l'orgue, parce que l'intensité du son y est bien plus grande. Le son et le jeu du clavier sont dignes d'éloges ; mais il nous a paru que les octaves supérieures produisaient un effet en peu pointu, comparativement à la basse sonore. L'extérieur de l'instrument est simple, quoique travaillé avec goût. Nous n'avons pas vu d'autres pianos modifiés. Il nous reste maintenant à parler de ceux construits d'après le système le plus usité.

M. Westerman a exposé un piano à queue verticale. Ce facteur continue de mériter la réputation qu'il a acquise, car cet instrument ne le cède en rien aux précédens du même auteur ; il est également forte et sonore dans toutes les octaves. Le jeu en serait peut-être dur pour beaucoup de personnes, mais il est d'une extrème précision.

M. Kaeselitz, fils du chanteur si distingué dans son temps, a mis à l'exposition un piano à queue qui est un des meilleurs, et qui se recommande par un jeu très-précis, un son égal dans toutes les octaves, et un bel extérieur. Il avait l'intention d'en exposer un autre, dans lequel les marteaux et tout le mécanisme sont placés au-dessus des cordes ; mais, comme il n'était pas encore fini, nous nous réservons d'en parler plus tard.

Le dernier des pianos à queue dont il nous reste à parler, a été fabrique par M. Zattlasch. Il est d'un beau travail à l'extérieur ; mais le mécanisme, ni la qualité de son n'ont pu nous plaire, car le jeu est dur et il manque de résonnance prolongée. Nous croyons que c'est parce que la monture est trop forte.

Passant aux pianos carrés, nous trouvons que celui fabrique par M. Schneider mérite la première place. C'est un chef-d'oeuvre à l'extérieur comme à l'intérieur. Le son et le jeu sont remarquables. Vient ensuite celui de M. Reichenbach : il est d'un travail simple et d'un beau son. Quant aux deux autres présentés par MM. Green et Heine, nous voudrions ne pas avoir à en parler ; mais nous croyons de notre devoir de déclarer que nous n'avons jamais vu d'aussi pauvres instrumens.

Nous arrivons maintenant aux instrumens à archet. M. Otto a mis à l'exposition un violon fait d'après Joseph Guarnerius, et une viole de son invention. On s'aperçoit, dès le premier coup-d'oeil, que ces instrumens sont d'un maître ; car les proportions sont aussi soignées qu'on le peut desirer. Nous sommes trop peu connaisseurs en fait de violon pour porter par nous-même un jugement sur le mérite d'un pareil travail ; mais en nous rapportant à l'avis de plusieurs maîtres distinguées, nous les avons trouvés d'un accord unanime sur la bonté remarquable du son et des autres qualités, tant du violon que de la viole ; il paraît surtout que le violon serait fort bon pour le concert. M. Otto a fait à sa viole plusieurs changemens dans l'intérieur, et a construit le dos et la table en bois de cèdre, contrairement au principe suivi jusqu'à présent par tous les facteurs, et qui consiste à employer du bois dur pour le dos, et du bois tendre pour la table. Le degré de dureté du cèdre étant moyen, M. Otto a cru devoir faire un essai qui a satistait tous les musiciens qui lui en doivent des remercimens.

M. Wolf a exposé une viole sur le parton d'Antoine Stradivarius. Si l'on compare cet instrument à celui de M. Otton, celui-ci l'emporte pour la forme. Le son n'en est pas aussi bon, principalement sur les cordes de sol et d'ut, qui nazillent un peu.

La guitare de M. Mathes est belle et d'un beau son ; mais elle est encore bien loin des guitares siciliennes.

La harpe de M. Stumpf, de Gotha, actuellement à Londres, est d'un beau travail : le mécanisme des pédales est surtout traité avec beaucoup de soin ; mais les sons graves sont un peu sourds et indécis, et ceux de l'octave supérieure trop grêles.

Extrait de la Gazette universelle de Berlin, n° 45 (1828).

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