ANNALES

DU

CONSERVATOIRE

IMPÉRIAL

DES ARTS ET MÉTIERS

PUBLIÉES PAR LES PROFESSEURS

CLASSE 16.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE.
PAR M. BOQUILLON.


A l'exception des pianos et des autres instruments à clavier dont on n'entend que trop le bruyant tintamarre, mais don on peut au moins juger les qualités sonores, quand des voisins jaloux ne se mettent pas en travers, en jouant, chacun, dans des tons et sur des rhythmes différents, tous les instruments de musique de l'Exposition restent à peu près muets dans leur vitrine respective, le plus souvent aussi inabordables pour la vue que pour la main. C'est dire que nous n'avons guère été plus heureux, et cela par les mêmes causes, dans nos recherches sur les produits appertenant à la seizième classe que nous ne l'avons été pour la quinzième, l'horlogerie, et que c'est encore à l'exposition française que, sur cette question, nous avons dû consacrer la plus grande partie de notre examen.

PIANOS.

A part quelques tentatives sur lesquelles le temps n'a pas encore prononcé, ou qui sont tombées dans l'oubli, soit par leur propre insuffisance, soit faute du capitale nécessaire pour attendre le moment où le public passe de l'indifférence à l'engouement, nous n'avons pas de véritable progrès à signaler en France au point de vue technique, qui seul doit nous préoccuper ici ; mais nous reproduirons, avec une bien sincère satisfaction, l'opinion d'un membre, probablement le plus compétent, du jury d'admission en cette matière.

C'est que, comme choix des matériaux, notamment quant à la qualité et à l'âge des bois employés, comme main-d'oeuvre comportant toute la solidité désirable, comme sonorité, etc., etc., les maisons de second ordre ont fait des progrès tels, que celles qui sont placées au premier rang s'en préoccupent et se mettent très-sérieusement en mesure de maintenir une suprématie qui ne tarderait pas longtemps à cesser d'être incontestable.

Sans marcher du même pas, la moyenne et la petite facture sont également en progrès ; et, comem elles composent évidemment la majorité des facteurs ; comme, au sortir de l'atelier, tous, ou presque tous les pianos sont égaux, au point de vue de la sonorité, devant l'amateur et l'artiste ; comme le temps seul est, en cette matière, le juge souverain, irrécusable, assignant à chacun sa véritable valeur, elles font aux maisons qui peuvent, grâce à leurs capitaux, ne rien épargner pour supporter, sans danger, cette redoutable épreuve, une concurrence de bon marché contre laquelle une vieille réputation, honorablement acquise, peut seul lutter avec quelque succès.

Bien que la nouveauté des produits, des appareils ou des procédés forme la bse essentielle des études techniques que nous avons entreprises sur l'Exposition universelle de 1862, nous ne croirons par cependant sortir de notre programme en signalant à nos lecteurs un procédé déjà ancien, mais qui, ressté confiné dans un atelier, n'est que très-vaguement connu dans la profession spéciale à laquelle il appartient, lorsque surtout ce procédé a un caractère d'utilité pratique incontestable.

Nous voulons parler ici du procédé particulier, employé depuis longtemps dans la maison Pleyel, pour envelopper les cordes de la basse du trait ou fil en cuivre rouge dont les cordes sont recouvertes dans tous les pianos modernes.

Deux mots de théorie avant d'aborder les détails pratiques.

Sous l'action du coup de marteau, toute corde de pianos, indépendamment du son fondamental, produit des sons dits harmoniques que l'oreille perçoit d'autant plus facilement et en plus grand nombre que ce son fondamental est plus grave et plus intense.

A tension égale, le son fondamental d'une corde est d'autant plus grave que la masse de matière vibrante est plus grande ; en d'autres termes, que la portion de cette corde comprise entre ses deux points d'appui (le sillet et le chevalet) a plus de poids.

Mais, à une certaine limite de poids, la rigidité qu'acquiert la corde devient un obstacle à son emploi, soit au point de vue de sa fixation sur l'instrument, soit à celui de la qualité du son émis.

Le problème à résoudre consiste donx à augmenter, dans la limite nécessaire, la masse d'une corde, tout en lui enlevant le mois possible de sa flexibilité.

Dans ce but, on enceloppe la corde d'un fil de cuivre rouge contourné en forme d'hélice très-rampante.

