PROJET DE LOI 408
«Partenaires pour un Québec compétent
et compétitif»
MÉMOIRE
présenté
à
LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Janvier 1992
2/2
PARTIE 1/2: 1. Une gestion unifiée , 2. Une nouvelle image
3. Les écoles sectorielles
Nous sommes d'accord avec tous et chacun des remèdes divers qui sont
proposés à l'Énoncé de politique (3.4.1): la
création d'écoles de métiers spécialisés
par secteurs occupationnels, un régime spécial de perfectionnement
pour les profes-seurs de l'enseignement professionnel dont les incitations
soient mieux adaptées aux exigences de leurs tâches, l'utilisation
de l'équipement des entreprises pour la formation et, surtout, les
stages d'orientation et l'apprentissage en milieu de travail.
Nous sommes tout particulièrement d'accord avec la création
d'autres écoles de métiers sectorielles, gérées
avec la participation des entrepreneurs et des syndicats, s'ajoutant aux
premières (aérospatiale, construction) qui existent déjà
(3.4.1 §8). D'accord, mais pourquoi ne pas universaliser cette approche
à TOUTE la formation professionnelle? Ces écoles où
on enseignerait la partie théorique et pratique commune à
divers métiers et occupations d'une même famille nous semble
une alternative extrêmement intéressante. Et n'est-il pas évident
que c'est la tutelle unique du MMSRFP qui devra s'appliquer à ces
écoles?
Dans le cadre d'une gestion unifiée de la politique de main-d'oeuvre,
il nous semble qu'une bonne répartition des tâches ne laisserait
au secteur de l'enseignement actuel la responsabilité que des volets
culturels et d'une formation d'initiation technologique servant de première
orientation professionnelle de base; le MMSRFP assumerait la responsabilité
de la formation professionnelle proprement dite, et on réglerait
ainsi la question de la gestion et du contrôle de la formation professionnelle
en institutions.
Conformément à ce qu'indique l'Énoncé (3.4.1
§8), mais en allant plus loin, le MMSRFP créerait le plus vite
possible, en tenant compte des contraintes territoriales, un réseau
d'établissements de formation spécialisés par secteurs
occupationnels (familles), dans lesquels on enseignerait les modules de
tronc commun des volets professionnels des métiers et occupations
de ce secteur.
Au départ, le MMSRFP pourrait fonctionner à bail et contrat
de services, à partir des locaux, des équipements et du personnel
actuel des établissements du secteur de l'enseignement. Progressivement,
et avec la participation des partenaires sociaux, syndicats et employeurs,
le MMSRFP pourrait revoir les programmes, acquérir et modifier la
vocation et l'équipement des locaux actuels ou en établir
d'autres, prendre directement en charge les ressources humaines spécialisée
en formation professionnelle et réorienter leur action selon les
stratégies qu'il établira.
Ces écoles sectorielles de métiers prendraient charge de toute
la formation professionnelle "qualifiante", laquelle pourrait
commencer dès la fin de ces cours d'initiation à la culture
technique dont nous avons parlé plus tôt et qui demeureraient
au programme obligatoire de l'éducation générale secondaire.
Elles accueilleraient l'élève durant une partie variable de
son temps d'étude, selon les orientations choisies. Ces dans ces
écoles de métier que le jeune travailleur poursuivrait sa
formation professionnelle, sans préjudice à ce que le tiers,
la moitié ou les deux-tiers de son temps, d'ailleurs, puissent encore
être consacrés à la formation générale
si c'est cette approche qu'on choisit.. Sans préjudice non plus à
ce que ces écoles de métier soit physiquement logées
à l'enseigne d'une polyvalente ou d'un cégep pour optimiser
la logistique et l'intendance. Ce qui est important, c'est que les programmes,
la gestion, l'ambiance, l'attitude de l'école de métier reflètent
qu'elle appartient à un autre monde: le monde du travail.
Jusqu'où doit on aller en école sectorielle? Il est des modules
de base qui sont pratiquement communs à toute une famille d'occupations
ou qui mènent à des métiers où exercent surtout
des travailleurs autonomes. Le montage de cours en institution s'impose
pour ces modules, et c'est dans ce genre d'écoles spécialisées
dont les partenaires sociaux ne doivent pas être absents qu'il faudrait
le faire. Dès qu'on s'éloigne de cette gamme minimale de modules,
il y a toutefois des choix immédiats à faire.
