Jean de la Fontaine |
Fables |
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Lettre adressée à Monseigneur LE DAUPHIN
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Monseigneur,
S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Esope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étaient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Esope. L'apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d'enveloppent à des vérités importantes. Je ne doute point Monseigneur,
que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout
ensemble si agréables, car que peut-on souhaiter davantage que ces deux
points ? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes.
Esope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avecl'aute. La lecture
de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la
vertu, et lui apprend à se connaître sans qu'elle s'aperçoive de cette
étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse
dont s'est servi très heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les
yeux pour vous donner des instructions*.
Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec
plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons
beaucoup de cette conduite. Mais à dire la vérité, il y a des choses dont
nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités
que notre invincible Monarque vous a données avec la naissance ; c'est
l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de
si grands desseins, quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner
l'agitation de l'Europe, et les machines qu'elle remue pour le détourner
de son entreprise ; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans
le coeur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières
insurmontables,**
et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus
ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les
cours des autres princes ; quand, non content de dompter les hommes, il
veut triompher aussi des éléments ; et quand, au retour de cette
expédition, où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses
peuples comme un Auguste : avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour
la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années ; vous
attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival
dns l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, Monseigneur
: vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage, que ces nobles
inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de
courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paraître à tous les
moments. Certainement, c'est une joie bien sensible à notre Monarque, mais
c'est un spectacle bien agréable pour l'univers que de voir ainsi croître
une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de
nations. Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, DE LA FONTAINE. (1668 ) *M. De
Périgny, précepteur du Dauphin avant Bossuet
Livre I
Le chêne et le Roseau |
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