JOURNAL SALONGO
République Démocratique du Congo
Editeur - Directeur Responsable: Bondo Nsama




La lettre suspecte de Kigali

     14 jours pour mâter les Interahamwe !
     Trop de détails qui suscitent la suspicion
     Rwanda – RDC, c’est comme Israël et Palestine

A quel moment le Rwanda va-t-il retirer ses troupes d'invasion de la Rdc ? C'est la question du jour, après que la Communauté internationale se soit levée en ordre dispersé pour s'indigner de la situation créée par la nouvelle agression et exiger que soit restauré l'ordre antérieur.
En vérité, le Rwanda ne fera replier ses  hommes que quand il le pourra et quand il le voudra. Cela peut paraître paradoxal, mais c'est justement à l'image du régime de Kigali dont le comportement et le discours s'appuient systématiquement sur le principe de l'ambiguïté qui lui permet de ne jamais dévoiler ses véritables intentions et de continuer en même temps de conserver l'initiative.

Ayant pris l'initiative de pénétrer en territoire congolais sous le prétexte mille fois invoqué de mettre un terme à la menace récurrente que représente à ses yeux la présence en Rdc de milices Interahamwe et d'ex-combattants FAR, le régime mono-ethnique rwandais garde en effet les mains libres pour décider du choix, du moment où il lui plaira de rappeler son contingent. Et ce, tout en donnant l'impression d'avoir plié aux injonctions de la Communauté internationale, manœuvre traduisant uniquement son souci de ne pas gêner ses parrains anglo-saxons qui, eux aussi, ont fait semblant d'avoir été surpris par l'incursion de soldats rwandais sur le sol congolais alors qu'il n'en est rien.
Les relations entre la RDC et le Rwanda sont à l'image de celles qu'entretient Israël vis-à-vis de la Palestine. Le Rwanda peut tout se permettre à l'égard de la RDC, à l'instar d'Israël, la communauté internationale se contente de condamnations et laisse faire. Récemment, la Grande-Bretagne s'est opposée à la fermeté de ton que le Conseil de sécurité a prise contre le Rwanda, dans le cadre de la nouvelle crise congolo-rwandaise.

Alerte à une lettre suspecte

Au sortir du sommet des Grands Lacs à Dar-es-Salaam     et à la lumière des engagements auxquels avaient souscrit les pays participants, et principalement ceux de la sous-région, le respect du timing fixé pour parvenir à la sécurisation complète des frontières communes constituait une des conditions majeures pour que les efforts consentis de part et d'autre produisent les effets escomptés. Il n'était alors question ni de lenteur ni de précipitation dans la mise en application des formules adoptées de commun accord, question de laisser le temps au temps mais sans cependant se moquer du temps.
En toute logique, chaque pays concerné devait s'employer dès cet instant à accomplir la part de sa tâche tout en s'assurant que le voisin agit de même grâce notamment aux consultations permanentes inhérentes aux mécanismes de vérification.
Le gouvernement rwandais a-t-il eu conscience ou la preuve irréfutable d'une éventuelle mauvaise volonté de Kinshasa à assumer ses responsabilités en la matière au point de se sentir obligé de prendre lui-même les choses en mains ? Difficile de l'admettre. Toujours est-il que peu après la rencontre de Dar-es-Salaam et à la veille du sommet de la francophonie tenue à Ouagadougou les 26 et 27 novembre derniers, le Président rwandais Paul Kagame a saisi par lettre le Président nigérian Obasanjo pour lui faire part de son intention d'entreprendre une " frappe chirurgicale " de 14 jours à l'Est du territoire congolais dans le but d'anéantir tous les sites de concentration des Interahamwe et des ex-Far qui opéraient contre son pays à partir de cette partie de la Rdc.
Pour être complet, le maître de Kigali a précisé dans cette lettre que l'opération envisagée n'aurait pour unique cible que les éléments rwandais susmentionnés et ne toucherait en aucune manière ni les garnisons abritant les troupes congolaises ni les populations locales, outre qu'elle serait strictement limitée dans un délai de 14 jours.
Cette lettre en elle-même constituait la preuve que pour le régime de Kigali, ce n'est pas ce qu'il dit en public qui compte, mais ce qu'il pense dans le secret de sa conscience. Il apparaît même certain que cette opération était déjà montée au moment où Paul Kagame faisait mine d'être d'accord avec ses pairs au sommet de Dar-es-Salaam et où il s'est décidé à envoyer sa lettre au chef de l'Etat nigérian.