On peut aussi enseigner dans ces établissements d'autres modules
plus spécialisés - qu'on définirait alors correctement
de façon toute pragmatique comme des "modules de tronc commun",
s'il existait une demande commune assez importante pour rentabiliser cette
intervention Mais il y a un autre critère important à considérer:
la disponibilité de l'équipement adéquat en l'institution
et l'alternative de l'utilisation des équipements des entreprises
(3.4.1 §10).
Il y a des choix à faire à partir du critère des équipement.
En effet, ce n'est pas une fin en soi d'accroître le nombre de modules
enseignés dans ces écoles spécialisées par secteurs
occupationnels. Chaque fois qu'il est possible d'utiliser, à des
conditions avantageuses, un équipement d'entreprise dont le mode
de fonctionnement ne soit pas si spécifique qu'il puisse nuire à
la formation d'un élève dont le travail éventuel de
cette nature devra s'effectuer sur un équipement différent,
on devrait toujours privilégier l'utilisation de l'équipement
des entreprises pour la formation.
Il n'y a là rien de révolutionnaire; c'est un objectif évident,
préconisé et utilisé avec succès en Espagne,
par exemple, dès le milieu des années "60. Qu'on décide
qu'un module est de tronc commun et qu'il existe une demande suffisante
commune à divers employeurs pour l'enseigner, devrait donc signifier
que le cours sera enseigné, mais pas nécessairement qu'il
le sera à l'école spécialisée. On devrait optimiser
l'utilisation des ressources en équipement que peuvent offrir les
entreprises lorsqu'il s'agit de ces modules de tronc commun.
Quand, d'autre part, il s'agira de modules à la frontière
du "général" et du "spécifique",
l'équipement pourrait souvent être le facteur déterminant
pour décider si un module se donnera en institution ou ne devrait
pas plutôt être organisé en entreprise. En pratique,
on verra vite, en effet, que le moment où l'apprentissage aux meilleures
conditions matérielles exigerait qu'on utilise l'équipement
d'une entre-prise, alors que l'apprentissage sur cet équipement deviendrait
un obstacle aux objectifs pédagogiques, est aussi souvent le moment
ou le reliquat de la formation à donner est si spécifique
qu'il ne devrait plus être donné en institution, mais dans
les entreprises mêmes, pour des postes bien précis, et dans
le cadre de contrats d'apprentissage.
La formation du futur travailleur qualifié se ferait ainsi dans ces
écoles de métiers dédiées à des secteurs
occupationnels (familles ) jusqu'au point où, pour un secteur
occupationnel et un niveau donné de formation, commencerait à
primer sur les connaissances générales l'importance des facteurs
de différenciation que sont l'équipement spécifique
utilisé et les méthodes et procédés de production
caractéristique des employeurs individuels.
A partir de ce point, c'est de toute évidence dans l'entreprise même
que l'on devrait compléter efficacement la formation du travailleur.
Ce passage se ferait en douceur, d'une école de métier déjà
gérée par le MMSRFP, comme le vestibule du marché du
travail, à des cours de formation spécifique en entreprise
qui seraient aussi, naturellement, sous la tutelle unique du MMSRFP. Qui
parle d'arrimer ? Il faut SOUDER la formation professionnelle au marché
du travail.
Cette approche ne laisserait finalement en institutions - en l'occurrence
les écoles sectorielles du MMSRFP, accolées ou non aux écoles
de formation générale du secteur de l'enseignement - que ce
qui doit y être: une formation commune adéquate, par secteurs
occupationnels, de travailleurs polyvalents, qualifiés donc au palier
des connaissances communes à l'un ou l'autre de ces secteurs occupationnels.
Des travailleurs qui seraient tout aussi avancés dans le processus
de spécialisation vers un métier ou un emploi précis
que le justifierait la demande du marché, demande du marché
qu'on pourrait définir comme l'offre d'emploi ferme (immédiate
ou à court terme) des employeurs, augmentée (quand cette notion
s'applique), du nombre des élèves qui auraient manifesté
leur intention de devenir des travailleurs autonomes. La formation en institution
n'a pas à aller plus loin.
