Photos :  La Proovence  -  Pierre LaRue


La Manikoutai

Ils ont dit que c'était une fille
Moi je dis que c'était la Manikoutai
L'œil en feuille et la dent de coquille
Telle était la Manikoutai

C'était plus haut que la plaine
Il fallait pour aller là
La patience et l'aviron
Connaissance de la chute
Du portage et du courant
Où et comment l'eau culbute
Les oreilles de charrue
Et l'au morte et les cirés
Les corps morts et les écumes
Veille à gauche et veille à droite
À la pince et au ballant
Sans vouloir te commander
Tiens-toi bien mais laisse aller
Pas grande eau mais c'est assez
Pour te dire qu'à l'eau douce
On finit par dessaler

Et ça c'était pour l'été

Ils diront que c'était une femme
Moi je dis que c'était la Manikoutai
Le dos souple et la danse dans l'âme
Telle était la Manikoutai

Fatiguée de la semaine
En rapide et gros bouillons
Elle faisait son dimanche
En amont du quatrième
Vive encore et paresseuse
Avec du sable en dorure
Et les beaux cailloux tout ronds
À deux pas c'est une source
À trois pas c'est un brûlé
Le foin haut puis les framboises
Les bleuets puis les bérris
Et le petit bois d'argent
Prends ton temps prends pas ta course
C'est piquant puis déchirant
Pas si vite assis-toi là
On va compter les cailloux

Ça c'était pour le beau temps...

Ils croyaient que c'était une fée
Moi je dis que c'était la Manikoutai
Du feu, d'or et d'automne attifée
Telle était la Manikoutai

Aux premiers jours de gelée
Elle a déjà le gros dos
Les manchons puis les manteaux
Tout en blanc et beau et chaud
Elle a la race et la grâce
Elle est de chasse et de glace
Les renards et les visons
Les rats musqués les castors
Le loup-cervier puis la loutre
Lui font dentelle de traces
Et quand la glace est trop mince
Pour la tenir enfermée
Elle saute la fenêtre
Elle est noire et douce-froide
Et c'est le froid qui la dompte
À la tombée de la nuit

Et c'est le temps de l'hiver...

Ils croiront que c'était une amante
Je dirai que c'était la Manikoutai
Jeune et vieille et muette et parlante
Telle était la Manikoutai

C'était le temps du trappeur
Et le temps des compagnies
On partait le vingt octobre
On revenait vingt janvier
Quand un homme est à la chasse
Sa blonde a des cavaliers
Sont partis le même jour
Mais chacun de son côté
On a trouvé par les traces
Qu'une fois rendus aux pièges
Avaient chassé tous les deux
Jusqu'à ce trou dans la neige
Attention la glace est mince !
Tu la salueras pour moi.
Non. Viens pas ! Tiens-toi, j'arrive !
Les chiens sont revenus seuls...

Ça c'était pour le printemps

Ils ont dit que c'était la Julie
Moi je dis que c'était la Manikoutai
Ils diront qu'avec l'âge on oublie
Telle était la Manikoutai.


*


Gilles Vigneault

1965

 

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de Presse : La Provence et de Pierre LaRue  ( Baie Comeau. Canada )

 

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