Poèmes de François Rivals

 

Arrêt sur un songe

Tu crains la nuit désenchantée
Où ne passent plus les anges.
Tu dis :
Que le jour reste jour
Qu'il entrave sa route
Comme un voilier sans ailes
Contraint de jeter l'ancre.

Désir improbable
Pour qui subit la peine...

Mais tu voudrais que vienne
Ce songe qui ne finit pas...

Les nuages sans air
Seraient suspendus en vol
Comme des pommes nues
Oubliées dans la neige des vergers,
Petits moutons sans pattes
Ils brouteraient les prés bleus
Et le soleil généreux
Se poserait au zénith.

Les chaluts n'iraient pas à la pêche
Ils valseraient autour des clapotis,
Les marins dormiraient
Ayant perdu le nord.
Les volées blanches de l'écume
Resteraient immobiles
Sur des perchoirs de fortune.

Le vent manquerait
Aux plumes des oiseaux
Qui n'iraient plus au ciel
Et noirciraient sous les arbres
Comme des notes sans musique.

Au jardin, les fleurs seraient belles
Dans l'immobilité pâle des lilas.
Les champs de mimosas
Se figeraient en quête de brise,
Accrochés au soleil.

Mais voilà,
Ce rêve est illusoire
Qui ne porte secours..

La vie doit être
Pour le temps qu'elle sera.
A recommencer l'azur
Il ne cessera de neiger..

La crue

Je me souviens d'un grand vent noir dans le vallon,
Il poussait ses moutons gris à flanc de torrent,
En vagues transhumant vers de basses estives
Sous l'entrebâillement d'un ciel couleur de nuit.
Mais que tourne le souffle et revenait la lumière.

Je me souviens des éboulis d'ardoises émiettées
Qui descendaient vers la ravine aux rumeurs sourdes,
On s'enlisait dans la mouvance fêlée du schiste
Qui nous portait sans faillir jusqu'aux rives bléssées
Où l'orage du matin avait laissé les herbes lourdes.

J'ai vu des troncs chavirer sous les brisures de l'eau,
Entrechoquer leurs écorces éclatées dans une lutte à vie,
Se bousculant aux portillons gardés depuis des siècles
Par des roches lisses à l'immobilité de grès anciens,
Des fumées de résine volaient jusque sous les vernes
Les branches orphelines sautillaient à fleur d'eau
Et s'immergeaient comme prises d'une folle gaieté.

Les grands framboisiers, là, tout au bord des abysses
Tremblaient au rythme inattendu des cascatelles
Ils craignaient beaucoup pour leurs bijoux roses.

Ainsi font, font, font les marionnettes de l'écume
Portées par les bosselures de l'eau : elles perdent le fil...

En un clin d'oeil, une truite trace une courbe d'argent
Juste une petite signature au bas des champs d'honneur.

Est-il vrai, mes amis, qu'après l'orage revient le calme ?


Le temps d'un fleuve

Ce jour-là, ce matin-là,
Les deux branches du fleuve
Là-bas où s'ouvre le delta
Mouraient en piliers de fumée
Que la lumière nouvelle
Soulevait des marées basses.

Le drap blanc du gel
Tardait à se défroisser,
Et les barques au peu de vent
Glissaient sans mot dire
A l'écart des rives givrées
Guidant les courbes du fleuve.
Au-delà de l'eau noire
Les champs cristallisés
Portaient des herbes lourdes.

Dans le ciel d'une autre lumière
Indifférent au déclin des étoiles
Des oiseaux croisaient leurs cris,
On ne savait pas le nom
De ces grands becs inassouvis
Ni ce qu'ils disaient.
On les écoutait seulement
Dans le calme des roseaux
Brisés par les proues d'argent.

Le fleuve confondait ses eaux
Avec le silence des hommes
Au bout des longues gaffes.
Se pliant sur les manches polis
Ils filaient comme des couleuvres
Entre les herbiers clos

Le temps ne semblait plus d'ici
Mais l'avant et l'après déjà
Cernaient l'instant de l'utile.
C'est si peu la Vie.. et pourtant
Dans son minuscule cocon
Elle dure en se multipliant.

Les passagers du temps
Glissaient par miracle
Ignorant l'évanescence
Se suffisant à l'espace

Le fleuve en l'univers
Avait ses mystères...

Le Temps s'en remet
Aux arcanes de l'Eternité.


Impression d'hiver

Sur la vitre ma main
Se colle
Et l'autre pareille.
Il fait un froid polaire
Sous mes dix doigts

Des icebergs ou des fantômes
Se balancent en lisière,
Ces sapins qui pleurent
Au vent de neige, plus
Qu'il n'en tombe du ciel.
Une volée d'oiseau se froisse
Dans la blanche tombe.