La formation en institutions ne PEUT pas aller plus loin. Et cette formation,
à elle seule, ne règle pas le problème du recrutement
par les entreprises des travailleurs dont ils ont besoin; surtout pas celui
des PME, qui créent la majorité des emplois. (70 %, des emplois,
au cours de la dernière décennie, ont été créés
par des entreprises de moins de 100 employés). Il faudra autre chose,
car la seule formation professionnelle en institutions laisserait les entreprises
insatisfaites. Comme elles le sont présentement.
4. Une « formation - charnière »
Les entreprises du Québec, dont nous avons eu régulièrement
l'occasion de prendre le pouls depuis des années, portent généralement
un jugement sévère sur la formation professionnelle traditionnelle
en institutions et sur ses diplômés. Un jugement assez répandu
pour qu'on puisse parler d'un certain consensus significatif, et dont les
éléments-clefs permettent de tracer une image composite de
la situation de la formation, telle que la voient les entreprises. Ce qui
nous offre un diagnostic lapidaire auquel nous pensons que se rallieraient
nombre d'entreprises.
« Il existe présentement un déséquilibre entre
les besoins de l'entreprise et les cours disponibles en institutions, mais
ce déséquilibre n'est pas tant quantitatif, que qualitatif:
ce n'est pas tant le nombre des diplômés des institutions qui
est insuffisant que le fait que le diplômé formé par
les institutions d'enseignement ne peut pas être intégré
directement le marché du travail et y être efficace.
Le diplômé du secondaire professionnel en particulier, à
sa sortie de l'institution - et avant d'avoir eu une expérience en
milieu de travail - est totalement inutilisable en production: sa formation
théorique présente des lacunes graves, sa formation pratique
est lamentable. Le diplômé du collégial a une bonne
formation théorique mais manque aussi de formation pratique.
Il faudrait que les contenus des programmes se modernisent, fassent appel
à des équipements récents, et qu'il y ait une réforme
totale de la formation institutionnelle pour la rendre plus pratique, mieux
adaptée aux besoins. Dans la mesure où il y a peu d'espoir,
toutefois, de voir bientôt sortir du système un diplômé
qui colle de beaucoup plus près aux besoins réels, le premier
besoin n'est pas pour plus de cours de type DEP. L'important est :
- que la formation générale soit de bonne qualité,
puisque la scolarité elle-même est en fait le test de la capacité
conceptuelle et d'adaptation supérieure présumée du
diplômé sur le non-diplômé;
- qu'une aide financière et technique soit disponible pour former
en entreprise ce diplômé à qui on présume que
le système aura donné la culture technique de base et l'adaptabilité
nécessaire pour recevoir cette formation qui le qualifiera pour occuper
des postes de travail bien spécifiques.»
Une majorité écrasante des entreprises considèrent
que, sans une expérience de travail complémentaire à
sa formation, le diplômé actuel des institutions d'enseignement
est inutilisable en production. Mais, ceci posé, les entreprises
deviennent ambivalentes dans leur appréciation du système
de formation professionnelle. Elles en remettent complètement en
cause les contenus, et souhaitent des modifications en profondeur des programmes...,
mais elles affirment - quasi unanimement - qu'elles préfèrent
embaucher des diplômés plutôt que des non-diplômés!
Aussi, ce qui est rassurant pour l'avenir, leurs plaintes ne sont pas dirigées
contre les ressources de l'éducation traditionnelle: la très
grande majorité manifestent, au contraire, un grand respect pour
le dévouement et la préparation technique des enseignants,
aussi bien du secondaire que du Cegep.
Les entreprises de toutes tailles semblent d'accord sur les constats de
base de ce portait composite. Mais, à partir de ce point, le discours
varie selon qu'on s'adresse à la PME ou à la grande entreprise.
Celle-ci, acceptant que le diplômé du système ne soit
pas utilisable à sa sortie de la polyvalente ou du Cegep, prend avec
réalisme cette situation pour acquise et met simplement en place,
dans ses propres ateliers, des mécanismes de formation pointue pour
habiliter à l'emploi les diplômés qu'elle embauche.
Ce que la PME ne peut pas faire.
