La Sapinière
Fermeture de La Sapinière à Val David

Nous apprenions ce week-end la fermeture soudaine d’un établissement phare de l’hôtellerie Laurentienne, l’hôtel La Sapinière de Val David. La Sapinière remercie ses employés, sa fidèle clientèle et ses fournisseurs dans une note affichée à la porte principale et qui annonce sa fermeture.

Après 77 ans d’existence l’auberge créée par Leonidas Dufresne en 1936 annonçait sur son répondeur téléphonique ainsi que dans une brève note sur la porte principale : « chers loyaux clients, c’est avec une grande tristesse que nous vous informons qu’après 77 ans l’hôtel La Sapinière doit cesser ses activités… ».

Impossible d’en connaître plus pour l’instant même à la mairie. Chose certaine la vénérable institution de Val David qui s’est mise sous la protection de la loi sur les créanciers n’ouvrira pas cet hiver. Pour la suite des choses il est certain que le domaine trouvera preneur puisqu’il s’agit d’un emplacement hautement convoité au cœur des Laurentides, dans un attrayant village et situé en bordure d’un plan d’eau.

Disparition progressive des grands hôtels historiques des Laurentides
La Sapinière connait donc le même sort que plusieurs autres grandes auberges qui ont contribué à la réputation des Laurentides comme destination touristique. Pensons à Gray Rocks, la première station touristique des Laurentides fondée en 1905 par George Wheeler et fermée en 2009; à l’Auberge Far Hills de Val Morin première station nordique des Laurentides fermée aussi en 2009; à l’Alpine Inn et au Chalet Cochand qui ont fait les belles années du ski à Ste-Marguerite; à Villa Bellevue de Mont Tremblant et à l’hôtel Suisse de Sun Valley, véritables « écoles de vies » pour nombreux skieurs d’ici et d’ailleurs qui les ont fréquentés.

Des structures impossibles à rénover
Toutes ces grandes propriétés en bois qui ont fait l’histoire des Laurentides se sont butées à un même problème, celui de mettre au goût du jour des structures beaucoup trop vieillottes. Malgré une certaine rusticité encore appréciable, il y a dorénavant certains standards incontournables pour attirer la clientèle du troisième millénaire. Il est souvent impossible pour ces institutions de rentabiliser une transformation aussi radicale.

Hôtel d’une grande réputation
Rappelons qu’au cours de ses 77 ans La Sapinière a accueilli les sommets du G7 et de l’OTAN ainsi que de notables personnalités telles que le comédien Omar Sharif, le roi Olaf de Norvège ainsi que le Canadien de Montréal qui s’y réfugiait durant les éliminatoires de la Coupe Stanley… il y a de ça un moment!

Reconnue pour sa cuisine gastronomique, La Sapinière a aussi reçu de nombreuses reconnaissances dont, le «Grand prix d’Excellence de Tourisme Canada et Tourisme Québec», le premier “Prix provincial du Mérite de la Restauration », « l’Hôtelier de l’année » et « l’Ordre du Mérite Hôtelier ». En 2002 la Société des Alcools du Québec créait le « Prix des Ambassadeurs du vin au Québec » et Monsieur Dufresne fût le premier à recevoir cet honneur.
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La Presse, lundi 2 décembre 2013



Les DUFRESNE
Une famille : le cœur d'un village
En 1909, Val-David était une forêt avec quelques maisons au milieu. Dix en plus tard, en 1929, alors que le krach de la Bourse de New York annonçait le Grande dépression et la crise économique la plus grave de l’histoire moderne, Val-David, autour de Léonidas Dufresne, devenait un petit village plein de vie, doté d’électricité. En 1939, tandis que le magazine américain Time choisit Adolph Hitler comme «homme de l’année» (en janvier), tandis que le même Adolf ordonnait à son armée d’envahir la Pologne (en septembre), Val-David se lançait dans la construction de sa rue de l’Église. Les quelques téléphones récemment installés permettaient aux résidents d’échanger leurs pronostics à propos de la terreur annoncée d’une nouvelle Guerre Mondiale.

En 1949, pendant que les Alliés signent à Washington le pacte de l’OTAN, l’hôtel La Sapinière, sous la férule de l’aîné des fils de Léonidas, Jean-Louis, est en passe de devenir un des grands rendez-vous gastronomiques du Québec, et bientôt une des tables les plus recherchées d’Amérique. À telle enseigne que quelques années plus tard, les grands patrons de l’OTAN viendront s’y réunir. Je me rappelle avoir vu une chaloupe traverser le lac de La Sapinière avec un soldat debout à bord, mitraillette en bandoulière ! Protection des dignitaires oblige, en cas de gros méchants.

