Germaine Guèvremont

Elle est issue d'un milieu qui ressemble peu à celui qu'elle décrira dans son œuvre romanesque. Son père était un avocat qui préférait les rêveries solitaires dans la nature à la pratique du droit. Sa mère, une Labelle, s'adonnait à la peinture et était apparentée de près au curé Labelle, le «roi» du Nord.

Chez les Grignon, on accordait beaucoup de place à la littérature. Son père et un de ses oncles ont tous deux écrit des livres, bien oubliés aujourd'hui. En outre, elle est la cousine de Claude-Henri Grignon, l'auteur du célèbre Un homme et son péché.

Romancière et conteuse, Germaine Guèvremont fait ses études chez les sœurs de Sainte-Croix à Sainte scolastique et chez les sœurs de Sainte-Anne à Saint-Jérôme et à Lachine. Après des études qui l'amènent jusqu'à Toronto, où elle apprend l'anglais et le piano, elle travaille au palais de justice de Saint-Scholastique. Ses parents y demeuraient depuis qu'elle avait deux ans. Lors d'une visite à Ottawa, elle rencontre Hyacinthe Guèvremont et l'épouse en 1916. La mère de son époux est une Beauchemin de Sorel.

En 1920, le couple s'installe à Sorel. Il aura cinq enfants. À la suite de la mort d'une de ses filles, Germaine Guèvremont sent le besoin d'élargir ses horizons. Elle devient journaliste au journal The Gazette, puis au Courrier de Sorel. En 1935, elle déménage à Montréal. À partir de 1938, elle collabore à la revue Paysanna de Françoise Gaudet-Smet. Entre autres, elle écrit des contes dont plusieurs auront pour sujet le Chenal du Moine et la famille Beauchemin. En 1942, elle publie un recueil de ses meilleurs contes, En pleine terre.

Encouragée par Alfred Desrochers, elle décide de développer l'univers de ses contes en roman. Elle introduit les personnages du Survenant et d'Angélina. Elle mettra deux ans à écrire cette œuvre qui paraîtra en 1945 qui aura pour titre Le Survenant . Le roman se mérite les prix Duvernay et David au Québec et Sully-Olivier de Serres en France, ce qui le consacre comme œuvre majeure de la littérature québécoise. En 1947, elle publie avec autant de succès la suite, Marie-Didace.

En 1950, ses deux romans sont publiés à New York et à Londres. C'est la gloire. Le Canada lui attribue les plus hautes distinctions littéraires, dont le prix du gouverneur général en 1951. De 1952 à 1955, elle transforme son oeuvre en radioroman. De 1954 à 1960, elle l'adapte pour la télévision naissante. Ce téléroman marque de façon décisive les débuts de la télévision québécoise.



Dans un texte publié dans le numéro de mai 1949 de la revue Liaison, Germaine Guèvremont donne les raisons de son attachement à la langue paysanne. Nous le reproduisons ici dans son intégralité.

LA LANGUE PAYSANNE DU CANADA

par Germaine Guèvremont
de l'Académie canadienne-française

S'il est vrai qu'à la source d'un pays on trouve toujours la langue paysanne, la nôtre, qui a plus de quatre cents ans, est un fait, une vérité accomplie.

Parce qu'elle est liée à son passé la langue de l'habitant reste conforme à son mode de vie. Ainsi l'Acadien, ou l'Acayen, ou le Cayen, frère jumeau du Cajan américain, dira souvent: "Je dis à moi.", comme pour se convaincre qu'il est vraiment son maître. Le pêcheur gaspésien, dans sa conversation, évoque sans cesse l'eau. Il toue. Il hâle. Tout plancher est un pont. Pour vous désigner son terrain de pêche, il vous racontera qu'il a ancré à deux monts, après avoir calé l'Ile Bonaventure, à la juste creuseur de l'eau. Ou encore s'il veut vous prédire la pluie il a un proverbe tout appareillé à la bouche:

Rouge matinée
D'l'eau plein l's écuvées

L'habitant des vieilles paroisses, sage sécuritaire, fidèle à l'habitat, à la cuisine, aux coutumes d'autrefois, devait naturellement garder la langue simple, étoffée, qu'il trouve à sa convenance. Par là il devient inconsciemment la digue qui protège le français , au Canada, contre la force révolutionnaire. Il en est de même du paysan de France. George Duhamel ne nous raconte-t-il pas, lors de son voyage à Montréal, que lorsqu'il s'agit d'enlever le mot andain du dictionnaire de l'Académie, il demanda à ses collègues de n'en rien faire avant qu'il n'eût consulté son jardinier, un vieux paysan. Et le jardinier, en connaissant bien la signification, le mot andain reste dans le dictionnaire.

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Que reproche-t-on à la langue paysanne du Canada ? On lui reproche d'être lente, lourde et vulgaire.

La lenteur de l'habitant a toujours été en butte aux sarcasmes du citadin. Defait l'habitant n'est pas vite, tel qu'il le dit lui-même et tel que le disaient Bossuet et La Fontaine. Il n'est pas vite ni dans ses gestes ni dans sa façon de s'exprimer. Mais cette retenue, ce mutisme diffèrent-ils tellement de ce que chez le littérateur on nomme "de Conrart le silence prudent", ou chez le financier, l'intelligence des affaires ?