La PME ne peut pas le faire, pour deux raisons. La première, c'est
faute de moyens et de ressources, bien sûr. La deuxième, bien
plus sérieuse, c'est que le "poste de travail spécifique"
dans une petite entreprise ne veut pas dire, comme dans la grande, un nombre
plus restreint de tâches à accomplir (menant à la limite,
même si la fonction conserve un titre de prestige, à une confusion
entre l'ouvrier professionnel et le simple opérateur) mais, au contraire,
à un agencement souvent unique de tâches complexes, parfois
reliées à des métiers différents, et qui répondent
aux besoins d'un mode de production ad hoc ajusté à
la demande d'une clientèle précise. Le "poste spécifique"
d'une PME exige souvent un super-généraliste... mais dont
aucun système de formation ne pourrait logiquement prévoir
le profil. Qui va le former?
Parce qu'elle ne peut pas le faire - l'Énoncé confirmant que
"de façon générale, les entreprises n'ont pas
l'infrastructure requise pour accueillir des stagiaires" (3.4.1
§7) - La PME est plus aigrie que la grande entreprise par ce qui lui
apparaît comme une insuffisance du secteur de l'enseignement. À
peu près chaque PME a une histoire d'horreur à raconter sur
le jeune diplômé en menuiserie qui ne sait pas lire le galon
à mesurer, ou l'équivalent. Mais ces critiques des PME envers
le système de formation professionnelle en institutions semblent
venir d'un malentendu qui est peut-être en voie de se dissiper.
Les PME se sont longtemps attendues à ce que le système d'éducation
produise à la sortie un travailleur qualifié, immédiatement
utilisable. Or, pas un système de formation strictement institutionnel
ne peut garantir ce résultat. L'école peut préparer
à un apprentissage utile par l'enseignement de donnés théoriques
pertinentes, voire sensibiliser aux métiers par des travaux en atelier
de niveau "tronc commun"; mais ce n'est pas sa mission de préparer
le futur travailleur à occuper efficacement un poste de travail précis
dans le système de production. Surtout pas le poste du spécialiste/généraliste
à un seul exemplaire dont peut avoir besoin une PME. Il n'y a pas
pour ce faire de formation professionnelle pointue parfaitement valable,
sauf en milieu réel de travail, surtout pour les PME.
Ceci, nous pensons que la PME commence à le comprendre; et elle réagit
en cessant de considérer les finissants des institutions d'enseignement
comme le bassin où elle s'approvisionnera directement en ressources
qualifiées. Elle cesse de voir la formation professionnelle traditionnelle
en institutions comme immédiatement "qualifiante", et la
perçoit plutôt comme un passage obligé vers une vraie
qualification pour des postes spécifiques, qui elle découlera
de l'expérience en milieu de travail.
Ce comportement de la PME peut nous gêner au palier de la planification,
mais découle d'une analyse fondamentalement correcte. Il est aujourd'hui
universel-
lement accepté qu'une formation professionnelle en institutions,
dans le cadre du système d'éducation, ne peut pas former des
travailleurs qui soient directement utilisables, du moins pas utilisables
dans le secteur industriel: la technologie, l'équipement, les méthodes
de production changent trop vite, la spécificité technique
et organisationnelle de chaque employeur est trop importante. Il faut donc
absolument qu'un volet-charnière, une période d'apprentissage
ponctuel en entreprises, adapté au poste de travail à remplir,
vienne compléter la formation en institutions.
Ceci n'est pas un phénomène particulier au Québec,
c'est une tendance mondiale. Partout, il existe des "limbes",
entre le système scolaire institutionnel et le système de
production, où les diplômés qui n'ont pas d'expérience
en milieu de travail attendent la rédemption. Un salut qui viendra,
soit après des années de pénitence dans des emplois
pour lesquels leur formation académique les sur-qualifient, soit
après une période d'apprentissage: une période de formation-charnière
qui leur permettra de s'insérer dans le milieu du travail et de se
présenter ensuite comme de vrais travailleurs.
Il est possible de laisser entièrement à l'entreprise privée
la charge et le coût de cette formation-charnière entre l'éducation
et le marché de l'emploi; mais alors, seule la grande entreprise
a vraiment les moyens de se l'offrir... alors que c'est la PME qui est la
grande créatrice d'emplois. Tous les pays développés
ont donc mis en place des mécanismes qui facilitent à la PME
la tâche essentielle de terminer en entreprise, par l'enseignement
des éléments spécifiques aux postes de travail eux-mêmes,
le processus de formation professionnelle qui ne peut être qu'initiée
dans les institutions.
