Joseph II PAINCHAUD


Joseph Painchaud grandit dans la vaste demeure de son père, sise à l'angle de la rue des Pauvres et de la ruelle de L'Arsenal à Québec. Troisième d'une famille de sept enfants, de santé délicate, il réclamait de sa mère des soins attentifs; cependant, il ne fût pas élevé avec moins de sévérité que ses frères et sœurs. Son père s'était assuré par sa pratique médicale une confortable aisance et avait pu mettre sa famille à l'abri des inquiétudes matérielles. Une chute dans un escalier d'école laissa le jeune Painchaud quasi infirme et lui rendit la marche extrêmement pénible. Malgré ce handicap, il entreprit en 1835 des études classiques, au petit séminaire de Québec comme externe, qu'il termina en 1840. C'est au cours de la classe de troisième qu'il sentit une vocation missionnaire. À sa sortie de séminaire, il voulut embrasser l'état ecclésiastique, mais son infirmité ne lui permit pas. Il fit alors l'apprentissage de la médecine auprès de son père et du docteur James Douglas, puis il se rendit à Paris pour parfaire sa formation. Le 28 novembre 1846 de retour à Québec, il reçu sa licence pour exercer la médecine et la chirurgie. Peu après, il entra à l'hôpital de la Marine et des Émigrés, probablement en qualité de médecin interne, sous la direction du docteur Douglas. Il ne recevait aucune rémunération. En septembre 1847, il devint médecin résidant et se vit attribuer un salaire annuel de L100. Il resta à cet hôpital jusqu'au printemps de 1848.

Contrairement à son père, ce n'est ni par sa pratique ni par son activité publique que Painchaud s'est distingué. C'est plutôt par le rôle considérable, quoique effacé, qu'il a joué dans l'établissement des premières conférences de la Société de Saint-Vincent de Paul à Québec. En 1845, il avait profité de son séjour dans la capitale française pour nouer de nombreux liens avec cette association catholique. En plus de s'inscrire à diverses confréries et de fréquenter les couvents, il est devenu membre de la société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée en 1833 par Frédéric Ozanam et ses amis. Il a participé activement aux réunions et aux œuvres de la conférence de Saint-Sévérin.

La tradition lui attribue l'implantions de cette société a Québec à son retour en 1846, mais en fait, elle y était déjà établie depuis deux ans, ne s'inspirant cependant que largement des buts et des méthodes de la société de Paris. Il semble que ce soit une lettre circulaire datée du 16 juin 1846, du président général de la société à Paris, Jules Gossin, à Mgr Joseph Signay, qui amena ce dernier à vouloir régulariser le statut de la conférence de Québec.

La réunion du 12 novembre 1846, présidée par Charles François Baillargeon, alors curé de la cathédrale, ne marqua donc pas un commencement absolu, mais une reconnaissance pour la jeune société. Lors de la réunion suivante, tenue le 19 novembre, le député Jean Chabot, qui présidait déjà l'ancienne conférence, fut élu président. Ce n'est qu'à la réunion du 26 novembre suivant que figurèrent pour la première fois au procès-verbal de la conférence les noms des docteurs Painchaud, père et fils. Ce dernier fit tant et si bien que, le 7 mars 1847, Québec comptait neuf conférences, toutes dues à son activité débordante. Il en établit même une à l'hôpital de la Marine et des Émigrés, dédié à St-Louis de Gogzague. En août 1847, la conférence de Québec reçut son agrégation de Paris et deux mois plus tard les huit nouvelles conférences et le conseil particulier de Québec étaient aussi agrégés. Il s'agissait, comme on le soulignera plus tard, du « premier lien qui rattacha l'Ancienne et la Nouvelle-France depuis la séparation de 1760 ».

