L'arbre qui bouge
L'arbre qui bouge et fait
Semblant que c'est le vent.
L'homme
qui parle et fait
Semblant que c'est lui même.
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Dans les sirènes...
Dans les
sirènes d'usine
Dans les klaxons de cinq heures
Dans le crissement des pneus
Dans le fracas continu de la ville
J'entends la mer
Dans les profondeurs du sommeil
Dans les secrets voyages de la nuit
Dans le noir blessé des néons
Je vois la mer
Et près des réverbères pendus
Je me suis appuyé les soirs de pluie
À la rambarde des trottoirs
Sans parapluie.
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Dites-lui
Quelqu'un
était ici.
Quelqu'un s'en est allé
Pour chercher un pays
Dont nul n'avait parlé.
En buvant de la bière,
Il s'en est souvenu,
Puis il a disparu
Par le chemin de pierre.
S'il passe à votre porte
Dites-lui que naguère
J'ai perdu de la sorte
Une île et deux rivières
À poursuivre ces terres
Que l'horizon transporte.
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Regret
J'ai
brisé mon cœur comme un coquillage
Et j'y ai trouvé ne me croirez pas
Au milieu du vert tendre des feuillages
Sans nulle trace de vos pas
Dans un ruisseau votre visage
Pour me souvenir j'ai bu goutte à goutte
Le ruisseau mémoire et son eau-chagrin
Mais quand j'ai voulu poursuivre ma route
Et refermer mon cœur écrin
Je le refermai sur le Doute
Est-ce de l'ennui est-ce de la peine
Je sens que parfois vous mourrez au loin
De par le chagrin d'une amour humaine
Et je sens bien que ce n'est point
Une amour dont je me souvienne
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Itinéraire
Quand
j'ai chaussé les bottes
Qui devaient m'amener à la ville
J'ai mis dans ma poche
Une vieille maison
Où j'avais fait entrer
Une jeune fille
Il y avait déjà ma mère dans la cuisine
En train de servir le saumon
Quatre pieds carrés de soleil
Sur le plancher lavé
Mon père était à travailler
Ma sœur à cueillir des framboises
Et le voisin d'en face et celui d'en arrière
Qui parlaient de beau temps
Sur la clôture à quatre lisses
Et de l'air propre autour de tout cela
Aussitôt arrivé en ville
J'ai sorti ma maison de ma poche
Et c'était un harmonica
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Belles saisons...
Belles
saisons des mauvais temps
Pâles matins des neiges tristes
Brûlants clairs de lune d'hiver
Par les cent trous de mon manteau
Et par les trous de mes semelles
Entrez chez moi je vous en prie
Depuis tous les étés du monde
J'attends de voir vos mauvais temps
Vos verglas et vos poudreries
Et vos éternités de neige
Vos soirs balafrés de rafales
Et le feu blanc des soleils rares
Pavant des routes de lumière
Beaux jours des mauvaises saisons
J'ai quelque part au fond de moi
Le doux regret d'une maison
Dont encor je n'ai jamais vu
L'astre carré d'une fenêtre
À l'horizon d'un jour de marche
Une table où je n'ai pas bu
Le thé chaud et les yeux timides
De cette jeune femme tiède
Ouvrant la porte au voyageur
Jeunes filles ! Allumez la lampe
Ce soir même un homme se tue
À battre les chemins perdus
Avec de la neige à mi-jambe
Le ciel et la nuit sur le dos
Il a fait le tour de la terre
Et ne se tient pas pour battu
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Gilles
Vigneault
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