Quid de la rencontre de Ouagadougou ?

De ce point de vue, le tête-à-tête arrangé par Obasanjo dans la capitale burkinabé entre Joseph Kabila et Paul Kagame en marge du sommet de la Francophonie apparaît comme un grand marché de dupes. Il est en effet impensable que le chef de l'Etat nigérian n'ait pas suscité cette rencontre pour discuter des termes de cette surprenante lettre. Dans cette hypothèse hautement plausible, il est intéressant d'imaginer l'attitude qu'aurait pour la circonstance adoptée Joseph Kabila. La plus logique est que celui-ci ait vigoureusement rejeté la prétention de son homologue rwandais à se ménager un passage royal en  territoire congolais, pour s'occuper personnellement des Interahamwe et des ex-Far qui constituent une menace permanente pour son régime. Ceci pour la bonne et simple raison qu'il ne s'agirait nullement d'accréditer la thèse du Rwanda selon laquelle personne en dehors de lui-même ne voudrait ni ne serait capable de neutraliser ces " forces négatives ".
La plus invraisemblable est que les trois chefs d'Etat aient convenu, hors des oreilles indiscrètes, de concilier le délai de 14 jours déterminé par Kagame pour mettre hors d'état de nuire ses rebelles avec le temps nécessaire, correspondant exactement avec la même durée, que prendrait le déploiement à l'Est de la Rdc des 10.000 hommes de troupes que Kinshasa a décidé de regrouper à cet effet.
Et si d'aventure cette fameuse lettre n'a pas été évoquée au cours de ce tête-à-tête, la seule conclusion qui s'imposerait est que le chef de l'Etat congolais avait été délibérément mené en bateau, Kagame ayant obtenu en coulisse le feu vert pour exécuter son plan d'envahissement en même temps que la circonstance atténuante liée au fait que l'opération serait strictement limitée dans le temps.


Et si Kabila savait

En tout état de cause, le Président n'ignorait absolument rien des intentions de Paul Kagame contenue dans sa lettre. Que celles-ci aient été portées à la connaissance de Joseph Kabila ou lui aient été cachées ne change rien à la logique de la guerre du maître de Kigali.
Reste qu'autant intriguent la lettre de Kagame et sa rencontre avec Joseph Kabila sous les auspices d'Olusegun Obasanjo au regard de ce qui est advenu par la suite, autant désarçonne la manière dont Kinshasa a lu les événements qui viennent de se conclure par cette nouvelle agression rwandaise.
Si donc le chef de l'Etat congolais avait été dûment mis au parfum du contenu de la lettre de Kagame adressée au Président nigérian, et qu'elle qu'ait été sa conduite sur le sujet et sur le moment, il est pour le moins surprenant que dès son retour au pays et indépendamment de l'annonce fracassante du même Kagame à la tribune de son parlement, intervenue trois jours après le sommet de Ouagadougou et à laquelle d'ailleurs aucun Congolais ne s'attendait, il n'ait pas réuni son gouvernement et l'état-major de l'armée pour que, à toutes fins utiles, des dispositions appropriées soient arrêtées afin de parer à toute éventualité.
Et s'il ne le savait pas, au moins la déclaration de Kagame le 30 novembre dernier au sénat rwandais valait ni plus ni moins déclaration de guerre. Et donc il n'était pas nécessaire de s'accorder 48 heures de réflexion, ou plutôt de flottement, avant de réagir à cette déclaration, et encore 24 heures avant de réunir l'état-major général des Fardc.

