LA VIE APRÈS L’ONF
Une aventure singulière
au pays de la coca

par Marie-Pierre Tremblay
en collaboration avec J.-P. Olivier Fougères
décembre 2002

Monique et Micheal Hazel ont toujours eu le goût du voyage et de l’aventure. Mais, depuis qu’ils sont à leur retraite, les quelques voyages organisés qu’ils ont faits à travers le monde ne les ont pas satisfaisaits. Se déplacer constamment, ne voir d’un pays que ce que le guide veut bien vous montrer, ne pas avoir la chance de parler avec les gens, de les connaître...

Un soir, il y a environ trois ans, ils se rendent à une réunion des «Retraités flyés» et y rencontrent Yvon Sabourin, un ex-enseignant montréalais devenu coopérateur Salésien qui s’occupe maintenant d’un orphelinat à Vallegrande, en Bolivie. Comme Monique a enseigné pendant des années et que Micheal est très habile de ses mains (on n’a qu’à se souvenir des magnifiques sculptures qu’il a exposées à l’ONF à l’automne 2001), ils se disent qu’ils pourraient peut-être partir et découvrir d’autres horizons tout en étant utiles...

Les embûches
Le statut officiel de bénévole donne droit à certains avantages, mais il n’est pas facile de l’obtenir. Lorsqu’ils se sont présentés au Rassemblement Missionnaire Laïc (RML) chargé de faire la sélection des candidats pour l’orphelinat, Monique et Micheal se sont vite rendus compte que cette voie était pour eux sans issue (il fallait suivre des cours, quitter le pays aux dates déterminées par l’organisme, remplir des tas de papiers...). Ils ne se sentaient pas prêts à entrer dans cette sorte de moule et, de toute manière, leur candidature a été rejetée. Ils ont donc décidé de poursuivre leur rêve, étant déjà en relation avec des amis de Yvon et se sachant bienvenus. Ils ont donc quitté le Québec en janvier, pour trois mois, à leur corps défendant.

Le hogar
Lorsque M. Sabourin a pris le Hogar Jesus Infante (orphelinat) en mains, il y avait là 30 enfants décharnés, sales et en mauvaise santé. En collaboration avec des Salésiens, d'autres organismes charitables du Québec et des laïcs montréalais, il a institué Les Enfants de Bolivie (*) et a réussi à obtenir des subventions gouvernementales et des dons. Avec l’aide d’éducateurs, de coopérants (dont le nombre varie constamment) et de travailleurs locaux, il a réorganisé les lieux et a acquis une petite ferme aux limites de la ville où il a bâti un poulailler et planté une fraisière. Les profits de la vente des œufs et des fraises sont déjà suffisants pour payer la nourriture des enfants. Le salaire d’une dizaine d’ouvriers agricoles est défrayé par des dons.


Rencontre de recettes du nord et du sud.
photo : Micheal Hazel

Aujourd’hui, le hogar et la ferme accueillent 96 garçons de 6 à 18 ans. Ils ont tous des séquelles d’une enfance difficile, soit qu’ils aient été abandonnés par leur père ou par leur mère ou qu’ils soient orphelins ou qu’ils aient subi des sévices de toutes sortes. «Certains ont des marques telles que tu te demandes comment cela a pu être fait. Je n’ai jamais vu des enfants massacrés comme ça» de soupirer Monique. Ils se retrouvent là parce qu’un travailleur social ou un curé de paroisse les a soustraits à leur triste sort.

Lorsqu’ils ont entre 6 et 14 ans, les jeunes vont à l’école. Les 14-18 ans partagent leur temps entre le travail aux champs et l’école. Les petits sont logés et nourris au hogar, les grands à la ferme.