Si les spires de l'hélice de se touchent pas entre elles, même lorsque la corde a la plus grande amplitude d'oscillation, elle n'aura que très-peu perdu de sa flexibilité.

Mais nous avons vue que, plus les cordes sont graves, plus grand est le nombre des harmoniques qu'elles peuvent faire entendre.

Or chaque harmonique résulte de la division spontantée de la corde en parties égales, dont le nombre varie, poour chacun d'eux, sans que cette simultanéité de divisions diverses fasse obstactle à la précision de leur égalité de longueur pour le même son harmonique.

D'un autre côté, chaque division de la corde peut être considérée comme une corde isolée vibrant pour son propre comte à l'unisson des autres divisions de même longueur.

Mais, pour cela, il faut que la corde soit bien homogène dans tout sa longueur, de manière que, pour chaque harmonique que produit le choc du marteau, les divisions, égales en longueur que lui sont propres aient toutes la même masse, pésent le même poids.

Rien de plus simple pour les cordes non filées auxquelles le tréfilage donne naturellement cette propriété. Mais il n'en est pas ainsi lorsqu'on recouvre la corde du trait destiné à augmenter sa masse, que, d'ailleurs, ne peut pas être la même pour toutes les cordes filées d'un même pianos.

La corde est tendue énergiquement entre deux crochets animés d'un même mouvement de rotation que ces crochets lui communiquent. L'ouvrier, maintenant le trait sous une certaine tension, le guide de la main pendant son enroulement sur la corde, de manière à mettre le plus d'égalité possible dans les intervalles qui séparent les spires ; la grosseur du trait est appropriée à la corde, dont le diamètre est variable, selon le rang qu'elle occupe dans l'instrument; d'où il resulte que, pour avoir de bonnes cordes filées, l'intervalle qui sépare les spires ne peut pas être le même pour toutes l aussi faut-il une très-grande habitude de ce genre du travail pour l'exécuter convenablement et produire cette homogénéite de la masse totale, sans laquelle, dans les surtout, on produirait fréquemment la plus fâcheuse cacophonie.

En effet, soit que l'artise fasse une tenue sur certaine note du clavier, soit que l'étouffoir n'ait pas l'énergie suffisante, le son fondamental est preseque éteint que quelques harmoniques vibrent encore avec une certaine énergie. Citons, entre autres, la septième. Si chacune des divisions de la corde correspondante à cet harmonique n'a pas la même masse, si le poids d'une seule diffère en plus ou en moins du poids des autres, l'oreiile est choquée de la manière la plus désagréable, pour peu que cet harmonique aut d'intensité.

C'est pour éviter jusqu'à la possibilité d'un tel résultat que la maison Pleyel fait filer ses cordes basses au moyen d'une machine où rien n'est laissé à l'arbitraire de l'ouvrier, dont l'inattention momentanée ne peut produire aucun inconcénient.

En effet, le trait, saisi pas un chariot dont la vitesse de translation peut varier, à volonté, de la quantité nécessaire, s'enroule sur la corde, en laissant entre ses spires la distance rigoureuse déterminée à l'avance par l'emploi d'une roue plus où moins nombrée, introduite, dans ce but, dans la série d'engrenages qui commande le mouvement rotatif de la corde et le mouvement de translation du chariot.

L'étendu des meilleurs rapports à établir enre le diamètre d'une corde quelconque de la basse, celui du trait qui doit la recouvrir et l'écartement à donner aux spires de ce même trait, une fois bien faite, il suffit, pour chaque corde de la basse, d'inscrire, sur un tableau, le numéro du trait qui lui convient, et le numéro de la roue à introduire dans le rouage général de la machine.

Ces conditions uen fois fixées pour chaque espèce, chaque format de piano fabriqué dans la maison, ne laissent subister aucune chance d'erreur, et donnent à l'acheteur la certitude que, au point de vue spécial qui nous occupe, tous les pianos de la maison comporteront les même qualités.

C'est par l'observation stricte de conditions reconues les meilleures, bien qu'aux yeux des autres facteurs quelques-unes puissent paraître quelque peu vétilleuses, que la maison Pleyel, depuis sa fondation, s'est maintenue au premier rang, dont M. Wolff, le successeur actuel, ne nous paraît pas homme à la laisser déchoir.


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