[Ce texte prend comme exemple le cas du Québec. Je ne crois pas que
les non-Québécois que la chose politique intéresse
aient beaucoup de mal à en transposer les recomandations ]
Qui a le pouvoir formel d'instaurer la DC? Les 125 députés
élus à l'Assemblée nationale. L'objectif immédiat
des forces du changement est donc de faire élire, aux prochaines
élections provinciales ou fédérales , une majorité
de députés susceptibles de forcer le passage à la démocratie
contractuelle. Ceci dit, il ne faut pas penser qu'instaurer la DC n'est
possible que si la prochaine Assemblée est constituée au départ
d'une majorité de députés indépendants élus
sous l'étiquette de convenance d'un Parti DC ou que ceux-ci détiennent
tout au moins la balance du pouvoir à l'Assemblée
Le passage à la DC devient possible et même probable dès
que sont élus en nombre suffisant des députés d'un
parti dont on peut penser qu'il pourrait trouver avantage à promouvoir
ce changement vers la DC. Le premier élément d'une stratégie
est donc de faire élire les candidats d'un Parti DC, mais il est
important aussi de cibler les occasions de convertir à la DC, en
bloc ou un par un, les députés des autres partis.
L'élection de députés du Parti DC
Les électeurs ont déjà pour la plupart, envers l'un
ou l'autre des partis, une préférence basée sur des
éléments qui n'ont rien à voir avec le concept de la
démocratie contractuelle. Ce concept de DC est accueilli favorablement
par une majorité de ceux à qui on l'explique, mais il n'y
a que bien peu d'électeurs qui connaissent ce concept et, même
s'ils le connaissaient tous, l'influence des médias pourrait en convaincre
beaucoup qu'un problème ponctuel "d'importance vitale"
justifie qu'ils demeurent attachés une fois de plus aux lignes de
clivage traditionnelles: Bleu vs Rouge, Souverainiste vs Fédéraliste,
Gauche vs Droite...
Pour obtenir rapidement un pourcentage significatif du vote populaire, un
Parti DC doit donc obtenir l'adhésion en masse d'électeurs
qui lui "prêteront", le temps d'un changement des règles
du jeu, une loyauté qu'ils ont déjà accordée
à un autre idéal ou un autre parti et que la DC ne tient pas
à ravir à ces partis. Où la DC peut elle aller "emprunter"
ses électeurs?
Chez les autres partis, bien sûr, en respectant l'ordre de préséance
qui découle des affinités pour le changement des membres des
divers partis... et ce principe universel qu'on ne prête qu'aux riches.
Il est plus facile d'obtenir le soutien d'un militant de tiers-parti qui
a déjà fait son deuil d'une victoire que celui d'un membre
encarté du parti au pouvoir... et il est aussi plus facile de convaincre
si on semble avoir une chance de gagner.
Un Parti DC doit donc obtenir d'abord le soutien de militants et de petits
groupes qui n'ont rien à perdre à le soutenir, monter en puissance
dans les sondages, en retirer la crédibilité qui lui permettra
d'obtenir des appuis plus importants, grimper encore dans les sondages,
viser des noms plus prestigieux, etc. C'est la trajectoire du PQ passant
de rien à Chaput, de Chaput à Aquin... puis à Levesque
et au pouvoir.
Il faut donc séduire d'abord à la périphérie,
sans oublier cependant que certains baisers sont mortels... Il est clair,
qu'une foule de groupuscules farfelus ou même carrément néfastes
ne peuvent que trouver séduisante la prise de position anti-establishment
inhérente à la DC, comme tout mouvement marginal ne peut que
souhaiter ardemment la création d'une Chambre consultative qui abaissera
à 1% du vote populaire le seuil à partir duquel une idée
aura une tribune où s'exprimer. Cette clientèle, dans la mesure
où elle réagit rationnellement est normalement acquise à
la DC dès le départ. La DC, toutefois, n'a aucun intérêt
à courtiser ces groupements.
Tout le monde peut appuyer la DC, mais la DC n'appuie personne. Les règles
étant ainsi posées, le soutien que ces mouvements marginaux
ou extrémistes peuvent souhaiter apporter à la DC transparaîtra
évidemment dans les sondages, mais que ces mouvements ne s'attendent
pas à ce qu'on les en remercie; ceux qui souhaitent l'avènement
d'une Nouvelle Société telle que décrite dans ce site
n'en resteront pas moins, dans un régime devenu démocratique,
les adversaires irréductibles de ceux qui ont d'autres visées.