Le temps des fraises en janvier.
photo : Micheal Hazel

Premier contact
Il y a 200 milles entre l’aéroport de Santa Cruz et Vallegrande. Il faut traverser deux chaînes de montagnes dans des chemins en lacets. Longueur du trajet: 7 heures. Aux alentours du hogar, les maisons en adobe sont toutes pareilles et on ne peut pas dire qui est à l’aise ou pauvre. Les unes ont des jardins à l’arrière, mais on ne voit rien de la rue. Une rue non pavée, jonchée de débris de construction, de tas de terre et de sable.

Arrivé au hogar, un simple coup d’œil suffit à Micheal pour mesurer l’ampleur du travail qui l’attend: les sacs de farine et de riz sont empilés pêle-mêle, par terre, à côté du vinaigre, des confitures et des boîtes de conserve; les louches et autres ustensiles de cuisine n’ont plus de manches ou de poignées; plusieurs prises de courant ne fonctionnent pas, des robinets fuient, des renvois sont bouchés, le système d’éclairage est déficient.

«J’écoutais la responsable me parler de ses malheurs,
j’en attrapais un et je m’en occupais.»

«Premièrement, j’ai fait des manches de louches en bois riveté. Celles-ci étaient tellement courtes que la cuisinière devait monter sur un petit banc pour brasser sa soupe. C’était très dangereux. Puis j’ai fait des armoires et des tablettes avec du contreplaqué pour ranger tout ce qui était par terre. Comme je n’avais pas de banc de scie, je suis allé voir un ébéniste. Son banc de scie était en bois ! Les seules pièces métalliques étaient la lame et le moteur. La précision n’était pas très grande et j’ai été obligé de raboter. Le bois est très dur, là-bas.

Mon grand plaisir était d’aller au magasin général pour acheter un bout de fil, un néon, des commutateurs. Tout était en désordre. Je devais demander ce dont j’avais besoin et comme je ne parlais presque pas espagnol, j’ai fait bien des dessins. Maintenant, je me débrouille un peu mieux: j’ai eu 96 professeurs! Mais c’était assez compliqué quand il fallait me faire aider pour réparer quelque chose...»

«Moi, j’essayais de faire des choses valables avec presque rien.»
Quant à Monique, même s’il avait été entendu qu’elle serait préposée à l’aide aux devoirs, elle découvre rapidement que ses talents d’éducatrice allaient être utilisés dans bien d’autres domaines. Elle a tout d’abord fait un inventaire du matériel pédagogique. «Les livres d’école appartiennent au hogar. Il faut les faire durer le plus longtemps possible. Ils étaient très abîmés. J’ai refait les couvertures, j’ai utilisé des rouleaux et des rouleaux de papier gommé pour les rafistoler. Puis il y avait une petite bibliothèque et, avec d'autres bénévoles, nous avons commencé à recenser ce qu’il y avait là-dedans et nous avons adopté un système de classification tout simple qui tenait compte du sujet et de l’âge des jeunes. Beaucoup de National Geographic Magazine et un ramassis de tout ce que les coopérants amènent et laissent sur place. Mais cette année, le hogar a reçu un don de 1000 $ des employés du Centre fiscal de Shawinigan et nous avons acheté de beaux livres tout neufs. J’ai aussi organisé plein d’activités de bricolage, jeux de table etc... J’essayais de faire des choses valables avec presque rien. J’ai été jusqu’à fabriquer de la plasticine... oui, farine, eau, sel, colorant végétal...

Ce n’est pas facile non plus d’aider à faire les devoirs quand les livres ont 2 ou 3 éditions différentes. Les enfants sont très libres et le recrutement des éducateurs est assez difficile. Pendant qu’on était là, il y en a trois qui ont été remerciés de leurs services pour cause d'immaturité ou de brutalité.»

Une vie qui enveloppe
Vivre au hogar, c’est vivre en communauté car on ne peut jamais se dissocier totalement du groupe. Les coopérants partagent le quotidien des jeunes et s’inquiètent de leurs moindres bobos comme de leurs troubles psychiques, de leur bien-être matériel comme de leur avenir.

