Accueil

Retour à
Lectures



Extraits de
Louis Jouvet et le théâtre d'aujourd'hui
Claude Cézan

Jouvet, metteur en scène
[...] La soumission avec laquelle il sert un texte, sans que rien dans sa mise en scène ni dans son jeu personnel risquent d'en fausser la pensée ni d'en détruire l'effet, lui confère dans la même mesure le droit, le devoir de le choisir et de le préférer.[...]
"Sa méthode, explique Edouard Bourdet, ne consiste pas à jouer une pièce déterminée, mais un auteur, à ne pas miser sur l'oeuvre en particulier, mais sur l'oeuvre en général d'un écrivain en qui il croit et qui, selon son expression, 'a quelque chose à dire'"[...]

[...] De ce plateau à nouveau séparé de la salle, Jouvet ne masquera pas les défauts, au moyen de ces mystérieux clairs-obscurs qui, ailleurs, parfois, établissent heureusement la pièce dans une ambiance donnée... Il l'inonde de la lumière crue des réflecteurs impitoyables qui, mieux encore que le jour, accuse brutalement la plus infime erreur. Ce courage, cette audace sont les premiers effets de ce souci de la perfection scénique, si caractéristique de Jouvet.
Donc, dans le cadre où se meut l'action, rien de camouflé. Il n'y a pas là plus de toc que de truquage: nul souci de "l'effet".[...] La gageure des mises en scène de Jouvet est précisément qu'elles approchent la réalité sans toutefois se départir de ce style de qualité qui leur est propre. Jouvet stylise vrai. Dans ses compositions, rien d'hermétique ou de symboliquement obscur qui étonne le regard du non-initié et désaxe, pour ainsi dire, avant que la pièce commence, le plaisir qu'il prendra à l'écouter. [...]

Jouvet, acteur comique
[...] C'est dans la comédie que le talent de Louis Jouvet s'exprime et se déploie le plus librement. [...] s'il fallait définir le comique de Louis Jouvet, je dirais qu'il est fait d'humour et qu'il dépasse toujours même quand il est le plus truculent et le plus gros, la farce gauloise.
C'est pourquoi ce Breton d'occasion qu'est Louis Jouvet devait sentir et exprimer sans contrainte, avec toute la raideur voulue, un peu à l'anglo-saxonne, l'ironie brutale et glacée du docteur Knock. C'était le cadre parfait, le rôle nécessaire à sa drôlerie mordante, toujours un peu lointaine, comme métallique et dont on n'est pas sûr qu'il se distrait lui-même.[...]
Il y a toujours dans les facéties de Jouvet, dans son accent, dans sa mimique, quelque chose de désabusé...
Si une profonde sensibilité se cache sous ces apparences de froideur voulue, reconnaissons qu'elle s'y cache bien. [...] Mais il est une qualité d'émotion que [le public] perçoit toujours, malgré ou en raison même de sa discrétion. Ces grands facteurs de nuance qui sont non l'accent mais l'inflexion de la voix, non le geste, mais le plus subtil détail de la mimique, voilà qui nous rassure sur la sensibilité de Jouvet. [...]

Jouvet au cinéma:
[...] Cependant le véritable handicap du cinéma [...] c'est qu'il n'y a pas de présence. C'est loin des acteurs dont le geste, le regard et la voix sont déjà définitivemnt fixés sur la pellicule - et sans qu'ils puissent continuer d'y coopérer davantage - que le monteur, d'un coup de ciseaux expérimenté, taillade dans le vif cet élément essentiel de la mise en scène, sacré pour un homme de théâtre, le rythme.[...]
C'est dans un isolement plus étrange, plus paradoxal, plus total encore, que l'acteur doit situer son personnage, faisant abstraction complète de tous ces êtres qui de trop près l'entourent et qui, pour respectueux, pour compréhensifs qu'ils restent de son jeu, n'en sont pas moins l'encombrante négation de ce public futur, ignoré, absent qu'il n'a même pas le loisir d'évoquer ou d'oublier, selon les réactions de sa sensibilité.[...]

[...] La pellicule est bonne ménagère: rien ne se perd, rien ne lui échappe des subtiles nuances que l'oeil ne perçoit pas toujours, à la scène, sur ses traits apparemment inexpressifs et impassibles. L'appareil du son capte les inflexions de sa voix. La caméra detaille le cillement de sa paupière, l'ironie de son sourire, les intentions à peine indiquées de son port et de sa démarche. Tout cela qui ne passait pas, aux yeux de tous, la rampe, domine ici l'action, centre l'intrigue, crève l'écran.
Quelque chose de direct, de franc, d'humain émane au travers de tous les masques dont on se plaît, dans tous les films, à l'affubler.[...]

Extraits tirés de
Louis Jouvet et le théâtre d'aujourd'hui
Claude Cézan
Editions Emile Frères
1948


Hosted by www.Geocities.ws

1