Le Canada et le Québec ne font pas exception à la règle;
les programmes d'aide à la formation en entreprise sont donc là,
sous l'égide de la CFP, sujets à amélioration et à
des raffinements, bien sûr, mais dans la bonne moyenne des programmes
de ce genre disponibles ailleurs dans le monde. L'originalité malheureuse
d'Ottawa et Québec a été de se mettre à deux
pour gérer cette aide, et ce faisant de sacrifier la simplicité
et la vitesse de réaction - qui sont les deux vertus essentielles
d'un processus de collaboration entre les secteurs
public et privé - au respect des formes qui leur paraissaient essentielles
à la protection de leurs territoires décisionnels et de leurs
juridictions respectives.
Maintenant qu'une gestion unifiée va résoudre ce conflit de
juridictions, une nouvelle problématique s'installe. Il faut être
bien conscient que la première préoccupation de la PME est
d'obtenir l'aide à la formation pour ses postes de travail spécifiques
et que, jusqu'à présent, elle a fait face surtout à
des problèmes qu'elle a perçus comme vexatoires, issus d'une
aberration organisa-tionnelle et logistique, des problèmes se situant
au niveau de ce qu'on pourrait appeler, par analogie, l'offre "effective"
de formation du système. La plupart des réponses existaient
dans le cadre des programmes d'aide à l'emploi du gouvernement fédéral;
on voulait simplement y avoir accès plus facilement et en obtenir
un fonctionnement plus souple.
Conséquence immédiate de cette situation, ce sont les Commissions
de Formation Professionnelles, désignées comme interlocutrices
directes pour le montage de ces programmes-charnières entre l'école
et le travail, qui ont généralement fait, à tort ou
à raison, l'objet des récriminations des entreprises. Ce point
n'est pas sans importance, puisque ce sont les structures mises en place
par la Loi 408 qui prendront la relève des CFP et qui deviendront
donc la cible de ces critiques si le système n'apporte pas une amélioration
visible. C'est un défi important a relever.
Autre conséquence plus profonde, à mesure que la PME prendra
conscience de la limitation inhérente à une formation professionnelle
en institutions, ll y aura, à notre avis, une orientation de plus
en plus nette vers les programmes d'appoint courts, et une demande croissante
de la PME pour ces programmes d'aide à l'emploi qui serviront de
formation-charnière entre le système de formation en institutions
et l'intégration à son personnel régulier de production.
Dans ce contexte, il y aurait plus que jamais, au cours des prochaines années,
une certaine ignorance navrante de la réalité de l'emploi
à vouloir établir un équilibre direct entre "sortants"
des cours de formation professionnelle en institutions et "entrants"
au processus de production, sans tenir compte de ce volet-charnière
entre les deux ensembles qui faussera considérablement cette équation
simple.
Les PME veulent peu des travailleurs frais émoulus des institutions
d'enseignement; ils cherchent des travailleurs d'expérience. Les
deux équilibres qui doivent vraiment exister, sur le plan de l'adéquation
de l'offre à la demande de travail, sont donc, d'une part, l'équilibre
entre le nombre de diplômés des institutions et le nombre de
postes ouverts sur le marché du travail à des diplômés
sans expérience - un marché d'apprentissage - et, d'autre
part, l'équilibre entre le nombre des jeunes "apprentis"
qui auront persisté et qui seront devenus de vrais travailleurs compétents
et la demande effective des entreprises pour ce genre de travailleurs avec
une expérience de base déjà acquise.
Ce ne sont pas des équilibres simples à réaliser, et
vouloir gérer correctement ces équilibres est un argument
de plus en faveur d'une gestion unifiée de la formation professionnelle
sous l'égide du ministère qui connait le mieux la problématique
de la main-d'oeuvre. Il nous semble aussi que, pour ce faire, il soit opportun
de développer un peu plus le concept d'apprentissage dont parle l'Énoncé
de politique sur le développement de la main-d'oeuvre.