La nourriture
Le midi, ils partagent le même repas qu’eux. Du riz et une sauce à la viande ou des légumineuses et de l'api, un breuvage de maïs bleu-violet (si on le fait fermenter, on obtient de la chicha), des légumes et des fruits (tomates, échalotes, concombres, laitues, oignons, courges, papayes, bananes, pommes de terre, poivrons), un peu de bœuf (cuit en haute friture), beaucoup de porc, du poulet. Le dimanche c’est la fête: pommes de terre et poulet frits, riz et bananes plantains. Le tout servi dans la même assiette. Jamais de dessert. Les bénévoles apportent les plats à chaque table et se chargent de distribuer la nourriture équitablement entre tous les jeunes. Ils doivent surveiller les chapardeurs qui n’hésitent pas à se servir dans l’assiette de leurs voisins... Le soir, ils répartissent la nourriture, participent à la corvée de la vaisselle mais laissent aux éducateurs le soin de veiller au coucher. Ils retournent alors à la «maison des bénévoles» située à 2,5 milles du hogar et profitent de leurs quelques heures de liberté pour se préparer un bon repas, se reposer, lire, discuter et décider des activités du lendemain.

Dans un pays où les familles sont en quête journalière de nourriture, où l’on combat la faim en mâchant de la coca, la table de l’orphelinat peut être considérée comme celle d’un palace. Les enfants y mangent mieux que dans la plupart des familles. Résultat: ils sont en meilleure santé, sont plus grands et plus gros que la moyenne des enfants du pays.

«Les cuisinières sont extraordinaires. Elles ont essayé d’établir des menus plus équilibrés. Et nous les avons encouragées à utiliser leurs ressources au maximum en leur montrant à faire des pâtés aux patates, de la pizza, du gâteau aux bananes. J’ai écrit toutes les recettes. Au hogar, on a un magnifique poêle à huit ronds, don du Canada, et la boulangère vient de recevoir un nouveau four à pain dans lequel elle fait dorer 1600 pains par semaine. À Pâques, nous avons fait 150 œufs en chocolat. Les jeunes n’en avaient jamais mangé. Quelle surprise de se les voir remettre par une Mère Lapin !


Ce sont les 70 enfants du hogar et des bénévoles.
photo : Micheal Hazel

L’eau, la santé, le froid
«On utilise l’eau de la ville qui est en principe filtrée mais qui laisse passer des bactéries. On a eu des cas de typhoïde et de salmonelle. C’est difficile d’implanter des mesures d’hygiène en ville mais au hogar, c'est prioritaire. Lavage des mains avant les repas, lavage des dents deux fois par jour, douche. À Vallegrande, il y a un petit hôpital qui dispense de bons soins. Pour les enfants de moins de 14 ans, les médicaments sont gratuits. Pour les plus grands, le hogar doit payer et c’est extrêmement cher.

Une dentiste locale reçoit gratuitement une fois par semaine des enfants dont la bouche est en très mauvais état: de 6 à 25 caries chacun. Ils ne boivent pas de lait mais les choses devraient changer parce que la ferme a reçu deux vaches qui ont vélé. Il y a aussi d’autres maladies transmises par les insectes et qui sont mortelles si on ne s’en occupe pas. Et les maux de l’âme! Ces enfants-là ont été rejetés et leur comportement s’en ressent! Ils ont besoin de beaucoup d’affection.

À La Paz, l’altitude est de 15 000 pieds. On y a gelé comme des rats, en janvier, et c’était l’été. À une heure de vol de la capitale, à Santa Cruz, le même jour, il faisait 20 degrés de plus. L’orphelinat est situé à 6500 pieds d’altitude. L'air rafraîchit vite en soirée et aux changements de saison. Il n’y a pas de chauffage dans les maisons - ni dans les hôtels, d’ailleurs. Il faut donc habiller les enfants pour l’hiver. Je me suis occupée de distribuer les chaussures : «Je veux les jaunes... moi les bleues ...» peu importe la pointure ! Toute une corvée! En juillet, à chaque année, des enfants des montagnes meurent de froid ou doivent être amputés à cause d’engelures. C’est un pays très dur. Impitoyable.»

