Accueil

Retour à
Lectures



Extraits de
"Réflexions du comédien"

de Louis Jouvet

Du théâtre classique au théâtre libre
[...] Etrange liberté de ce théâtre libre conquise par des décors qui voulaient être vrais, munis de vraies portes et de vraies fenêtres, ornés de vrais végétaux, meublés de vrais animaux. L'art consistait à répandre une pluie véritable sur la scène [...].
C'est la période de la "tranche de vie".
Amoindrissement du spirituel, mort de l'imagination et du merveilleux, avilissement du langage, tels sont les caractères du théâtre de cette époque.
Cette merveilleuse convention théâtrale que nous avaient léguée les classiques, dépouillée de sa magie, abandonnée par la poésie, semble à jamais perdue. [...] L'acteur n'animait son personnage qu'afin de permettre au public de se donner l'âme d'un voyeur. [...] Le théâtre venait de perdre sa vérité au profit d'une exactitude et d'une vraisemblance qui allaient tuer et abolir à jamais la vraie illusion du théâtre. Le règne du spirituel s'achevait: le Théàtre Libre annoncé par la photographie était l'ange annonciateur du cinéma.[...]
Si le théâtre d'aujourd'hui tend vers quelque chose, c'est vers une vie où le spirituel paraît avoir reconquis ses droits sur le matériel, le verbe sur le jeu, le texte sur le spectacle. C'est vers une convention dramatique faite de poésie, de grâce et de noblesse.[...]

Problèmes du théâtre
Il n'y a pas, au théâtre, des problèmes, il n'y en a qu'un: c'est le problème du succès. Il n'y a pas de théâtre sans succès. Si l'on veut y réfléchir, cette affirmation me semble d'une suffisante importance pour faire passer au second plan toutes les autres considérations. La réussite est la seule loi de notre profession. [...]

[...] je voudrais pouvoir décrire le succès au théâtre; ce paroxysme de la représentation, cette effusion d'où naît le tumulte de l'applaudissement, ce moment dramatique où une même âme saisit et cristallise tout d'un coup la salle entière, par une magnifique et miraculeuse contagion -cette unanimité qui fait communier les êtres les moins choisis et les plus réfractaires à ce mélange- dans une même idée, ou un même sentiment, avec une reconnaissance dont la chaleur nous exalte et nous comble.[...]

Une pièce, ce jeu d'un soir, est une conversation entre l'auteur et le public, une sorte de proposition spirituelle offerte et reçue ou refusée. C'est sur cette convention partagée ou rejetée qu'il importe d'abord de s'entendre et de faire un choix, pour l'auteur qui écrit la pièce, pour les acteurs qui la jouent et pour le public qui va l'entendre. [...]


Le metteur en scène:
[...] Jardinier des esprits, médecin des sentiments, horloger des paroles, accoucheur de l'inarticulé, ingénieur de l'imagination, cuisinier des propos, régisseur des âmes, [...] on a cent fois tenté de le définir, mais il est indéfinissable, car ses fonctions sont indéfinies. Tout amour et toute tendresse pour ceux qu'il a choisis ou pour l'oeuvre qu'il travaille, son souci est seulement de voir poindre, en se haussant, cet au-delà miraculeux qui s'exprime par la réussite. [...]

Mettre en scène, c'est gérer les biens spirituels de l'auteur, en tenant compte des nécessités temporelles du théâtre.
C'est se placer du point de vue d'un soir et du point de vue de l'éternité.[...]

Extraits tirés de
Réflexions du Comédien
de Louis Jouvet
Editions de la Nouvelle Revue Critique
1938


Hosted by www.Geocities.ws

1