4. L'Apprentissage
Nous sommes heureux de l'intérêt pour la notion d'apprentissage
que manifeste l'Énoncé de politique sur le développement
de la main-d'oeuvre (3.4.2). Nous sommes entièrement d'accord avec
les mesures que proposent L'Énoncé de politique pour en favoriser
la croissance. Mais nous croyons indûment limitatif le rôle
qu'on lui assigne.
L'apprentissage ne nous apparaît pas comme un complément à
la formation professionnelle en institutions qui soit destiné au
seul l'usage de "ceux qui se sont situés en marge du système
scolaire" (3.4.2. §3), ou qui soit une réponse offerte
aux "adultes sans qualification professionnelle qui ressentent le
besoin de développer en entreprise une compétence recherchée
par le marché du travail" (3.4.2. §4). Nous croyons
que l'apprentissage est le complément indispensable de TOUTE formation
professionnelle, une troisième étape du processus de formation,
aussi indispensable que l'acculturation technique - qui est partie du mandat
de
l'éducation générale - et que la formation professionnelle
en institution qui, elle-même, ne peut pas dépasser rentablement
un certain seuil de spécificité. Alors que les besoins de
l'entreprise sont bien spécifiques.
Nous croyons que la formation professionnelle ne peut être complète
que si elle se termine dans l'entreprise même, et qu'il doit exister
entre la sortie de l'élève de l'institution de formation et
son intégration au marché du travail - nous l'avons dit et
des dizaines d'entreprises du Québec nous l'ont dit, chacune à
sa façon - un volet-charnière qu'on ne peut laisser
à l'abandon sans que tout le système ne périclite.
L'apprentissage, largement défini comme une période où
l'on "travaille pour apprendre", peut être ce volet-charnière
"omnivalent", le chaînon manquant entre la formation professionnelle
en institutions et le marché du travail.
Et si on accepte cette définition large pour une option administrative
d'encadrement, on voit qu'on peut y insérer une bonne part de ces
programmes d'aide à l'emploi dont on va récupérer du
gouvernement fédéral des modalités d'application raisonnablement
bien rodées et les budgets. En les insérant dans une enveloppe-cadre
sous le vocable "apprentissage", on pourrait les gérer
de façon cohérente, et peut-être leur ajouter autre
chose: donner à l'ensemble une structure plus cartésienne
conforme au génie québécois, et contribuer ainsi à
réaliser cette "opération de regroupement et de simplification
des programmes de main-d'oeuvre" qu'annonce l'Énoncé
de politique (3.3.3).
Il y a autant de façons de réaliser cette insertion qu'il
y a de programmes d'aide à l'emploi. Nous donnerons seulement ici
un exemple "cas-limite", pour illustrer comment une Société
régionale de développement de la main-d'oeuvre, dans le cadre
large d'une option "apprentissage", pourrait répondre à
la demande d'une petite entreprise pour la formation d'un (1) seul travailleur
qualifié pour un poste de travail spécifique.
Nous prenons l'hypothèse d'une formation en alternance école-entreprise,
l'une de celles qui nous semblent les plus prometteuses, et à la
réalisation de laquelle l'Énoncé nous annonce qu'on
"lèvera les obstacles" (3.4.1 §7). Voyons le
déroule-ment par étapes de cette intervention.
A. Identification du besoin
Faire une analyse du poste de travail à remplir. Cette analyse peut
être faite entièrement dans l'entreprise si celle-ci a les
ressources pour ce faire ou, dans le cas contraire, par un spécialiste
de la Société régionale de développement de
la main-d'oeuvre, (obtenu du MMSRFP ou d'une institution d'enseignement).
A partir de cette analyse, on détermine les exigences théoriques
et pratiques du poste.
1.1 Théorie
a) - déterminer les éléments de connaissances théoriques
directes requises par le poste;
b) - déterminer les prérequis essentiels pour l'acquisition
de ces connaissances;
c) - identifier les modules du système de formation professionnelle
qui permettent la transmission de ces connaissances directes et de leurs
prérequis;
d) - préparer le regroupement ad hoc consistant: i) en ces connaissances
théoriques directes et leurs prérequis, ii) en ces exercices
de base à réaliser qui en permettront l'assimilation.
Rien d'autre.
