L'ÉTAT ET LA CULTURE
0. PROBLÉMATIQUE
La culture, c'est d'abord la somme des connaissances acquises pour le
plaisir de connaître et de reconnaître, par opposition au savoir
dit "utile", qui trouve son sens dans ce qu'il permet de devenir,
d'avoir ou de faire. Vite, toutefois, la culture assume elle-même
une fonction utilitaire. On est identifié, classé, jugé
selon la culture qu'on a et ces connaissances, acquises en principe par
plaisir, deviennent le vrai passeport qui vous fait Français, Allemand,
Anglais et aussi un aristo ou un cuistre. On peut aimer ou ne pas aimer
Mozart, Xenakis ou les deux mais, par-delà l'émotion esthétique,
il y a l'apport à votre image de votre préférence,
réelle ou feinte.
On est donc loin du pâtre solitaire qui se taille un roseau pour
accompagner le rossignol; la culture est devenue un phénomène
bien grégaire et la "bonne" culture s'apprend comme les
maths. Est-ce à dire que l'État a la responsabilité
de "cultiver" ses citoyens comme de les éduquer ? Nous
disons au texte 704 ce qui est la responsabilité de l'État
en ce qui concerne l'éducation, en particulier l'éducation
à la culture: faciliter, oui mais choisir et imposer, non ou très
peu. Très peu, parce que les objectifs de la société
et ceux de l'individu, lorsqu'il s'agit de culture, ne sont pas du tout
les mêmes.
Sur le plan de la culture, une société a pour objectif
essentiel de promouvoir, chez tous ses citoyens, une connaissance raisonnable
du patrimoine commun favorisant l'éclosion et le maintien d'un sentiment
d'identité, de fierté et d'appartenance. Une des missions
de l'éducation est de souder une collectivité en un tout culturel.
C'est une exigence encore aujourd'hui acceptable, car l'humanité
ne se veut pas homogène. Pour l'État, l'essentiel de la culture
est donc ce qui rassemble et ce qui fait que ses citoyens se ressemblent.
Pour l'individu, qu'il jouisse ou non de la peinture de la musique et
de la poésie, il reste que sa culture n'est pas uniquement un plaisir
mais aussi ce qui le distingue des autres, un outil de développement
personnel, un atout dans l'émulation qui l'oppose à ses voisins.
Son accès à la culture est donc une séquence de choix,
préférablement plaisants, mais qui tendent aussi à
faire de lui un être unique... et supérieur. Les choix culturels
des individus tendent à stratifier une société qui,
sur ce plan de l'appartenance, se voudrait égalitaire.
Un système d'éducation doit concilier ces objectifs culturels
dissemblables de l'individu et de la société et nous voyons
comment au Texte 704. Va pour une éducation qui véhicule la
culture identitaire sans brimer les choix individuels, mais après?
Quand se termine la phase d'éducation formelle universelle, l'État
a-t-il encore un rôle à jouer pour la culture? Dans sa promotion
et sa diffusion, certes, mais dans son orientation, NON. L'État a
eu le temps, au Cycle général (Voir texte 704), d'inculquer
une culture identitaire, Qu'il laisse maintenant la place à l'esprit
critique de chacun.
Dans une société pluriculturelle - et toutes les sociétés
sont déjà ou deviendront pluriculturelles - le rôle
de l'État n'est pas de définir la culture mais de faire le
constat quasi-quotidien des choix culturels des sociétaires et de
ce que devient ainsi cette culture, facilitant la genèse de l'ensemble
culturel unique que créent ainsi ces choix.
Pour parodier une boutade du siècle dernier, il faut accepter
qu'une société produit une culture comme le "foie secrète
la bile" ... et qu'on a tout intérêt à la laisser
faire sans vouloir la diriger. Un État doit favoriser le développement
de la culture en général, mais qu'il cherche à en privilégier
certains aspects au détriment d'autres aspects est une expérience
d'apprenti sorcier.
Partant de cette hypothèse d'un État culturellement impartial,
quelle doit être la relation de l'État à la culture?
L'État qui veut intervenir efficacement à la promotion de
la culture doit:
1) faciliter à ses citoyens un accès gratuit à
l'apprentissage formel des éléments de connaissance donc ils
bâtiront leur culture;
2) mettre gratuitement aussi à la disposition des citoyens les
équipements essentiels leur permettant de compléter leur apprentissage
et d'étayer, si on peut dire, la culture qu'ils ont choisi d'acquérir;
3) créer des services d'aide aux travailleurs de la culture et
de soutien à la diffusion des produits culturels;
4) subventionner leur consommation, afin que le citoyen puisse jouir
d'une gamme plus variée de produits culturels que ne le permettrait
la seule loi du marché, compte tenu du coût des facteurs de
leur production et de l'espérance de gain nécessaire pour
inciter à leur création.
1. L'APPRENTISSAGE DE LA CULTURE
Le premier outil du développement culturel, c'est la somme des
programmes de formation autodidactiques gratuits du Ministère des
Ressources Humaines, desquels nous parlons abondamment ailleurs (Texte 704).
Tout peut être objet de culture. Ce n'est pas le contenu d'un programme
de formation qui en détermine le caractère culturel, c'est
l'intention de l'apprenant.
