Vol.2, No.1, juin 1996

Avant et apr�s Juneau

Les rumeurs de coupures et de licenciements circulaient � l'ONF depuis plus d'un an mais, au terme de 1995, il ne faisait plus de doute que quand il y a de la fum�e, il y a n�cessairement du feu. Au d�but d'octobre 1995, quatre groupes de travail internes �taient form�s pour travailler sur le document de r�flexion L'Office national du film du Canada de l'an 2000, un aper�u des activit�s et des orientations de l'ONF. Les groupes de travail ont pr�sent� leurs conclusions en janvier.

En novembre dernier, dans une entrevue qu'elle accordait au bulletin, Sandra Macdonald, commissaire du gouvernement � la cin�matographie et pr�sidente de l'ONF, confirmait certaines des craintes du personnel. Elle entrevoyait la possibilit� de d�m�nager une partie de la production anglaise � Toronto, les cr�dits parlementaires de l'ONF seraient vraisemblablement coup�s de 25 p. cent ; le marketing devrait fonctionner � frais recouvrables ; certains services techniques seraient abolis.

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Programme d'incitation � la retraite anticip�e
Le 8 janvier, le directeur des Ressources humaines annon�ait un nouveau programme d'incitation � la retraite anticip�e, disant que les directions devaient "identifier un certain nombre de postes exc�dentaires. Les titulaires de ces postes qui sont �g�s de 50 et 59 ans se verront offrir la possibilit� d'opter pour le Programme d'encouragement � la retraite...". La note de service se terminait sur ces mots : "Il n'est �videmment pas garanti que nous pourrons accommoder toutes les personnes int�ress�es, mais cela nous permettra s�rement de minirniser les mises � pied." Le personnel admissible devait se d�cider avant le 19 janvier.

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Le rapport du Comit� d'examen des mandats (�) a finalement �t� pr�sent� officiellement � la nouvelle ministre du Patrimoine, Sheila Copps, le 31 janvier 1996. Le comit� de trois personnes �tait pr�sid� par l'ancien pr�sident du CRTC, Pierre Juneau, et comprenait �galement Catherine Murray, professeure de communications � l'Universit� Simon Fraser, et Peter Herrndorf, pr�sident de TVOntario, ancien dirigeant de la cha�ne anglaise de la SRC. Le rapport du comit�, dont les travaux ont co�t� un million de dollars, a �t� retard� du 1 er septembre 1995 au 13, puis au 31 janvier 1996.

La partie du rapport concernant l'ONF s'ouvre sur une note favorable : " Quiconque au Canada porte le moindre int�r�t au cin�ma ne saurait nier que l'Office national du film (ONF) a un pass� glorieux et a apport� au monde une contribution originale au chapitre du documentaire, du film d'animation et du long m�trage. " Et plus loin, on y d�clare ceci. " Durant le plus clair de son histoire, l'ONF a rempli son mandat avec un succ�s retentissant et a jou� un r�le de premier plan dans la vie culturelle du Canada. "

Apr�s ces mots gentils, il n'y a plus que des critiques envers l'ONF.

Les mauvaises nouvelles
Les principales critiques sont les suivantes : l'Office n'a plus une id�e claire de sa raison d'�tre ; une proportion d�mesur�e de ses fonds est absorb�e par son infrastructure et ses frais g�n�raux ; ses activit�s de distribution n'ont pas �t� suffisantes pour toucher des auditoires canadiens en nombres suffisants, au fil des ans, pour honorer son mandat ou justifier les fonds qu'il affecte � la distribution ; trop de ses ressources sont concentr�es � Montr�al tandis que les ressources d�ploy�es ailleurs au pays sont insuffisantes pour r�pondre aux besoins du potentiel de cr�ation.

Bien que la premi�re recommandation du Comit� Juneau soit de pr�ciser que " L'ONF doit continuer de jouer un r�le de producteur public cl�, essentiel � la vie sociale et culturelle du Canada ", les autres recommandations sont moins favorables pour l'Office. On y recommande entre autres : une r�duction sensible de son effectif permanent de producteurs, r�alisateurs et techniciens et un recours plus grand aux pigistes et aux contractuels ; une r�duction de personnel administratif et une r�vision du niveau de personnel affect� aux services de soutien de la production ; le d�m�nagement des activit�s de production de langue anglaise � Toronto d'ici deux ans, en ne laissant � Montr�al qu'un centre r�gional de production de langue anglaise; de quitter l'immeuble de la C�te-de-Liesse et de vendre ou de louer une partie de l'immeuble et une partie des installations techniques, de viser � la pleine r�cup�ration de ses frais dans ses op�rations de distribution, ce qui veut dire une r�duction sensible de ses activit�s, de son personnel et de ses frais de distribution � l'int�rieur du Canada.

