LA VIE APRÈS L’ONF
Rencontre avec
Laure Gauthier et Claude Pelletier
deux mordus de généalogie

Entrevue réalisée en deux temps par
Marie-Pierre Tremblay et J.-Olivier Fougères,
décembre 2005

« Vous commencez à réaliser qu’une longue lignée d’ancêtres vous a précédé. Vous vous posez des questions sur eux. D’où venaient-ils ? Que faisaient-ils ? Mais vous n’avez pas le cœur à la recherche et vous remettez et remettez…

Alors, au moins, transmettez à vos enfants le nom de leurs grands-parents et de leurs arrière-grands-parents car sans cela ils ne pourront jamais découvrir l’histoire de leur famille. C’est que, voyez-vous, pour sauvegarder la vie privée des Canadiens, il est désormais interdit de consulter, dans les Palais de Justice ou aux Archives nationales, les documents essentiels à la généalogie (actes de baptême, de mariage et de sépulture) datant de moins de cent ans. Ce qui veut dire que s’ils commençaient leurs recherches aujourd’hui, vos enfants ne pourraient prendre connaissance que des actes antérieurs à 1905. La seule manière pour eux de s’y retrouver serait donc d’avoir en mains les quelques noms que vous leur aurez donnés. »

C’est la stupéfiante révélation que nous faisaient récemment Laure Gauthier et Claude Pelletier*, deux maîtres-généalogistes agréés, un titre détenu par une quinzaine de Canadiens seulement, même s’il y a de plus en plus de gens qui s’intéressent à leurs origines.

LES DÉBUTS
Laure - « C’est une passion qui date d’une quarantaine d’année. Lors de notre dixième anniversaire de mariage, ma mère nous a offert le Dictionnaire Tanguay en sept volumes. Elle savait que Claude avait commencé à faire des recherches généalogiques et elle pensait que ça nous ferait plaisir. Finalement, ça a été le hobby de notre vie. Quand les enfants sont devenus plus grands, j’ai décidé de poursuivre mes études. J’ai fait ma 10e, ma 11e, et ma 12 e années en cours du soir. Puis Claude m’a dit : « Pourquoi ne pas continuer ? » J’ai choisi le Cegep Lionel Groulx. Je partais en autobus à 6 heures du matin et je revenais à 6 heures du soir. J’ai donc fait trois ans de collège en bibliothéconomie (entre-temps, j’avais eu une auto et c’était plus facile). Au même moment, un nouveau cours d’archivistique s’est ouvert au Cegep de Maisonneuve. Je l’ai suivi tous les samedis matins. Pendant ce temps-là, Claude allait à la Bibliothèque municipale de Montréal pour faire des recherches. Il venait luncher avec moi et il y retournait en après-midi. Plus tard, c’est encore Claude qui m’a incitée à devenir maître-généalogiste agréé. Alors je lui ai dit : « Mais c’est toi qui es connu… » Écoute, Marie-Pierre, il fallait avoir monté et donné des cours, avoir publié… J’avais fait tout ça, donc j’ai fait ma demande et j’ai été reçue. »

Claude - « Moi, pendant ces années-là, je continuais mes recherches sur les Pelletier. À l’occasion, quand j’étais en tournage, j’allais à l’église, je me faisais chum avec le curé, il m’invitait à manger, puis je lui demandais de me montrer ses archives. Beaucoup de curés se sont intéressés à la généalogie. J’avais toujours une pile de fiches avec moi. Des fiches de 3,5 po x 5 po sur lesquelles je notais le nom du personnage et celui de ses parents, le nom de son épouse et de ses parents de même que l’endroit et la date de leur mariage. J’attribuais un numéro à chacun. Au cours des ans, j’ai recensé près de 90 000 noms. Pour ranger tout cela, George Barnhill, qui était alors au département du Son, m’avait donné un nombre impressionnant de tiroirs dont il ne se servait plus. Puis un jour, j’ai tout transféré sur ordinateur (cela m’a pris pas mal de temps) et j’ai légué mes fiches à l’Association des familles Pelletier. Cette année nous avons signé un protocole d’entente avec l’Association des familles Pelletier Inc., donnant à celle-ci tous les droits et profits sur les publications de volumes et de compact-discs (CD). »

