1er juillet 2003

Au moment où, coast to coast, on se congratule avec le Ô Canada sur « le plus meilleur pays au monde », dix réalisateurs du Programme français de l'Office national du film, parmi lesquels l'oscarisé Co Hoedeman, sont en train de boucler leurs valises : juste à l'orée des vacances d'été, l'ONF leur a signifié leur congé en abolissant les derniers postes permanents dans le secteur de la création.

Louise Blanchard

Qui sont ces réalisateurs? En animation, ce sont Co Hoedeman, Jacques Drouin, Michèle Cournoyer, Claude Cloutier et Michel Murray. En documentaire : Tahani Rached, Jean Thomas Bédard, Catherine Fol, Stéphane Drolet et Sylvie Groulx. Leur ancienneté à l'ONF varie entre 10 et 30 années : c'est dire que, dans certains cas, c'est une vie de travail professionnel à l'ONF qui se termine abruptement. L'agenda de leurs projets en cours sera respecté, mais après... bye-bye!

Si vous croyez qu'on se replie derrière des arguments économiques pour justifier cette décision, détrompez-vous. « Le budget du programme français est maintenu dans son intégralité », insiste Jacques Bensimon, commissaire à la présidence de l'ONF, dans un communiqué adressé aux employés.

Décision
« La décision du programme français s'inscrit dans le processus de réinvention de l'ONF que nous avons entrepris il y a presque deux ans, écrit-il encore. De plus en plus, l'ONF se met au diapason de l'industrie cinématographique canadienne : nous croyons que cette étape importante de son évolution rend nécessaire la mise en place d'un nouveau cadre, conçu en fonction du processus de production et mis au service d'une création qui vient s'y inscrire de façon ponctuelle, c'est-à-dire sur la base de contrats. »

En clair : plus question de donner une permanence aux créateurs, qu'ils soient réalisateurs, monteurs ou producteurs : l'avenir appartient aux pigistes. Les cinéastes qui viennent de passer à la guillotine devront dorénavant déposer un projet et croiser leurs doigts pour qu'il soit accepté. Sont-ils rassurés par les propos de M. Bensimon, qui affirme dans sa lettre aux employés : « Nous examinerons avec intérêt tout projet qui nous sera soumis par ces créateurs de talent »?...

Qui sait, en effet, ce qui se trame derrière les mots « processus de réinvention de l'ONF»?

Va-t-on soumettre les projets aux mêmes critères de rentabilité que ceux de l'industrie cinématographique canadienne?

Va-t-on obliger Co Hoedeman à se recycler dans les cartoons du samedi matin ou Jacques Drouin à troquer son écran d'épingle pour celui d'un ordinateur?

On n'ose penser à ce qui serait arrivé à la trilogie de l'île aux Coudres si Pierre Perreault avait dû se soumettre aux notions de temps de tournage de l'industrie...

En l'absence de M. Bensimon, parti à Marseille au Sunny Side of the Doc, et d'André Picard, directeur général du Programme français, parti, lui, en vacances, Laurie Jones, directrice des Communications de l'ONF, soutenait, vendredi dernier, que la mission de l'ONF ne subira aucun changement avec l'abolition des postes des derniers créateurs permanents à l'ONF.

Ce que l'ONF vent, résume-t-elle, c'est du renouvellement en permettant à plus de monde de travailler.

«L'ONF continuera à offrir le temps de réflexion, l'encadrement et les services techniques aux créateurs, dit-elle. Notre mission continue à être centrée sur l'animation et le documentaire d'auteur. »

En fait, depuis les compressions de 1996 - qui suivaient notamment celles de 1993 -, le mot « permanence » est devenu tabou à l'ONF.

Conformément à l'ère néolibérale, la précarité n'a bon goût que pour les employeurs : on mise sur la performance immédiate en engageant des gens à contrat, le temps de presser le citron avant de les jeter comme des kleenex usagés. Mais comment parler encore de l'ONF comme laboratoire de formation et de transmission du savoir s'il ne s'y trouve que des gens de passage?...

Nouvelle notion
Il y a six mois, toutefois, l'ONF a introduit une nouvelle notion de permanence : si, après cinq ans, une fonction est jugée nécessaire, le poste devient permanent. Faut-il s'en surprendre?

Le secteur administratif seulement - comptables et compagnie - en bénéficie. Pas question d'accorder ce statut aux créateurs, pourtant à la base de la force et de la réputation de l'ONF.

Une suggestion, donc : maintenant que la fonction de création n'est pas jugée «nécessaire», à quoi bon parler d'ONF? Il me semble que ça sonnerait plus juste, l'ONC - l'Office national des comptables...


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