LOUIS XX
Le jeune prince qui ne veut pas pleurer

article de Gonzague Saint Bris paru dans
Paris Match n�2073 (16 f�vrier 1989) pp.84-89
Il n'a pas quinze ans.
La mort d'Alphonse,
duc d'Anjou et de Cadix,
en fait le chef
des L�gitimistes
pour la succession
au tr�ne de France.


Impassible,
Louis vit dans
une douleur retenue
l'enterrement
de son p�re.
"Les Bourbons et les Francs ne pleurent pas", a-t-on dit � Madrid apr�s la mort d'Alphonse de Bourbon. Aux obs�ques de son p�re, le petit prince Louis, duc de Cadix et d'Anjou, nouveau pr�tendant l�gitimiste au tr�ne de France - il s'appellerait Louis XX s'il y acc�dait - n'a pas failli � l'honneur. M�me si, aupr�s de lui, la reine Sophie montrait un visage navr� par la douleur. En encadr�, l'hommage de Juan Carlos, roi d'Espagne. A quize ans, Louis est entr� dans le monde des adultes. Son p�re avait tenu � lui donner l'�ducation d'un jeune de son temps. La trag�die lui a impos� celle d'un roi. L'�l�ve du lyc�e fran�ais de Madrid va ajouter la gravit� � son programme.
Derri�re la mal�diction, l'album heureux d'un fils photographi� par son p�re.

Le 25 avril 1974, sept cent soixante ans, jour pour jour, apr�s saint Louis, naissait Louis-Alphonse. Son double pr�nom �voque � la fois la dynastie des rois de France et celle des rois d'Espagne. Sa jeunesse a �t� marqu�e par de nombreuses �preuves, le divorce de ses parents et la disparition de son fr�re a�n�, Fran�ois, tu� le 5 f�vrier 1984 dans un accident de voiture. Ses camarades de classe du lyc�e fran�ais de Madrid sont unanimes : malgr� la douleur, ce fan d'ordinateurs et de bandes dessin�es, " simple, agr�able et attachant ", les rejoindra bient�t : " Pour luii, �tudier et r�ussir constituent le meileur hommage qu'il ait jamais voulu rendre � son p�re. "
Ci-contre, Louis Alphonse dans les bras de sa m�re, Marie-Carmen. Ci-dessus, Louis-Alphonse et Fran�ois sur les genoux de leurs parents.
Ci-dessous, Louis Alphonse au P�rou avec son p�re qui a pris ces photos :
Autour des "courtisans de l'impossible", une "garde blanche" pure et dure veille sur le destin de l'h�ritier.

- Pourquoi ne pleures-tu pas ?
- Parce que je ne peux pas pleurer.
Ainsi parle Louis Alphonse Gonsalve Emmanuel Marc, duc de Bourbon. Il n'a pas quinze ans et il vient de loin, du bapt�me de Clovis, du couronnement de Charlemagne, de l'�lection d'Hugues Capet. Il a mille ans sur les �paules. Et trois grandes douleurs dans le coeur. A 5 ans, il croit perdre sa m�re, elle s'en va. A 10 ans, c'est l'accident, un retour des sports d'hiver dans les Pyr�n�es, un stop qui passe, un camion qui arrive, et la mort de son fr�re a�n� Fran�ois. Aujourd'hui, dans le Colorado (Etats-Unis), son p�re lui est enlev�. Son p�re qu'il aimait tant, son fr�re avec lequel il �tait si li�. Il se tient debout, le Petit Prince, le jour de l'enterrement, avec sa cravate noire et son veston sombre, ses yeux noisette et ses cheveux ch�tains, dans l'�glise du couvent de Delcalzas Reales, en plein coeur du vieux Madrid, dans un d�cor surcharg� ; monceaux de fleurs, ornements baroques, livr�e royale bleu-blanc-rouge, � galons d'or des serviteurs. Aujourd'hui, le voil� l'a�n� des descendants de Louis XIV, et d�j� il doit parler avec la mort. Cette mort qui, en Espagne, avance sous des mantilles noires. Il est abasourdi. Son oncle et son parrain Gonsalve de Bourbon, duc d'Aquitaine, me dit : "Ma peur, c'est qu'il soit comme une bombe � retardement et qu'il explose dans quelques jours." Parmi les siens, le roi Juan Carlos, cousin du d�funt, la reine Sophie, le prince Felipe, les infantes Elena et Cristina, et devant l'Espagne enti�re qui l'observe, le Petit Prince demeure incroyablement impassible. Pas une larme ne coule sur son visage. Il conna�t encore ce qu'on appelle en France l'honneur du souffrir. Il est Louis de Bourbon, ce gar�on qui est n�, jour pour jour, 760 ans apr�s saint Louis.
