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La loi et le marché


 

L'alliance dominante - le regroupement de ceux qui, ensemble, ont la force d'imposer leur volonté à la société ­ va expliciter le contrat social. Elle va donc définir une éthique, une moralité, des normes de conduite, des lois, des règlements ... C'est la dimension normative de l'activité humaine.

Quand ces règles sont ainsi faites que la sécurité permanente qu'elles apportent vaut toujours, pour une majorité effective de ceux qui ont la force, plus que les sacrifices ponctuels que l'application de ces règles peut exiger d'eux, on peut raisonnablement s'attendre à ce que la force de ceux qui se commettront à assurer le respect de ces règles soit toujours supérieure à celle de quiconque s'y opposerait. Les lois sont alors stables et un État de droit peut se créer.

Chacun, bien sûr, n'en cessera pas pour autant de chercher à infléchir les règles en sa faveur. Parmi les normes que l'on établit, on trouve en bonne place - peut-on s'en étonner ? - les lois qui établissent des conditions d'échange systématiquement favorables aux membres de l'alliance dominante. Quand des normes existent qui la font respecter, l'inégalité peut se prétendre légitime .

Pour retirer plus de la société et y contribuer moins, ce qui est l'enjeu que l'égoîsme impose aux sociétaires, ceux qui ont le pouvoir mettent donc vite en en place un cadre légal, des règles qui biaiseront toute transaction en leur propre faveur. Cette mise en place d'un cadre normatif (moral, constitutionnel, juridique, réglementaire) à la convenance de ses membres est l'expression la plus significative du pouvoir qu'exerce l'alliance dominante.

Quand les lois ont été édictées qui assurent la suprématie de l'alliance dominante et régissent les rapports entre les membres de celle-ci en tenant compte de leur force respective, chacun peut tirer légalement la couverture à soi et optimiser l'inégalité en fonction de sa propre force, sans remettre en question l'ordre établi, c'est-à-dire sans compromettre la stabilité de la société ni de l'alliance dominante: la rapine est institutionnalisée.

Dans une société naturelle, il ne faut donc pas penser un instant que les lois sont établies pour faire prévaloir l'équité. Loin de garantir la justice, elles visent à garantir la pérennité de l'équilibre des forces tel qu'il existait au moment où les lois ont été édictées. Corollairement, tout ce qui pourrait modifier substantiellement cet équilibre des forces deviendra illégal, puis, peu à peu, immoral... C'est ce qu'on appelle maintenir l'ordre.

Le jeu des alliances constitue la dimension politique de l'activité humaine, l'établissement du cadre légal et de ses lois en est la dimension normative, produire en mettant à profit la complémentarité des sociétaires et répartir entre ceux-ci la masse de ce qui est produit en est la dimension économique. Dans une société naturelle, cette répartition est faite en fonction de la force dont chacun dispose et elle tend à être aussi inégale que faire se peut sans compromettre la survie de ceux qui n'ont d'autre pouvoir que leur utilité.

Dans une société primitive, les forts prennent sans discuter, mais quand ce sont des alliances qui détiennent le pouvoir, et qu'un cadre légal a été mis en place, on ne peut plus piller à sa guise: il faut y mettre des formes. On ne prend plus, on marchande. "Utilité" et "rareté" prennent alors une importance accrue et on dit que la "loi du marché" s'impose.

Utilité et rareté sont mises en évidence pour maintenir une apparence d'équité, puisque les inégalités apparaissent alors justifiées ou au pire aléatoires, plus tolérables puisqu'elles sont circonstancielles, « externalisées » donc, et non la conséquence irrémédiables et permanente d'une qualité inhérente à l'un ou à l'autre. L'équité est là, au palier des chances sinon des résultats

Ce qui est vrai... avec certaines réserves. Il est vrai que les biens et services prennent sur le "marché" une valeur variable - et que chaque sociétaire retire un pouvoir précaire de cette valeur du service qu'il offre - mais il est faux de prétendre que l'inégalité s'arrête là et que seules les lois du marché déterminent les "conditions d'échange".

Il faut voir avec lucidité que l'avantage concurrentiel que confèrent les "lois du marché" à quiconque offre un bien ou un service sur le marché n'est qu'une des composantes du rapport de force qui prévaut au moment de chaque transaction et qui fera que l'une des parties gagnera à l'échange... et l'autre pas. Le pouvoir circonstanciel de la rareté ou de l'utilité ne fait que s'ajouter au pouvoir, significativement plus stable, que chacun tire de son appartenance au réseau des alliances qui quadrille la société.

Chaque sociétaire qui se présente sur le marché cherche à biaiser en sa faveur les "conditions d'échange" (Terms of Trade) en utilisant tout le pouvoir dont il dispose, y compris, au premier chef, celui qui découle de son appartenance à des alliances qui ont la force pour eux . Avec ou sans cadre légal, on va tricher. L'État de droit efficace est celui qui minimise la tricherie, sans oublier qu'elle ne demande qu'à se manifester. On va tricher, mais malgré ces anicroches, la notion de justice sera là pour rester.


Pierre JC Allard



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