LE MAGASIN

PITTORESQUE


C'est un Italien, un nommé Bartolome Cristofori, qui en 1720 costruisit le premier instrument musical dans lequel les sons étaient produits par des marteaux actionnés par des touches et frappant sur des cordes. Le piano forte, ainsi que l'appelait son inventeur, devait selon lui remplacer le clavicorde, l'épinette et le clavecin, de formes presque semblables mais dans lesquels les sons provenaient du jeu de becs de plume pinçant les cordes, comme dans le clavecin, ou de lames de cuivre les faisant résonner par leur choc, comme dans le clavicorde. Plus sonore que ses devanciers, permettant des amplitudes de sons inconnues jusqu'alors, le piano ne tarda pas à prendre place parmi les instruments de musique indispensables à l'accompagnement du chant ou à la traduction immédiate et commode de phrases harmoniques et, dès que Ztumpf en Angleterre, puis Silbermann et Stein en Allemagne eurent consacré des fabriques à la seule construction des pianos forte, leurs produits, jugés bientôt excellents, furent pour la plupart des musiciens de l'époque un encouragement à la vulgarisation du nouvel élément de sonorités musicales.

Cependant, quoique dès le milieu du XVIIIe siècle le piano fût d'un usage courant en Allemagne et en Angleterre, il ne s'était pas encore acclimaté en France et lorsque, en 1768, Sébastien Erard en France, fils d'un petit ébéniste de Strasbourg, vint à Paris et fabriqua son premier piano, ce fut pour nos musiciens une véritable révélation. Jusqu'ici ils s'étaient entendus pour considérer le piano comme un outil barbare, brutal, et surtout trop bruyant pour leurs oreilles accoutumés aux sons fins et gréles du clavecin et il ne fallait pas moins que les perfectionnement découverts par le jeune érard pour faire revenier de leur antipathie le détracteurs de la nouvelle invention.

Aujourd'hui le piano est le plus populaire et le plus répandu de tous les instruments, il est en quelque sorte la véritable langue universelle des musiciens ; et lorsque ce sont des virtuoses qui parcourent son clavier résonneur il semble que sous leurs doigts l'instrument s'anime et vit. Pour nos grands pianistes, l'excellence de l'instrument sur lequel ils exécutent leurs prestigieux exercices est une condition essentielle de succès et leur préférences vont toujours aux grands pianos à queue, dont la forme, semblables d'aspect à celle déjà ancienne du clavecin, permet l'application d'un mécanisme simple, donnant des résultats de docilité, de sonorité et de durée qu'il est impossible d'attendre des pianos droits, plus compliqués, moins sonore, et dont la seul qualité est d'être d'un usage pratique alors qu'il s'agit de le loger sans les recoins exigus de nos salons bourgois.

Le modèle de piano rationnel, c'est le piano à queue et, parmi ces derniers, les pianos de concerts, tout en ne différant que par des détails constitutifs des modèles ordinaires fabriqués en même temps qu'eux, méritent particulièrement une étude. Ils demandent, en effet, une surveillance attentive dans la préparation de leurs pièces, un soin particulier pour leur ajustage, opérations qui ne nécessitent pas moins de quatre mois pendant lesquels un nombre considérable de mains différentes sont occupées à la mise en oeuvre des matériaux les plus divers.

L'indispensable condition des qualités maitresses du futur piano, c'est avant tout l'emploi de bois absolument secs qui lui donneront ses qualités de sonorité et de solidité. On comprend que ce n'est pas un des côtés les moins coûteux de la fabrication que la nécessité de conserver longtemps les bois nécessaires à la construction du piano e t, dans l'usine qui me servait d'étude, on me montre d'abord pour plus d'un million de matières premières entassées dans une vaste cour ; il y a là un choix des meilleures essences européennes et exotiques : chêne, acajou, palissandre, érable, tulipier, sapin, cèdre, tilleul, amboine, charme, cormier, sycomore, cédrat, ébène, thuya, etc. Lorsque ces différents bois ont passé en plein air les quatre années jugés utiles à la dessication parfaite de leurs fibres, ils sont portés à la scierie et débités à la dimension de largeur, de longueur et d'épaisseur qu'ils doivent avoir selon les pièces auxquelles ils sont destinés. Réduits en planches, baguettes, billots ou placages, les bois sont empilés dans un séchoir chauffé où ils passent encore deux ans et dont ils ne sortent que pour être livrés aux ateliers de fabrication.

