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Le bonheur tranquille


 

Après la crise est venue la guerre et, après la guerre, une industrialisation ­ et donc un enrichissement - comme l'on n'en avait jamais connu, mais l'État et les producteurs avaient appris les Trois Nobles Vérités qui mènent l'industrie à son Nirvana :

Rien de pire qu'un client satisfait, mais, après un besoin, il suffit d'en créer un autre.

Il faut un peu d'argent dans la poche de tout le monde, mais on peut le prendre des riches ; ils ne s'en offusquent pas, ils en font plus.

On peut donner autant d'argent qu'on veut à tout le monde ; les pauvres, nous le remettent tout de suite, les riches ne le dépensent pas.

Ils avaient aussi compris un petit secret à ne pas crier sur les toîts : c'est l'argent qui apporte le pouvoir, mais c'est le pouvoir qui fabrique l'argent. Forte de sa sagesse, l'industrie, a pu continuer sa progression sans heurts pendant des décennies. L'industrialisation a d'abord fini de balayer le secteur primaire. La mécanisation de l'agriculture été menée à terme si complètement, qu'il ne restait plus en Amérique du Nord, dans les années ''50, que 3% de la main-d'oeuvre dans les champs, alors qu'il y en avait plus de 90 % avant la révolution industrielle. Ce 3% des travailleurs, non seulement suffisait à nourrir la population américaine, mais exportait ses surplus dans le monde entier.

En parallèle, l'industrialisation sautait d'une branche d'activité à l'autre du secteur secondaire, au rythme des innovations techniques qui le lui permettaient. Le capital laissait les marchés mécanisés dès que la demande tendait à y plafonner et allait vers les nouveaux marchés conquis un à un par la machine, là où il pouvait entrer en force, mettre en place l'équipement désormais disponible et faire un gros profit. La main-d'oeuvre migrait vers les domaines où un capital fixe ne pouvait pas encore être utilisé profitablement, en attendant que les machines et le capital les y rejoignent.

Les entrepreneurs qui passaient d'une branche à l'autre y perdaient souvent, mais d'autres les remplaçaient ; ils vivaient des aventures. Shylock, le capitaliste endurci, celui qui ne fait que prêter et vit uniquement de ses intérêts, les suivait pas à pas et finançait les équipements. Il le faisait à contrecoeur, car le capital n'aime pas voyager ; le vrai Shylock, n'est jamais si bien que dans ses pantoufles. On bousculait un peu Shylock, car les déplacements sont pour les entrepreneurs, les aventuriers mais il suivait.

On bousculait Shylock, mais on avançait. Le pourcentage des travailleurs dans le secteur secondaire était passé, de quelques artisans au départ, à 55% à de la main-d'uvre en 1955. La productivité augmentait sans arrêt et le niveau de vie de la population, en termes réels, grimpait de 3% à 4% par année. Des droits humains étaient chaque jour nouvellement reconnus et les disparités entre pauvres et riches en Occident s'estompaient vraiment. Au cours des années ''50, on prédisait qu'en l'an 2000, une date mythique à un horizon qu'on pouvait à peine discerner dans les brumes de l'avenir, le revenu du travailleur américain moyen dépasserait 100 000 dollars par année. Il aurait son hélicoptère et il vivrait 100 ans. On se sentait sur la voie du bonheur.

Un enrichissement du travailleur, toutefois, signifiait plus de pouvoir pour le travailleur et il était important que le concept d'une lutte des classes, voire d'une incompatibilité entre les intérêts du capital et ceux du travail, soit complètement éradiqué. Le New Deal avait fourni une alternative l'aisance, au bout du travail, comme dans une guinguette de pub anglais, mais le vrai capital, avec un enrichissement par le paiement d'un intérêt. Après la Deuxième Guerre mondiale, le régime capitaliste a donc mis le paquet sur une politique d'élargissement de l'actionnariat, avec deux objectifs en tête.

Le premier, celui de récupérer en épargne la plus grande part possible du prix payé pour le travail, non pas pour le soustraire vraiment du revenu disponible pour lq consommation, ce qui aurait été désastreux pour la demande effective, mais pour le redistribuer en crédit, tissant un lien de dépendance additionnel entre le capital et l'individu.

Le deuxième, tout aussi transparent, celui de transformer en alliés du capitalisme, tous ceux ayant quelques avoirs et donc intéressés à ce qu'un intérêt obtenu sans risque vienne s'y ajouter. Une classe sociale en rapide expansion de rentiers vieillissants, dont le pouvoir politique ne pouvait qu'augmenter avec leur importance démographique croissante, viendrait ainsi servir de bouclier humain aux shylocks.

Un bouclier inattaquable, car comment contester la légitimité du paiement d'un intérêt, quand c'est toute la classe moyenne qui en profite pour se bâtir une retraite ? Évidemment, ces détenteurs d'un capital minuscule ne changeraient rien à la récupération de 40% de la richesse et de la quasi-totalité des gains de capital par le 1% de vrais possédants de la société, mais, pour celui qui a peu, son peu n'en est pas moins son tout et il ne se battra pas moins fort pour le défendre. Le bonheur tranquille du capitalisme à la portée de tout le monde.

Une stratégie habile, mais dont l'on n'avait peut-être pas prévu toutes les conséquences. Les capitaux provenant des fonds de retraite, des compagnies d'assurances et autres bassins où pouvaient s'accumuler les économies de la classe moyenne se sont bien dirigés vers les grandes institutions financières sous contrôle des capitalistes, comme on pouvait s'y attendre, pour être ensuite mis au services des structures corporatives, industrielles ou constituées sur le modèle industriel, mais un nouveau joueur est apparu que l'on n'attendait pas.

Dans la partie de souque à la corde entre travailleurs et capitalistes sont intervenus les managers


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