PELLETIER,
sir CHARLES-ALPHONSE-PANTALÉON (baptisé
Charles-Pantaléon), avocat, officier de milice, homme
politique, éditeur, fonctionnaire et juge, né le
22 janvier 1837 à Rivière-Ouelle, Bas-Canada, fils de
Jean-Marie Pelletier, cultivateur, et de Julie Painchaud, sœur de
l’abbé Charles-François Painchaud* ; décédé le
29 avril 1911 à Sillery, Québec, et inhumé le 4 mai
au cimetière de Rivière-Ouelle.
Charles-Alphonse-Pantaléon Pelletier fait ses études classiques au
collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, de 1845 à 1856, puis il
étudie le droit à l’université Laval, à Québec, durant trois ans.
Admis au Barreau du Bas-Canada le 2 janvier 1860, il
exerce à Québec avec Louis de Gonzague Baillairgé*.
Le 23 juillet 1861, son mariage à Rivière-Ouelle avec
Susanne Casgrain, fille de Charles-Eusèbe Casgrain* et d’Eliza Anne
Baby, le met en relation avec deux familles influentes, dont
plusieurs membres ont occupé des fonctions politiques. Le décès
prématuré de sa femme, morte en 1862 en donnant naissance à un
garçon, Oscar-Charles-Casgrain, qui s’illustrera dans la carrière
militaire, ne rompt pas ses liens d’amitié avec son beau-frère
Philippe-Baby Casgrain. Doit-il à sa belle-famille son ascension
rapide dans la milice ? Déjà en service actif en 1862 dans les
Voltigeurs de Québec, il est promu capitaine en 1863, reçoit un
certificat de première classe le 18 avril 1864 à la suite
de cours à l’école militaire de Québec et commande la compagnie n° 1
du 9e bataillon des Voltigeurs en 1865. Il devient
adjudant du bataillon l’année suivante, avec le grade de major, au
moment de l’invasion des Féniens. Commandant en second de 1866 à
1867, il se retire la même année. Le 12 février 1866,
Pelletier s’est remarié, aux Éboulements, avec la descendante d’une
autre grande famille, Eugénie de Sales Laterrière, fille de
Marc-Pascal de Sales* Laterrière, médecin, et d’Eulalie-Antoinette
Dénéchaud. Un seul enfant naît de ce mariage et meurt en bas
âge.
Aux
élections fédérales et provinciales d’août-septembre 1867, Pelletier
décide de se lancer dans l’arène provinciale. Il est d’abord attiré
par le Parti conservateur, puissant dans son comté natal de
Kamouraska. Il ne semble guère éloigné du conservateur Jean-Charles
Chapais*, qu’il décide d’affronter, mais selon son adversaire, il
« n’est que l’agent déguisé de Letellier [le libéral Luc
Letellier* de Saint-Just] ». À la suite de scènes de violence
qui empêchent l’appel nominal, l’élection est annulée tant au
fédéral qu’au provincial, et la circonscription de Kamouraska
demeure sans député jusqu’en 1869. Pelletier se fait alors élire
député libéral à la Chambre des communes à l’élection partielle du
17 février. Réélu en 1872, il a eu comme adversaire, dans les
deux cas, Adolphe-Basile Routhier.
Pelletier ne
délaisse pas pour autant la scène provinciale. Président de la
Société Saint-Jean-Baptiste de la cité de Québec de 1871 à 1873, il
se joint au groupe de libéraux modérés qui, en 1872, avec Honoré
Mercier* comme secrétaire, fonde un mouvement appelé à devenir le
Parti national. Il est candidat de ce parti dans Québec-Est, à
l’élection partielle des 3 et 4 mars 1873.
La campagne électorale est mouvementée : son
haut-de-forme, traversé d’une balle, devient légendaire. Élu député
à l’Assemblée législative, son séjour y est bref, puisqu’il
démissionne le 20 janvier 1874 au moment de l’abolition du
double mandat. Il conserve son siège dans la circonscription
fédérale de Kamouraska, où il est réélu sans opposition la même
année, mais n’en continue pas moins de s’intéresser à la
circonscription de Québec-Est, où Wilfrid Laurier sera élu à une
élection partielle fédérale en 1877. C’est Pelletier qui lui tiendra
lieu de représentant et recevra ses électeurs. C’est par lui que
passeront les demandes de faveurs pour le district de Québec et il
vérifiera souvent lui-même le mérite ou les compétences des
demandeurs.
En décembre
1876, Letellier de Saint-Just devient lieutenant-gouverneur de la
province de Québec, et le premier ministre du Canada, Alexander
Mackenzie, soucieux d’assurer une représentation régionale, choisit
Pelletier pour remplacer Letellier de Saint-Just à titre de ministre
de l’Agriculture, même si ce choix ne fait pas l’unanimité au sein
du caucus libéral de la province de Québec ; certains membres
reprochent à Pelletier d’utiliser le favoritisme pour servir d’abord
ses propres intérêts. Nommé membre du Conseil privé le
26 janvier 1877, Pelletier démissionne de son poste de
député le 2 février 1877, pour être nommé sénateur de la
division de Grandville. Ministre de l’Agriculture jusqu’au
16 octobre 1878, Pelletier est aussi président de la
commission canadienne de l’Exposition universelle de Paris en 1878.