Il est, je crois, inutile de donner une description détaillé de l'instrument dont je vais étudier la construction l tout le monde sait que le piano à queue se compose essentiellement d'une caisse sonore montée sur des pieds ; d'un sommier sevant d'appui à la tension des cordes qu'une table d'harmonie fait résonner ; d'un clavier et d'un mécanisme, ce dernier consitué de touches, de marteaux qui frappent les cordes et d'étouffoirs destinés à arrêter la vibration des cordes et à empêcher les sons de se confondre. Deux pédales permettent de modérer ou d'augmenter la puissance sonore de l'instrument, l'une en levant à la fois tous les étouffoirs, ce qui permet aux cordes de résonner par sympathies en donnant les effets forte ; l'autre en déplaçant le mécanismen dont les marteaux, en ne frappant plus qu'un ou deux des trois cordes tendues pour chaque note sur la table d'harmonie, donnes les effets piano en ne produisant plus que des sons affaiblies.

C'est par la carcasse extérieure que se commence la construction du piano. Cette caisse se compose de cinq longues et minces planches de bois blanc que l'on colle les unes sur les autres à plat, et que l'on met en forme, c'est-à-dire à la courbure extérieure du futur instrument. La carcasse qui se préparait devant moi devait-elle devenier, dans la suite des opérations, modèle de luxe ou modèle courant? Les ouvrieres questionnés ne peuvent me renseigner. Une des caractéristiques de la fabrication est en effet de nécessiter une très grande division de la main-d'oeuvre ; chaque ouvrier ne s'occupe que d'une desogne et ceux d'entre eux qui vieillissent dans la maison n'ont jamais eu dans les mains, quelques-uns pendant des cinquante ans, qu'in même outil avec lequel ils exécutent otujours la même pièce ; les ouvriers qui forment la carcasse ignorent donc tout naturellement quelle couverture en placage ou quel mécanisme elle recevra dans la suite des opérations, et, pour connaître les destinées futures de cette carcasse il faut absolument aller et venir d'atelilers en atelier et circuler dans l'encombrement des caisses, des planches , des établis et des pots de colle posés au hasard des places et rendant difficile une promenade rapide dans les salles de travail.

De l'atelier de collage j'avais dû gravir plusieurs étages pour suivre la carcasse à l'atelier des barrages. Le barrage est la charpente à claire-voie qui forme le fond du pinao et consolide son enveloppe extérieure. Formé de sept ou huit épais barreaux de sapins, bois peu flexible et résistant, le barrage est ajusté à l'intérieur de la carcasse à laquelle il est réuni par des vis et des boulons. Entroitement reliées entre elles ces deux parties forment dorénavant la caisse et celle-ci est descendu à l'atelier de placage où elle s'habillera plus ou moins luxueusement selon le goût et la bourse des clients futurs. Les paquets de placage arrivent à l'atelier tout préparés, c'est-à-dire que chaque paquet contient toutes les pièces nécessaires pour un même piano, caisses, pieds, couvercle, etc.; les plaqueures n'ont plus qu'à s'occuper d'appareiller les morceaux par couleur et par dessins et après avoir passé un rabot à dents à l'envers des feuilles de bois ils les encollent et les fixent en se servant des outils habituels, calles et serre-joints. L'acajou, l'érable, le thuya, le palissandre sont les bois les plus employés pour les placages ; on en fait aussi en citronnier, un bois rare, et M. Demouveau, mon aimable cicérone, me citait la commande d'un riche Américain, un pinao pour lequel on avoit employé pour neuf cents francs des minces feuilles de placage, du placage en bois du citronnier, d'un moirage particulier, et qu'il avait fallu aller choisir à Londres, dans tout le stock des marchands spéciaux.

