Leur intérêt pour l'histoire des Arméniens du Levant.
(texte publié dans l'Eglise Arménienne, Paris, janvier 1999)
L'Eglise Saint-Polycarpe à Smyrne était la " chapelle royale et consulaire de France, et paroisse des François et autres catholiques ".
Des registres paroissiaux de St-Polycarpe, il ne nous reste que celui concernant la période 1782-1787 qui a été conservé aux Archives de la Chambre de Commerce de Marseille. Les autres registres ont été détruits lors de l'incendie de la ville de Smyrne par les troupes d'Ataturk en 1922. Le registre 1782-1787 s'est retrouvé à Marseille suite à une ordonnance du 3 mars 1781 imposant le dépôt à Marseille des actes de l'état-civil des Français du Levant. Si ce document n'est pas resté inconnu des historiens de la France au Levant, son intérêt pour l'histoire arménienne n'avait, à ce jour, jamais été souligné.
Bien que portant sur une courte période, cinq ans, nous avons pu relever une dizaine d'actes concernant des Arméniens.
Certains actes sont des actes concernant des couples " mixtes ". Bien que trois ordonnances royales de 1716, 1726 et 1728 interdisaient aux Français de se marier avec des " filles & veuves nées sujettes du Grand Seigneur ", les mariages franco-arméniens étaient fréquents à Smyrne à la fin du XVIIIe siècle. Il semble en effet qu'à cette époque les consuls de France à Smyrne ait montré une certaine tolérance sur l'application de ces vieilles ordonnances.
Un des mariages franco-arméniens dont il nous reste l'acte est celui de Guillaume Jean Pagy, fils du Français Gabriel Pagy qui épouse Perpetua Carapetents (c'est-à-dire Garabedian), fille de Manouk Carapetents et veuve de Baptista Yergane. C'est la deuxième union de la famille Pagy avec des Arméniens. En effet, une autre fille de Gabriel Pagy, Claire épousait quelques années auparavant l'Arménien Jean Mouradgea, ancien dragoman du consulat suédois à Smyrne et père du célèbre chevalier Ignatius Mouradgea d'Ohsson . C'est la raison pour laquelle nous trouvons sa signature en bas de l'acte de mariage comme témoin. Si celle-ci est en français, sur d'autres documents conservés aux Archives de Suède, il signe en arménien Hovhannes Mouradgeayan .
Mais tous les actes relevés ne concernent pas uniquement des familles mixtes. Certains ne concernent que des familles arméniennes.
Il faut savoir en effet qu'à la fin du XVIIIe siècle, la Sublime Porte n'avaient pas encore reconnu l'Eglise arménienne catholique (créée au Liban en 1740), et les Arméniens catholiques n'avaient pas de lieu de culte propre. Il leur était interdit de fréquenter les églises catholiques romaines et devaient fréquenter les églises arméniennes apostoliques. Toutefois, certains Arméniens obtinrent des ambassades européennes une protection diplomatique qui leur permettait notamment de fréquenter les églises catholiques romaines des " Francs ". Les protégés européens étaient, soit des employés de consulat (commis ou dragomans) soit des barataires. Le barat était un diplôme de protection qui s'obtenait moyennant finances. Il se vendait très cher et seuls les riches négociants pouvaient se l'offrir. La protection la plus recherchée par les Arméniens catholiques était celle de la France, protectrice traditionnelle des catholiques d'Orient.
Nous avons retrouvé six actes de baptême d'enfants d'Arméniens protégés français. Ces Arméniens, qui parlaient très bien français ou italien, ont presque tous signés en arménien, montrant que leur appartenance à l'église latine ne leur faisait pas renier leur origine nationale. Il est piquant de noter que la plupart des signatures sont prestigieuses.
En premier lieu, nous remarquons la signature en arménien d'Agop Balladur, père d'André Balladur.
André Balladur est marié avec Barbe Issaverdens, issue d'une famille arménienne qui sera quelques décennies plus tard anoblie par l'empereur austro-hongrois, et qui fournira aux Mékhitaristes de Venise un des ses plus grands historiens, le Père Jacques Issaverdens.
Nous trouvons la signature de membres d'une autre famille arméno-levantine apparentée aux Issaverdens, la famille Missir, dont le représentant actuel Livio Amadeo Missir, haut-fonctionnaire européen, a publié la généalogie .
Nous trouvons également la signature de Bedros Pamboudji-oglou, négociant de Tocat, dont on aura mention quelques années plus tard comme étant " l'Arménien de l'empire le plus riche en propriétés foncières " .
Les noms de familles moins sont mentionnés dans les actes. Citons celles des marchands Meguerditch (originaire de Perse) et Azaria. Ils ont gardé de leur négoce avec l'Italie (Venise, Trieste, Livourne) l'habitude, bien que signant en arménien, de se nommer à l'italienne : Giovanni di Meguerditch, Manouk di Azaria, etc…,
Nous désirons livrer au lecteur l'intégralité de huit actes retrouvés et retranscrits par nos soins.
f°1 v.
L'an de Notre Seigneur 1782, le 4 juin, je soussigné Fr(ère) Laurent de Douay, cap(ucin) sup(érieur
et curé de la paroisse de St Polycarpe de Smirne, certifie qu'après la publication du premier et
dernier ban, les deux autres ayant été accordés par le révérendissime Père Julio vicaire apostolique de Smirne
et n'ayant trouvé aucun empêchement légitime, j'ai joint en mariage et reçu le mutuel
consentement du Sieur André Laguerre, français d'origine, fils de Joseph Laguerre et d'Anne
Lakiateji, (d'une part) et d'Aneta Pangali fille de Saradi Pangali et de Thérèse Dalet,
de l'autre, en foi de quoi j'ai signé le présent acte.
f°2 r.