Les vacances
« Nous avons fait un peu de tourisme. Nous sommes allés à Santa Cruz, Cochabamba, La Paz, au Lac Titicaca. Mais quand nous allions à Santa Cruz ou à Cochabamba, c’était souvent par affaires. Pour acheter des matériaux, des livres, pour écouler les produits de la ferme. Les routes sont en très mauvais état. Tout est un peu compliqué, là-bas. Ainsi, il était difficile de se procurer de l’argent car souvent même les banques n’en avaient pas après les premières transactions de la journée. Et quel cérémonial! Gendarmes à la porte, interminable file d’attente...»

Et la suite...
«Nous repartons le 10 janvier. Dans nos bagages, on mettra des choses aussi simples que de la poudre à pâte et du bicarbonate de soude qu’on ne peut trouver en Bolivie qu’en sachets (à la pharmacie), des crayons, du papier, de la corde... et Michael a acheté une scie ronde qui fonctionne au 220V.»

Des projets, ils n’en manquent pas. «Nous pensons que l’hiver est très dur pour eux car ils n’accumulent aucune réserve. Notre but est d’améliorer la post-récolte des fruits et des légumes. Cette année, la superficie de la fraisière sera doublée. Les graines de tomates devraient donner des fruits, les pêchers et les pommiers plantés il y a quelque temps devraient venir à maturité. Ils vont manger en saison une partie de leur récolte, en vendre une partie, mais que feront-ils du reste? Ils ne connaissent à peu près rien de la conservation.

En premier lieu, poursuit Micheal, je vais trouver un système pour que les produits soient lavés sur place avec l’eau de deux petits lacs qui se trouvent sur le terrain et mis à l’ombre à mesure qu’ils sont cueillis. Puis je vais construire des brouettes pour accélérer le transport du champ au garde-manger. Actuellement, chaque cueilleur apporte ses petits «casseaux», huit à la fois, et les fruits sont souvent abîmés par une trop longue exposition au soleil. Un autre de mes projets est de leur montrer à faire des caveaux pour conserver leurs pommes de terre.»

Mais leur objectif ne sera pas atteint tant qu’ils n’y auront pas installé «leur» conserverie. «Nous avons fait beaucoup de recherches pour savoir comment nous y prendre. La plus grande partie du matériel se trouve déjà sur place et les subventions nous aideront à acquérir ce qui manque et à payer le salaire du responsable de l’entreprise. Monique sait comment faire la mise en conserve des fruits, des légumes, et même de la viande. Elle partagera ses secrets et tout le monde devrait en profiter. Les ados se sentiront plus utiles, car il est difficile de les tenir occupés, la main-d’œuvre locale sera appelée à y travailler et ainsi un peu d’argent sera investi dans la communauté, et, surtout,le hogar sera mieux servi.»


Fabrique artisanale d'oeufs de Pâques
ingrédients boliviens, recette québécoise.
photo : Clodette St-Arneault

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Micheal Hazel a quitté l’ONF en 1995. Attaché aux Services techniques durant 34 ans, il a été successivement preneur de son et gestionnaire et a participé à plus de 200 productions.
Monique Hazel a enseigné l’histoire et la géographie à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) pendant 35 ans et a participé à de nombreux projets pédagogiques. Elle a également pris sa retraite en 1995.

Monique Hazel a préparé trois causeries sur la Bolivie. Elles seront diffusées par tranches - avec photos - sur le site du club.

* Les Enfants de Bolivie est administrée par des bénévoles qui recueillent des dons et émettent des reçus pour fins d'impôt. Toutes les contributions vont directement au Hogar Jesus Infante et servent à améliorer le sort des enfants qui lui sont confiés. L'adresse à laquelle vous pouvez faire parvenir votre contribution est :
Les Enfants de Bolivie
6901, des Roseraies, app. 704
Anjou (Québec) H1M 3N5

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