Au sortir du placage la caisse est montée sur de faux pieds pour la commodité de son transport et passe à l'atelier de tablage où elle doit être munie de son ême, la table d'harmonie. C'est devant l'établi du vétéran de l'atelier, un tableur, expert dans ce travail difficile, que l'on m'apprend à reconnaître les diférentes parties de cette pièce qui, au premier abord, me semblait être un simple planche bien rabotée. Cette planche en sapin de Hongrie est en réalité composée de nombreux morceaux assemblés ingénieusement d'après des règles fixes. Selon les cordes qui viendront plus tard se tendre sur sa surface lisse, elle se compose de morceaux de bois dont les fibres plus ou moins serrées sont dissposées horizontalement ou verticalement. On a reconnu en effet que les bois à fibres verticales, très serrés, donnaient à l'usage des sons plus forts que les bois à fibres transversales, moins compacts, et l'habilité d'un bon tableur consiste à ne placer sous les notes graves que des bois à fibres verticales et sous les notes aiguës que ceux à fibres horizontales. Un tels travail demande du soin et de l'habitude, et aussi du temps, car il faut six jours pour l'exécution complète d'une table et son montage dans la caisse. Lorsqu'il a compléré son travail d'assemblage le tableur soutient la table par en-dessous avec des barres de bois disposées en quiconce, puis cole sur le dessus le chevalet, en hêtre double de cormier, sur lequel doivent venir s'appuyer directement les cordes comme sur un chevalet de violon. Ce n'est qu'après avoir fixé la table au barrage de la caisse que l'ouvrier livre le piano aux caissiers monteurs chargés de terminer la charpente de l'instrument en y posant les côtés et la tablette entre lesquels le clavier et le mécanisme doivent venier prendre place. Le piano passe ensuite au ferrage. C'est dans cet atelier que se pose le sommier qui, pour les pianos de concert, est un grand cadre de fonte de fer bizarrement découpé, dont la forme ajourée suit exactement les contours de la caisse et se compose d'une partie cintrée et d'une partie droite étroitement réunies par des barres transversales. Il est destiné à reçevoir les cordes qui se monteront sur des pointes d'attaches et des chevilles préalablement mises en places à ses deux extrémités.

Son cadre posé, le piano est remis aux mains des monteurs de cordes. Les cordes en acier viennent d'Allemagne, les fabricants français ne pouvant les obtenier assez résistantes. Les cordes destinées aux notes hautes sont fines et mises en place telles quelles : celles des notes basses sont en fil d'acier également, mais recouvertes d'un entourage de laiton ou de cuivre. C'est dans un atelier spécial que s'exécutent l'habillage ou filage de ces grosses cordes. Sur un tour à main la corde est fixée par se extrémités puis un ouvrier attache sur elle, au point voulu, le fil de laiton qu'il dirige de ses deux mains gantées de cuit tandis qu'un second ouvrier fait tourner la machine. Vite et régulièrement le laiton s'enroule sur l'âme d'acier à laquelle il donnera une grande amplitude de son en même temps qu'il la consolidera.

Etant allé chercher les grosses cordes au filage, les petites au magasin, le monteur range derrière lui les deux cent cinquant cordes utiles pour les quatre-vingt-cinq notes d'un piano, puis commence leur mise en place et il est surprenant de voir avec quelle sûreté de mouvements il saisit de ses doigts, protégés des coupures par d'épais morceaux de cuir, une des extrémités de la cordes, tourne une boucle fermée, passe cette boucle dans l'une des pointes d'accroche du sommier, fait passer la corde entre les crans du chevalet et enfile l'extrémité restée libre dans le trou da la cheville qu'il serre en la tournant à l'aide de la clef spéciale. Chaque note est ensuite pincée, c'est-à-dire qu'à l'aide d'un morceau d'ivoire le monteur la fait vibrer pour la mettre approximativement au ton, puisl toutes ses cordes rangées régulièrement l'une à côté de l'autre, le piano est libré aux finisseurs. Ceux-ci complètent le meuble ; ils posent les pieds, la lyre des pédales, les roulettes, le couvercle, les charnières, le chevalet, la serrure, les poignées, etc., puis l'instrument, qui est sali par les différentes mains qui l'ont travaillé, passe au vernissage où il va prendre sa parure définitive.

Dans l'atelier de vernissage où une quinzaine de pianos occupent à leur toilette une huitaine d'ouvriers, on ne voit plus les caisses noires d'autrefois, ces meubles funèbres si peu à leur place dans un salon ; la clientèle ne veut plus que des placages de bois naturels et les pianos noirs ne trouvent plus aujourd'hui d'amateurs qu'en en Belgique. Le noyer et le palissandre, l'acajou, le chêne, les bois clairs sont en majorité ; j'aperçois également des caisse peintes au vernies Martin, puis d'autres laquées sur des sculptures Louis XV. Mais une pièce rare m'est montrée dans un coin de l'atelier, un piano à queue sculpté par Charpentier et peint par Besnard, un meuble qui n'aura pas demandé moins de deux ans pour son achèvement et qui n'attend qu'un dernier coup des vernisseurs pour partier chz le riche étranger qui l'a acquis trente mille francs. C'est l'ornementation et l'habillement des pianos qui font leur différence de prix bien plus que la fabrication de la charpente, toujours semblable, ou que le mécanisme dont les pièces sont toujours composées des mêmes matières débitées selon les mêmes méthodes.