1989. Pour la France, c'est la R�volution qui rev�t ses deux cents ans ; pour les Bourbons, c'est le quatre centi�me anniversiare de l'av�nement d'Henri IV. Les Bourbons ont pass� les �ges en subissant la mal�diction des trois coups. Troubles familiaux et �v�nement sanglants font virer au rouge les feuilles vertes de l'arbre g�n�alogique. Trois fois, trois races a�n�es des Bourbons se sont �teintes apr�s que les trois fr�res aient successivement r�gn�. Cela commence en 1316, apr�s la disparition de Jean le Posthume ; les trois fils vont r�gner et la branche se briser : Philippe V, dit le Long, Jean Ier et Charles VI, dit le Bel. Cela recommence avec la race des Valois. De 1559 � 1589, les trois fils d'Henri II se succ�dent sur le tr�ne : Fran�ois II, Charles IX, Henri III. Alors les Valois s'�vanouissent dans les sables de l'�ternit�, sur les rives de la Loire. Les trois coups seront encore frapp�s une troisi�me fois : Berry montera � 20 ans sur le tr�ne sous le nom de Louis XVI, Provence � 59 ans, sous le nom de Louis XVIII et Artois � 67 ans sous le nom de Charles X. R�volution, Restauration, les Orl�ans arrivent en pr�c�dant la R�publique.
Dans "Louis XX" (�d. Olivier Orban), son livre pr�monitoire, Thierry Ardisson raconte comment Louis XIX n'a r�gn� que cinq minutes � Rambouillet, dans l'�t� de 1830. Louis XIX, c'�tait le duc d'Angoul�me, le fils de Charles X et le mari de Mme Royale, elle-m�me fille de Louis XVI. Il avait men� une exp�dition militaire courageuse et fantasque dans la guerre foment�e par Chateaubriand en Espagne. Il a respir� l'air du pouvoir, le temps d'un soupir entre l'abdication de son p�re en faveur du comte de Chambord, et la sienne propre qu'il signe apr�s des secondes longues comme des si�cles.
Le Petit Prince est rentr� chez lui, dans une grande maison aux vastes baies vitr�es et aux murs ext�rieurs recouverts d'ardoise dans le quartier r�sidentiel jouxtant Madrid � Alamos de Bulara. Il monte dans sa chambre et retrouve son d�cor familier. Des troph�es sportifs, des photos de son p�re, des posters de dki, de hockey sur glace o� il excelle, et, sur son lit, des coussins rouges aux coeurs �carlates sur lesquels est �crit "Je t'aime". Des livres, des disques, des cassettes, mais aussi des statuettes de chouans ou de h�ros de la guerre de Vend�e : Cadoudal, Cathelineau, Stofflet, La Rochejaquelein, Charette. Ses fen�tres donnent sur les jardins de ce quartier chic. Dans le petit salon contigu � sa chambre sont rassembl�s les symboles de ses passions. Elles sont modernes : une t�l�vision, un ordinateur, des jeux �lectroniques. Louis est mordu par les math�matiques et voudrait �tudier les sciences �conomiques. Son chagrin, il l'int�riorise. Pour se changer les id�es, ce jour-l�, il ira jouer avec son copain, au "Paddle", un jeu de paume � l'ancienne, avec une raquette de bois. Ses amis sont ses voisins, ils viennent dans sa maison, ils d�filent. Tr�s introverti, Louis est aussi avenant et plut�t gai. Lorsqu'il rentre de sa partie, il passe devant la grande photo qui domine le salon. C'est celle de "Fran", le surnom de Fran�ois, son fr�re d�c�d�. Son pas ralentit...Il aura quinze ans le 25 avril prochain, et d�j�, il a tant v�cu. On le dit pieux. Dans sa chambre, une madone et la pri�re de saint Fran�ois.
