George Barnhill avec Gloria et Whit Trecartin

Quarante ans, et ce n'est pas tout !

Par Whitman Trecartin

Montr�al, le 9 juillet 1963

Je franchis les portes de l'Office national du film sur C�te-de-Liesse pour la premi�re fois comme employ�. Je viens rencontrer mon nouveau patron, George N., pour Neville, Barnhill. Son bureau est tout au fond du deuxi�me �tage, direction � droite devant le lab jusque devant les doubles portes pare-feu. En entrant, je lui trouve un air sceptique et une attitude de sergent major. Ancien combattant d'outremer de la Deuxi�me Guerre mondiale, fin produit de l'industrie du film britannique, il n'est pas pr�s de rendre la vie facile � un �wannabe� � peine majeur et fra�chement d�barqu� !

Il se trouve que �Barney� (affectueux sobriquet sous lequel tout le monde le conna�t) tient les r�nes de la biblioth�que M&E (pour musique et effets sonores), pour le chef de service Ken Heely trait d'union Ray (comme tout le monde le connaissait). Apr�s les pr�sentations d'usage aux membres de son personnel administratif Ross Buskard et Ron Birch, Barney me fait faire la tourn�e de son empire peupl� de personnages tels que Fred Anders, fabricant de guitares, biblioth�caire et responsable du repiquage. Dans les salles de montage, tout pr�s de la caf�t�ria, s'affairent les monteurs son et compositeurs �Soapy� Douglas, Vic Merrill, �Big Sid� Pearson, Margo Payette, le compositeur oscaris� et futur mari de Margo, Eldon Rathburn, ainsi que Kay Shannon, Norm Bigras, Bob Fleming, John Knight, Karl Duplessie et Bernie Bordeleau. La plupart d'entre eux s'esquintent sur des moviolas fumants.

D�s le premier jour, Barney me confie � la supervision de Don Wellington, �le Duc�. Don le Duc, ex-concertiste de cor d'harmonie, cr�e des effets sonores post-synchro utilisant des techniques qu'il a mises au point bien avant que celles-ci ne deviennent une sp�cialit� connue sous l'appellation � Foley � (bruitage), d'apr�s quelque yankee parvenu. Dans le Cin�ma 2, Don enfile paire de chaussures sur paire de chaussures pour simuler une vari�t� de bruits de pas � l'�cran, plonge une pagaie dans un bassin profond rempli d'eau pour imiter le bruit des explorateurs vieillissants qui remontent des rivi�res perdues, agite un plumeau pour donner vie � une vol�e de corneilles. Voil� qui est musique � mes oreilles !

H�las ! C'est la cr�me sur le g�teau. Le g�teau, c'est l'antichambre des rushes o� s'ex�cutent Bill Graziadei et son apprenti Pierre Bernier. Avant de devenir monteur son, je devais d'abord faire les rushes synchro. Apr�s m'�tre valeureusement pli� � ce syst�me de formation et de discipline de l'Unit� du film de la Couronne britannique, je suis enfin devenu une � valeur s�re � aux yeux de George. Ainsi commen�a une carri�re de plus de quarante ans et une longue et belle amiti� avec Barney.

M�me que des ann�es plus tard, nous partions ensemble en tournage en ext�rieurs dans les Bermudes ou dans les contr�es vierges du Canada atlantique. Barney sortait des poussi�res des notions tir�es de sa formation initiale comme r�gisseur g�n�ral pour s'assurer que moi, le r�alisateur n�ophyte, je ne me casse pas le nez.

La vie de Barney a pris un virage � pas banal � lorsqu'il a d� subir une chirurgie pour r�duire la pression sur son hypophyse. Pas banal ! vous dis-je, puisque l'op�ration a eu comme principal r�sultat de lib�rer une libido longuement refoul�e. Cobaye d'une premi�re chirurgicale dont les effets d'une r�-�nergisation sexuelle �taient encore inconnus, Barney est devenu une sorte de coqueluche du monde m�dical. Son exp�rience in�dite, ses opinions et ses conclusions suscitaient la curiosit� et l'enthousiasme de la savante confr�rie, qui l'invitait � livrer son �tonnant t�moignage dans ses amphith��tres et ce, jusqu'en Californie.