Dans cette optique, une maquette complète de programmes permettant
d'apprendre par soi-même tout ce qui peut être appris permet
aussi ipso facto à l'individu d'acquérir la connaissance formelle
de tout ce qui n'est pas indispensable à son activité professionnelle
mais vise plutôt à élargir sa vision du monde, pour
son plaisir et son développement comme être humain. L'accès
à cette formation autodidactique est gratuit.
En supplément à l'apprentissage autodidactique, il existe
au sein d'une société un réseau d'enseignement formel
dont le citoyen peut aussi bénéficier pour des fins culturelles
mais dont le coût des facteurs est significatif et dont l'usage ne
peut donc être illimité. L'État doit promouvoir un accès
équitable à cet enseignement culturel.
Pour ce faire, chaque individu recevra annuellement, dès l'âge
de 17 ans - quand il termine son Cycle général d'éducation
- et jusqu'à son décès, un crédit annuel applicable
au paiement des frais de scolarité des cours de son choix auprès
de toute institution d'enseignement reconnue. L'État, toutefois,
ne versera la somme prévue que lorsque l'étudiant aura passé
avec succès le test et donc obtenu l'attestation correspondant au
module auquel il se sera inscrit.
À combien s'élèvera ce crédit annuel? Cette
contribution de l'État variera selon les ressources dont dispose
une société et la priorité qu'elle accorde à
la culture et au développement personnel de ses citoyens. Le principe
important qu'il convient de poser est que ce montant sera le même
pour tous, qu'il ne sera ni transférable ni négociable et
que l'utilisation ne pourra en être reportée plus d'un an.
2. LES ÉQUIPEMENTS CULTURELS
Les équipements culturels, ce sont essentiellement les bibliothèques
où l'on peut avoir accès à ce qui a été
écrit - et donc aux idées et à la pensée abstraite,
comme aux données qui décrivent la réalité -
et les musées et lieux de mémoire, lesquels permettent la
perception directe et le contact le plus étroit possible avec les
uvres et les objets auxquels un consensus raisonnable prête une valeur
esthétique, historique, etc.
Ce qui distingue essentiellement la bibliothèque du musée,
c'est que la première a pour mission de préserver un contenu
et le second une forme. Rigoureusement parlant, un incunable, un manuscrit
ou tout livre rare a donc sa place au musée, alors que la reproduction
d'uvres picturales et leur diffusion est bien fonction d'une section "pinacothèque"
de la bibliothèque comme celle-ci doit comporter aussi une musicothèque,
une cinémathèque, etc. En pratique, ce sont le goût
du public et l'opportunité qui dicteront l'agencement de ces équipements.
2.1 La Bibliothèque
Nous disons bien: "la" bibliothèque. Parce qu'elle
protège un contenu d'idées, d'images, de données diverses
- et donc une information aisément numérisable - la bibliothèque
parfaite est virtuelle et tend à se confondre avec une mémoire
dans un ordinateur. Ordinateur central au départ, sans doute, puis,
avec les progrès de la compression et du stockage des données,
simple disque dans le PC de chacun, périodiquement mis à jour
par télédéchargement d'un dossier Internet.
Le défi étant la diffusion en ligne d'une information,
on ne peut plus parler de plusieurs bibliothèques mais d'une seule.
Que doit faire l'État qui veut établir une politique culturelle
cohérente pour offrir à ses citoyens la Bibliothèque
dont ils ont besoin? Mettre sur un site de l'État tout ce qui porte,
pourrait porter ou aurait du porter jadis, si le concept eût existé,
un numéro ISBN ou l'équivalent.
L'objectif final, c'est que tout ce qui a été écrit
et qu'on a conservé, tout ce qu'on a publié et qu'on publiera,
soit disponible en ligne et puisse apparaître à l'écran
de l'usager et être imprimé à sa discrétion,
parfois gratuitement, parfois moyennant un frais d'accès et de télé-déchargement
couvrant les droits d'auteurs. Nous ne parlons pas seulement ici seulement
de littérature, mais aussi des journaux, des périodiques,
des manuels et de tout le corpus des travaux de recherche scientifique que
leurs auteurs souhaitent publier et qui constituent l'état de la
science et de la technique.
Ceci, à l'échelle mondiale, implique le scanning d'une
masse colossale de documents. Or, les frontières de la culture n'étant
plus étanches et le devenant de moins en moins, c'est le scanning
de tout qui devient l'objectif de tous: nous voulons Shakespeare tout autant
que les Anglais veulent Voltaire. Une tâche énorme.
L'objectif est global, mais on ne pourra parvenir globalement à
traiter cette masse de données que si on le fait en concertation
entre sites nationaux, chacun prenant en charge sa production nationale.
Le site Bibliothèque de chaque État devrait collaborer de
cette façon à l'effort mondial de mise en ligne de la production
documentaire littéraire et scientifique et prendre un maximum d'initiatives
pour promouvoir ce travail. Ceci est d'autant plus raisonnable qu'il existe
une corrélation évidente entre le volume de documents produits
et les moyens dont disposent ceux qui les produisent.