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Triste lundi
Le 12 f�vrier, le cin�ma 3 de la C�te-de-Liesse �tait plein � craquer d'employ�s/es qui voulaient conna�tre les recommandations de la Commissaire. Tous les bureaux de l'ONF au Canada ainsi que le bureau de New York �taient reli�s par t�l�phone avec le cin�ma. Le personnel n'avait re�u le document en question que quelques heures avant le d�but de la r�union et, pour ce qui concernait les bureau de l'Ouest, personne n'avait eu le temps d'en prendre connaissance. La r�union, dirig�e par Sandra Macdonald, a �t� tendue. Certains membres du personnel �taient tr�s �mus dans leurs interventions. M�me si la Commissaire a bien soulign� qu'il ne s'agissait que de propositions, il semblait qu'on �tait en r�alit� devant un fait accompli. Apr�s la r�union qui avait dur� deux heures, la Commissaire a tenu une conf�rence de presse devant de nombreux repr�sentants des m�dias. M�me si le personnel de l'ONF �tait d�j� pr�par� depuis la sortie du rapport Juneau, la r�union fut un choc. Les recommandations qui touchent le plus le personnel sont les suivantes :
... fermeture de l'immeuble Grierson
... fermeture du Laboratoire
... fermeture du plateau de tournage et des services techniques connexes
... abolition graduelle des postes permanents de r�alisateurs et r�alisatrices
... abolition de tout le personnel charg� de la prise de vue, de la prise de son et de l'�clairage en ext�rieurs
... sous-traitance de la production des bandes sonores optiques et de l'enregistrement du bruitage
... r�duction de 25 p. cent du budget de recherche et de d�veloppement
... fermeture du Bureau de coordination technique
... sous-traitance de la plupart des activit�s vid�o, y compris le transfert sur vid�o des originaux de films, le transfert sur vid�o des rushes et la production de tous les �l�ments de distribution vid�o
... r�duction du nombre des projectionnistes � une personne
... sous-traitance de la copie et de l'exp�dition des vid�ocassettes
... �limination de 21 postes reli�s � des changements dans les fonctions reli�es aux approvisionnements, � la v�rification, aux exp�ditions et � la location de v�hicules
... �limination de quatre � cinq postes aux Ressources humaines
... sous-traitance des services d'impression et des services graphiques
... �limination des postes d'ing�nierie reli�s aux activ�s abolies, telles celles du Laboratoire.

Le rapport se termine sur ces mots : " Une fois les d�cisions prises par le conseil d'administration, et avant le 31 mars 1996, dans les cas o� des secteurs pr�cis d'activit� doivent �tre abolis, le personnel sera avis� des �ch�anciers de mises � pied pr�vues. Pour ce qui est des autres activit�s, le personnel recevra toute l'information d�s que la planification op�rationnelle sera arr�t�e. "

Le 16 f�vrier, on informait le personnel du Laboratoire qu'� moins de changements impr�vus, le Laboratoire fermerait le 28 juin. Tout au cours des mois de f�vrier et de mars, de nombreux membres du personnel �taient avis�s que leur poste �tait aboli. Le 6 mars, jour du d�p�t du budget f�d�ral, rien n'avait chang�. Les coupures impos�es � l'ONF, � la Soci�t� Radio-Canada et � T�l�film Canada �taient � peu pr�s les m�mes que celles qui avaient �t� pr�vues. Il semblait que le rapport Juneau n'avait eu que peu d'influence sur le ministre des Finances, surtout en ce qui touchait T�l�film. Son budget, de 146 millions de dollars, tombait � 91 millions, malgr� l'appui du Comit� Juneau. Pour 1996-1997, l'ONF ne pouvait plus compter que sur des cr�dits qui, de 75 millions de dollars, tombaient � 64 millions puis, en 1997-1998, � 56 millions.

Le 13 mars, jour de la r�union du conseil d'administration, un simulacre d'enterrement attendait la haute direction de l'ONF dans le hall d'entr�e de l'immeuble de la C�te-de-Liesse. Des personnes v�tues de noir entouraient un cercueil plein de films, environn� de bougies et de fleurs. Sur une pierre tombale avaient �t� inscrits ces mots : "R.I.P. ONF 1939-1996".

�DITORIAL

Depuis quelques temps d�j�, l'Office national du film du Canada est s�rieusement remis en question mais, depuis sa cr�ation en 1939,jamais il n'avait travers� de crise aussi grave. Jamais le moral de son personnel n'avait �t� aussi bas et, en tout �tat de cause, l'Office n'est plus le m�me que celui o� nous avons tant aim� travailler. L'incertitude et le d�sespoir r�gnent et l'esprit de camaraderie et d'�quipe s'en sont all�s. A la base de tout cela, il y a bien s�r les compressions budg�taires et le manque d'int�r�t du gouvernement pour les arts. Nous savons bien que l'ONF ne fait pas partie des "service essentiels", mais il n'en reste pas moins qu'il fait l'envie du reste du monde, qu'il a toujours �t� un mod�le � imiter et qu'il a �t� probablement le meilleur ambassadeur du Canada.

Aujourd'hui, l'ONF est r�duit � sa plus simple expression. Ses talents ont �t� d�cim�s et il reste peu de chose de cet organisme jadis fier, o� abondaient la cr�ativit� et l'innovation.

Tout au long de ses 57 ann�es d'existence, l'Office a �t� p�riodquement en butte aux attaques de la part du gouvernement, de l'industrie priv�e, de commissions sp�ciales ou d'individus, mais jamais ses ennemis n'ont eu raison de lui. Il a toujours b�n�fici� d'appuis et on a toujours reconnu � l'�chelle nationale et internationale qu'il �tait un des joyaux du Canada qui valait la peine d'�tre conserv� et aid�.

Dans cette p�riode financi�re d�sastreuse, la lutte pour prot�ger les arts semble perdue d'avance. Alors qu'un pays comme la France investit des millions dans la culture, le Canada coupe les maigres vivres aux artistes ou supprime carr�ment les fonds qui leur �tait destin�s.

Reste � esp�rer que cette fi�re tradition d'un cin�ma de pointe demeurera. Si elle succombe, il ne nous restera plus que le souvenir de la grandeur de l'ONF et la certitude que quelqu'un, un jour, cr�era un organisme pour porter le flambeau du pays. On l'appellera l'Office national du film du Canada.

Ron Jones


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