Oubliant ces groupuscules, la première véritable clientèle-cible
de la DC est la Gauche. Ni le NPD, ni le PSD, ni quelqu'autre regroupement
de gauche n'a aujourd'hui la moindre chance de faire élire un seul
député à l'Assemblée nationale, ni même
d'avoir l'écoute sérieuse des médias. Au contraire,
en se désistant de ses candidatures en faveur d'un candidat DC éventuel,
la Gauche gagne sur trois plans:
1- Elle crée, de par son seul désistement, un événement
médiatique dont elle recueille quelques retombées positives
et un succès d'estime. Bourgault se sabordant pour Levesque s'assurait
au moins les éloges de l'Histoire;
2 - Elle libère, pour des candidatures éventuelles DC, des
personnalités qui, sans être partiaux envers l'un ou l'autre
des partis de gauche, ont néanmoins une ouverture au changement et
une sensibilité au progrès social;
3 - Elle ajoute aux intentions de vote pour la DC dans les sondages un 5%
qui représente ce que la Gauche peut livrer du vote populaire. Dans
les circonscriptions où la DC pourra aligner un indépendant
local prestigieux et jouir d'autres désistements, ce 5% pourra faire
une différence réelle en faisant de la DC une solution crédible.
Or, n'oublions pas que plus de 70 % de la population est favorable à
la DC; il suffit que la DC paraisse crédible pour qu'elle recueille
le vote de tous ceux qui ne sont vraiment inféodés à
aucun parti... et qu'elle gagne!
Qu,est-ce qui peut faire obstacle à ce désistement de la Gauche
au profit de la DC? Un seule chose; le financement accordé par l'État
aux partis politiques au prorata des votes obtenus lors de l'élection
précédente. Le Parti DC, toutefois, n'ayant pas à se
bâtir une cagnotte pour d'autres élections, des ententes seraient
possibles qui retourneraient aux partis s'étant désisté
en sa faveur, selon des modalités qui pourraient faire l'objet de
négociations préalables, la somme totale qui échoira
ainsi par la suite au Parti DC.
Bénéficiant d'un apport considérable de votes "pour
le changement" accordés au Parti DC par des électeurs
qui ne se seraient pas prononcés en faveur de l'un ou l'autre d'entre
eux, chaque parti se désistant en faveur du Parti DC pourrait raisonnablement
espérer retirer PLUS de son désistement que s'il avait poursuivi
la bataille en solo.
Derrière ces considérations financières, il y a surtout
que toute victoire de la DC est naturellement un avantage pour les petits
partis de gauche qui, au niveau d'une élection postérieure
pour l'Exécutif dans une structure de DC, recueilleraient certainement
plus de 1% des votes au premier tour de scrutin et auraient donc enfin une
voix à la Chambre consultative que les médias ne pourraient
plus ignorer. Mieux, si la Gauche profite pour une fois de sa tendance naturelle
à se scinder en factions, c'est peut-être trois ou quatre tendances
de la gauche qui passeraient le cap du 1% et seraient représentées
à la Chambre consultative !
Après avoir obtenu le désistement en sa faveur de la Gauche,
un Parti DC doit mettre l'ADQ dans sa mire. Ce qui est vrai pour les partis
de gauche l'est encore plus pour l'ADQ. Ce parti n'a aucune chance de faire
élire un nombre significatif de députés à la
prochaine élection mais cherche à augmenter sa visibilité
et à préparer l'avenir en offrant des solutions crédibles.
Il a tout à gagner à une victoire de la DC qui lui offrirait
l'occasion d'une présentation équitable de son programme dans
le cadre d'une élection pour l'Exécutif et lui permettrait
certainement par le suite d'être présent à la Chambre
consultative.
[Notre sondage maison - que confirmerait indubitablement
le sondage scientifique que pourraient tenir les intéressés
- indique clairement, d'ailleurs, que, dans un scrutin à deux tours,
l'intention de vote pour l'ADQ au premier tour augmente de façon
spectaculaire.]
Si, après une analyse sans complaisance de la situation, l'ADQ faisait
le constat que ces motifs - (de même que l'avantage de consacrer toutes
ses ressources à une élection pour l'Exécutif plutôt
que de les saupoudrer sur 120 courses sans espoir!) - justifient qu'elle
se désiste partout au profit de la DC sauf dans les trois ou quatre
circonscriptions où elle a une chance de faire très bonne
figure, La DC et l'ADQ y gagneraient toutes deux.
L'ADQ serait finalement jugée sur le pourcentage de votes obtenu
dans les circonscriptions où elle aurait présenté des
candidats (sans doute, en moyenne, plus de 30%) ET sur l'augmentation des
intentions de vote en faveur de la DC dans les sondages qui suivrait le
désistement de l'ADQ. Or, les intentions de vote en faveur de la
DC n'augmenteraient pas alors uniquement de celles venant de l'ADQ, mais
aussi de celles d'une foule d'indécis convaincus d'y adhérer
par la simple crédibilité accrue de la DC résultant
du désistement des candidats ADQ. Un gain net pour l'image de l'ADQ
et aussi, comme nous l'avons vu plus haut, pour sa trésorerie.