Le mécanisme qui donne au piano son caractère d'instrument compliqué n'en est pas la partie la plus coûteuse, la plupart des pièces se faisant mécaniquement et par grande quantité. L'atelier dans lequel se préparent les 4 420 pièces de ce mécanisme (chaque marteau 11 pièces, chaque mécanique 20, chaque touche 12 et chaque étouffoir 9), est situé tout en haur de la fabrique, sous les toits, et les ouvriers, qui travaillent à la chaleur étouffant du soleil concentrée par les vitrages, se mettent à leur aise, en gilet de flanelle ou même sans, et c'est à l'entrée du patron qui m'accompagne une envolée de torses nus qui se parent de chemises pour une tenue plus correcte. Ici, plus qu'en aucune autre partie de l'usine, les ouvriers font toujours la même petite pièces, tête de marteau, tige de cuir, ressord, charnière, etc., et tandis que devant eux est préparée à leur portée la matière première on voit couler de leur mains les pièces percées, coupées, rabotées d'un seul tour de machine ; et des millions de morceaux s'entassent dans des tiroirs classés par piano, c'est-à-dire par quatre-vingt-cinq morceaux pareils. Sans essayer l'étude impossible de toutes ces pièces, je m'étais attaché aux deux principales, les maarteaux et le clavier.

Chaque marteau se compose d'une tête en charme et d'un manche en cèdre ; ce dernier bois, léger et élastique, est le seul qui permette une bonne égalité de chocs vibratoires ; malheureusement, il est presque introuvable aujourd'hui, les marchands de crayon l'accaparant par une consommation exorbitant. Lorsque le manche à été fixé à la tête, celle-ci est habillée par les garniesseurs. Ils commencent par coller sur la tête un morceau de peau, la font sécher, collent sur elle une garniture de feutre de couleur, puis une seconde garniture de feutre blance très épais, et pour ces collages, ils emploient des machines spéciales, qui, en pinçant les garnitures, les forcent à s'étendre sur le bois et les y retiennent jusqu'à leur complète dessiccation. Numérotés et classés par piano, les marteaux secs sont rangés sur des planchettes avant leur descent chez les monteurs de mécanisme où ils doivent retrouver le clavier/ Celui-ci est en bois de tilleul qu'un ouvrier débite aux dimensions voulues, qu'un autre ouvrier prépare en y perçant les trous des mortaises et des pivits,, puis que l'on garnit d'ivoir débité à l'usine et découpé à même de grandes dents d'éléphants, mais des plaquettes d'ivoire achetées à des marchands spéciaux qui les livrent toutes préparées, de grandeur appropriée et de choix parfait. On colle d'abord les frontons des touches, puis les têtes et enfin les queues dont les joints avec les têtes doivent être assez bien faits pour être complètement invisibles. Lorsque le collage est reconnu très sec, on râcle l'ivoire, on le rabote avec un rabot tout en acier et très doux, on le polit et on termine les touches en leur mettant les garnitures de draps et en les plombant. Plomber les touches c'est y insérer, dans une ouverture circulair pratiquée dans leur tranche, un ou plusieurs disques de plomb destinées à forcer la note à revenir automatiquement à sa place après chaque coup de doigt du pianiste.

Lorsqu'il est entièrement monté le clavier n'a pas demandé moins de vingt ouvrier pour sa mise en oeuvre et, le travail se payant aux pièces, un clavier revient à quatre-vingts francs don quarant francs d'ivoire. Comme toutes les pièces délicates et chères c'est une des parties du piano pour laquelle la concurrence étrangère fair sentir vivement ses empiètements constants ; c'est ainsi que l'on me citait un fabriquant américain qui, pour vingt-deux francs, tous frais de port et de douane compris, livre en Angleterre des claviers complets. Il est vrai que les touches ne sont pas en ivoire mais en celluloïd, l'effet obtenu est cependant suffisant pour attirer les clients amateurs de bon marché à outrance et les facteurs consciencieux ne peuvent pas lutter contre cette camelote à laquelle il serait meilleur, semble-t-il, au point de vue de la durée, de préférer un clacier d'occasion, l'ivoire jauni des vieux pianos se nettoyant en effet facilement.