L'habitant possède le plus précieux de tous les biens: le temps. Sa vie est accordée au rythme de la terre. Il a le temps de regarder passer l'eau entre les joncs bleus et d'examiner le firmament. Il a le temps de prendre l'erre de vent et s'il aperçoit quelques malards et un couple de sarcelles qui baraudent dans le ciel, au printemps quand tous les germes batifolent dans le terreau, obéissant à la loi secrète qui fait de l'homme un éternel chasseur il a le temps de dégraisser le fusil et d'aller en maraude se tuer un bouillon. Il a le temps de vivre. Pourquoi se hâterait-il ? Et comme il a aussi le gaspillage en horreur pourquoi se plierait-il à nos détours de soi-disant civilisés ? Le citadin qui lui demanderait: "Savez-vous quelle heure il est ?" risquerait fort d'entendre l'habitant lui répondre par un "Ouais" et de le voir continuer son chemin, une moquerie au coin de l’œil.

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On parle beaucoup dans les salons de la transformation du langage, de l'évolution de la la syntaxe sous prétexte que la langue française est une langue vivante et l'on cite comme une découverte la souveraineté du peuple en matière de langue, une vérité qui remonte tout de même à Platon. Voltaire la déplorait hautement: "Il est triste, dit-il, qu'en fait de langues comme dans d'autres usages plus importants, ce soit la populace qui dirige les premiers d'une nation". Songe-t-on qu'il suffit d'un comique et de quelques bavards pour répandre un mot comme une tache d'huile. Une langue vivante, la langue française ? Soit.Mais le parler populaire c'est la vitalité errante empruntant au sport, à l'actualité des mots nés de père inconnu et destinés à mourir prématurément. Comment une langue à la merci de chacun ne serait-elle pas vouée à se démoder et à devenir artificielle ? Qui se souvient des mots en vogue il y a dix ans ? On aura depuis longtemps mis à l'index les voyages sur le pouce et cessé d'accorder ses faveurs, de bâcler une affaire, voire de prendre femme par un O. K., qu'on utilisera encore en usage à la campagne. La langue paysanne, c'est de la santé primitive, rougeaude. Elle prend un son de durée, elle a un sens d'éternité. Et on peut y appliquer le plus beau des canadianismes: fiable. La langue paysanne est fiable.

A qui veut se donner la peine d'aller l'écouter sur place, non pas avec le souci didactique, mais en artiste et d'une oreille alerte, est réservée la meilleure des récompenses. Des mots qui ont leurs lettres de noblesse comme, parmi tant d'autres, ravagnard, interboliser, tombent naturellement de la bouche de l'habitant. Quel spectacle désolant que celui de gens de souche paysanne, qui se piquent d'être de fins lettrés, se plissent le nez de dédain devant les expressions de l'habitant et se pâment d'admiration lorsqu'ils les retrouvent sous la plume d'écrivains célèbres comme Saint-Amant, Stendhal ou Gide. Pour n'en citer que quelques-unes: gouffe ou goffe dans le sens d'épais, de grossier, que le poète Saint-Amant, joyeux vivant plus assidu à la Société des Goinfres qu'aux séances de l'Académie emploie dans ses Caprices. Se laisser blouser c'est-à-dire éblouir que l'on retrouve dans la Symphonie pastorale de Gide. Ou encore venette, (avoir une venette, une peur) qui est dans La Chartreuse de Parme.

D'autres répudient comme étant des anglicismes certains mots qui en réalité sont des mots français anglicisés et qui nous reviennent sous une forme nouvelle mais avec le même sens, tel couque, tiré de coq, cuisinier.

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Comme les autres langues le parler paysan a ses particularités. Quand il dit un sacrifix l'habitant fond sacrifice et cricifix en un mot. De fanal et falot il tire fanau pour désigner un phare ou, si vous le préférez, une light. Ailleurs il simplifie pilote. Il le corse en un mot plus fort: pilot. Et si le pilot a ses diplômes il devient pilot branché. Il transforme praline en plorine, bernache en bernèche, cane de roche en candroche, appelants en plants, etc.

D'où peut provenir cette émancipation, ces raccourrcis dans une langue d'ordinaire si immuable ? Il serait plaisant d'imaginer François Hertel - l'original et non son décalque littéraire - à l'habillement fastueux, ou Pierre Radisson et les coureurs de bois revenant de randonnées lointaines, chargés de pelleteries et d'expressions pittoresques qui ravissent les demoiselles d'antan. Autour du moulin banal où l'on moud de la bonne farine, on les répète pour les répandre de bouche en bouche. Les linguistes ne me pardonneraient pas cette fantaisie. Ils auraient raison: une langue ne doit pas être abandonnée aux visionnaires et aux spéculateurs.