Bien que ses responsabilités ministérielles ne lui permettent pas de
se rendre à Paris, cette fonction lui vaut d’être nommé compagnon de
l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges le 30 octobre ;
il en deviendra chevalier commandeur le 21 mai 1898. Son
passage à l’Agriculture est court ; les conservateurs
reprennent le pouvoir en septembre 1878, et il redevient simple
sénateur jusqu’en 1896.
C’est
toutefois à Québec que continuent de se dérouler les principales
activités de Pelletier. Associé à Mathias Chouinard dans la pratique
du droit depuis 1877, il est nommé conseiller de la reine le
20 janvier 1879 et agit comme avocat de la couronne pour
le Gouvernement provincial au cours de la même année. À partir de
1885, Pelletier est adjoint de son ancien associé Baillairgé, avocat
de la ville de Québec depuis 1861 ; il exerce cette fonction
seul de 1896 à 1900, au moment où on lui adjoint Chouinard, qui le
remplacera en 1904 quand il deviendra juge. Il est bâtonnier du
barreau de Québec en 1892. Toujours actif dans le Parti libéral, il
participe en 1880 à la fondation du journal libéral
l’Electeur, et c’est lui qui en suggère le nom
[V. Ernest Pacaud*]. Il fait partie du premier conseil
d’administration et même si son rôle au journal semble plutôt
effacé, car son nom ne figure pas souvent dans les articles, il n’en
est pas moins très important. Pelletier aide financièrement le
journal à diverses reprises. Des années plus tard, il deviendra
directeur du quotidien. C’est en effet à ce titre qu’il négocie, en
janvier 1903, avec le syndicat et empêche une grève des
typographes ; son intervention n’est pas prisée par le
rédacteur en chef, Ernest Pacaud, qui l’incite à s’occuper plutôt
d’obtenir des contrats du gouvernement fédéral. À l’automne de cette
même année, il signe, en tant que directeur, l’acte de vente du
Soleil (nom de l’Électeur
depuis 1896) quand Pacaud abandonne ses fonctions de rédacteur. Il
passe ses après-midi au journal ; tout en se défendant d’être
le directeur responsable, il est le président de la nouvelle
compagnie de publication et « la tête dirigeante ». Il
semble bien qu’il écrit ou tout au moins participe à la rédaction
d’articles, mais son rôle principal est d’exercer la fonction de
censeur : « Il nous arrive souvent des articles que nous
ferions mieux de ne pas publier, écrit-il en 1904 : j’en ai
déjà supprimé mais je ne suis pas toujours là. » Pelletier mène
aussi une petite carrière d’homme d’affaires ; il occupe les
postes de vice-président de la Compagnie d’assurance de Québec
contre les accidents du feu et de la Compagnie du chemin de fer de
Québec au lac Huron. Il est administrateur de la Québec and
Charlevoix Navigation Company ainsi que de la Compagnie de
colonisation de Rivière-Ouelle, à qui il a vendu, en 1882, une vaste
étendue de terre qui lui appartenait pour la somme de
7 500 $.
Le Parti libéral, tant fédéral que provincial, dispose de la
même organisation, et Pelletier est amené à rendre service aux
dirigeants politiques de la province. Il participe à la campagne
électorale provinciale de juin 1890. En se rendant par train de
Lévis à Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière), le
16 juin, pour voter à Rivière-Ouelle et, selon les
conservateurs, pour distribuer de l’argent à des fins électorales,
il est victime d’une rocambolesque tentative d’enlèvement. Vingt-six
individus se retrouvent devant les tribunaux à la suite de cet
incident. À titre d’agent du Parti libéral et de gardien de l’argent
pour les contestations d’élections, Pelletier est l’un des témoins
cités devant la commission royale d’enquête sur le scandale de la
baie des Chaleurs en 1891 [V. Mercier]. C’est à lui que Mercier
a laissé des blancs-seings avant son départ pour l’Europe en mars.
Tandis que ce scandale amène la révocation du gouvernement Mercier,
Pelletier sort sans flétrissure de cet épisode.
Quand
Laurier prend le pouvoir à Ottawa en 1896, Pelletier est l’un de ses
conseillers pour la formation du cabinet. Laurier sait qu’il peut
compter sur lui. Aussi le nomme-t-il président du Sénat le
13 juillet 1896 ; il occupe ce poste jusqu’au
28 janvier 1901. Il y fait valoir ses qualités de
médiateur et de conciliateur. Qualifié d’« évêque
laïque », ses contacts avec le clergé sont aussi très précieux
au premier ministre.
