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LA METAMORPHOSE


 

Nous sommes en crise parce qu'une métamorphose est engagée. Elle cessera dès qu'on aura brisé le cocon. Dès qu'une société se constitue, on s'y échange des biens et des services. Il y a toujours, dans toute société, à tous les stades de son évolution, un ensemble de principes, de lois, de règles et d'organismes qui en assurent l'application, qui constituent la structure d'encadrement permettant que les biens soient produits et que les services soient rendus. Le but bien terre-à-terre d'une telle structure est de produire et de distribuer le mieux possible ce que veut la majorité effective de la population.

Satisfaire cette demande est crucial car, quoi qu'on en dise, c'est dans l'exercice de sa fonction de gérance et à l'aune de la richesse qu'il permet qu'un gouvernement est d'abord jugé et il en sera ainsi aussi longtemps que tous les désirs matériels ne seront pas comblés. La mise en place de cette structure constitue l'un des aspects fondateurs d'une société et en assurer le fonctionnement demeure toujours l'une des fonctions premières de l'État. La relation entre le citoyen et l'État est largement déterminée par la façon dont ce dernier s'acquitte de cette fonction et vice-versa.

La production est toujours en quête d'un optimum: il s'agit toujours d'avoir plus pour moins. C'est l'expression d'un désir d'efficacité qui est le corollaire de la désutilité du travail Plus de biens et de services, pour moins de travail et moins de ressources consommées. Quand on s'écarte de ce principe, c'est que la structure a été pervertie ou qu'une nouvelle technologie est apparue à laquelle la structure ne s'est pas encore adaptée.

La structure d'encadrement, en effet, dépend des besoins et des priorités, mais aussi des technologies disponibles qui peuvent modifier la façon de satisfaire ces besoins. Quand des techniques nouvelles apparaissent qui changent significativement la façon de produire et de s'échanger les biens et services, elles changent l'importance relative des diverses activités économiques et donc la nature même de la société. Les joueurs qui s'activent dans la structure doivent donc intégrer l'impact de ces techniques et la structure d'encadrement doit aussi changer.

Quand plusieurs nouvelles techniques doivent être ainsi intégrées, leurs effets se cumulent et la structure d'encadrement en place va se transformer par elle-même dans le sens du changement nécessaire. Elle va le faire dans toute la mesure de la flexibilité qu'on lui a accordée, mais cette évolution spontanée, pourtant, est rarement suffisante, car, si l'on n'y avait introduit au départ des éléments rigides à caractère contraignant, cette structure n'aurait jamais rien interdit, ni donc rien encadré.

Si les innovations technologiques sont légères, on s'y adapte sans y prêter attention. Si les correctifs à apporter pour encadrer les nouveaux besoins et les nouvelles façons de les satisfaire sont d'une telle ampleur que la structure en place ne peut plus s'accommoder des lois et des règles établies, cependant, c'est l'État qui doit alors répondre aux signaux qu'il reçoit jour après jour de ses commettants et apporter à la vieille structure des correctifs qui permettront à chacun d'eux de tirer de son appartenance à la société tous les nouveaux avantages qu'il peut désormais en retirer.

Confronté à l'émergence d 'un nouveau paradigme économique, l'État doit accepter de modifier en profondeur la structure et les règles du jeu. Il doit accepter une métamorphose. Il le fait de plus ou moins bonne grâce, selon qu'il est plus ou moins sous la tutelle du groupe dominant au profit duquel les normes qui ont cours ont été mises en place et dont ces modifications peuvent mettre en péril la position de force, mais il le fait toujours. S'il n'y consent pas, c'est l'État lui-même qui est « modifié », après quoi la métamorphose se poursuit et la société devient ce que les techniques disponibles lui imposent d'être.

Dès qu'une métamorphose est engagée, elle va inéluctablement vers sa fin, car les techniques désormais connues ne se laisseront pas oublier On y va peu à peu, sans trop s'en rendre compte, mais on y va, rendant effective une décision collective qui naît d'un consensus social. Briser finalement le cocon, toutefois, s'en extraire et devenir ainsi formellement « autre chose » exige un geste de l'État. Il incombe à l'État, en édictant de nouvelles normes, d'y acquiescer formellement, de proclamer que la nature de la société s'est radicalement transformée, que la chenille est devenue papillon: une nouvelle société.

A la fin du XVIII ème siècle, par exemple, la quête de l'optimum avait le visage de l'industrialisation. Elle exigeait l'urbanisation, car la main-d'oeuvre devait être rassemblée pour produire en industrie. Urbanisée, la société pouvait désormais tenir sa sécurité quotidienne pour acquise et mettre la priorité sur l'atteinte de cette abondance que promettaient les machines. La promesse d'abondance faisait de la liberté civile et du droit de propriété de nouvelles conditions intransigeantes d'un travail productif.

L'industrialisation exigeait la fin des privilèges de la noblesse et du clergé - des normes créées pour encadrer une société agraire - parce que ces normes biaisaient le jeu économique en faveur de la richesse foncière, alors que la création de richesse allait visiblement reposer désormais presque tout entière sur l'utilisation des machines et l'industrie.

Il a fallu que quelques têtes soient coupées pour que les changements soient faits, mais ils l'ont été et rapidement. En une quinzaine d'années, on a vu non seulement la suppression des privilèges, mais aussi une réforme administrative, le quadrillage du territoire par départements, la mise place de nouveaux codes de loi et, finalement, la création de la Banque de France, dont on peut dire qu'elle marquait la fin de la transition d'une société agraire féodale vers une société industrielle capitaliste. Mission accomplie. C'est toujours ainsi que les choses se passent.

Maintenant, il y a 50 ans que notre société veut devenir postindustrielle. Il faut briser le cocon.

 

07.10.28

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