1.2 Pratique
a) - Fixer le seuil minimal d'habileté -(déterminé
par un test objectif) - à partir duquel le travailleur peut:
- occuper le poste efficacement et rentablement sans l'assistance régulière
d'un travailleur expérimenté;
- s'améliorer lui-même, par la pratique et l'expérience,
jusqu'au niveau maximum de compétence dans ce poste qui soit conforme
à ses aptitudes.
b) - déterminer les tests objectifs qui permettront de vérifier
si ce seuil minimal d'habileté a été atteint;
c) - décider quels exercices à faire exécuter par l'apprenti
seront la responsabilité, soit de l'institution, soit de l'entreprise
B. Sélection du candidat
a) - selon les normes de l'entente à intervenir à cet
effet entre un employeur et ses employés, l'opportunité de
formation est offerte en toute priorité aux travailleurs en poste
qui, de l'avis de l'expert de la Société régionale
de développement de la main-d'oeuvre, possèdent le profil
requis pour que la compétence cherchée puisse leur être
transmise dans un délai raisonnable à déterminer;
b) - si pour quelque raison le recrutement ne peut être fait d'un
employé en poste, l'employeur choisira un candidat hors de son personnel.
À son choix, ou parmi ceux que lui suggérera le conseiller
de la Société régionale de développement de
la main-d'oeuvre à partir des candidatures qu'aura suscitées
une "offre d'apprentissage", affichée dans les centres
d'emploi de la région et les écoles spécialisées
du secteur occupationnel pertinent. Le candidat choisi devra, de l'avis
de l'expert de la Société régionale de développement
de la main-d'oeuvre, posséder le profil requis pour que la compétence
cherchée puisse lui être transmise dans un délai raisonnable
à déterminer.
C. Préparation du programme
Au vu du profil du candidat choisi, les spécialistes de la Société
régionale de développement de la main-d'oeuvre obtenus du
MMSRFP et d'une institution d'enseignement détermineront:
a) - les modules théoriques qui lui manquent, parmi ceux identifiés
comme nécessaires pour le poste à combler; 4
b) - le programme d'exercices pratiques qui devrait lui permettre d'atteindre
le seuil minimal d'habileté qui aura été déterminé
pour le poste à combler;
Ce qui précède constitue le VOLET PROFESSIONNEL du programme,
auquel doit être greffé un VOLET CULTUREL, tel que ci-après
décrit .
Le travailleur à former, en collaboration avec un API du secteur
de l'enseignement, choisira à la maquette institutionnelle du MEQ
ou du MESS le nombre de cours de type culturel nécessaire pour obtenir
une scolarité qui, en cohérence et en heures de formation,
corresponde aux exigences du secteur de l'enseignement pour que lui soit
accordé un diplôme compatible avec le statut professionnel
pour lequel il veut se qualifier.
D. Contrat tripartite d'apprentissage
a) - La Société régionale de développement
de la main-d'oeuvre s'engage à fournir les éléments
de formation dont elle a convenu, ainsi que les rémunérations
telles que décrites à d) infra ;
b) - L'entreprise formatrice s'engage à fournir les éléments
de formation dont elle a convenu, ainsi que les rémunérations
telles que décrites à d) infra , et à offrir
à l'apprenti ,employé ou étudiant, après sa
formation, un contrat de travail d'un minimum de trois ans aux conditions
qui tiennent compte de sa nouvelle qualification;
c) - L'apprenti s'engage à poursuivre le programme d'apprentissage
qui, normalement, impliquera 50% de présence en entreprise et 50%
de présence en institution (25% à la théorie "professionnelle"
et 25% au volet culturel) pour une période de six mois à un
an, à demeurer au service de l'entreprise pour un minimum de trois
ans après la fin de sa formation, et à honorer ses engagements
tel que ci-après décrit;
d) Selon son statut, l'apprenti:
- s'il est déjà un employé de l'entreprise formatrice,
et que son apprentissage peut donc être assimilé à un
perfectionnement, recevra de celle-ci 50% de son salaire actuel durant sa
formation, ainsi que, de la Société régionale de développement
de la main-d'oeuvre, un prêt progressif sans intérêt
équivalant à l'autre moitié de son salaire actuel.
Ce prêt serait remboursable en cinq ans, débutant: a) à
la date de l'abandon du programme par l'apprenti sans l'avoir complété,
ou b) à la date de son départ de l'entreprise formatrice avant
la fin des trois ans auxquels il s'est engagé, ou c) à la
fin de ces trois années s'il n'a pas, à cette date, complété
le volet culturel de sa formation et obtenu le diplôme prévu;
hormis ces trois cas, le remboursement du prêt ne sera pas exigé.