Le 30 septembre 1904, Pelletier est nommé juge à la
Cour supérieure pour le district de Québec. Il entend régulièrement
des causes, même si son état de santé est chancelant et que son
médecin lui indique qu’il ne pourra pas résister au travail que la
charge lui impose. Au début de 1908, il est en congé de maladie et,
malgré l’avis de ses médecins, il reprend ses fonctions de magistrat
à partir du 1er avril. Il
espère peut-être ainsi convaincre Laurier de sa bonne santé et
obtenir de remplacer sir Louis-Amable Jetté, qui termine son mandat à titre de
lieutenant-gouverneur.
Le 15 septembre 1908, sir Charles-Alphonse-Pantaléon
Pelletier est effectivement nommé lieutenant-gouverneur de la
province de Québec. Au début de son mandat, il s’acquitte
normalement de ses obligations. Cependant, à la suite d’une attaque
de paralysie en septembre 1910, il laisse Jetté, à qui il a loué sa
maison de la rue d’Auteuil, exercer le poste d’administrateur. Il
quitte Québec le 9 novembre pour un séjour de repos à Old Point
Comfort, en Virginie. De retour le 6 avril 1911, Pelletier
meurt le 29 peu de temps après avoir repris officiellement ses
fonctions. Après l’exposition de sa dépouille dans la salle de
l’Assemblée législative, il a droit à des funérailles officielles à
la basilique Notre-Dame de Québec, où Mgr Paul Bruchési* prononce
l’oraison funèbre. Même s’il a été identifié toute sa vie à un parti
politique, Pelletier « ne laisse pas d’ennemi » selon le
quotidien conservateur l’Événement. Laurier écrit à sa
veuve : il a été « un de mes plus fidèles amis ».
Jean-Guy Pelletier
AAQ, 210 A, 29 :
8 oct. 1867.— AN, MG 26, B ; G.— ANQ-BSLGiM, CE4-1,
25 janv. 1837, 23 juill. 1861.— ANQ-Q CE4-4,
12 févr. 1866 ; P-88 ; P1000, D 104.— Arch. de
la ville de Québec, QA4, bureau des avocats.— Arch. de l’univ.
Laval, P225 (fonds Thomas-Chapais) ; 0506 (Bureau du secrétaire
général), liste des étudiants.— Arch. du collège de
Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière, Québec), Reg. de
copies de lettres et autres doc. reçus ou envoyés.— ASQ, mss, 125,
149, 152, 164, 181, 193, 210, 221 ; PVU, 354 ; Séminaire,
165, n° 20n ; 167, n° 8.— L’Électeur (Québec), 18,
20–22, 24 avril, 13 oct. 1891.— L’Événement.
26, 30 janv., 2, 11, 16 févr. 1886.—
La Semaine religieuse de Montréal,
4 janv. 1909, 3 janv. 1910,
15 mai 1911.— Le Soleil, 4 avril, 14, 17,
28, 30 nov., 1er, 5, 30 déc. 1910,
9 janv., 5, 7, 26–27, 29 avril, 1er–4,
8 mai 1911.— Julienne Barnard, Mémoires
Chapais ; documentation,
correspondance, souvenirs (4 vol., Montréal et Paris,
1961–1964), 2 ; 3.— Canada, Chambre des communes,
Journaux, 1867–1868 : xxii-xxx, app. 1 ; Sénat, Comité spécial
des chemins de fer, télégraphes et havres, Rapport (Ottawa,
1891).— Jacques Castonguay, les voltigeurs de
Québec : premier régiment
canadien français (Québec, 1987).— Collège de
Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Annuaire, 1909–1910.— Andrée
Désilets, Hector-Louis Langevin, un Père
de la Confédération canadienne
(1826–1906) (Québec, 1969), 198s., 226–229, 239, 311, 318,
335, 345.— P.-H. Hudon, Rivière-Ouelle de
la Bouteillerie ; 3 siècles
de vie (Ottawa, 1972), 271s., 290–293, 298, 305, 308,
321, 337s., 376, 379–391, 415s.,465, 486–495.—
T. C. Keefer, Report for the
Canadian Commission (Ottawa, 1881), 34.— Wilfrid
Lebon, Histoire du collège de
Sainte-Anne-de-la-Pocatière (2
vol., Québec, 1948–1949), 1 : 126 ; 2 : 222–225, 235s., 497s.—
J. C. McGee, Laurier, Lapointe,
Saint-Laurent : histoire politique
de Québec-Est (Québec, [1948]).— Lucien Pacaud,
Sir Wilfrid Laurier ;
lettres à mon père et à
ma mère, 1867–1919 (Québec, [1935]), 59–63,
300s.— O.-C. Pelletier, Mémoires, souvenirs
de famille et récits (Québec, 1940).—
Québec, Assemblée législative, Journaux, 1867–1868,
1873–1875 ; Commission royale, Enquête dans l’affaire du chemin
de fer de la baie des Chaleurs, Rapports (Québec, 1892).—
D. C. Thomson, Alexander Mackenzie,
Clear Grit (Toronto, 1960).
© 2000 Université
Laval/University of Toronto |