Bien au fait des pratiques de Paris, Painchaud se révéla à la fois l'âme dirigeante et la cheville ouvrière de la nouvelle société, sans pour autant y occuper un poste de premier plan, imitant en cela Ozanam. S'il sut implanter à Québec l'esprit de zèle et de pitié qui prévalait à Paris, on ne saurait affirmer que Painchaud fut inspiré des mêmes préoccupations sociales qu'Ozanam. Pour lui, la misère n'était pas une occasion de faire le bien et de s'attirer des mérites spirituels. Le but de conférence était de venir en aide aux plus démunis, de secourir les malheureux. La visite des pauvres à domicile, l'éducation des indigents devaient, en plus de les soulager matériellement, leur apporter un réconfort moral et les toucher « jusqu'au fond de l'âme ». Toute cette activité ne satisfaisait cependant pas le zèle de Painchaud. En 1845, au moment où il habitait à Paris, il avait fait vœu de se consacrer aux missions s'il arrivait un jour à marcher sans difficulté. En 1849, son était s'était considérablement amélioré, il s'offrit à Mgr Modeste Demers, évêque de l'île de Vancouver, comme médecin et catéchète, lui faisant aussi don de sa fortune et patrimoine. Le 9 septembre 1849, il s'embarqua pour Paris où il séjourna jusqu'à la fin de 1851, secondant l'évêque dans ses démarches pour trouver du secours et l'introduisant dans la société qu'il avait connue lors de son premier séjour à Paris.

Le reste du périple de Painchaud ne fut qu'une suite de mésaventures. Embarqué au Havre vers la fin de 1851, il repartit de New York au printemps suivant sur un bateau d'émigrés à destination de San Francisco, navire sur lequel il fit office de médecin de bord. À la suite d'une mutinerie, le vaisseau dut faire escale à Rio de Janeiro, au Brésil, où le médecin et son compagnon, le père Laroche, décidèrent de rebrousser chemin et enter de continuer le voyage en passant par le Nicaragua. Le père Laroche mourut d'épuisement au cours de la traversée de l'ishme. À nouveau embarqué pour remonter la côte du Pacifique, Painchaud fit naufrage sur les rives mexicaines. Dans l'impossibilité de poursuivre son voyage, il gagna alors Colima au Mexique où il érigea un hôpital et se constitua une clientèle fortement lucrative.

Il écrivit à Mgr Demers en 1852 : « La divine Providence m'a probablement placé ici pour venir plus promptement en aide à la mission, car j'y fais de l'argent, j'attends les ordres de votre Grandeur. » Il se rendit ensuite à Tamazula, dans l'état actuel de Jalisco, pour exploiter une mine d'argent où il engloutit tous ses biens; peu après il tomba malade et on croit qu'il mourut à une petite distance de Tolina où il aurait été enterré le 7 avril 1855.

Joseph Painchaud est resté méconnu malgré le rôle qu'il a joué dans l'implantation de la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Québec. Derrière les clichés d'une presse pieuse « héroïque chrétien, enfant obéissent, écolier modèle, étudiant digne et réservé », se cache une âme tourmentée, animée d'un zèle religieux peu commun, parfois excessif, mais surtout, hantée par l'idée du salut. Sa dévotion à Notre-Dame de la Salette, sa participation à de nombreuses confréries, son œuvre au sein de la Société de Saint-Vincent-de-Paul et sa vocation missionnaire sont toutes ordonnées à une seule fin, s'attirer autant de mérites qu'il est possible dès cette vie afin d'assurer son salut éternel. Il écrivait en 1850 : « Je ne fuis pas la mort, c'est un mauvais système, il vaut mieux s'attirer des grâces pendant la vie, à la mort il est tard. »

En faisant du bien sur la terre, c'est autant de mérites devant Dieu. Sa correspondance, reflète un caractère religieux et dévoile une personnalité tous deux symptomatiques de l'évolution de la société canadienne française autour de 1850. Du père au fils, du candidat réformiste aux élections de 1836 au missionnaire laïque, du fondateur de la Société médicale de Québec à l'apôtre de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, ce sont non seulement deux générations qui se suivent, mais deux visions du monde qui se succèdent et se heurtent parfois.

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par Louis Painchaud