97.12.10
LE DERNIER DES JUSTES
Vous savez ce que c'est la Curatelle publique? C'est l'organisme qui a mandat
de protéger les plus démunis de la société,
ceux qui ne peuvent se protéger et qui n'ont personne qui les protègent.
Des enfants, mais aussi des malades, des laissés pour compte, entre
autres, de la désinstitutionnalisation. Il y en a environ 25 000
au Québec. Le gouvernement s'en occupe.
Ou ne s'en occupe pas. Pas assez, en tout cas, selon le Protecteur du Citoyen,
Daniel Jacoby. - "Faites donc votre boulot" - leur dit à
peu près Jacoby, mais en plus poli - "collaborez avec ceux qui
ont a coeur le sort de ces gens, plutôt que de vous coller sur le
réseau de la santé qui, souvent, est justement l'organisme
dont les démunis ont à se plaindre... et commencez donc au
moins par connaître le profil de ces personnes que vous devez protéger!"
Le Devoir parle d'un rapport "dévastateur".
Ce n'est pas la première fois que le Protecteur "dévaste"
le gouvernement. En fait, ses rapports annuels, depuis 10 ans qu'il est
là, devraient être vulgarisés et le résultat
publié en Livre de Poche. Ca pourrait s'appeler "Chronique des
Irresponsables"... Celle que je préfère de Jacoby, c'est
quand il a fermé la gueule aux avocats - qui disaient que tout allait
bien dans la justice au Québec - en leur répondant qu'un droit
qu'on ne peut pas appliquer, quelle qu'en soit la raison, ne méritait
pas de porter ce nom. Il disait ce que tout le monde pense et il le disait
bien. Un type sympa, Jacoby.
En somme, le Protecteur du Citoyen fait son travail. Le gouvernement va
donc le mettre à la porte. Le Gouvernement en a ras-le-bol de se
faire dire ses quatre vérités par un quidam qui, de toute
évidence, ne bouffe pas aux râteliers des petites copains,
alors hop, dehors Jacoby. Il a déjà reçu son "pink
slip" (ses "huit-jours") comme tant d'autres. Qu'on le remplace
par n'importe qui, il faudra bien des années au remplaçant
pour savoir où chercher et comment gratter... On va pouvoir respirer.
Sauf ceux qui ne respirent plus, comme les mille et quelques hémophiles
et autres transfusés qui ont tiré le gros lot du Sida dans
la loterie du sang contaminé. Comme les milliers de victimes de l'hépatite
C, frappées par la même négligence et qu'on hésite
à dédommager malgré le rapport du Juge Krever, lequel
dit pourtant qu'il faudrait le faire.
Et pourquoi "hésite-t-on" - (en langage clair, pourquoi
va-t-on attendre que les victimes soient mortes, ce qui réduira les
frais)? Parce que - nous dit le ministre Rochon - indemniser les victimes
serait "une remise en question de tout le système de responsabilité
de tout notre système juridique" . Ça, c'est le petit
morceau que nous joue en rappel l'homme qui nous a déjà donné
comme pièce de résistance le démantèlement du
système de santé du Québec.
Il faudrait peut-être commencer à siffler et à chahuter.
Expliquer au ministre Rochon que ce que la population veut, c'est justement
ça : "une remise en question de tout le système de responsabilité
de tout notre système juridique". Pour débuter, bien
sûr.
Quel rapport entre le départ de Jacoby et le scandale du sang contaminé
qui mène au scandale d'un gouvernement qui se traîne les pieds
pour dédommager les victimes? L'irresponsabilité de l'État,
sa complaisance dans son irresponsabilité, sa haine de tout et de
tous ceux qui lui rappellent sa veulerie et cette irresponsabilité.
Les Jacoby sont chassés, les Rochon restent.
L'État ne peut pas limoger Krever; on va se contenter de laisser
les choses traîner jusqu'à ce que les victimes se lassent,
soient ruinées ou soient mortes. Comme l'histoire de la MIUF a traîné
dans le cirque judiciaire jusqu'à ce qu'on l'oublie, comme les milliards
dépensés sans appels d'offres au moment des Jeux Olympiques
sont demeurés des pieds de pages au Rapport Malouf. (Qui s'en souvient
depuis que Girerd a pris sa retraite?)
Malouf, Krever, on les oublie. Jacoby, lui, l'empêcheur de danser
en rond, on peut lui donner son congé. N'aurait-il pas mieux valu
que Jacoby, même si ce n'est pas tout à fait sa mission, soit
consulté quant aux suites à donner au jugement Krever? Simplement
pour obtenir l'avis de quelqu'un qui pense aux victimes plutôt qu'aux
données comptables? Ne vaudrait-il pas mieux que l'État écoute
sa conscience au lieu de la faire taire? Si après Jacoby il reste
encore un juste à Québec, il nous tarde de l'entendre.
Pierre JC Allard
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