Le lendemain, lorsqu'il se rend � la messe avec le nonce apostolique, il porte un insigne du Saint-Esprit. La presse espagnole n'en revient pas de son impassibilit�. Ce gar�on toujours en jeans a �t� �lev� dans la tradition sans que jamais son �tat ne lui monte � la t�te. La majorit� royale est donn�e � 13 ans ; il en a un de plus, mais l'adolescent tourne � l'homme. Son oncle dit : "Mon fr�re portait sur lui toutes ses esp�rances. Fran�ois, son fr�re a�n�, �tait plus expansif ; lui est plut�t int�rieur. D'habitude, c'est le contraire ; l'a�n� est s�rieux, le cadet plus communicatif. Ce qui est frappant, c'est qu'il a les traits de ma famille, mais le caract�re et la psychologie de son grand-p�re maternel, le g�n�ral Franco. Introverti et parlant peu, il est typiquement galicien."
Il ne faut pas oublier ce dont l'Espagne s'est jadis amus�e : cette dynastie des Bourbons-Franco, dont Louis XX est le deuxi�me enfant. Le mariage avait fait date, entre la petite-fille du dictateur, Maria del Carmen Martinez Bordiu Franco, 21 ans, et le prince Don Alfonso Jaime de Bourbon y Dampierre, 35 ans. Balenciaga avait m�me �t� tir� de sa retraite de la Costa Brava pour dessiner sa derni�re robe de mari�e avec satin blanc bord� de fleur de lis. On vit lors de cette noce une chose incroyable : le vieux Franco, dans le salon Goya du Prado, versait des larmes sur son uniforme de commandant g�n�ralde la marine. Sa petite-fille �tait d�sormais Son Altesse Royale la princesse Maria Del carmen de Bourbon y Dampierre. L'Histoire avait donc un sens ! Le fr�re du feu duc d'Anjou parle � nouveau de son neveu : "Lorsque son p�re lui a fait visiter le ch�teau de Versailles, il a parcouru les  parquets cir�s de la galerie des Glaces en baskets ; il aurait pu le faire en roller skate : c'est sa passion. Sa r�flexion a �t� amusante et pragmatique � propos du palais de ses anc�tres : " C'est beau, mais il n'y a pas de toilettes ! ". Il aime tous les sports, et c'est un bon cavalier. Le Petit Prince a d�j� visit� le haras du Pin et il devait faire, cet �t�, un stage au Cadre noir de Saumur. Cela aurait �t� d'autant mieux qu'il a re�u, � sa naissance, le titre de duc de Touraine. Mais la mort de son p�re le pousse ailleurs.
Entre les banni�res aux armes de France et le collier du Saint-Esprit, se tiennent ceux qui le gardent. Un conseil cr�� en 1984 par le duc de Cadix et d'Anjou a �t� confirm� ces jours-ci. Il comprend sa grand-m�re, Emmanuela de Dampierre, duchesse de S�govie, son oncle le prince Gonsalve, le baron Pinoteau, chancelier, le vicomte de Ponfarcy, un avocat de Versailles, Renaud Verckem et le comte Jacques de Pontac. Autour de ceux que le d�funt appelait parfois, avec une ironie plut�t tendre " les courtisans de l'impossible ", il y a la " Garde blanche " pure et dure, qui r�unit des compagnons du premier jour, comme le duc de Bauffremont, chef du service d'honneur, et de jeunes fid�les, comme Axel de Bourbon-Parme, 21 ans, qui, apr�s son service militaire, veut se d�vouer � la cause de son royal cousin.
