(THE MONK DENYS THE LITTLE AND THE YEAR 2000)
Comme tout le monde le sait maintenant, le deuxième millénaire ne commencera que le 1er janvier 2001. Mais ce que l'on sait moins, c'en est la raison. Et celle-ci est surprenante : c'est un Arménien qui en a décidé ainsi : le moine Denys, dit le petit, qui vivait à Rome au début du VIe siècle. Denys était très renommé pour ses ouvrages de droit canonique et ses nombreuses traductions en latin d'œuvres grecques, dont le fameux Tome aux Arméniens du patriarche de Constantinople Photius. En 531, Denys établit un nouveau calendrier : il calcula l'année de la naissance du Christ et nomma cette année-là, l'an 1 de l'ère chrétienne. Il n'y a donc pas eu d'année zéro… car la notion de zéro n'existait encore pas à cette époque. L'humanité est théoriquement passée de l'an -1 à l'an +1; ce qui fait commencer les décennies, les siècles et les millénaires, les années finissant par 1. Ce calendrier fut approuvé par le pape Jean II en 533.
Concernant le calcul de l'année de naissance du Christ, il semblerait que Denys se soit trompé : le Christ serait né six ou quatre années auparavant soit en l'an 6 ou 4 avant J.-C! C'est donc à cause ou grâce à cet Arménien que nous n'avons pas fêté l'an 2000 en 1994 ou en 1996. La planète aura eu quelques années supplémentaires pour se préparer au "bogue" de l'an 2000.
L'ascendance arménienne de Denys est souvent méconnue. D'autant plus qu'il n'était pas originaire d'Arménie mais de la province romaine de Scythie, ce qui a créé une confusion chez les historiens: originaire de Scythie, Denys n'en était pas pour autant d'origine scythe. Une telle origine serait pour le moins anachronique. Pour mémoire, les Scythes vivaient dans les steppes entre 700 et 100 avant l'ère chrétienne! La province romaine de Scythie, l'actuelle Dobroudja (entre la Roumanie et Bulgarie), conservait son nom antique mais celui-ci ne correspondait plus avec sa réalité ethnique. Dans cette province romaine, il y avait, dès cette époque, une colonie d'Arméniens sujets byzantins. Cette colonie fut renforcée lorsque l'empereur Justinien installa dans cette région des soldats arméniens chargés de défendre les frontières de l'empire menacées par les envahisseurs asiatiques, les Avars, et par les Slaves. La véritable origine arménienne de Denys n'a pas échappé à des dictionnaires comme Théo, l'encyclopédie catholique pour tous (Fayard) ou le Dictionnaire culturel du christianisme (Cerf, Nathan).
Comme nul n'est prophète dans son pays, l'Eglise arménienne, n'a pas retenu le calendrier de Denys. L'Eglise arménienne réunie en concile à Dvin, en 552, décida de se séparer de l'Eglise universelle gréco-latine et, dès lors, de faire commencer l'ère arménienne cette année-là. Nous sommes donc en 1448 de l'ère arménienne. L'usage de ce calendrier pour dater les actes de l'Eglise arménienne s'est maintenu jusqu'au XIXe siècle. Il est toujours officiellement en vigueur.
Enfin, un autre moine arménien s'est intéressé au calendrier: le mékhitariste de Venise, Gabriel Nahapetian, dans les années 1911-1915, proposait une réforme afin d'égaliser la durée de chaque mois. Son nom est cité dans l'encyclopédie française Quid (Robert Laffont); le Quid qui, par ailleurs, et comme le dictionnaire Le Petit Robertattribue une origine scythe à Denys. Une correction s'impose.
Guillaume Arabadjian