Dans un premier temps, chaque site d'État doit scanner et mettre
en ligne dans sa "Bibliothèque" TOUTE sa production documentaire
nationale courante, incluant les manuels et toutes les publications périodiques,
dont les journaux. Ceci n'exige pas beaucoup d'efforts de l'État;
il lui suffit d'imposer l'obligation aux éditeurs de fournir au site
de la bibliothèque de l'État une copie de la version électronique
des documents qu'ils publient. Ce n'est pas pour ceux-ci une obligation
lourde, puisque c'est déjà à partir d'une telle version
électronique que travaillent la majorité des éditeurs.
Le travail sur la production courante n'est pas très lourd, mais
il existe présentement dans le monde des centaines de sites publics
et privés qui ne parviennent pas à maintenir à jour
la publication des seuls documents scientifiques, dont l'accessibilité
est pourtant la condition sine qua non de notre évolution technologique
collective. Mal géré, si on ne met pas à contribution
les éditeurs eux-mêmes, le traitement de la production courante
peut taxer sérieusement les ressources du système et il faut
le poids de l'État pour exiger cet6te contribution. Si l'État
s'en charge, toutefois, on peut raisonnablement espérer que le travail
sera fait et que la collaboration nécessaire entre sites nationaux
s'établira.
La deuxième phase du travail - le scanning des livres et autres
publications du passé - est tout aussi essentiel, car il ne s'agit
pas seulement pour l'humanité de tenir son journal de bord mais aussi
de rendre accessible son héritage. Nous voulons Platon et Goethe
en ligne au moins tout autant que les dernières bandes dessinées.
Que doit-on faire?
Encore une fois, chaque État devrait scanner sa production nationale
passée, ce qui ne représente encore qu'une tâche tout
à fait réalisable. Il ne faut pas oublier que la croissance
du volume des documents publiés a été exponentielle
et que le passé, même aussi récent que le XIXe siècle,
n'en a produit qu'un flux relativement minime si on le compare au torrent
qui jaillit maintenant tous les jours.
Certains des plus petits États et des plus pauvres ne feront
pas ce travail, bien sûr, mais d'autres le feront pour eux, peut-être
sous l'égide de l'Unesco. On l'espère, sans quoi, à
brève échéance la culture des petits et des pauvres
s'étiolera et disparaîtra. De la même manière,
on peut prévoir une saine émulation entre sites des pays riches
pour la mise en ligne des manuscrits du passé lointain, vieux textes
tibétains, sumériens ou crétois.
Quand ce sera fait, la Bibliothèque de chaque État possédera
en forme virtuelle l'exhaustivité - ou presque -des documents créés
ou compilés sur son territoire; l'agencement qu'elle en fera reflétera
sa vision du monde. Beaucoup de ces documents, encore aujourd'hui pratiquement
inaccessibles, viendront compléter autant que faire se peut le puzzle
de l'histoire et de la culture de l'humanité. Les ententes entre
sites nationaux permettront le référencement et donc l'accès
universel au contenu de tous ces sites.
Peu à peu, car il s'agit d'in travail encore plus difficile,
chaque site national travaillera à la traduction de sa production
en langues étrangères pour en augmenter la diffusion. Corollairement,
chaque site national donnera accès au contenu des sites étrangers
dans leur langue d'origine et toutes les autres langues dans lesquelles
les documents auront été traduits. Tout en apportant une logique
de référencement qui n'en limite pas l'accès, chaque
site national tentera aussi de préserver pour la présentation
des données l'agencement qu'aura voulu en faire le site d'État
du pays d'origine.
Cette diffusion universelle sera peut-être la planche de salut
pour les auteurs des "petits pays", chaque site national ayant
la responsabilité de recueillir par paiement en ligne les droits
d'auteur dus pas ses citoyens-usagers et de virer les fonds obtenus au site
national d'origine du texte qui les versera à l'auteur. Le faisant
scrupuleusement au profit des auteurs étrangers, chaque site national
sera dans une position de force pour demander qu'on le fasse aussi ailleurs
pour ses propres auteurs.
C'est pas là que passe la rentabilité future du métier
d'écrivain. Aujourd'hui, l'auteur ne touche que 6, 8 ou 10% des USD
$ 20 ou USD $ 30 que coûte un bouquin, un prix que bien peu de lecteurs
potentiels peuvent se permettre de payer. Via l'Internet et sous le contrôle
des sites nationaux, l'auteur ne touchera que 1/100e (USD $ 0, 0001) ou
1/200e (USD $ 0, 00005) de cent du mot pour ses écrits, mais des
dizaines ou des centaines de milliers, voire des millions de gens voudront
payer ce prix pour le lire.
Reliées à la Bibliothèque, l'État doit mettre
en ligne également une Cinémathèque et une Musicothèque
dont les fonctions sont évidentes et dont les objectifs respectifs
et les stratégies de mise en place seront les mêmes que ceux
de la Bibliothèque au sens strict. L'État doit aussi joindre
à la Bibliothèque une Pinacothèque dont il semble utile
de préciser le fonctionnement.
Une Pinacothèque ne remplace pas les musées, dont la mission
est différente et dont nous parlerons plus loin. Elle est un outil
de diffusion de l'art pictural, mettant à profit les techniques nouvelles
qui permettent d'obtenir des reproductions remarquables de vérité
et donc de transmettre désormais à distance une part valable
du message de l'artiste.