LES SOURCES
Claude - « Quand on veut faire l’histoire la plus complète possible d’une famille, il faut se référer aux greffes des notaires et on peut obtenir ainsi facilement 120 pages et plus de texte. Les actes notariés sont extrêmement précieux car ils nous permettent de prendre connaissance de l’achat et de la vente des propriétés, de la profession ou du métier des personnes contractantes, des sommes prêtées et dues (les notaires ont souvent joué le rôle de banquier), des conditions de location de terres et de services, des contrats de mariage, des dots, des inventaires après décès, etc. Pour ce qui est des actes de baptême, de mariage ou de sépulture, ceux-ci étaient enregistrés à l’église et à l’état civil. Les renseignements que nous cherchons, nous les trouvons aussi dans les bibliothèques, à la Maison de la généalogie de la Société généalogique canadienne-française, aux Archives nationales, auprès des diverses Sociétés de généalogie des municipalités ou des paroisses de la province et dans des documents publiés par certains passionnés comme l’agronome Benoît Pontbriand qui a laissé un répertoire colossal couvrant une bonne centaine de paroisses du Québec. On a eu la chance de commencer nos recherches avant que l’accès aux Palais de Justice ne soit interdit et alors que les répertoires se multipliaient. On a acquis plus de 1800 répertoires. Ce n’est pas beaucoup, si on considère qu’il y avait probablement autour de 10 000 paroisses au Québec, mais c’est suffisant pour nous permettre de faire maintenant la plupart de nos travaux à la maison. Aujourd’hui, pour les raisons qu’on a évoquées plus haut, personne ne publie plus de répertoires et les recherches couvrant les 100 dernières années sont rendues très difficiles. »

HISTOIRE ET GÉNÉALOGIE
Laure - « Nous étions membres de la Société d’histoire de l’Île Jésus depuis 1974 et nous avions été impliqués dans la préservation et la restauration de la maison historique André-Benjamin Papineau (construite entre 1818-1832) qui devait être déménagée (350 tonnes de pierres !) puisqu’elle se trouvait sur le tracé de l’autoroute 13. Pendant les sept ou huit années qui ont suivi, la Société s’est chargée d’y présenter des expositions d’intérêt historique (poupées, vieux poêles, peintres). Ça a duré jusqu’en 1982. J’avais organisé un groupe de bénévoles (on était une dizaine de bénévoles) et on faisait faire des visites (écoles, groupes de l’Âge d’or, etc). J’ai même reçu de la part de Ville de Laval, en 1989, un certificat me nommant « Bénévole de l’année ». Pendant tout ce temps, évidemment, nous nous sommes intéressés à la généalogie des quatre familles pionnières de l’Île Jésus : les Charbonneau (dont Claude est un descendant par sa mère), les Labelle, les Sire et les Éthier. »

Claude - « Le lendemain du jour où j’ai pris ma retraite, j’ai été nommé Président du conseil d’administration de la Société d’histoire de l’Île Jésus. Trois ans plus tard, l’Association des familles Pelletier a été fondée. Je n’ai pas pu participer à la réunion de fondation mais, lors de la réunion suivante, qui a eu lieu à Saint-Jean-Port-Joli, j’avais un petit cahier de 22 pages comprenant des données sur les Pelletier du Bas-du-fleuve. On a passé la fin de semaine à faire des généalogies sur le coin d’une table. On est revenu chez nous et on s’est dit : le cahier, il va grossir. À partir de ce moment-là, on a décidé de concentrer tout notre temps aux recherches sur les Pelletier. »

DE LA PATIENCE, TOUJOURS PLUS DE PATIENCE
Laure - « Claude m’amenait trois jours par semaine, les mardis, mercredis et jeudis aux Archives nationales. Je faisais de la généalogie toute la journée. J’ai fait cela pendant 6 mois et j’ai noté tout ce qui concernait les Pelletier. Ensuite, je suis allée au Palais de Justice de Montréal. Puis j’ai obtenu des microfilms des Mormons (entre autres) et la Société d’histoire m’a prêté un lecteur. Je lisais les bobines à la maison et j’imprimais ce qui m’intéressait à la bibliothèque. 80% des recherches sur les Pelletier ont été complétées dans les quelques années qui ont précédé et suivi la mise à la retraite de Claude. C’était devenu une véritable obsession. Aujourd’hui, on se limite à faire des ajouts. Mais c’est comme ça qu’à l’époque nous avons réussi à monter le plus gros fichier sur les Pelletier en Amérique du Nord. On a recensé 27 000 mariages depuis le début de la colonie pour la famille Pelletier de l’ancêtre de Claude et environ 15 000 autres mariages pour les familles Pelletier du Poitou et de la Beauce française. Avant ça, on faisait un peu de recherches pour tout le monde. Maintenant, seulement pour nos connaissances et amis. On a fait les Fougère, les Champoux, les Lafortune, les Koenig, les Tremblay1…»