Ma voiture s'engage dans l'entr�e et roule jusqu'� une confortable maison de ferme r�nov�e, tout pr�s de Liverpool, en Nouvelle-�cosse. Avant m�me que je cogne � la porte, elle s'ouvre et Barney appara�t. Il m'avait dit au t�l�phone qu'il avait des probl�mes aux poumons et qu'il avait eu quelques attaques de coeur, donc je ne savais pas trop � quoi m'attendre. Mais il n'avait pas chang� d'un iota : je l'aurais reconnu entre mille.

� 87 ans, coiff� d'une chevelure qui ferait l'envie de n'importe qui, Barney me donne une bonne poign�e de main et une chaleureuse accolade. Souriante derri�re lui, Greta, sa femme depuis 18 ans. L'univers de Greta est fait de sourires et de bons petits plats maison. Oui, c'est vrai, George manque un peu de souffle, mais pas d'humour et de piquant ! Pendant que nous ressassons nos bons souvenirs, Greta retourne � sa � cookerie �, qui veut dire la cuisine dans le jargon des marins mal �quarris. Greta est une perle de Terre-Neuve, et ils en ont encore toute une pl�thore sur l'�le.

Faisant le compte des �v�nements pass�s, George m'annonce qu'il a perdu sa fille Gillian, emport�e par le cancer du sein. Enfant unique, comme Barney, elle a eu cinq enfants. �preuve cruelle que Barney a d� surmonter. Barney est fait fort. Il a grandi � Fort Lawrence, � la fronti�re de la Nouvelle-�cosse et du Nouveau-Brunswick, pr�s de l'inhospitalier marais Tantramar, paradis de l'�olienne. Comme site agricole, le marais est � peu pr�s ce qu'il y a de plus difficile de ce c�t� du 58e parall�le. Tout en se d�lectant de fins fromages, p�t�s, caf� et autres d�lices, nous parlons de la maison, de l'�norme hangar qu'il a b�ti derri�re la maison et du bonheur de vivre dans l'une des communaut�s qui ont le plus marqu� l'histoire canadienne. D'abord un chantier de construction navale et plus tard la route du rhum, Liverpool est apr�s tout l'endroit o� l'illustre auteur canadien Thomas Raddall a d�cid� de passer sa vie.

Je les ai quitt�s pour la soir�e, mais suis retourn� pour une br�ve visite du Jour de l'An, apr�s avoir c�l�br� le d�but de la nouvelle ann�e au Privateers Inn � Liverpool. Pendant que ma voiture s'�loignait et que je quittais la rive sud en route vers chez moi � Halifax, Greta et George m'exhortaient chaleureusement � revenir bient�t, me disant qu'une chambre d'invit� m'attendait, qu'on pourrait jouer au golf pr�s de chez eux ou juste relaxer et profiter du calme de leur propri�t�.

Barney n'a pas d'adresse courriel, mais on peut facilement le joindre par l'interm�diaire de Walter et Pat Wyatt (amis et voisins de l'autre c�t� de la rue) � l'adresse [email protected] ou directement au num�ro 1 902 354 2842. Je suis certain qu'il serait tr�s heureux d'avoir des nouvelles de ses vieux amis et coll�gues. Pour avoir eu l'occasion de le constater, je peux vous assurer qu'il est toujours aussi vif d'esprit et qu'il n'a pas besoin de se faire rafra�chir la m�moire. Si vous tentez de vous rem�morer des moments de l'histoire de l'ONF ou d�sirez renouer avec le bon vieux temps, envoyez-lui un mot : fiez-vous � moi, �a vaut le coup !

Un jour, en sirotant une bonne bouteille du moelleux rhum du sud, je lui ai demand� pourquoi sa premi�re r�ponse �tait toujours un �'non � bien senti ou quelque chose qui revient au m�me. Il m'a dit qu'au fond, il �tait un tendre et qu'il s'est fait une carapace de homard pour se prot�ger. Il m'a fallu des ann�es, et croiser plusieurs requins sur mon chemin pour comprendre.


Hosted by www.Geocities.ws

1