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Les entrepreneurs


 

Les entrepreneurs apparaissent tôt dans l'Histoire. On pourrait dire que l'entrepreneuriat naît dès qu'un primate futé troque deux noix de coco pour une pointe de silex et que l'État n'y est pour rien, mais les entrepreneurs ne sont d'abord que des commerçants mi- brigands, toujours sur le qui-vive, en transit, une main sur le couteau, Ce n'est que de la cuisse de Jupiter que peut naître le pur entrepreneur, quand un pouvoir existe qui assure sa sécurité. Quand il peut déposer ses armes et ne penser qu'à entreprendre. L'entreprise privée ne se développe donc significativementqu'en symbiose avec le pouvoir.

Dans une société primitive, celui qui commande a tous les pouvoirs et rien ne s'y passe qu'il ne tolère ; pourquoi permet-il que naisse l'entrepreneuriat ? Un peu par paresse, parce qu'il a promis de conduire le peuple vers la terre promise de l'abondance. Il assumé la mission d'enrichir la société - et donc l'ultime responsabilité que soient produits tous les biens et que soient rendus disponibles tous les services que la société peut offrir à ses sociétaires - mais la production ni le travail ne l'intéressent vraiment, seulement le produit.

Assurer la production est sa priorité, mais la production l'ennuie. Quelle bonne nouvelle si tous ces manants veulent bien produire ! Il y a en chacun un entrepreneur qui sommeille ? Éveillons-le. La « libre entreprise » naît quand l'État choisit de s'acquitter de sa mission d'enrichissement en permettantque s'en chargent des quidams qui le feront sans rien lui demander, en tirant simplement un profit de ceux qui reçoivent les biens et les services.

Tous les États ne font pas ce choix, mais la plupart le font. L'État invite les entrepreneurs à la production par paresse, mais aussi et surtout par gourmandise, car l'entreprenariat, non seulement exige de lui moins d'efforts, mais lui apporte plus. L'État a des esclaves, des soldats, des travailleurs qui peuvent produire, mais gérer la production est une séquence de microdécisions. Ce sont les réponses apportées aux questions que soulève cette prise de décisions ininterrompue et les incessantes innovations que ces réponses suggèrent qui déterminent l'efficacité de la production. Or, l'État est trop gros, trop lourd, trop fort pour se poser des questions... Il faut que celui qui produit le fasse.

On constate vite que des travailleurs libres d'innover, motivés par un lien direct entre leur performance et le profit qu'ils en retirent, produisent la plupart du temps mieux et plus que ceux que ne motivent que le sens du devoir, l'ambition ou la crainte de la sanction. D'autant plus que ces « entrepreneurs » peuvent être mis en situation de concurrence et conduits à chercher leur profit avec diligence en faisant mieux que leurs émules. C'est une approche plus conforme à la nature humaine et donc plus efficace.

L'État trouve donc vite opportun de céder à des entrepreneurs tout ce qu'il peut de sa fonction de gérance, ne se gardant du processus de production que le contrôle qu'il en juge essentiel, récupérant au passage, d'une façon ou d'une autre, chaque fois que faire se peut, sa large part de la richesse produite. Quand l'économie devient plus complexe et la tâche de produire plus exigeante, l'entreprenariat devient pour l'État la meilleure façon de produire et de s'acquitter de sa mission d'enrichissement.

Un choix bien judicieux, puisqu'il permet que soit mise à profit l'initiative des individus. C'est un choix, cependant, qui a des conséquences insidieuses, puisqu'il mène à l'émergence d'un pouvoir économique distinct du pouvoir de l'État. Un pouvoir bien modeste au départ, dans une société de pénurie, et le pouvoir de l'État y reste presque total, mais ce pouvoir « économique » ne demande qu'à grandir en parallèle au pouvoir politique de l'État.

Quand l'État fait ce choix de s'en tenir à sa fonction de gouvernance et de s'en remettre à des entrepreneurs pour produire la richesse, il ne peut pas, toutefois, abdiquer pour autant sa responsabilité de veiller à l'enrichissement collectif. Cette responsabilité demeure entière et, si le peuple s'appauvrit, il le fera savoir à ses chefs, parfois brutalement.

Parce qu'il conserve cette responsabilité, l'État qui s'en remet à l'entrepreneuriat limite donc parfois à l'essentiel sa fonction de gérance de la production, mais il ne s'en retire jamais entièrement. Il se réserve toujours de gérer directement les aspects de la production qui collent à son rôle de gouvernance ou qui lui semblent essentiel à l'enrichissement de la société. Il se crée des chasses gardées dans la production, où il conserve les moyens d'intervenir.

Il y a, la plupart du temps, trois (3) de ces chasses gardées. La première réunit les activités qui permettent d'orienter la production dans la direction que choisit la majorité effective, car si un gouvernement n'y veille pas un autre s'en chargera. L'État « planifie » toujours la production. La seconde chasse gardée a pour objet d'arbitrer les différends entre les acteurs économiques ; elle peut apparaître comme une simple extension de l'objectif de faire régner la justice qui découle de la fonction de gouvernance de l'État, mais cette activité d'arbitrage ne repose pas sur les mêmes principes et ne s'applique pas de la même façon que la justice qui assure le respect du contrat social.

La troisième chasse gardée regroupe les gestes que doit poser l'État pour contrôler le processus de production, le corriger, évaluer la performance des entrepreneurs et parfois substituer ses décisions aux leurs, si celles-ci sont par trop contraires à l'intérêt général. C'est son droit d'intervenir, mais il le veut si discret que parfois, quans il l'exerce, on croirait qu'il braconne.

Pierre JC Allard

 


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