Claude - « Moi, je me suis acheté une table à dessin, et j’ai dressé mes premiers tableaux généalogiques. Un arbre, c’est énorme. Par la méthode Stradonitz, les ascendants se déploient tout autour du personnage principal, en éventail. À la deuxième génération, deux noms apparaissent ; à la troisième, quatre ; à la quatrième, huit ; et à la dixième, le nombre est de 1023 noms. Et il est important d’être extrêmement précis car les erreurs se répètent à l’infini. C’est un travail de moine. »

SUR LES TRACES DES ANCÊTRES
Claude - « Évidemment, nous sommes allés en France et, pendant six semaines, nous nous sommes livrés à un véritable pèlerinage. Nous sommes allés voir la maison ancestrale, La Cristerie, située à Bresolette, dans le Perche. C’est là qu’est né en 1598, Guillaume Pelletier, mon ancêtre. La maison est présentement habitée par une Québécoise, une Pelletier née à La Pocatière. Ça a été très émouvant de remonter ainsi dans le temps. »

PUBLICATIONS
Laure - « Nous avons aussi publié plusieurs livres (à compte d’auteurs) sur les familles Pelletier. Le premier comprenait 10 000 mariages et le dernier, comme je l’ai déjà dit, 27 000. Mais nous avons décidé de céder nos droits à l’Association des familles Pelletier et c’est maintenant elle qui les vend. Autrement, tout le travail qu’on a fait était absolument pour notre propre plaisir. »

AUJOURD’HUI
Claude - « Nous avons vendu notre maison l’automne dernier et nous avons donné des caisses et des caisses de documents à différentes sociétés de généalogie et d’histoire. Nous avons aussi donné à la Cinémathèque québécoise des vieux projecteurs que j’avais achetés à l’ONF à mesure qu’ils devenaient obsolètes, bref, on s’est débarrassé de beaucoup de choses. Mais il nous en reste encore et on a été obligés de louer un deuxième espace de rangement, au sous-sol, pour entreposer tout cela. »

Laure - « Claude a donné sa démission comme généalogiste officiel de l’Association des familles Pelletier il y a environ deux ans. Il a 76 ans et il ne veut plus d’engagements formels. Mais il y a plein de gens qui continuent à l’appeler et il est toujours membre honoraire de plusieurs associations généalogiques. Ici, dans cette résidence, il y a un cinéma de 62 places. On lui a demandé de s’occuper des projections, il a refusé. On a un bel appartement, le service d’hôtel, et on a décidé de s’occuper maintenant de nous. Mais on a toujours la maladie de la généalogie et on a bien hâte de visiter la Grande Bibliothèque. On nous a dit qu’on pourrait avoir accès, en un seul lieu, à tous les documents que nous avions l’habitude de courir aux quatre coins de la ville2.

Cet été, il y a eu un grand ralliement des Pelletier à Amqui. Nous y sommes allés avec nos enfants et nous avons pris le traversier à Matane pour poursuivre le voyage jusqu’à Mingan. Ça a été formidable. »

Et tous les deux parlent d’abondance de leurs enfants. De leur aînée, Johanne, décédée accidentellement à Paris en août 1983, de Luce, chef du Service laboratoire d’un hôpital de la région du Suroît, de leur fils Claude, éditeur de Protoculture Addicts, un magazine distribué principalement aux États-Unis et de leur fille, Francine, une romancière bien connue. J’ai d’ailleurs lu un de ses livres, Cher ancêtre, qui relate l’histoire de Culdéric LaMarche, mort en 1857, et dont le fantôme hante les bibliothèques car il est à la recherche de ses ancêtres…descendants.

Comme quoi la généalogie est une grande et belle histoire de famille !

1. Eh oui !, j’ai eu droit à mes cadeaux, moi aussi – mille mercis !
2. Lors de ma seconde rencontre, Laure et Claude m’avouaient qu’ils étaient très déçus puisque leur rêve ne s’est pas réalisé, la Grande Bibliothèque étant déjà trop petite pour recevoir la section des documents généalogiques des Archives nationales.

*Claude Pelletier est entré à l’ONF le 5 janvier 1950 en tant qu’apprenti à la prise de son après avoir travaillé à contrat (pour l’ONF) pendant une année au studio Renaissance Films de Montréal. Il a par la suite été preneur de son et superviseur des opérations aux Services techniques. Il a pris sa retraite en décembre 1983.


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