- s'il est prestataire de l'assurance chômage ou de l'assistance sociale,
recevra sans primes additionnelles les montants auquel il a droit. Si toutefois
il complète son volet professionnel, respecte l'engagement de demeurer
par la suite 3 ans au service de l'entreprise, termine avec succès
son volet culturel et obtient son diplôme, il recevra, quand sera
accomplie chacune de ces éventualités, pour moitié
payable par la Société régionale de développement
de la main-d'oeuvre, et pour moitié par l'entreprise, une prime égale
au tiers de la différence entre les prestations qu'il aura touchés
durant sa formation et le salaire moyen qu'auraient touché durant
cette période de formation les travailleurs déjà employés
en perfectionnement pour des postes de même niveau;
- s'il est étudiant finissant de la formation professionnelle, recevra
de l'entreprise formatrice, durant sa formation, 50% du salaire qui sera
prévu par la loi pour cette catégorie d'apprentis, ainsi que
de la Société régionale de développement de
la main-d'oeuvre un prêt sans intérêt, progressif, équivalant
à l'autre moitié de ce salaire. Prêt à rembourser
ou dont on lui fera remise aux mêmes conditions indiquées pour
les employés en perfectionnement.
E. Frais de formation
L'entreprise sera remboursée de tous les frais directs encourus pour
participer à cette formation en alternance, soit par payement direct,
soit par crédit d'impôt, selon le devis à cet effet
dont elle aura convenu préalablement avec la Société
régionale de développement de la main-d'oeuvre, à la
seule condition de s'être acquittée de ses obligations contractuelles
quant à la formation pratique elle-même et quant à l'embauche
du travailleur formé.
Ceci n'est qu'un exemple, basé sur une formation en alternance entre
l'école et l'entreprise, de la flexibilité que peut offrir
un concept élargi d'apprentissage pour faciliter la formation en
entreprise. En ce cas, c'est l'entreprise qui prend l'initiative de demander
un programme de formation pour satisfaire à son besoin, besoin auquel
les programmes actuellement disponibles permettraient difficilement de répondre.
En d'autres cas, c'est la Société régionale de développement
de la main-d'oeuvre qui approchera l'entreprise, pour utiliser, par exemple,
les équipements dont celle-ci dispose pour former des travailleurs
qualifiés, non seulement pour cette entreprise mais pour d'autres
également. Les conditions du contrat d'apprentissage seront alors
naturellement différentes.
Les modalités pourront varier. Ce qui nous semble essentiel, c'est
la volonté de former en entreprise dans toute la mesure du nécessaire,
et la mise en place d'une structure souple qui permettra de réagir
avec promptitude aux demandes et aux besoins du marché.
5. Conclusion
Nous avons voulu limiter ce mémoire à ces quelques points
seulement, tous liés à l'idée directrice d'un mécanisme
de formation professionnelle qui colle mieux à la réalité
du marché du travail et qui réponde à ce que nous avons
perçu être les aspirations des partenaires sociaux. Il se résume
aux recommandations suivantes.
NOUS RECOMMANDONS:
- le transfert au MMSFRP de l'ensemble des activités de formation
professionnelle;
- une distinction claire entre les volets «culturel» et «professionnel»
de l'enseignement;
- l'accès des diplômés de l'enseignement professionnel
à l'enseignement supérieur;
- la création d'écoles spécialisées pour tous
les secteurs occupationnels;
- le groupement de programmes d'aide à l'emploi dans une structure
d'apprentissage;
- l'apprentissage comme une étape essentielle de toute formation
professionnelle.
Même en nous limitant de la sorte, nous sommes conscients de n'avoir
qu'effleuré le sujet. Nous sollicitons donc l'indulgence de tous
ceux qui en prendront connaissance, n'ayant d'autre excuse pour avoir osé
préparer ces quelques notes dans les temps et avec les ressources
dont nous pouvions disposer, que notre désir sincère d'apporter
une contribution, si modeste soit elle, à ce qui nous semble une
étape importante du développement de la société
québécoise.
Montréal, 18 janvier 1992
Pierre JC Allard