Cette part du message vaut d'être diffusé plus largement.
Tout ce qu'on peut faire pour que ceux qui ne vont pas au Louvre ou aux
Uffizzi puissent néanmoins ressentir un peu de l'émotion esthétique
qui s'en dégage est un pas en avant pour la culture. La Joconde,
à l'écran de l'ordinateur, apporte plus que l'oeuvre reproduite
dans un livre d'art; on peut l'agrandir, en extraire un détail ou
un autre, en reconstituer les couleurs originales selon diverses hypothèses
et, de toute autre façon, mettre à profit les possibilités
techniques de l'affichage en ligne d'un document numérisé.
La Pinacothèque permet d'inviter la Joconde au salon du monde ordinaire.
Reproduire le seul contenu des musées du monde sera déjà
une tâche énorme, y ajouter les collections privées
et assurer simultanément le suivi de la production contemporaine
rendra cette tâche encore plus gigantesque. Pour parvenir à
l'achever, avec les mêmes objectifs d'exhaustivité que nous
avons fixés à la Bibliothèque, demandera encore plus
d'efforts que pour celle-ci et une collaboration internationale du même
type.
Dans le cadre d'une démarche pour constituer la section pinacothèque
de sa Bibliothèque, chaque site d'État assurera la reproduction
de toutes les oeuvres de ses artistes nationaux présents et passés,
selon les critères donc chaque État décidera, libre
à tout autre pays d'introduire à son propre site les oeuvres
d'artistes étrangers qu'il croirait avoir été tenus
indûment à l'écart du catalogue de leur pays d'origine.
Ce concept est tout à fait réalisable. Il existe déjà
sur le Web quelques exemples de sites offrant des reproductions d'oeuvres
d'art ainsi que l'information qui s'y rattache. Ce sont des sites encore
modestes, si on pense à l'immensité de la tâche à
accomplir, mais qui établissent indubitablement la faisabilité
du concept. La tâche de bâtir une pinacothèque reproduisant
en ligne l'intégralité de sa production nationale est à
la portée de tout État, sous réserve du fait que le
captage adéquat de l'image de l'original demande que l'on fasse appel
à des professionnels. Ici aussi les riches auront l'occasion d'aider
les pauvres.
Pour établir les pinacothèques, les musicothèques
et cinémathèques liées à leur Bibliothèque,
les sites de chaque État se fixeront les mêmes lignes directrices
que pour la Bibliothèque elle-même: a) priorité à
la production nationale courante, puis historique, b) participation à
l'effort mondial de mise en ligne pour atteindre à terme l'exhaustivité
par référencement, et c) protection des droits d'auteurs.
La Bibliothèque et ses ramifications a pour objet l'essentiel
du patrimoine de l'humanité; mettre ce contenu en ligne au profit
de tous, c'est nous remettre enfin notre héritage.
2.2 Les musées
La bibliothèque idéale est virtuelle et il n'en faut qu'une
seule. Les musées, au contraire, ne peuvent échapper à
la contrainte du support matérielet il en faut beaucoup. Contrairement
à un écrit, dont l'essence tient à son contenu et non
à sa forme, il y a une valeur de l'objet d'art ou d'histoire qui
est indissolublement lié à sa présence et qui ne peut
pas être intégralement transmise en ligne. Une carte postale
des Pyramides ou du Taj Mahal ne produit pas l'émotion esthétique
de recevoir ce que les Hindous appellent le darshan qui s'en dégage.
Et ce n'est pas affaire de masse ou de techniques de reproduction; l'objet
qu'on met en musée n'a pas seulement pour lui d'être beau,
mais aussi de nous conter une histoire. L'original d'une peinture ou d'une
sculpture - dont la valeur intrinsèque est d'autant plus indéfinissable
qu'il ne se distingue plus des copies qu'on peut en faire - a une valeur
d'ÉVOCATION. Il éveille en nous l'imagination et l'imaginaire.
De même l'artefact, dont on nous assure qu'il a cent mille ans,
garde sa valeur évocatrice parce qu'il est tenu précieusement
à l'écart des milliards d'éclats de silex sans histoire
avec lesquels l'immense majorité des profanes pourraient le confondre.
Il doit être là, pour être entièrement perçu;
l'image qu'on pourrait en transmettre serait de bien moindre intérêt.
D'un intérêt moindre, mais non nul, car il y a un intérêt
scientifique évident, pour ceux qui s'y connaissent, à retrouver
sur écran l'image de cette pointe de silex. Ceci, cependant, est
la mission de la Pinacothèque; la mission du musée, c'est
l'évocation et c'est un aspect important de la culture de pouvoir
ressentir cette émotion.
Les objets en montre dans les musées et les collections privées
sont là parce qu'on leur prête cette capacité d'évoquer,
les autres restant dans les caves et les greniers. Ceux qu'on nous montre
et qui n'ont pas cette valeur évocatrice, d'ailleurs, ne sont là
que pour faire valoir ceux qui l'ont. Y a-t-il cent uvres au Louvre devant
lesquelles chaque visiteur s'arrête ?
