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La
nommer,
c'est bénir les reliefs de la terre;
décloisonner le pays où j'ai du mal à choisir
entre les sarcophages creux
et les ruisseaux qui stagnent
entre les documents bombés, les rots indigènes,
les buildings à plein temps,
les eaux plates et les baillons
mesquins.
C'est écaler la gangue sur la glace publique.
La nommer,
c'est accéder aux robes roses
des Appalaches
quand la brume soudoie la nuit;
espace aussi des Laurentides
en kimono vert-doux
quand le crépuscule poudre sur ses mains.
La nommer,
c'est prendre à bras le corps
le fleuve qui saccade
comme un poumon gorgé de courses,
un coeur laminé de soleil.
La prendre,
c'est dire la cannelle et le tilleul,
boire l'anis et lécher la sève du sorbier
dans la rousseur d'un avant-midi lointain.
La prendre,
c'est ouvrir la cage d'un pinson maraudeur
quand la lumière descend à flanc de colline
juste avant qu'elle ne place sur la table
ses sentiments dressés entre nos continents.
La voir,
c'est apprendre à compter
sur la chaleur de ses phalanges
qui donnent du sens à l'encens
lancé sur nos attentives nuits.
Car elle est femme et belle
dans la jeunesse de ses précieux écarts.
De ses seins roides
jusqu'à la courbe de ses reins
- en retournant les fruits de son ventre du bon côté -
daigne la musique aux longs cheveux noirs
s'ouvrir et les oiseaux pépier
dans les futaies de sa jouissance
car ce chuintement qui siffle
à mon oreille n'est pas que feu grégeois
mais un module d'air
qui précède en kyrielles de fin cristal
les cuivres modulés de son plaisir de femme.
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De l'aube-rivière,
en longeant le fleuve et les feuilles vertes,
elle a touché son point de mire et jeté aux orties
ses schèmes dyslexiques.
Elle est là, rieuse, ouverte à la démarche d'une main
qui voudrait donner de l'altitude aux mots les plus jolis.
Elle n'espère rien.
Elle attend à la table, elle fixe un bruant nomade
à genoux sur un fil. Et tout ce qui lui vient
s'accommode d'instinct aux motets des anciens rituels
quand, sur un bécarre de neige, la noblesse du temps
reprenait de l'essor.
Elle cherche à tâtons la clef de son silence en caressant
du bout des doigts la soie d'un parfum enchevêtré
à l'orée d'un collier qui tombe sur ses seins.
Luciole d'un regard dans la vitrine
d'un instant.
Brindille de chrome.
Flambée d'une pulsion vers un désir feuillu.
La terre acrobate sur son axe pirouette dans l'extase
qui monte pendant que le soleil, sur son pivot de cristal,
dégage les étoiles de leurs coraux anciens, avive la lumière
sous le couvert d'un silence en iris.
Dans les replis d'un tulle qui l'habille, l'ambiance
fomente avec bonheur la haute radiance de sa féminité.
Les encres sèchent ! Papiers, cartons, dessins
nippons, alvéoles de laine, tendresse de cuivres
doux sous les doigts du plaisir à regarder monter
la lune dans l'escalier verni d'une nuit de semences.
Chamois d'ombre sur les esquisses d'un projet
qui fond sous la dent.
La marée se cambre ici.
La marée descend là bas. . |
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Les couperoses crépitent d'insectes géniteurs d'estragon dans les fenêtres de la pluie.
Vie en
prose impériale, vie impérieuse, gaillarde aux yeux d'amandes fraîches sur ces petits
papiers qui disent tout avec leurs petits riens.
Le reste s'assortit d'aiguail et de fétus humides, de pieds nus sur le sable juste avant l'aube quand la nuit replie ses draps contre les falaises et qu'un pinson engourdi
reprend sa verve en douce.
Le
reste n'appartient qu'aux diadèmes de la brume, aux halos bleus qui tournent au-dessus d'un
café qui fume à la santé des feuilles où se faufile l'encens joyeux des montres
fracturées. Le reste n'est que regard de saveur entre elle et moi sur le parvis du réel.
Son pied
occupe l'indéfinissable espace d'une chorégraphie aléoutienne : minute aiguë liberté
nouvelle vouée à la beauté qui passe dans son sourire de verveine.
Vivement, le vent vacille et vivifie les fleurs.
Elle
traverse le sentier et le ciel s'agrandit entre nous : Place Vendôme ou Pointe-aux-pères
ou Ouagadougou, Cuba, Toulouse ou Cap-aux cloches.
Partout elle défait la routine du monde en brossant ses cheveux sur le tain de ta joie. |
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Elle est
debout sur un nuage, elle pointe son doigt clair sur les algues roses, dessine des abris
d'azur dans des nids éplorés.
Le temps qu'il fait sous ses dentelles est celui qui m'attend quand je lui tends les bras
et qu'elle me regarde avec ses yeux de soie.
Elle
néglige les frontières, traverse les continents et me confie à la dérive, ses
meilleurs sentiments.
Je m'en remets aux traits de
son visage, à l'absence des rides sur son ventre nubile, à son vocabulaire qui éclate
sous les rosiers, au présent parfumé sur ses phalanges légères en apparence.
Elle a le
poids de la tendresse échevelée près d'un ruisseau, l'éclat premier de l'eau dans les
fougères sur une longitude étrange, elle est femme.
Elle
sculpte le cristal de l'hiver, cherche dans les grands bois, quelque orée pour échapper
aux loups et décorer de fleurs la tête douce d'un mouton.
Elle est
celle qui attend que les mirages déclinent, celle qui attend le râteau du vent pour
déblayer l'absence, celle qui de l'aube au soir s'incline sur son tricot, celle qui parle
en elle tant elle a du désir.
C'est celle-la qui couche sa guitare sur des fougères de musique pendant que les cordes
du vent dansent autour de ses doigts la nuit, corps avancé. |
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Jauge
modèle et non fortuite du ton, du tac et du tactile.
Alibi dans
la complicité intime des aulnes radiantes.
Harmonie de la flore exotique entre ton souffle chaud et le permissif qui bat de l'oeil
tout en brûlant l'attente.
Corps de
princesse d'un nouvel âge, râni millénaire issue d'une fontaine mobile pour le ballet
des anges.
Seins
fermes sous les langueurs d'arômes insignes.
Jambes ouvertes aux vertiges en gestation quand s'arrime en écumant, la foudre d'un
minuit vaste comme le début du monde.
Jean-Yves Roy
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Oeuvres
publiées
de Jean- Yves Roy :
A plein corps : Ed. Garneau, Québec 1970
J'ai ma terre en tête : Ed. St-Germain-des-Prés, Paris 1973
Au clair de la lune : Les Presses Laurentiennes, Québec 1980
Mon ami Pierrot : Ed. Naaman, Sherbrooke, Québec 1983
Le poémier : Ed. Carvelle, Québec 1985
Flexigraphes : Ed. Graficor, Boucherville, Québec 1989
La Funambule : Ecrits de Hautes-Terres, Ripon, Québec 2000.
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