Pour les vacances scolaires de f�vrier, il va venir � Paris chez sa m�re, mari�e � l'antiquaire Jean-Marie Rossi. Il retrouvera, pr�s du palais de l'Elys�e, se demi-soeur ut�rine Marie-Cynthia, qui est toute petite et le regarde avec autant de malice que d'admiration. Puis, ce sera la grande messe � la basilique Saint-Denis, une manifestation royale. En attendant, Louis a disparu. Poursuivi par les photographes, il s'est enfui. Il est parti chasser la perdrix chez le marquis de Villaverde (son grand-p�re). Il semble qu'il poss�de au plus haut point l'art de la fugue.
Les petits rois sont-ils malheureux ? Ces princes sont-ils vou�s � la m�lancolie ? Le p�re de Louis XX rappelait souvent qu'une ann�e, au coll�ge Saint-Jen de Fribourg, en Suisse, ils �taient rest�s, lui et son fr�re Gonsalve, tout seuls dans le coll�ge d�sert, avec le directeur. "Dans notre d�sarroi, nous avions le sentiment d'�tre abandonn�s de tous." Cela rappelle l'enfance de Louis XIV et de son fr�re totalement abandonn�s � Versailles (
s�rement pas � Versailles puisque c'est Louis XIV qui len a fait un palais, mais Gonzague Saint Bris le dit !). Ils faillirent se noyer dans un bassin parce qu'ils n'�taient pas surveill�s par les domestiques. Ils avaient des v�tements d�chir�s et dormaient dans des draps trou�s, mais ils vouaient une v�n�ration � une petite fille qu'ils paraient et traitaient commen une reine et qu'ils appellaient gentillement "Reinette". Le caract�re de louis XIV enfant, qui avait connu les m�faits de la Fronde, �tait infiniment secret. Ce Louis XX, brutalis� par les deuils successifs lui ressemble beaucoup. Peut-�tre recevra-t-il, comme son anc�tre direct, le coup de soleil qui fera de lui un grand roi. Sa destin�e serait d'�tre un souverain europ�en. Un Bourbon est toujours un Fran�ais en vertu d'un imprescriptible droit du sang, mais, dans les veines du jeune Louis XX, le sang bleu est � l'image du drapeau de l'Europe, constell� par tous les pays. Il r�unit en son corps du sang fran�ais, espagnol, anglais, italien, allemand, autrichien, am�ricain et m�me d'autres nationalits.
Les "Proph�ties" de Nostradamus annoncent un souverain lumineux � la France qui vient. Louis XX est-il cette figure d'avenir qui surgira dans l'Europe des rois ? Mais le plus important est de pr�server un principe. Avant de mourir, le p�re de Louis XX confiait cette certitude qui appara�t aujourd'hui � son fils comme la teneur m�me d'un testament : " Je crois que ceux qui m'ont pr�c�d� dans cette dynastie cap�tienne et qui ont assum� d'importantes responsabilit�s comme roi ont toujours manifest� une grande tendresse pour les petits, pour les pauvres, pour les malheureux. Aujourd'hui encore, il y a beaucoup de mis�re et de d�tresse dans le monde, et m�me dans nos soci�t�s ; le dvoir d'un Cap�tien est de penser � ceux qui souffrent. "
Un jour, un aventurier vint proposer � Louis XVIII en exil � Varsovie d'assassiner le premier consul (Napol�on Bonaparte). Voil� ce que r�pondit le roi sans couronne : " Dans ma famille, on n'assassine pas, on est assassin�. " C'est le grand style des Bourbons. Le grand style des Bonapartes, c'est d'accepter finalement la noblesse par contagion. A la fin de son r�gne, Napol�on concluait : " Il y a toujours de la chevalerie dans les races royales. "
Louis Alphonse avec sa m�re, Marie-Carmen Rossi et la fille de Jean-Marie Rossi, Marella, pleurant le d�c�s tragique de Fran�ois de Bourbon, tu� dans un accident de la route � l'�ge de onze ans, en 1984. Louis-Alphonse, qui lui aussi a �t� bless� dans cet accident, se maintient � l'aide de b�quilles.
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