Nous disons "la" Bibliothèque, mais "les"
musées. L'État doit offrir à ses citoyens une seule
Bibliothèque, mais beaucoup de musées. Pourquoi ? Pour trois
raisons.
D'abord, parce que la mission de l'uvre en musée est d'évoquer
et qu'il n'est donc pas évident que chacune bénéficie
de la proximité des autres. Est-on plus ému à défiler
devant des Rubens après des Raphaël et avant des Renoir que
si chaque tableau avait la vedette d'un décor bien à lui.?
Autant de gens passeraient-ils un moment d'extase devant l'Enterrement
du Comte d'Orgaz, si la toile était au Prado entre Las Meninas
et des Goya plutôt que seule dans une église de Tolède?
Une visite au musée Chagall à Nice est incontournable; le
serait-elle ailleurs?
Ensuite, parce que l'évocation est une affaire complexe à
laquelle n'est pas indifférent le milieu où elle est tentée
ni la mise en scène dont on l'entoure. Toutes les religions, toutes
les maçonneries, tous les leaders charismatiques l'ont compris ... et
tous les promoteurs de Sons et Lumières. Ainsi la reproduction des
grottes de Lascaux à Lascaux fait recette tous les jours; aurait-elle
le même succès si on l'amenait aux Buttes-Chaumont? J'aimerais
voir à Amboise des tableaux de Da Vinci, retrouver à Barbizon
ce qui appartient à Barbizon et qu'on retourne en Égypte et
en Grèce ce qu'on y a pris. Des copies feraient l'affaire, là
où l'on a pris l'habitude de voir les originaux.
On a voulu, par prétention, créer dans les grandes capitales
des entrepôts de culture; on poursuit maintenant cette politique concentrationnaire
sous prétexte de sécurité. C'est renoncer à
l'objectif d'une politique culturelle plutôt que d'affronter les problèmes
qu'elle pose. Les fins de la culture seraient mieux servies si l'oeuvre ou
l'objet d'art ou d'histoire demeurait la où on l'a créé
et qu'il y avait sur l'Europe dix mille "lieux d'évocation",
plutôt qu'une douzaine de musées trop grands où l'on
se fait des cors aux pieds et des douzaines d'autres qu'on néglige
parce qu'ils n'ont pas le prestige de ceux-là.
Troisième raison pour saupoudrer sur l'ensemble du territoire
national les oeuvres et objets qu'on met dans des musées surdimensionnés,
le contact de la population locale avec "ses" oeuvres d'art et son
histoire. Personne ne devrait vivre trop loin d'un lieu d'évocation.
Du sentiment de fierté et d'appartenance qui en découlerait
naîtrait une ouverture accélérée à la
culture de certaines couches de la société, ce qu'il est bien
le rôle de l'État de promouvoir. Il est clair que cet effet
serait plus prononcé en Asie Mineure où l'on part de loin
qu'en Provence, mais partout on constaterait une redistribution significative
du tourisme dont les retombées économiques ne seraient pas
négligeables.
3. AIDE ET SOUTIEN
Le rôle de l'État pour promouvoir la culture, toutefois,
ne s'arrête pas à offrir des programmes et des équipements.
L'État doit aussi faciliter le processus de création artistique
en aidant les artistes à se connaître et à se faire
connaître, susciter la communication et les débats sur l'activité
culturelle. Les propositions qui suivent ne sont que des exemples de ce
que l'État devrait faire pour les travailleurs de la culture.
3.1 Annuaire des Arts & Lettres
L'État, par exemple, devrait publier annuellement un "Annuaire
des Arts & Lettres". Quiconque se prétend artiste - et ce
n'est pas à l'État de mettre en doute cette affirmation, puisque
le propre de l'art est d'être libre et librement structuré
- peut s'y inscrire et se décrire, ainsi que sa démarche,
dans l'espace mis à sa disposition. S'y inscrivent également
les salles de spectacles, les galeries d'art et les autres espaces et établissements
dont les services sont reliés à l'art et aux lettres.
Il n'en coûtera pas bien cher à l'État de le faire,
puisque cet annuaire sera publié sur Internet. Un Annuaire des Arts
& Lettres permettra aux ressources humaines qui veulent travailler dans
le secteur de la culture de se faire connaître - ainsi que les "produits"
qu'ils offrent - et d'initier des relations commerciales en ligne. On pourra,
à partir de cet annuaire, créer l'embryon d'un marché
transparent pour les uvres d'art.
3.2 Événementiel
L'État peut ajouter une autre dimension à sa promotion
de la culture en faisant sur son site Internet la promotion de tous les
spectacles et événements littéraires et artistiques.
Les journaux le font déjà, mais de façon bien incomplète
et ils ne disposent pas, comme l'Internet, de la capacité d'adapter
sans cesse la nouvelle à l'évolution de la situation.
Quand on parle d'un spectacle sur l'Internet, on peut aussi montrer
le plan de la salle, faire les réservations sur le champ et toucher
en ligne le prix des billets. On peut aussi faire la critique de tout événement
artistique et de toute production littéraire et ne pas limiter cette
critique à l'opinion supposée éclairée d'un
ou plusieurs experts, mais ouvrir aussi le site aux commentaires de tous
les internautes, à la seule condition qu'ils s'identifient par leur
Numéro d'identification officiel (NIO) - qui sera celui de l'assurance
sociale ou de la carte soleil - et un numéro d'identification personnelle
qu'ils choisiront et dont ils changeront à leur guise.(NIP).