Le reflet de mes yeux gris,
Inexpressive buée,
Se confond à moi-même,
Suis-je l'autre
Que je ne connais pas ?
Les traces creusées
Ecrivent l'hiver.
Immobile, je songe
Au soleil pharaonique.

Le silence se tait
Une fois pour toutes.

La saison nouvelle
Doucement transhume
Ses ailes d'oiseaux
Encore alourdis,
Portés par un vent tiède.
Les crocus brisent la neige
Frais comme des roses
Les pieds bien au froid
Et la tête pleine de ciel.

Jécoute les arbres
Qui ont repris langue
Et médisent
Du loup blanc..


Airs du temps

J'ai aimé la nuit pour la nuit
les chats gris pour le gris
les bruits pour les bruits
le gong d'une enclume matinale
le glas d'un campanile en peine
le son brisé d'un ruisseau
et les branches qui s'y baignent
le souffle tiède de l'autan
qui revient de l'ouest en pleurant
J'ai aimé les jours pour les jours
et les choses pour les choses
la fine anguille sous roche
les commodes cousues d'or
les soleils en croisière du sud
les rues qui s'amincissent
aux temps moyenâgeux
les marchés couverts
de toiles à rayures
les fruits et légumes
les poissons dans la neige
coiffés de frisures vertes
les citrons qui s'y perdent
les brassées de fleurs
fraîchies dans les seaux.

J'ai aimé le matin pour le matin
quand on se tend la main

Et le soir pour le soir
quand on se dit au revoir

La vie quand elle vit

Amen


Mots perdus

Il faudrait une échelle
Pour monter jusqu'aux mots
Les gravir ligne à ligne
Et lire au-delà des marges
Les rimes du temps passé,

Observer une minute de silence
A n'entendre que le bruit
Des ailes d'un vent de nuit
Qui râlait sous les ponts,

Rejouer les aubes rompues
Au bout des nuits de houle,

Déplier les déserts de papier
Piqué de flaques bleues
Où brillaient nos soleils.

Et la neige habilleuse
De ces mots suspendus
Qui sans elle étaient nus,
A-t-elle cicatrisé
Ces blessures de bois morts ?

S'il n'était qu'amertume
A feuilleter nos vieux livres
Permettez qu'on oublie
Nos plumes et nos papiers
Pliés comme des bateaux
Naufragés de l'écume

Et qu'à recommencer
Le printemps nous revienne.


Le navire au loin...

J'aimerais deviner au sillage de l'écume
Notre grand voilier de vents contraires,
Voir ses cales déborder de rires et de larmes,
Voir son drapeau de mer claquer,
Marteler nos mots dans le ciel qui tangue,
Fictions de soupirs et de joies
Aux adieux d' une brise cyclonique
L'autre fois sur les quais.

Vogue mon beau galion, ma nef de dentelles !
Souffle dans ta corne de brume,
Qu'on entende encore les baisers anciens
A bâbord et tribord de tes ponts !
Que tes vastes voiles
Déploient les couleurs oubliées
De nos croisières inventées !

Te souviens-tu des dunes,
Sur ces hauts promontoires
Où nous allions rêver ?
Les vaisseaux de haut bord,
Là-bas, en fond de mer,
Ces promesses d'horizon
Bleues comme des mirages ?

Les enfants en bas n'étaient plus sur la plage
Ils oubliaient les mouettes d' au-dessus,
Ils rêvaient devant leurs châteaux de sable,
Les salines limoneuses qu'ils avaient creusées.
Ils n'imaginaient pas l'Espagne, ni l'Eldorado
Mais plus loin que portait le bout du monde
Un grand jardin coloré de plumes d'oiseaux
Avec des fruits tout partout qu'ils disaient,
Des fontaines, des bassins pleins de billes d'argent
Des champs de fleurs aux corolles nouvelles
Et "des petits bateaux, Maman,
qui flottent sur l'eau, avec des ailes"

Nous étions de ceux-là et disions :
Et si on faisait , et si on était, et si on allait..
Moi, je serais timonier et toi tu serais la proue
Pour voir comment nous vient la route.
On dépasserait les bornes de la Terre
La nuit, on parcourrait les déserts de pierres
Bien au-delà du champ des étoiles.

De tout cela, nous nous souvenons,
Nos rencontres, nos adieux
Là-bas, sur les quais en front de mer

Et toujours resteront
Les images enfantines.

Et vogue la galère...


Toi sans moi

Toi et moi,
Nous avons tant vécu,
Tant subi les jours
Des aubes jusqu'aux lunes,
Pétri tant d'angoisses,
Accosté tant d' imprévus,
L'un et l'autre,
L'un sans l'autre,
Que maintenant si tu partais,
Je craindrais ces portes basses
Qui s'entrouvrent, là-bas ou là-haut,
Sur des champs de cécité
Dans le lait du ciel.

Toi sans moi.
La barque s'éloigne,
Et toujours je te vois
Dans un miroir courbe..

François Rivals

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