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Extraits de
"Louis Jouvet: Qui êtes-vous?"

Paul-Louis Mignon


Jouvet, directeur de théâtre
[Il apporte à la direction de théâtre] l'exigence artistique et morale qui l'a toujours guidé, et la détermination, à ses yeux naturelle, de subordonner tout, vie, intérêts, sentiments, et ceux -pour l'essentiel- des collaborateurs dont il s'entoure, à l'oeuvre à accomplir. Le compagnonnage n'est pas toujours facile.
Il est marqué toutefois par la fidélité de ceux qui y participent, répondant à celle de l'animateur pour sa troupe: la personnalité de celui-ci, les objectifs qu'il propose établissent les liens entre eux. La troupe est une manière de "famille". "C'est même, à ma connaissance, précise-t-il, la plus parfaite réalisation de la famille", jusque dans "les irritations, les jalousies, les fatigues et les querelles toutes pleines d'affectueuse tendresse dont est faite la vie quotidienne d'une troupe de théâtre".[...]

[...] Le succès n'est pas affaire d'argent, mais de justification de l'entreprise, de liens confortés avec le public. L'argent n'est que le moyen d'assurer la continuité du travail. [...]

[...] Quand Jouvet tourne pour le cinéma, ses cachets aident à favoriser la marche d'une exploitation qui, quelles que soient les difficultés financières, rassemble toujours les conditions artistiques et techniques, musique, décors, machinerie, costumes, interprètes, capables de servir chaque pièce avec éclat.[...]

[...] Les décors font image, non ornementation ni divertissement; par leur économie rigoureuse, leur pouvoir expressif, sont-ils si éloignés du dispositif du Vieux-Colombier? Quand Jouvet fera appel à Cassandre, à Christian Bérard, à Pavel Tchelitchew, leur génie décoratif s'accordera toujours a cette rigueur, dans une stricte subordination aux nécessités de l'expression dramatique.[...]

[...] L'attention apportée au moindre détail, le souci de frapper l'imagination par une invention nécessaire rendent Jouvet extrêmement exigeant. De jour en jour, il réclame de nouvelles propositions, des modifications de maquettes, longtemps insatisfait. Si besoin est, il change de décorateur en cours de répétition.[...]

[...] La tonalité des lumières, ses variations, ses éclats ou ses nuances, les passages insensibles de l'une à l'autre permettent sans doute de susciter des vibrations dans la sensibilité du spectateur, qui rejoignent celles du texte. C'est une autre forme de musicalité. L'appréhension globale de l'univers théâtral conduit Jouvet à y inscrire les sons, les bruits, la musique. Commentant sa mise en scène d'Amphitryon 38, il remarque que, s'il n'a pas introduit de musique, on entend "un rossignol qui chante, une foule qui appelle, une armée qui part. J'ai essayé de "sonoriser" aussi certains moments de la pièce". Ses notes encore pour Intermezzo présentent un inventaire de bruits: "chants d'oiseaux (et pas n'importe lesquels: alouettes, merles, pinson, rossignol); cloches de vaches, horloge de village, cornes d'appel de berger, froissement de branches", toutes notations sonores qui ne débouchent pas sur un réalisme, mais s'intègrent à la poésie de l'ensemble. Plus généralement, Jouvet associe un compositeur à la création: Georges Auric, Francis Poulenc, Maurice Jaubert, Vittorio Rieti, Darius Milhaud et, à cinq reprises, Henri Sauguet. Brèves fanfares, airs de danses populaires d'Electre, chansons de Tessa, ou ponctuations soulignant par exemple la réplique "le petit chat est mort" - une manière de respirer. [...]


[...] Il se reconnaît lent, mais la lenteur est déterminée par la difficulté d'approcher la vérité d'une oeuvre et par la méthode de travail qu'elle impose. [...] Il n'est jamais assez de temps pour donner le meilleur. [...]


Extraits tirés de
Louis Jouvet: Qui êtes-vous?
Paul-Louis Mignon
La Manufacture
1988


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