Dosithée BOILEAU



Une dizaine de citoyens de la ville de St-Jérôme veillaient un soir de 1877, chez le curé Labelle. A un certain moment, Dosithé Boileau se leva pour aller prendre un verre d'eau. Le curé Labelle le saisit par le revers de son habit, le colle dans un coin de la salle et, le secouant fortement, lui dit: "Vas-tu m'en donner, une fois, des chemins pour mes colons? Vas-tu l'abolir, une fois, cette montagne de la Repousse? Vas-tu le bâtir, une fois, mon chemin de fer?" Pauvre Boileau, qui gagnait $15. par mois, il se trouva passablement abasourdi par une pareille scène et de pareilles obligations.

"Mais, reprit Boileau, je ne suis pas capable de faire tout ça!"

Tout le monde éclata de rire. Le curé réalisa sa position. Il venait d'avoir une distraction. Il croyait tenir dans ses mains le premier ministre du Québec. Quelques jours après, Dosithé montait dans le nord avec sa nombreuse famille, ayant comme capital des dettes à payer.

A la fin de l'été 1879, au retour du curé Labelle de sa première exploration au Nominingue, Boileau, sur l'avis du curé, va bâtir une maison au lieu de ce qui deviendra le village de l'Annonciation, dans le dessein d'y conduire sa famille dès le mois de janvier 1880. Madame Boileau ne veut pas tenter Dieu et attend l'arrivée d'un enfant, avant le départ en avril. Cela dérange un peu les calculs de son mari,qui a projeté, avec le curé Labelle, d'être le premier colon à s'établir dans la nouvelle place. Il est donc devancé de quelques mois par les familles Pierre Latour de St-Jérôme, Jean-Baptiste Groulx de Ste-Adèle et Emery Chartrand de St-Vincent-de-Paul.

Le 28 avril 1880, des voisins viennent prêter main-forte aux Boileau, empilent le ménage sur deux voitures louées: il faut être prêt à partir de bonne heure, le lendemain, pour la périlleuse odyssée. Avec les articles de ménage prennent place Dosithé Boileau, sa vieille mère, sa femme Eloise Pagé, et les huit enfants. Tard le soir, on a dépassé Ste-Agathe d'une dizaine de milles et on couche chez France Laviolette. Les femmes et et les quatre plus jeunes s'étendent par terre près du poêle, les sept autres se font un nid de paille à côté des chevaux. Le pire de la route est passé, une fois la montagne du Sauvage franchie; pour les colons et les voyageurs, l'épreuve capitale fut toujours la passe du Sauvage.

En partant à l'aube, le père Boileau croit arriver tôt à la Ferme du Milieu, le soir du 30. D'ailleurs, les gens de la Ferme sont prévenus de se rendre aux grands rapides Macaza. Plus on avance, plus les chemins deviennent impraticables, à cause du dégel; les chevaux n'ont plus la force de sortir leur charge des ornières. Dosithé et les deux charretiers marchent en avant et couvrent les fondrières de grosses branches, pour s'éviter le désagrément de décharger et recharger. Enfin, au début de la nuit, on arrive à peu près à l'endroit indiqué aux Fermiers. Les propriétaires des voitures n'ont pas eu la patience d'attendre et sont retournés à la Chute-aux-Iroquois (Labelle).

Que faire seuls dans le bois, à cette heure avancée? On attend, on appelle, mais personne. A cet endroit, la rivière Rouge est rapide, mais peu profonde et guéable. Par précaution cependant, le pèwre Boileau donne à tous le même câble à tenir, pendant qu'il s'avance en tête, prudemment, à tâtons, pierre par pierre, portant l'avant-dernier des enfants à califourchon sur son cou; la grand-mère ferme le cortège. Madame Boileau serre son bébé de quinze jours sur son bras gauche et, malgré des précautions infinies pour glisser de roche en roche, elle perd l'équilibre et tombe dans l'eau glacée, jusqu'à la ceinture. Saisissant son poupon à deux mains, elle le pose sur sa tête et continue sans autre accident, jusqu'à la rive.