La DC, d'autre part, enrichie d'un 10 à 12% supplémentaire
des intentions de vote par l'ADQ - en plus du 5% que pourrait lui apporter
la Gauche - passerait sans doute le seuil de 20 % à partir duquel
il serait vraisemblable que certains de ses candidats soient élus.
Quand ce seuil est atteint, une toute nouvelle dynamique est créée.
En effet, un Parti DC qui recueille plus de 20% des intentions de vote à
l'échelle du Québec et dont certains candidats ont une chance
raisonnable d'être élus devient la source de nouvelles la plus
prometteuse pour les médias, lesquels doivent porter 125 jugements
différents sur 125 candidats disparates sans que le principe même
de la DC, toutefois, ne puisse vraiment être remis en cause par aucun
de ces jugements.
Quand ce seuil du 20% est atteint et que l'attention des médias se
concentre sur la DC, la sympathie déjà connue de la population
pour la démocratie contractuelle n'est plus stoppée par la
certitude de son échec électoral. Chaque point gagné
dans les sondages en attire donc d'autres, et un momentum est créé
qui peut facilement mener à un raz de marée en faveur des
candidats de la DC. Tout devient possible.
La conversion des partis traditionnels
Quand tout devient possible, les partis traditionnels doivent réviser
leurs stratégies pré et post-électorales selon que
le vote DC - au-delà de ses composantes Gauche-Droite-ADQ de base
- semblera être acquis majoritairement au dépens de Libéraux
ou des Péquistes. Ils doivent aussi tenir compte de la notion de
"deuxième chance, c'est-à-dire de leurs chances de former
le Gouvernement si la démocratie contractuelle est instaurée
et qu'est lancée une nouvelle élection pour l'Exécutif
sur la base du suffrage universel et d'un scrutin à deux tours.
Ainsi, un Parti Libéral tirant de l'arrière quant au nombre
de circonscriptions où il a l'avantage mais convaincu que son chef
pourrait l'emporter au suffrage universel aurait tout intérêt
à ce que la DC triomphe et impose une nouvelle élection sur
cette base. Or, un appui tactique important - voire le désistement
pur et simple - du candidat libéral dans les circonscriptions qui
semblent acquises au PQ mais où celui-ci n'a pas la majorité
absolue des votes aurait pour conséquence l'élection d'un
nombre non négligeable de députés DC.
Selon le résultat des sondages et l'analyse qu'en feront ses stratèges,
la même approche peut d'ailleurs convenir au Parti Québécois
dans toutes les circonscriptions où la proportion de non-francophones
exclut l'espoir d'une victoire péquiste. Le Parti Québécois
pourrait aussi faire alors le calcul de la "deuxième chance",
misant sur le charisme de son chef pour une victoire au suffrage universel
dans un régime de démocratie contractuelle si un partage inopportun
du vote lui faisait perdre une majorité des circonscriptions dans
une élection selon les règles actuelles.
Si un Parti DC peut montrer dans les sondages ce 20% des intentions de votes
qui correspond au plein des appuis de la Gauche, de la Droite et de l'ADQ,
les jeux deviennent totalement ouverts et toutes les alliances sont possibles
puisque la DC, par définition, serait absente d'un nouveau scrutin
pour l'élection du Premier Ministre (Exécutif). Une victoire
de l'option DC peut apparaître alors, pour chacun des deux partis
traditionnels, un moindre mal que l'élection du parti traditionnel
rival et même une chance inespérée de reconquérir
ex-post, selon les règles de la DC, le pouvoir qu'il aurait perdu
selon les règles électorales actuelles.
Ce scénario optimiste a-t-il une chance de se réaliser? C'est
une chance qui dépend pour une part de ceux qui prendront le flambeau
de l'option DC et de leur acharnement à diffuser son message mais
qui dépend, surtout, de l'habileté dont feront preuve les
leaders de la Gauche et de l'ADQ ou de toute autre formation politique en
devenir.
En effet, la DC, de par sa nature, peut susciter des candidats prestigieux
locaux mais pas de véritable chef puisque son objectif n'est pas
de former le gouvernement. C'est sur ceux pour qui l'avènement de
la DC représenterait un avantage au moment de l'élection démocratique
d'un Premier Ministre et de son équipe qu'il faut donc compter pour
ramener chez nous la démocratie par le biais de la DC. S'ils ne le
font pas aujourd'hui, d'autres viendront demain qui le feront.
Pierre JC Allard