06.05.07
La décrue
Je me trompe souvent. Malheureusement, je ne me trompe presque jamais
lorsque je souhaiterais me tromper. Ainsi, en novembre dernier, quand je
prédisais qu'André Boisclair, en y apportant des changements,
allait faire mourir le PQ dont le pauvre coeur ne supporterait pas sa cure
de rajeunissement, il y avait quelque chose en moi qui souhaitait que je
me trompe. Mais j'ai bien peur d'avoir eu raison.
J'ai été indépendantiste militant à mon
heure.J'ai frayé avec André d'Allemagne, Chaput, Bourgault,
tout l'inner sanctum du RIN, organisant même sa première campagne
de souscription ! Dois-je dire que j'ai été, moi aussi, traité
de renégat, bien avant Michel Tremblay, quand, avant même le
second référendum, j'ai dit et répété
que le temps était passé de faire l'indépendance et
que, même si ce serait bien chouette qu'on nous la donne, il ne fallait
plus en faire une priorité.
Je crois encore qu'il aurait été souhaitable que nous
fassions l'indépendance dans les années 60. Je crois que
nous l'aurions faite, si Daniel Johnson n'avait pas été rappelé
si inopportunément à la maison du Père. Mais le temps
a passé. Le temps a fait deux choses.
D'abord, il a créé une grande lassitude. On se lasse de
tout. Je me souviens d'avoir accueilli à 30 ans, sans enthousiasme
excessif, les avances d'une jeune femme que j'avais pourtant poursuivie
sans succès de mes assiduités, avec beaucoup d'empressement
et de sincérité, 10 ans auparavant. On se lasse de tout.
On se lasse surtout d'attendre. 45 ans, c'est bien long... Le temps n'a
pas qu'apporté la lassitude, cependant, il a eu un autre effet, plus
grave : ce n'est pas l'idée de l'indépendance du Québec
qui est devenue moins fascinante, c'est le concept même d'indépendance
qui a perdu son sens. Pas seulement pour nous, pour tout le monde.
L'idée qu'il est primordial d'être « indépendant
» a perdu de son importance, parce que le monde s'est rétréci
et que la réalité à imposé à tous l'interdépendance.
Il est absolument certain que plus jamais un gouvernement, à Québec
ni même à Ottawa, n'aura la liberté d'action d'un
pays indépendant, au sens où on l'entendait, il y a 45 ans.
Non seulement les décisions sont prises a Washington, à Bruxelles
ou à Beijing, mais cette nouvelle interdépendance fait que
nul État, quel que soit son pouvoir, n'a vraiment la libre disposition
de son pouvoir, Et ceci, qui vaut pour les gros, vaut évidemment
encore plus pour les petits. L'idée d'un Québec indépendant
sera de moins en moins raisonnable, de moins en moins racoleuse. Elle ne
portera pas un parti au pouvoir et ne déterminera pas un programme
d'action valable.
L'idée de l'indépendance ne disparaîtra sans doute
jamais de la conscience ni surtout de l'inconscient des Québécois; elle aura toujours
des crues et des décrues. Je crois, cependant, que nous avons atteint
la ligne historique des hautes eaux, dans la foulée de l'indignation
qu'a causée le scandale des commandites. Elle a pris brièvement
la forme de 52% des intentions de vote pour le Bloc Québécois,
mais ces intentions, on le sait, sont demeurées velléitaires
au scrutin de janvier.
Maintenant, c'est la décrue. Les signes avant-coureurs se multiplient.
Qui aurait pensé en novembre, en décembre 2005, même, que
le BQ, aux élections fédérales de janvier 2006, PERDRAIT
des sièges au lieu d'en gagner ? Qui aurait pu penser qu'il les perdrait
au profit du Parti Conservateur ? Qui prévoyait que la création
de Québec Solidaire aurait un impact suffisant pour que le PQ perde
une élection partielle contre le très impopulaire gouvernement
Charest ?
Maintenant, les plaintes, les regrets, les désaveux, les quasi-défections
se multiplient : Tremblay, Lepage, Massé ... Ces gens n'ont pas renoncé
à l'idée de l'indépendance, qu'on nous dit, c'est dans
la forme, que ce n'est plus tout à fait ça. On s'interroge
sur l'opportunité, sur la pertinence. Bien sûr, mais c'est
justement de ça qu'il est question. Tout le monde veut être
indépendant, mais est-ce opportun MAINTENANT ? Est-ce encore pertinent
AUJOURD'HUI ?
Un récent sondage place lmaintenant le Parti de Harper en avant
du Bloc dans les intentions de vote des Québécois. Un autre
sondage nous dit que, dans les régions, le message de Boisclair ne
passe pas. Est-ce une surprise ? Seule un message totalement émotif
peut rassembler, les yeux fermés et la foi au coeur, l'avant-garde
et l'arrière-garde d'une société en un mouvement de
masse. La volonté d'indépendance n'a plus ce pouvoir mobilisateur
: c'est une idée pour hier, pas pour demain.
Il faut voir au-dela de l'horizon. Quand la mer se retire elle va toujours
quelque part. Apres ce projet d'indépendance qui a occupé
toute la place depuis deux générations, il nous faut un nouveau
projet qui fasse consensus au Québec. Y compris au sein des communautés
ethniques, puisque notre survivance culturelle passe par leur assimilation.
Nous devons nous donner un autre idéal, ouvert sur les autres,
celui d'une plus grande justice sociale et de l'excellence. Il faut en faire
la priorité et travailler tous ensemble à y parvenir. Il nous
faut un nouveau projet de société.
Pierre JC Allard
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