Prélude à la fin d'un monde
Nous allons bientôt vivre dans une nouvelle société.
Une nouvelle société n'arrive pas comme un coup de tonnerre
et sans s'être annoncée; elle frappe à la porte...
et dix fois plutôt qu'une! Ainsi, il y a plus de 40 ans que l'on
se prépare à accueillir une nouvelle société.
Le premier signe précurseur, circa 1955, a été la
baisse du pourcentage de la main-d'oeuvre dans le secteur industriel aux
USA, signe clair que la capacité de production globale pouvait satisfaire
la demande globale et même l'excéder: l'objectif immémorial
de l'homme de combler ses besoins matériels était enfin atteint.
Il restait à résoudre des problèmes de distribution
inhérents au système. Il faudrait se résigner à
changer les règles du jeu, sans quoi, la "demande effective"
pour les biens industriels étant saturée, notre société
allait errer sans but réel comme une âme en peine pendant
que les inégalités augmenteraient et que nos valeurs perdraient
leur sens. Un scénario de décadence.
Guerre froide, Viêt-Nam, on n'a pas changé les règles
du jeu. Les années "60 ont apporté la prise de conscience
de la fin d'une époque. les individus ont cherché un par
un et par petits groupes une nouvelle direction que la société
n'offrait pas. Protestation, contestation, quelques pas en avant, quelques
avancées sociales, Mai "68, Woodstock... puis on se lasse et
c'est l'apathie des années "70 qui s'installe.
Dix ans d'apathie puis Reagan siffle la fin de la récréation
sociale: on ne redistribue plus la richesse. Encore dix ans, et ce sont
les Russes qui en ont assez d'attendre, mettant fin à l'expérience
communiste; encore 5 ans et les Chinois, pragmatiques, rentrent dans le
rang, mettant aussi le fric au-dessus de l'idéologie et laissant
l'arène au dernier survivant du derby-démolition politique
du 20ème siècle: le néo-libéralisme. Fin de
l'Histoire.
Pas tout à fait. L'exploitation n'ayant plus d'ennemis naturels
s'est développée comme une bactérie sur une culture
et, toute richesse terre-à-terre significative ayant été
consommée, le capitalisme triomphant est parti à la conquête
de l'imaginaire. Produits boursiers dérivés, activités
bancaires "hors-bilan", création d'argent "virtuel",
manipulation arbitraire des taux d'intérêts et des taux de
change... Notre société n'ayant plus de but réel,
les financiers nos maîtres se sont trouvés une raison de vivre
dans un autre univers.
Un univers où le Dow-Jones a multiplié sa valeur imaginaire
par 14 en 17 ans, alors que pendant ce temps, le niveau de vie moyen en
dollars constants du péquenot-travailleur d'un pays dit développé
n'a pas augmenté d'un cent .. et que le revenu du sous-péquenot
non-travailleur d'un pays qu'on n'ose même plus dire "en développement"
a chuté brutalement durant la même période. Dans l'univers
imaginaire néo-libéral, 12 chiffres et un signe d' initié
sur un écran prouvent que Bill Gate "vaut" $ 100 000 000
000. Dans le monde réel, 40 000 enfants meurent de faim chaque jour.
Rien ne va plus. Il y a des choses à changer, mais il ne s'agit
pas de prendre l'argent de Bill Gate. Il s'agit de changer les règles
du jeu et de rendre effective la demande qui ne l'est pas.
Elle ne l'est pas parce que, à l'échelle planétaire,
une majorité croissante des travailleurs potentiels n'ont pas et
n'ont aucune chance d'acquérir la compétence qui leur permettrait
de produire quoi que ce soit qui puisse être utile à la minorité
de "gagnants" des pays occidentaux industrialisés (Western
Industrial Nations). Les "Winners" - machines, ordinateurs et
automates aidant -n'ont plus désormais besoin de ces travailleurs
sans compétences.
Pas plus d'ailleurs que, dans un pays occidental industrialisé,
les vrais gagnants, ceux qui ont la compétence d'être utiles,
n'ont besoin des travailleurs de ces pays mêmes qui sont dépourvus
de cette compétence. Un (1) travailleur sur quatre (4) dans les
WIN ne travaille déjà plus. Le quart des "gagnants"sont
devenus aussi des perdants et la proportion des exclus augmente sans cesse.
Il ne s'agit pas de prendre l'argent des riches - une richesse devenue
virtuelle et très largement fictive - mais de remettre tout le monde
au travail .
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