1959 : À Léopoldville, au Congo Belge, des émeutes sanglantes ouvrent la voie à l’indépendance. L’Afrique s’enflamme et comme un feu de brousse, la révolte gagne tout le continent. Ici, à Val-David, la vie se développe autour du magasin Dufresne, épicerie et quincaillerie. Le train est encore la principale voie commerciale des Laurentides, distribuant de villages en villages denrées, matériaux et... touristes! Personne ne soupçonne alors l’importance grandissante de cette population nomade. Léonidas, qui a toujours vu le vent venir, soutient ses enfants qui sont actifs dans la chambre de commerce, dans les services municipaux, à l’église... bref, le développement de la communauté.

En 1969, pendant que la Butte à Mathieu attire tout ce qui chante au Québec, et mêmes les chansonniers de France, Neil Amstrong et Edwin Aldrin font leurs premiers pas sur la lune. Le 20 juillet, autour d’un feu de camp sur la presqu’île (face au parc des Amoureux), dans l’ombre du moulin Belisle à demi écroulé, nous sommes quelques-uns à regarder la lune dans l’espoir d’y voir bouger quelque chose. Claude Dubois y gratte sa guitare, fredonne une chanson qui fera du chemin. Il y est question de la rue Sanguinet...

1979 : Année du second choc pétrolier, l’essence augmente de 20%. La Dame de Fer devient Premier Ministre de Grande-Bretagne. Les Créateurs associés, à Val-David, font un malheur en présentant leurs oeuvres dans le parc de la Mairie. Le visage culturel de Val-David s’affirme. Dans les montagnes, Kinia Ishikawa, Alain Tremblay, Maurice Achard, Robin Hutchinson, Lyne Gauthier, Bernard Chaudron, René Derouin, Pierre Lemieux, Jacques Dieudonné, Claude Sarrazin et de nombreux autres ouvrent des ateliers de poterie, de céramique, de dynanderie, de gravure, de bijouterie, de sculpture, de peinture...

1989 : Le 9 novembre de cette année-là, le mur de Berlin s’écroule. C’est la fin du spectacle militaro-médiatique intitulé La guerre froide, mettant en vedette les USA contre URSS. Une nouvelle ère s’annonce, peuplée d’ordinateurs gros comme des téléviseurs. Les espions passent de mode. À Val-David, Metro Dufresne, désormais dirigé par Jacques, fils de Fernand, petit fils de Léonidas et arrière-petit-fils de Jean-Baptiste le fondateur, dans son nouvel emplacement moderne, remporte son premier prix d’Épicier indépendant de l’année, une distinction qu’il remportera 16 fois par la suite, jusqu’au prix national or en 1997 et 2003. Une épicerie à part pour un monde à part.

1999 : Un nouvelle monnaie voit le jour en Europe : l’euro. Elle symbolise le rapprochement des pays mais aussi l’ouverture d’un nouveau front économique sur la scène mondiale du commerce.

2009 : Dix décades plus tard, à Val-David, la famille Dufresne demeure l’inspiratrice du développement, et comme son slogan l’affirme, au coeur du village et des gens. Bien peu de gens, dans notre beau village, ne sont pas redevables, d’une manière ou d’une autre, à la famille Dufresne. Alors que la récession s’installe une fois encore sur le monde, il faut souhaiter que nos résidants se souviendront que l’achat local est un investissement dans notre avenir collectif et que sans cette notion, toujours défendue ardemment par les Dufresne, Val-David n’existerait pas. Léonidas le patriarche est resté, pour les plus vieux résidants, une figure emblématique de cette conviction. La dernière image qui me reste de Léonidas date du début des années quatre-vingts.

Alors qu’il s’apprête à franchir le cap des cent ans, c’est par un jet de neige qui tombe du toit du magasin, à un rythme régulier, qu’il signale encore sa présence. Avec Fernand et Alfred, ses deux fils qui gèrent alors l’épicerie et la quincaillerie, nous sommes quelques-uns, plantés sur le trottoir, le sourire aux lèvres, à admirer le spectacle. La neige tombe du toit par paquets, lentement mais sans arrêt. Il n’y a rien à faire, dit Fernand, il ne veut pas descendre de là. Voir si ça a du bons sens, à son âge! Pour Léo, l’effort, ça a du bons sens. Il a senti dans l’air qu’un redoux s’en vient et que le poids de la neige va faire souffrir le magasin. Ce magasin qui est toute sa vie, toute son histoire, toute sa patiente affaire. Déneiger, c’est du travail. Un travail important, patient, nécessaire, comme il l’a fait toute sa vie. À son rythme. Le rythme de ceux qui, à force d’effort, bâtissent un village, pour des générations à venir. Je n’oublierai jamais cette simple leçon.
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Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, janvier 2009