Nadia Tueni

 

 


Chaque histoire est l'histoire d'une seconde d'hésitation


 

Beyrouth



Qu'elle soit courtisane, érudite, ou dévote,
péninsule de bruits, des couleurs, et de l'or,
ville marchande et rose, voguant comme une flotte
qui cherche à l'horizon la tendresse d'un port,
elle est mille fois mort, mille fois revécue.
Beyrouth des cents palais, et Béryte des pierres,
où l'on vient de partout ériger ses statues,
qui font prier les hommes, et font crier les guerres.
Ses femmes aux yeux de plages qui s'allument la nuit,
et ses mendiants semblables à d'anciennes pythies.
A Beyrouth chaque idée habite une maison.
A Beyrouth l'on décharge pensées et caravanes,
flibustiers de l'esprit, prêtresses ou bien sultanes.
Qu'elle soit religieuse, ou qu'elle soit sorcière,
ou qu'elle soit les deux, ou qu'elle soit charnière,
du portail de la mer ou des grilles du levant,
qu'elle soit adorée ou qu'elle soit maudite,
qu'elle soit sanguinaire, ou qu'elle soit d'eau bénite,
qu'elle soit innocente ou qu'elle soit meurtrière,
en étant phénicienne, arabe ou routière,
en étant levantine, aux multiples vertiges,
comme ces fleurs étranges fragiles sur leurs tiges,
Beyrouth est en orient le dernier sanctuaire,
où l'homme peut toujours s'habiller de lumière. 

 


Cédres


Je vous salue,
vous qui êtes,
dans la simplicité d'une racine,
avec la nuit pour chien de garde.
Vos bruits ont la splendeur des mots,
et la fierté des cataclysmes.
Je vous connais,
vous qui êtes,
hospitaliers comme mémoire;
vous portez le deuil des vivants,
car l'envers du temps, c'est le temps.
Je vous épèle,
vous qui êtes,
aussi unique que le Cantique.
Un grand froid vous habille,
et le ciel à portée de branche.
Je vous défie,
vous qui hurlez sur la montagne
usant les syllabes jusqu'au sang,
Aujourd'hui c'est demain d'hier,
sur vos corps un astre couchant.
Je vous aime,
vous qui partez avec pour bannière le vent.
Je vous aime comme on respire,
vous êtes le premier poème.

Liban : vingt poèmes pour un amour - 1979

 

Reviendras-tu si je disais la terre

est au bout de tes doigts

comme une branche calcinée et déjà refroidie?

les oiseaux sont morts plusieurs fois

a pic contre tes cheveux blonds

ils avaient adopté la mer pour vice

à cause des algues sonores

et des pistes qui se défont

lentement

trop tard pour naître chaque instant

à genoux devant des visages

où toute couleur est hostie

comme une gorge prise au bétail

qui dévore un rayon de soleil

reviendras-tu si je disais la mer

est au bout de tes doigts?

l'Age d'écume - 1965


Nadia Tueni - Les Oeuvres Poétiques Complètes - Éditions Dar An-Nahar - 1993


Prix de l'Academie Française en 1973 - Prix Saïd Akl en 1966

 

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