On se tasse les uns à côté des autres pour ne pas geler et le père compte de la main dix têtes. Boileau pleure et prie. Il ne faut cependant pas se laisser mourir; l'homme réussit à allumer un feu qu'il entretient pendant le reste d'une nuit interminable. Une inquiétude profonde étreint tous les coeurs. Le clapotis des cascades, le gémissement du vent dans les branches nues, le moindre bruit au milieu des ténèbres, tout présage pour les enfants l'arrivée de gros ours ou de loups affamés; les jeunes étouffent leurs sanglots dans leurs manches pour ne pas être découverts. Avec le lever du soleil, arrivent les hommes de la Ferme; ils sont bien venus la veille au soir, mais n'ont pas attendu assez longtemps.

La famille Emery Chartrand a tout préparé: du linge sec pour tout le monde, un repas chaud et une tisane à l'écorce de frêne coupée au gingembre. Les jours suivants, on transporte le ménage dans la maison de bois rond contruite l'automne précédent; et la famille Boileau s'établit dans le Nord, pour grandir et laisser sa trace à L'Annonciation.

A l'automne de la même année, on reçoit la visite du curé Labelle. C'est à cette occasion que le Roi du Nord plante une croix pour indiquer l'endroit de la première chapelle, le 26 septembre 1880. C'est Boileau lui-même, aidé de ses deux fils, Eugène et Dosithé, qui a fabriqué cette croix de deux cèdres. Après l'érection et la bénédiction, le curé Labelle récite le chapelet et indique sur une feuille de papier déposée dans un creux pratiqué dans le bois de la croix, que cette prochaine paroisse portera le nom de L'Annonciation.

La mère de Dosithé, Victoria Grignon,grande-tante de Claude-Henri Grignon, que les ans courbent vers la terre, exprime séance tenante le désir d'être enterrée au pied de cette croix; de fait ce sera la première fosse à s'ouvrir à L'Annonciation, en juillet 1882.

A la demande du père Martineau, jésuite, qui ouvre une mission au Nominingue en mars 1882, et sur l'ordre du ministère de la colonisation, Dosithé ouvre le chemin Boileau entre L'Annonciation et Nominingue. Il défriche le lot des Pères au Nominingue et leur bâtit une maison. De tels travaux le tiennent souvent éloigné de la maison sans pour cela augmenter ses revenus.

La construction de l'église du village débute en 1897 sur un lot qui appartenait à Boileau. Ce dernier est chargé du sciage du bois. Les travaux se terminent le 25 mars 1898. L'année précédente, Dosithé avait construit une manufacture de portes et fenêtres et, vers 1898, un moulin à scie.

Il fut maire de Canton Marchand de 1893 à 1896 et marguillier de la paroisse à partir du 22 février 1903. Dosithé fut aussi commissaire d'école. En 1902, il propose que la future gare de chemin de fer de L'Annonciation soit bâtie près de son moulin à scie; la majorité de la paroisse approuve.

Voilà, en partie, ce que fut la vie de Dosithé Boileau, la vie de tout colon solitaire, défricheur infatigable.

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Témoignage d'Éloïse Pagé

"Nous restions dans une pauvre cabane, parfois nous n'avions pour nous éclairer ni huile ni chandelle. Mon mari était absent très souvent. Je faisais souper les enfants de bonne heure, à la galette près du poêle, je m'assoyais par terre avec mes petits enfants, et eux de me dire : "Maman, chantez-nous donc quelque chose". Pour leur faire plaisir, je chantais des refrains appris dans mon enfance; mais quelquefois des sanglots m'étouffaient et je ne pouvais continuer. Ces pauvres petits, ne me voyant pas à cause de l'obscurité, disaient naïvement : "Êtes-vous fatiguée, maman ? Continuez donc, c'est si beau". Je refoulais mes larmes pour chanter encore et leur faire plaisir".