On peut même ouvrir systématiquement un forum de discussion
sur chaque événement artistique ou littéraire: spectacle,
vernissage, lancement de livre, etc. Il n'y a pas de limites, en pratique,
au nombre de forums que le site de l'État peut héberger et,
dès qu'on procède par mots-clefs et engin de recherche, il
est possible de structurer correctement l'information pour que l'on puisse
en tout temps diriger les citoyens vers tous les forums auxquels ils s'intéressent.
Le système peut même facilement faire apparaître automatiquement
à l'écran de l'internaute les nouvelles concernant les événements
dont il a manifesté le désir d'être informé.
3.3 Édition
Promotion, critiques et forums sont des utilisations sans surprise des
capacités de l'Internet. L'État peut faire plus. L'État
peut assurer la publication sur le Web de tout livre, essai, ou autre document
littéraire ou scientifique d'un auteur qui en fait la demande. Il
peut simultanément mettre en place la procédure simple qui
permet de percevoir du lecteur et de payer à l'auteur le montant
que celui-ci décidera d'exiger pour en autoriser la lecture en ligne
ou le télédéchargement.
L'auteur qui soumet son texte pour publication en ligne devrait être
considéré comme ayant du même coup satisfait à
toutes les formalités de copyright, d'obtention de numéro
ISBN et de dépôt légal aux bibliothèques nationales,
le site de l'État prenant ces détails en charge. L'auteur
aura également enregistré son oeuvre à la Bibliothèque
virtuelle de l'État, la rendant accessible au monde entier.
En éliminant ainsi les contraintes matérielles à
la publication des ouvrages, on permettra un essor inouï de la production
littéraire et scientifique. La première nation qui posera
ce geste prendra une longueur d'avance sur toutes les autres sur le plan
de la diffusion de sa culture. Tout ce qui sera produit ne sera évidemment
pas bon... mais les lecteurs sépareront le bon grain de l'ivraie.
On peut faire encore plus. L'État peut avoir pour politique d'accorder
à tout auteur qui répond à certains critères,
au moment de la publication en ligne de son oeuvre, une subvention forfaitaire
ou une avance sur les droits d'auteurs qu'il touchera de cette publication.
Le montant de la subvention pourra varier selon la nature de l'oeuvre (poésie,
roman, essai...), selon sa taille., ou selon tout autre facteur d'évaluation
dont les responsables décideront, parmi lesquels il ne serait pas
bête d'inclure le simple succès des oeuvres précédentes,
succès facile à mesurer par un compteur sur la page du site
de publication et le montant payé en droits d'auteurs.
N'y a-t-il pas danger que les décisions de subvention prises
soient arbitraires? On ne peut supprimer tout arbitraire, mais faut-il parler
de cette approche en ligne pour prendre conscience de l'arbitraire bien
plus grand qui prévaut actuellement dans la distribution des subventions?
N'y a-t-il pas danger de piratage? Comment ce danger serait-il plus grand
que celui que permet présentement la photocopie? La mort des éditeurs
et des libraires? Est-ce qu'on ne comprend pas que, du seul fait qu'elle
existe, la technologie pour faire ce que nous proposons ici les a déjà
condamnés et que le débat sur la publication électronique
par l'État ne fait que fournir l'occasion d'aider à leur recyclage?
La vérité, c'est que la politique actuelle de droits d'auteurs
et la filière de distribution des produits littéraires sont
toutes deux irrémédiablement désuètes.
3.4 La musique
Ce que nous disons des oeuvres littéraires vaut aussi, a fortiori,
pour les oeuvres musicales. Le secteur en croissance le plus rapide sur le
Web est actuellement celui de la diffusion des oeuvres musicales par les procédés
du type MPEG. C'est jouer à l'autruche que de ne pas penser tout
de suite à une nouvelle façon de protéger les compositeurs
et paroliers.
Acheter un disque, aujourd'hui, est faire preuve d'une grande honnêteté
ou d'une grande ignorance. Le monde change et il n'est pas certain qu'un
artiste de renom, sortant en exclusivité sur Internet un tube qui
ne coûterait à télédécharger qu'une fraction
du prix d'un disque - tout en rapportant encore plus à son auteur
interprète ! - ne ferait pas une excellente affaire.
Que l'État crée une section de la Bibliothèque
consacrée à la musique et qu'il s'impose aux internautes par
la qualité de sa reproduction et l'exhaustivité de son répertoire,
respectant les règles du droit d'auteur comme celles-ci s'appliqueront
à mesure qu'elles évolueront. Il n'y a pas d'autre solution.
Évidemment, il y aura des perdants à ce changement et il y
aura quelque part une lutte féroce; mais les perdants ont déjà
perdu: on ne reviendra pas en arrière.
