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Extraits de Le Soleil et les Ombres Jean-Pierre Aumont Cr�ation de La Machine Infernale de Jean Cocteau: Aumont interpr�te Oedipe en 1934 � la Com�die des Champs-Elys�es [...] Pendant les r�p�titions, Jouvet m'avait rabrou�, rudoy�, tortur�. Le soir de la g�n�rale, quand je sortis de sc�ne, apr�s ma rencontre avec le Sphinx, les applaudissements cr�pit�rent longuement. En coulisse, Jouvet v�rifiait les �clairages. Je me plantais devant lui, attendant un compliment. Il faisait semblant de ne pas me voir. Je ne comprenais pas. J'�tais l�, haletant, esp�rant un mot. Les applaudissements continuaient. Il s'obstinait � ignorer ma pr�sence. n'y tenant plus, je lui saisis le bras, et lui criai: -Alors? Il me regarda enfin, et me r�pondit, tout doucement: -Alors, mon petit gars, t�che de refaire tous les soirs consciemment, ce que tu as fait ce soir, inconsciemment. Entre le troisi�me et le dernier acte, il y avait un changement � vue, et je n'avais gu�re de temps pour me coller une barbe et me vieillir de vingt ans. C'�tait Jouvet qui me servait de maquilleur. Lui encore qui m'engluait les joues d'h�moglobine quand Oedipe rentre en sc�ne, apr�s s'�tre crev� les yeux. La soir�e s'acheva sur un triomphe. Oubliant mon costume, ma barbe, mes yeux crev�s, le sang qui ruisselait sur mon visage, la trag�die que nous venions de jouer et l'�motion des spectateurs, je saluai en souriant de toutes mes dents. "Ne souris pas, imb�cile", me souffla Jouvet. C'est environ deux ans avant La Machine Infernale que je m'�tais pr�sent� � Louis Jouvet. A cette �poque, il jouait Amphitryon 38 � la Com�die des Champs-Elys�es. Sur la pointe des pieds, je m'aventurai dans le r�duit attenant au plateau. Par bouff�es, la musique de Giraudoux parvenait jusqu'� moi. [...] J'attendais, immobile, envo�t�, combl�. Je comprenais que ces sortil�ges, ces textes, cette lumi�re et cette p�nombre seraient � jamais mon univers, ma joie, ma vie. Jouvet sortait de sc�ne. Tout �tait bleu en lui. V�tu de la cape et du bonnet de Mercure, l'oeil plus bleu encore que son costume, souriant avec ironie mais aussi d�j� avec tendresse, il me tutoya avant de me dire bonjour: -Qu'est-ce que tu travailles en ce moment? -On ne badine pas avec l'amour... vous savez... d'Alfred de Musset. -Pourquoi pas! Et qu'est-ce que tu penses de Perdican? Je perdais pied, j'avais pr�par� un discours pour lui dire mon estime et mon admiration, mon d�sir aussi de travailler avec lui, et voil� que, sautant toutes formules de politesse, il me demandait � br�le-pourpoint ce que je pensais de Perdican! J'�tais incapable de r�pondre. J'�tais riv� � l'oeil bleu de Jouvet, j'avais envie de pleurer, il encha�na: -Je vois... Tu ne penses pas grand chose de Perdican, �a ne fait rien mon p'tit gars, �a ne fait rien, reviens me voir demain. Le lendemain, il nous engagea, Janine Crispin et moi, pour jouer avec sa troupe Le Prof d'Anglais de R�gis Gignoux. Ah! comme je l'aimais d�j�! Vingt ans plus tard je l'appelais encore "Monsieur". Lui continuait � m'appeler "mon Jean-Pierre qui ressemble tant � mon Jean-Paul" (Jean-Paul �tait son fils, plus jeune que moi de quelques ann�es). Je lui disais "vous", et il me tutoyait, je lui t�moignais de la d�f�rence, et il me flanquait des claques. [...] Extraits de Le Soleil et les Ombres Jean-Pierre Aumont Laffont 1976 |