Hannah Arendt

 

La visite de Menahem Begin

et les objectifs de son mouvement politique

 

 

[Dans sa lettre ouverte au New York Times du 4 décembre 1948, Hannah Arendt témoignait de ce que l’on peut aujourd’hui reconnaître comme une très grande naïveté à l’endroit des Etats-Unis d’Amérique, pays où elle s’était réfugiée et qu’elle surestimait considérablement, comme il apparaît encore dans son ouvrage On revolution publié en 1963 ; de même, elle y surestimait aussi les conditions selon lesquelles se forme ce que l’illusion « démocratique » appelle « l’opinion ». En dépit de ces faiblesses, qui nous apparaissent choquantes, la lettre qui suit présente le mérite d’énoncer clairement et sans fard, à une époque où l’on savait moins mal qu’aujourd’hui trancher in medias res, le caractère fasciste d’une tendance politique qui a depuis lors pris en main et dirigé, le plus souvent, la politique de l’Etat d’Israël. Les griefs que Hannah Arendt imputait au mouvement politique de Begin sont devenus bien peu de chose en regard de ce qui s’est passé depuis, et le jugement prononcé par Arendt n’en est évidemment que plus vrai. Le texte que nous avons traduit à partir de la version allemande est issu du recueil Israel, Palästina und der Antisemitismus, Klaus Wagenbach Verlag, 1991. [Note du traducteur]

 

 

 

 

 

Parmi les phénomènes politiques contemporains aptes à susciter la plus grande inquiétude, il faut ranger la naissance du « Parti de la Liberté » (Triu’at Haherut) dans l’Etat d’Israël récemment fondé. Dans sa structure organisationnelle, dans ses méthodes, dans sa philosophie politique et dans son pouvoir de séduction social, ce Parti se révèle très proche de Partis national-socialistes et fascistes. Il s’est formé à partir de membres et de partisans de l’ancien Irgun Zvai Leumi, une organisation terroriste chauviniste d’extrême-droite en Palestine.

L’actuelle visite faite par Menahem Begin, leader de ce Parti, aux USA est censé préparer les prochaines élections en Israël en donnant l’impression, que les Etats-Unis soutiennent ce Parti, et doit renforcer les liens entretenus avec des cercles sionistes conservateurs aux USA. Un certain nombre d’Américains jouissant d’un renom à l’échelle du pays ont déjà laissé utiliser leur nom pour féliciter Begin de cette visite. Or, il est inconcevable que ceux qui s’opposent au fascisme à travers le monde eussent prêté leur nom et leur soutien au mouvement que représente Begin, s’ils avaient été informés d’une façon valable du passé politique et des idées politiques de M. Begin.

Avant que des conséquences irréparables ne se produisent du fait d’une aide financière et de proclamations publiques en faveur de Begin, et que ne se produise en Palestine l’impression qu’une grande partie de l’Amérique soutient des éléments fascistes en Israël, l’Amérique doit être informée du passé et des objectifs de M. Begin et de son mouvement.

Les déclarations publiques du Parti de Begin ne renseignent absolument pas sur son véritable caractère. Aujourd’hui, il y est question de liberté, de démocratie et d’anti-impérialisme, tandis que tout récemment encore, ces déclarations propageaient la doctrine d’un Etat fasciste. Par ses actes ce Parti terroriste révèle davantage sa véritable nature ; sur la base de son activité pratique passée, on peut mieux juger de ce qu’on peut attendre de lui à l’avenir.

 

 

Attaque d’un village arabe

 

Un exemple choquant de cette activité fut ce qui advint au village arabe de Deir Yassine. Ce village isolé, entouré par des terres appartenant à des Juifs, n’avait pas pris part à la guerre et avait même refusé son accès à des bandes arabes qui voulaient s’en servir comme d’une base pour leurs raids. Le 9 avril, selon le New York Times, des bandes de terroristes attaquèrent ce village paisible, qui ne représentait aucunement un objectif militaire, et mirent à mort la majorité de ses habitants – 240 hommes, femmes et enfants ; on en laissa en vie quelques-uns, pour les faire parader comme prisonniers dans les rues de Jérusalem. La grande masse de la communauté juive fut terrifiée par cet événement, et la Jewish Agency adressa un télégramme d’excuses au roi Abdallah de Transjordanie. Mais loin d’avoir honte de leur méfait, les terroristes étaient fiers de ce massacre, se répandirent dans le public et invitèrent tous les correspondants de média étrangers présents en Israël à venir visiter les monceaux de cadavres et les destructions qu’ils avaient produites à Deir Yassine.

Ce qui s’est passé à Deir Yassine illustre le caractère et la pratique du Parti de la Liberté.

Au sein de la communauté juive, ce Parti a prêché une idéologie concoctée à partir d’ultranationalisme, de mysticisme religieux et d’une propagande de supériorité raciale. Comme d’autres partis fascistes aussi, il servit à briser des grèves et exigea lui-même la destruction de syndicats libres. Ces syndicats étaient, selon lui, à remplacer par des regroupements corporatistes sur le modèle du fascisme italien.

Pendant les dernières années des violences sporadiques exercées contre les Britanniques, l’IZL et les Groupes Stern édifièrent une véritable domination terroriste parmi les populations juives de Palestine. Des enseignants finirent à l’hôpital parce qu’ils prenaient position contre eux. Des adultes furent assassinés parce qu’ils interdisaient à leurs enfants de rejoindre ces groupes. En multipliant des rixes, des cassages de vitres et des agressions individuelles, les terroristes appliquèrent des méthodes de gangsters pour intimider la population et pour extorquer d’importants tributs.

Les membres du Parti de la Liberté n’ont pas participé à ce qui s’est construit en Israël. Ils n’ont pas travaillé à rendre la terre arable, ils n’ont pas construit d’immeubles d’habitation, et se sont borné à mettre en péril les efforts défensifs des immigrants. Les tentatives de stimuler l’immigration, dont ils n’ont cessé de se vanter, sont demeurées insignifiantes et revenaient essentiellement à attirer des comparses fascistes de leur acabit.

 

 

Contradictions manifestes

 

Les contradictions qu’on peut relever entre les affirmations audacieuses de Begin et de son parti et la réalité de leurs actions passées en Palestine démontrent clairement qu’il ne s’agit pas ici d’un parti politique au sens habituel. Ces contradictions sont le signe irréfutable qu’il s’agit d’un parti fasciste pour lequel le terrorisme (dirigé à la fois contre les Juifs, les Arabes et les Britanniques) et la falsification des faits sont des moyens appropriés pour créer un Etat dictatorial (« Führerstaat »).

Tout ce qui précède rend indispensable que dans ce pays, la vérité soit connue à propos de M. Begin et de son mouvement. Il est d’autant plus tragique que les dirigeants du sionisme américain aient refusé de se dresser contre les menées de Begin ou, du moins, d’exposer aux membres de leur communauté les dangers qui menaceront Israël si ce pays soutient Begin.

C’est pour cette raison que les signataires ont recouru à la publication de quelques faits bien établis relatifs à Begin et à son parti, afin de presser toutes les personnes concernées à ne pas soutenir cette expression la plus récente du fascisme.

 

 

 

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