3.5 La Pinacothèque
Quand il s'agit de la reproduction bi-dimensionnelle et donc essentiellement
imparfaite d'une sculpture ou d'une uvre architecturale, par exemple, la
pinacothèque ne fait que multiplier l'impact de l'art sans se poser
en rival de l'art lui-même. Pour les uvres picturales, la problématique
est différente, car les procédés de reproduction modernes
permettent des copies souvent indiscernables des originaux, la valeur supérieure
de ceux-ci ne tenant plus à l'image représentée ni
au talent dont elle fait preuve mais au caractère intangible que
constitue sa qualité même d'être un "original".
Ce n'est pas l'intervention de l'État qui crée cette situation;
cette situation existe depuis la photographie et la possibilité d'imprimer
sur diverses textures.
Qu'est-ce que l'État peut apporter au développement de
l'art pictural? Une occasion de mieux le diffuser et de créer un
nouveau marché pour les artistes. L'État doit faire en sorte
que tout oeuvre picturale qui est créée puisse être "exposée"
à la Pinacothèque, à la simple demande de l'artiste.
Tout ce qui est à la Pinacothèque pourra être visionné
sur l'Internet. Tout ce qui aura été visionné et dont
l'original est à vendre pourra être acquis en s'adressant à
l'artiste, les coordonnées de celui-ci étant disponibles,
entre autres, à l'Annuaire des Arts & Lettres.
Tout ce qui aura été visionné pourra aussi être
acquis sous forme de reproduction. On peut télédécharger
ce qui apparaît à l'écran pour un coût modique,
mais on peut aussi en tirer une reproduction de qualité. Dans le
cas des peintures, dessins et autres oeuvres graphiques, on peut après
visionnement de l'oeuvre et entente quant à son acquisition, la télédécharger
dans une boutique spécialisée permettant le transfert de l'oeuvre
sur un support "noble".
Chaque copie télédéchargée porterait un
numéro séquentiel, la date de télédéchargement
et le nom de l'acheteur. Cette information étant simultanément
inscrite à un registre, on ferait ainsi de chaque copie un "original"
en quelque sorte - au même titre qu'une lithographie à reproduction
limitée - à cette distinction près que la priorité
aurait son prix et que la valeur marchande des premiers tirages tendrait
sans doute, avec le temps, à dépasser celle des plus récents.
4. SUBVENTIONNER LA CULTURE
Pourquoi subventionner? Afin que le citoyen puisse jouir d'une gamme
plus variée de produits culturels que ne le permettrait la seule
loi du marché, compte tenu du coût élevé des
facteurs de leur production et de l'espérance de gain nécessaire
pour inciter à leur création. La production culturelle dont
il faut faciliter la consommation, c'est tout le volet de la littérature
et des arts, mais sans en définir rigoureusement le contenu, restant
à l'écoute de la demande émanant de la population elle-même.
4.1 L'aide au consommateur
L'État doit aujourd'hui soutenir la culture. Plus que jamais,
parce que la publicité à laquelle nous sommes soumis et qui
nous attire vers d'autres produits a réduit la part des dépenses
de consommation qui va à la culture. Mais ceci ne veut pas dire que
l'État doive soutenir les auteurs des pièces que le public
boude, ni les peintres de tableaux qu'on ne veut pas voir. Le rôle
de l'État ne doit pas être de contrarier les goûts du
public au nom d'une certaine "culture" définie par une
toute petite élite, mais plutôt de faire en sorte que le monde
ordinaire ait plus de la culture qui lui plaît. Et pour ça,
il faut que l'État renonce à subventionner les artistes, et
subventionne plutôt la consommation de l'art.
Que l'État ne choisisse pas quel artiste aider. D'abord, parce
que l'État n'y connaît rien en art et doit donc s'en remettre,
pour accorder son aide, aux avis "éclairés" d'une
chapelle de petits copains qui se renvoient l'ascenseur; les vrais innovateurs,
les vrais génies n'y trouvent pas leur compte. Ensuite, parce qu'en
subventionnant certains artistes et pas les autres, on crée en fait
un art "officiel, ce qui trop souvent donne de ces uvres du type "réalisme
socialiste" pour se défaire desquelles on ne trouve plus ensuite
de poubelles assez grandes...
Au lieu de subventionner les artistes, une Nouvelle Société
aidera la culture et les arts en divertissant vers les produits culturels
une part plus grande des dépenses de consommation et en facilitant
à une plus grande partie de la population l'accès à
la culture de son propre choix.
La façon de le faire sera de remettre à chaque citoyen
adulte une "Carte-Étoile" lui permettant d'assister gratuitement
ou à rabais à un certain nombre d'événements
culturels de son choix: concerts, représentations théâtrales,
expositions de peinture, de sculpture, d'architecture, spectacles, etc.
Chaque carte sera personnelle et ne pourra être prêtée
à qui que ce soit. Le titulaire pourra, cependant, emmener gratuitement
à tout événement auquel il assiste une personne de
7 à 17 ans: ce sont ces enfants et adolescents qu'on initiera ainsi
aux événements culturels qui deviendront la clientèle
de demain.
Chaque État, selon la priorité qu'il veut accorder à
la culture, pourra déterminer le pourcentage de son revenu net qu'il
investira ainsi dans la promotion de la consommation culturelle. Une très
large part de ce montant étant mis à la disposition de gens
qui ne sont pas déjà des consommateurs assidus de produits
culturels, ce sera un investissement presque net dans les arts et la culture.