Evaluer le temps : un atout

A travers ce comportement, démonstration est encore faite de la différence fondamentale entre les dirigeants congolais et rwandais. Tandis que les premiers cherchent à savoir à quoi veut en venir Kigali, les seconds peaufinent méthodiquement les stratégies visant à modifier dans la sous-région le rapport de forces de manière à prendre l'ascendant sur les autres, en tout cas sur la Rdc qui demeure le principal objet de leurs convoitises. Etre capable d'annoncer à l'avance que l'on va pénétrer dans le territoire du voisin, et que peut-être même l'on y est déjà, sans se voir opposer en retour autre chose que des lamentations auprès du Conseil de sécurité de l'Onu et des appels au calme et à la vigilance à un peuple dont la partie directement exposée prend déjà la fuite, c'est justement faire étalage de sa position dominante.
En limitant à quatorze jours le délai de sa " frappe chirurgicale " en Rdc contre les Interahamwe et des ex-Far, sans trop se préoccuper par ailleurs des inévitables dommages collatéraux sur les populations locales, Kagame n'a pas tapé au hasard. Les infiltrations incessantes en Rdc de citoyens rwandais dont se fait régulièrement l'écho lui avaient déjà apporté une précieuse moisson d'informations sur les camps d'hébergement des combattants du Fdlr ainsi que sur le type d'armement dont ceux-ci disposent de même que les troupes congolaises.
Ainsi muni de toutes ces informations, le maître de Kigali a pu à loisir planifier son agression, ajustant exactement son temps d'intervention à celui que nécessiterait un éventuel déploiement sur le terrain de troupes de riposte congolaises. Sans compter que la porosité de la frontière congolo-rwandaise constitue en la matière un allié de poids que pour sa part Kigali exploite à fond, au même titre que le fort contingent de " collabos " intérieurs sur lesquels le Rwanda s'appuie pour miner les institutions de la transition et empêcher que celle-ci atteigne le port des élections.

N'est-ce pas trop tard ?

Une semaine après l'agression rwandaise, au terme d'une réunion extraordinaire du conseil supérieur de la Défense, le Président Joseph Kabila vient de décréter l'alerte générale des forces armées de la Rdc. C'est sous le signe de l'accélération que des mesures adéquates ont été prises, objectivement pour limiter les dégâts car à l'évidence l'ennemi a déjà fait beaucoup de mal depuis. Outre que cette accélération décidée sous la pression des événements (brassage de troupes à travers le redéploiement des Fardc à l'Est du pays, processus de désarmement de tous les groupes armés étrangers présents en Rdc, contacts diplomatiques relatifs à la mise en œuvre des mécanismes de vérification conjointe) participe d'un aveu : celui de laxisme dont le pouvoir en place a fait preuve vis-à-vis de ces exigences.
Plus que jamais le temps est compté, chaque jour qui passe ajoutant aux malheurs des populations du Nord et du Sud-Kivu qui croyaient en avoir fini avec la guerre après la déroute de la bande à Nkundabatware et qui payent aujourd'hui le prix de l'imprévoyance du gouvernement de transition et de l'indolence de ses réactions. Jamais l'adage selon lequel " qui veut la paix prépare la guerre " ne s'est autant vérifié en Rdc qu'en ce moment où l'on est contraint de parer au plus pressé pour accomplir enfin ce qui n'a pu être réalisé en 18 mois de transition : la mise en place d'une armée intégrée et restructurée.
Pourvu que l'on ne s'arrête pas en si bon chemin et que dans la même logique du redéploiement des Fardc à l'Est, le brassage de l'armée devienne effectif après que l'ennemi rwandais se sera retiré, de gré ou éventuellement de force, du territoire congolais.

Bondo Nsama

(Salongo-Hebdo n°0226 du 10 décembre 2004)










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