Lydia

Bruits de verres

 

 


Le bistrot

 

Dans le bistrot du coin le silence s'éteint
Par des tasses brisées, verres entrechoqués.
Le brouhaha de fond entame ses rumeurs,
Sa longue litanie à l'égard des serveurs
Qui défilent sans cesse, offrant un appel d'air,
M'adressant au passage quelque risette amie.
Le temps tourne sa ronde dans cette tabagie.
Comme toujours, je suis seule sur mon papier
À conter des mots doux pour qui ne s'en soucie,
Le nez dans mon buvard, le café dans la tasse
Qui attend patiemment mon tout premier baiser.

C'est un moment banal, pourtant privilégié.

Visages accrochant sur mon humble regard
Quand, daignant le lever un par un je les fixe,
La beauté d'un tableau quasi - cosmopolite.
Tous ces portraits et tous ces corps arc-boutés
Qui se font la causette entre interlocuteurs !
Kaléidoscope se mouvant lentement
En speedant les serveurs interférant l'espace.

Tout ressemble à un film avec ses figurants
Dont chacun d'entre nous peut être la vedette,
Moi, sur mon écritoire, tantôt levant la tête,
Les deux filles d'en face, parlant de leurs affaires…
Tiens ! Un courant d'air passe entraînant avec lui
L'arôme du café, mes narines frémissent
À mon plus grand plaisir, je lève le museau
Et rend un doux sourire à celui du barman.

Un solitaire itou au buste pivotant,
Balaie de son regard l'alentour tamisé.
Il a l'air de chercher un visage plaisant
Tandis que la télé diffuse ses images,
Qu'à ma gauche une femme avec son plat se bat,
Essayant d'associer mangeaille et discussion
En gardant cependant, toujours vide la bouche.

C'est un endroit bondé, l'un des seuls de la ville
Dont sur l'heure tardive on voit des cheveux blonds,
Bruns ou crânes chenus.
…Des têtes que je n'ai jamais vues.
 


________

 

L’approche

 

D’abord ils s’adressèrent quelque parole amie
Puis vinrent les regards hâtivement volés.
Peu à peu ils ne se quittèrent plus des yeux,
Tous les deux captivés par la contemplation,
S’adressant de timides sourires séducteurs
Avec un rien de gène peut-être, de pudeur…
Leur silence encombrant devînt insupportable
Aussi, nerveusement fit- il buter son pied
Contre la ronde table de ce bistrot feutré,
Frôlant certes la fille et la faisant rougir.
Confus, déconcerté, il demanda pardon
Pour cette maladresse, cet acte involontaire
Mais avec un sourire elle lui prit la main
Et devînt tout à coup sa complice muette.
Ils se rapprochèrent, synchrones, lentement,
Dissipant toute trace de malentendu,
Se parlant à l’oreille pour que nul n’écoutât
Leurs paroles soudain transformées en mystère.
Après être sortis, je les vis côte à côte
Vaciller un instant dans la force enivrante
De leur amour naissant, s’éloignant dans la rue
Déserte d’un dimanche, jusqu’à dissolution
Complète de leurs corps à l’angle d’un trottoir.

 

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Propos à un ami

 

Tu brûles ta vie par les deux bouts
Surtout en ton for intérieur, jusqu'à la lassitude.
Tu as quitté ta ville depuis trop longtemps
Pour refaire le chemin inverse,
Tu t'es fondu ici, dans cette masse étrangère
Où tu n'as plus guère le goût de construire
Quelque chose qui te tienne à cœur.
D'ailleurs, qu'est - ce qui pourrait te plaire ?
Il te faudrait beaucoup d'argent,
Mais pour en gagner, on fait comment ?
Y a plein de gens qui essaient tout l' temps
Et qui s'y cassent aussi les dents.

Bien sûr, il te faudrait partir ;
Pour aller où ? Là, c'est le hic ;
Te jeter dans la gueule du loup
En recherchant le paradis ?
Ici au moins, tu es logé,
Même si tous tes sous y passent
Un' fois tes quittances payées,
C'est vrai qu' il n'en reste pas masse,
Juste un peu pour pouvoir manger
Au moins un vrai repas par jour
Et faire un flippe dans un café
Oui mais l'hiver, t'es bien chauffé
Ça va ! Pourvu qu' ça dure toujours.
Pour le reste, quand tu te dis
Que tu ne sers plus à grand chose,
Reprends tes billes, ton balluchon
Va-t-en sur les routes du monde
Avec ta gratte, tes chansons,
Ouais …
C'est plus d' ton âge t'as raison
Mais je sais que quand l'orage gronde, il gronde.

 

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La fille au troquet



Dans le fracas infernal qui l’environne, tout ébahie, elle attend.
Suspendue à l’horloge qui court, elle attend.

Elle attend le moment d’une simple rencontre et puis
Cette copine qui se fait désirer.
Peut-être n’aura-t-elle pas envie de sortir ?
Dehors il fait si froid.

Par la vitre elle observe le soleil parlant avec la lune
Dans un dialogue simple, silencieux et complice.
Baladant son regard de l’un à l’autre ainsi,
Contemple ces parents, les plus âgés du monde
Comme jamais ne les vit.
Son esprit la transporte alors sur la montagne
Où seul le vent du Nord l’accueille en ses bras froids.
Il faut dire qu’ici bas on s’occupe, on s’affaire.

Dix huit heures.

Et ce rayon de vie offert par le soleil
Vient égayer son âme, la rend même joyeuse.
Elle pense à tout ça en regardant sa montre.

Son rêve ?
Il est grand comme la lune qui veille sur le monde
A la tombée du jour.
Elle, attend son amant et ses joies s’impatientent
Et son cœur se lamente quand elle y pense trop.

Elle aimerait sortir de cette vie stagnante, lancinante,
Qui ternit son royaume et le change en tombeau ;

Dix huit heures trente.
C’est sûr, la fille ne viendra pas.
Elle se sent transparente au milieu de ces hommes
Qui semblent l’ignorer.

Ses dernières lueurs de jeunesse, elle les offre à la nuit
Dans ses moments de veille et de prière aussi.
Parfois même en son âme, sa voix vient la trahir
Pour défendre son droit, conserver tout l’espoir
Qui la maintient en vie et ça choque le monde.
Alors elle se sent seule sans la main de quelqu’un
Posée sur son épaule,
Comme tant d’autres gens qui tombent dans l’oubli ;
Pareille à cette amie qui n’est pas là ce soir.

Bah ! Comme on dit : C’est la vie !

 

*
 

LP

 

 

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