L'an de Notre Seigneur 1782, le 2 juillet, je soussigné Fr(ère) Laurent de Douay, cap(ucin) sup(érieur) et curé de la paroisse de St Polycarpe de Smirne,chapelle royale et consulaire de France, paroisse des François er autres catholiques, certifie avoir baptisé un garçon né le 30 de ladite année en légitime mariage
de François Montagu, péruquier françois et de Corepsima (Hripsimé?) de Joannis Alagian,
ses père et mère. Le parrain a été Pierre Negret et la marraine Anna
di Dominico, lesquels ont imposé à l'enfant nom Jean Pierre, en foi de quoi
j'ai signé le présent acte.
f°12 r. et v.
L'an de Notre Seigneur 1785, le douzième
novembre, je soussigné Fr. P(ierre) Polycarpe de Smirne, cap(ucin) miss(ionnaire) sup(érieur) et curé
de la paroisse française de St Polycarpe, chapelle royale et consulaire
de France, certifie qu'après avoir eu la dispense des trois bans accordée
par le révérendissime Père Jules d'Ameno, vicaire apostolique de cette ville de
Smirne et n'ayant trouvé aucun empêchement légitime
j'ai joint en mariage selon la forme prescrite par le St Concile de Trente
et en présence des témoin soussignés, Sieur Guillaume Jean
Pagy, natif de cette ville de Smirne, fils légitime de Sr Gabriel Pagy,
Français établi ici, et de dame Mariette Pateraki, avec
dame Perpetua Yergane-Carapetents, veuve de feu Sr Baptista
ïergane et fille légitime de feu Sr. Manouk Carapetents et dame
Calista Baguergy, après avoir reçu leur mutuel
Consentement en foy de quoy, j'ai fait et signé le présent acte
A Smirne, les jour, mois et an que dessus.
f°14 r.
L'an de notre seigneur 1786, le 14 juin, je soussigné Fr. P. Polycarpe de Smirne,
cap(ucin) miss(ionnaire) apos(tolique) et curé de la paroisse française de St Polycarpe
chapelle royale et consulaire de France, certifie avoir baptisé un enfant
Né le 11 du courant, en légitime mariage de Sr André Baladour
de Smirne, barataire protégé de France et de dame Barbe
Baladour née Issaverdens, le parrain a été le Sr Thomas
Issaverdens et la marraine Cexessima (Hripsimé ?) Baladour qui ont
imposé à l'enfant le nom de Pierre, en foy de quoy j'ai fait
et signé le présent acte les jour, mois et an que dessus.
f°15 v.
L'an de Notre Seigneur 1786, le 14 septembre, je soussigné Fr. P. Polycarpe,
cap(ucin) miss(ionnaire) apost(olique) sup(érieur et curé de la paroisse française de St
Polycarpe, chapelle royale et consulaire de France, certifie que le R.P.
Pierre François d'Albenga dans l'état de Gênes a baptisé
un enfant né le 12 du courant en légitime mariage
Du Sr Pierre Pambouthoglou de Tocat négociant, barataire de
France et de dame Elisabet aussi de Tocat, le parrain a été
Mardiros de Serkis Kelergi-oglou de Tocat, et la marraine Dame
Thomas Matos qui ont imposé à l'enfant le nom de Paul, en
Foy de quoy j'ai fait et signé le présent acte.
f°16 r.
L'an du Seigneur 1786, et le10 octobre , je soussigné fr. P. Polycarpe
de Smirne, cap(ucin) miss(ionnaire) apost(olique) sup(érieur) et curé de la paroisse française de St
Polycarpe, chapelle royale et consulaire de France, certifie
avoir baptisé un enfant né le premier du courant en légitime
mariage du Sr Emmanuel de Merkedits, marchand
persan, barataire de France et de dame Aneta de Mechitar
le parrain a été le Sr Baptista de Zacharia et la marraine
Dlle Rosa de Giovani qui ont imposé à l'enfant le nom
Estienne, en foy de quoy j'ai fait et signé le présent acte
les jour, mois et an que dessus.
f°17 v.
L'an de Notre Seigneur 1787, et le sixième
février, je soussigné Fr. P. Polycarpe de Smirne, cap(ucin) miss(ionnaire) apost(olique)
et curé de la paroisse française de St Polycarpe chapelle
royale et consulaire de France, certifie avoir baptisé , une
fille née le 4ème du courant, en légitime mariage de
Sr Jacob Abraham Missir et de Dame Catherine Abraham
Missir, née Issaverdens, le parrain a été le Sr Jérémi Abraham
Missir et la marraine Anne Abraham Missir
qui ont imposé à l'enfant le nom de
Marie, en foy de quoy j'ai signé le présent acte
les jour, moi et an que dessus.
f°18 r.
L'an du Seigneur 1787, et le 29ème may , je soussigné fr. P. Polycarpe de Smirne
Cap(ucin) miss(ionnaire) apost(olique) sup(érieur) et curé de la paroisse française de St Polycarpe
chapelle royale et consulaire de France, certifie avoir
baptisé une fille née le vingt septième du courant en légitime
mariage du Sr Zacharie de Mecherdir de Smirne, barataire
et protégé de France et de dame Antonia de Zacharie de Smirne,
ses père et mère, le parrain a été le Sr Thomaso de joannes et
la marraine Anneta di Michitar qui ont imposé à l'enfant
le nom de Gracia, en foy de quoy j'ai fait et signé le présent acte