4.2 L'aide au producteur
On peut faire plus. Sans rompre son impartialité, l'État
peut faire en sorte aussi qu'il y ait plus de théâtres et de
salles de concert et, dans ces salles, tous les techniciens permettant à
une équipe théâtrale de réaliser un spectacle.
C'est toute l'intendance qu'on pourrait mettre à la disposition de
l'artiste. D'abord en réservant pour lui les salles existantes -
car le but n'est certes pas de faire concurrence aux propriétaires
de salles actuelles ! - mais en créant au besoin d'autres petites
salles, de 100 à 150 places, où on pourrait tester la réaction
du public sans encourir de frais énormes.
Ce serait une autre façon d'aider la culture sans faire de discrimination,
en autant que le choix des équipes théâtrales ne soit
pas arbitraire. Ce choix pourrait, par exemple, obéir au nombre de
réservations fermes sur la Carte-Étoile faites auprès
d'un Centre de réservations de l'État. Un mécanisme
simple mis en place par l'État pourrait aussi alors avancer à
la troupe choisie, pour ses décors et ses frais de répétition,
un montant égal à la différence entre le coût
de la salle avec techniciens et les recettes garanties pas ces réservations.
On monterait en principe un spectacle par mois dans les petites salles
expérimentales de 100 à 150 places, mais avec l'option pour
une pièce de continuer ensuite sa carrière dans une plus grande
salle, si le nombre de réservations reçues au cours de ces
quatre semaines initiales le justifiait. Les premières recettes serviraient
à payer salle, employés et avances, le reste allant à
la troupe qui se le repartirait selon ses propres normes.
4.3 Le mécénat démocratique
En subventionnant celui qui va au théâtre ou au concert,
qui fréquente des expositions et qui encourage le cinéma,
l'État aide les arts sans s'immiscer dans le problème épineux
de savoir quel artiste et quelle forme d'art est subventionnée. Ce
choix devient celui de la population elle-même. La culture "à
la carte" permet à l'État de jouer le rôle de mécène
tout en laissant la population exprimer démocratiquement son goût.
Cette forme de mécénat, suffisante pour les arts du spectacle,
ne l'est pas pour faire vivre les architectes, les peintres et les sculpteurs:
ils doivent vendre leurs uvres, et l'État doit en être un des
acquéreurs si nous voulons que l'art demeure dans notre patrimoine
collectif. Que l'État achète, mais ici aussi, toutefois, il
vaudra mieux s'en remettre au choix de la population plutôt que d'imposer
des décisions d'experts.
Comment savoir ce qu'une population pense des oeuvres d'art? Lui en montrer
beaucoup et lui demander de choisir. Et où peut-on monter une exposition
permanente de tableaux, de sculptures, voire de plans et maquettes d'édifices
publics à construire? Mais dans le métro, bien sûr!
Il y a dans toutes les stations des espaces que l'on pourrait réserver
pour trois ou quatre jours où nos artistes devraient pouvoir exposer
et le public donner son opinion...
Comment obtenir cette opinion? On peut faire divers sondage, mais ce
serait une opération complexe et dont les résultats seraient
sujets à caution. Partout, cependant, où les usagers peuvent
se procurer une carte hebdomadaire ou mensuelle, on peut demander aux utilisateurs
de "voter" pour les oeuvres exceptionnelles, en donnant à
un artiste de leur choix leur carte de la période précédente
devenue inutile.
Un utilisateur n'a qu'une carte par semaine ou par mois et il l'a payée;
ce sera donc un choix très sélectif que de la donner à
celui, à celle ou au groupe dont les oeuvres ou l'interprétation
lui auront vraiment plu. Et comme il y aura des milliers de cartes données,
ce sera un indicateur très significatif des goûts du monde
ordinaire. L'État pourra alors donner suite à ce verdict de
la population, en achetant ou en finançant la création des
oeuvres qui auront reçu l'accueil le plus favorable du public.
CONCLUSION
Nous ne sommes pas sans savoir qu'en privilégiant les goûts
du grand public nous ferons grincer des dents ceux pour qui seule a son
mérite la culture qui répond à leur propre canon "éduqué"
de l'esthétique. Mais qui a décidé objectivement que
Amadeus Mozart valait mieux que Louis Armstrong ou Sarah Bernhardt qu'Elvis
Presley ?
On ne dit pas assez souvent que le public de Shakespeare était
composé de gens ordinaires qui allaient au théâtre pour
s'amuser, et qu'ils étaient aussi près de Hamlet que nous
le sommes de Ti-Coq et de nos "Survenants" télévisés.
Ce public ne se précipitait pas pour voir les pièces d'Eschyle
qui, en leur temps, avaient pourtant passionné les Athéniens.
L'État devrait encourager la production et la fréquentation
d'un théâtre, d'une musique et de spectacles qui plaisent,
car c'est en soutenant une culture sans prétention et qui leur faisait
plaisir que tous ces gens ordinaires qui nous ont précédés
ont créé du même coup ce qu'on appelle maintenant "la
culture".
Pierre JC Allard
;