Une semblable émancipation s'explique plus facilement par la logique paysanne rarement en défaut. Une dame pincée demandait un jour à un paysan, dans le dessin de l'embarrasser, s'il pouvait lui servir de l'eau potable. Celui-ci qui n'avait jamais ouvert un dictionnaire acquiesça sans se laisser démonter et s'en fut au puits tirer de l'eau. La dame, après avoir étanché sa soif, insista pour savoir ce qu'il entendait par de l'eau potable. "Quoi, répondit l'habitant, c'est de l'eau que l'on met dans un pot sur la table".

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A coté du langage populaire heurté, nerveux, pressé comme les citadins eux-mêmes, la syntaxe paysanne lente, prudente peut paraître lourde, je dirais mieux pesante. A celui qui vient de recevoir une lettre, l'homme de la ville demander: "Quo'q 'qui't'veut ?" L'habitant attendra, mais si sa curiosité l'emporte sur sa patience, il questionnera: "Quoi c'est qui qu'il te mande ?" (Non pas demande, mais te mande). Comme le bon vin qui garde son bouquet, la syntaxe paysanne colle au palais; comme la terre forte qui fait germer les blondes avoines, elle adhère à la semelle. "J'aurais aimé ça, mon jeune, qu'on vinssit se baucher sur l'ouvrage, nous deux, il y a une trentaine d'années". Qui s'exprime ainsi ? Est-ce Sieur Pierre Salvaye de Trémont, capitainedu régiment de Carignan, s'adressant à Trempe la Crouste, simple soldat, qui abat un arbre dont on fera un mât pour les vaiseeaulx du Roy ? Non, c'est un vieux Salvail, du Chenal du Moine, parlant à son fils qui remonte à la cordelle un charroi de bois. Les Salvail ne sont plus des Salvaye de Trémont. Par économie sans doute ils ont abandonné la particule - quand tant d'autres la recherchent et se l'accordent même gratuitement - mais ils ont conservé la noblesse, la noblesse et le langage. Ils n'ont point dérogé.

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Rançon du progrès, de même que dans les villes les pavés en bois ont recouvert le sol puis fait place à l'asphalte, la langue populaire évolue à une allure folle. Mais dans la vieille paroisse où le sol est intact, la langue, vivace, refleurit à jamais parce qu'en l'année 1763 - hiatus entre la France et le Canada - l'habitant est resté sur sa terre. C'était son bien, son sang, sa vie même qu'il préservait. Il ne faisait pas de littérature pour que cent cinquante ans plus tard des couventines puissent déclamer après Maria Chapdelaine: "Nous sommes restés..." Seulement, il est resté. Il a gardé sa langue. Et il la garde, canadienne et française. C'est là son élégance.



Germaine Guèvremont (née Grignon) was born in 1893 in Saint-Jérôme, Quebec, to a father who was a lawyer and a mother who was a painter. A lover of nature and poetry at a young age, Germaine devoted her evenings to writings and used the pseudonym "Nature" to sign her work. Germaine studied all over the province of Quebec, as well as in Toronto, where she learned English and the piano. When she returned to Quebec, she published in a variety of women’s magazines. Through her family, however, she met several authors and artists who would influence her development as a writer. She was also the cousin of Claude-Henri Grignon, the author of the influential novel, Un homme et son péché.

In 1914, Germaine met Bill Nyson, a journalist from Montreal who was the son of a Norwegian minister and who had studied in China. He had been sent to cover a legal trial that her father was involved in. Although Bill eventually ended up marrying Germaine’s sister, Jeanne, he remained an important literary influence and helped her career as a journalist. It is also believed that Bill became the inspiration for her fictional character "le Survenant".

In 1916, Germaine married Hyacinthe Guèvremont and moved to Sorel. She took 10 years off from writing in order to raise a family. But when one of her daughters died in 1926, she slipped into a deep depression. Bill Nyson encouraged her to take a job writing for The Gazette in Montreal. She eventually took over as Editor-in-Chief of the local newspaper Courrier de Sorel. She began to look at her surroundings in a new light, paying particular attention to both the natural surroundings and the social conditions of the region where she lived.

The Depression forced the Guèvremonts to move to Montreal, where Germaine took a job as a court stenographer. She once again began to write for local women’s magazines, and her short stories would eventually be published under the title En pleine terre. In 1945, she would publish Le Survenant and its sequel in 1947 Marie-Didace. Both novels would appear together in English as The Outlander. The novels were a huge commercial and critical success, winning both a Governor-General’s Award and a medal fro17622-04.jpgm l’Académie canadienne-française, and were later adapter for TV by Radio-Canada.

In 1957, Germaine and her husband moved to a cabin on l’îlette au Pé where Germaine continued writing articles, short stories and scripts for movies and television. L’Adieu aux îles was televised on Radio-Canada in 1968, the same year Germaine was hospitalized. On August 21, 1968 at the age of 75, Germaine Guèvremont passed away. Her two novels are often sighted as the "last" of the roman de terre, or novels of soil, a genre that dominated Quebec literature for almost 100 years. While the novels stay closely within the rules of the genre, evidence of the social reality of the Depression, the war and the decline of the rural way of life is also prominent. These books can also be read as pre-feminist texts, questioning the traditional roles and limitations placed on women by Quebec society.
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Lee Skallerup