Au fur et à mesure de leur terminaison les claviers, rangés par piano sur des planches tiroirs sont descendus à l'atelier de montage où ils doivent être réunis au mécanisme. Six jours sont nécessaires aux monteurs pour assembler les milliers de pièces qu'il a reçues séparées venant des divers ateliers.Il en forme en enseble homogène, retenu en place par des traverses de bois et qui se glisse dans la caisse.

Dès la pose du mécanisme les touches font agir les marteaux qui frappent les cordes, le échappements et les noix remplissent leur office, les étouffoirs viennent s'appuyer sur les cordes pour arrêter les sons lorsque les touches retombent et les pédales, mises en place également par les monteurs, permettent de moduler les vibrations de l'instrument, qui désormais n'est plus une carcasse, ni une caisse, mais bien un piano et un piano qui parle. Il parle, mais parle mal, et pour régler son langage on le roule chez les égaliseurs chargés de donner aux sons un ensemble harmonique parfait. Doués d'oreilles essentiellement musicales ces accordeurs règlent d'abord les cordes puis les marteaux, adoucissant ceux qui paraissent trop durs en les cardant à l'aide d'auguilles dont ils piquent le fer, durcissant au contraire ceux qui manquent de fermeté en les chaiffant avec un fer qui presse la garniture et lui donne la solidité qui lui manque. Après son égalisation le piano est encore accordé deux foir à intervalles rapprochés puis, définitivement terminé, il passe au magasin de départ.

Bien des détails m'avaient échappé dans le cours de ma visite, tant la fabrication des pianos est complexe et demande de multiples mains d'oeuvre cantonnées dans des dizaines d'ateliers séparés. Cependant si je n'avais pu voir qu'une petite partie des pièces préparées par les cinq centes ouvriers de l'usine, j'en gardais le souvenier d'un kaléidoscope de travaux compliqués comme à plaisir ; à la fabrique, jusqu'à leur départ pour le dépôt parisien, des finisseurs sont encore occupés à parachever la toilette des piano, frottant le vernis, les cuivres ; et ce n'est que lorsqu'ils sont rangés dans le magasins pour la mise en vente, que les instruments peuvent être considérés comme entièrement abandonnés des ouvriers qui les ont construits.

Au dépôt les pianos sont accordés de nouveau puis essayés par des pianistes avant la presentation aux clients. Ces pianistess, jeunes filles pour la plupart, viennent non seulement essayer les pianos mais aussi étudier dans des salles spéciales qui leur sont consacrées ; salles ou des virtuoses de passage à Paris viennes également répéter leurs morceaux de convert ou s'exercer à la sonorité d'un nouvel instrument. Et lorsque je m'étais rendu rue du Mail pour renercuer M. Blondel, le chef de la maison érard, de la très courtoise amabilité avec laquelle il m'avait autorisé à visiter ses ateliers, je m'étais trouvé assister au défile des artistes et des élèves titulaires d'entrées aux salles d'étude . Par une heureuse coïncidence j'avais vu là Baüer, venu pour commander un piano dont il désirait être suivi dans une tournée en Suisse ; puis la petite Germain, la petite pianiste prodige, que sa mère amenait pour des heures d'exercises journaliers. Cette fillette qui passait devant moi, un ballon de grand magasin flottant au-dessus d'elle, et qui, indifférente aux regards curieux, se préoccupait uniquement des envolées de son jouet d'enfant, était-ce bien la même qui, pendant des soirs, avait tenu une salle sous le charme de son étonnante éxecution des sonates de Chopin? Et je me demandais comment ce bébé au visage charmant de grace poupine pouvait être arrivé à la possibilité prochaine d'une comparaison avec Baüer, le grand pianiste, homme fait, à la carrure puissante, à la compréhension musicale parfaite. N'était-ce pas à l'une des qualités essentielles du piano que Mlle Germain devait son talent précoce : à cette facilité de toucher , à cette possibilité de varier ses tons et ses effets sans être obligé de créer ces notes l à la formation possible des sons selon des systèmes appris et sans l'indispensable obligation de sentier la musique et de jouer avec some âme pour être vraiment classé virtuose? N'est-ce pas parce qu'il est essentiellement mécanique que le piano permet de tels prodiges et si cela est, n'est-il pas l'instrument de musique le plus utile qui soit et ne doit-on pas se féliciter de sa popularité si, en nous infigeant souvent le supplice de gammes insipides, elle nous permet d'applaudir des artistes dont le talent s'est éveillé quelquefois à la vu et au toucher d'un mauvais piano ou même d'un clavier tout jauni monté sur un vieux clavecin?


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