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Le 29 juin 1864, Belœil fut le théâtre de l’accident ferroviaire le plus
meurtrier de l’histoire du Canada. Quatre-vingt-dix-neuf personnes y trouvèrent la
mort dont quatre-vingt-dix-sept immigrants et deux employés de la compagnie de chemin de
fer le Grand Tronc.
Le 28 juin 1864, dans un vaste hangar, non loin de la gare de Lévis, 467 immigrants
attendent l’heure du départ d’un train spécial qui doit les conduire
jusqu’à Montréal. En période d’immigration intense des Européens vers
l’Amérique, Québec était l’un des principaux ports d’entrée aussi bien
pour le Canada que pour les États-Unis. Le Grand Tronc transporte à l’intérieur du
continent des milliers d’immigrants et il manque de personnel
et de
matériel roulant. La compagnie de chemin de fer dut prendre la décision d’aménager
des wagons de marchandises en voitures pour passagers.
Parti de Pointe-Lévis le train se dirige vers Richmond, centre ferroviaire important des
Cantons de l’Est. Richmond était le lieu où l’on replaçait la locomotive et
l'équipage. L’ingénieur qui étais aux commandes de la lococmotive jusqu’à
Montréal avait été promu ingénieur régulier la semaine auparavant. C’est avec
une certaine inquiétude qu’il prend les commandes de la locomotive, surtout que pour
une première fois il tirait un train de voyageurs et non de marchandises.
Une fois arrivé à Acton, le convoi s’arrête pour faire le plein d’eau et de
bois. Arrivée à Saint-Hyacinthe, on demande au conducteur du train de s’immobiliser
sur la voie d’évitement pour en laisser passer un autre. Le prochain arrêt :
Saint-Hilaire. Tout ingénieur expérimenté sait qu’une fois rendu à cet endroit,
on doit faire attention car, au-delà de la gare, la voie comporte plusieurs
particularités. Avant d’enjamber le Richelieu, la voie ferrée vire à droite en
même temps qu’elle descend vers le pont. Le règlement du chemin de fer stipule que
les trains doivent faire un arrêt complet avant de s’engager sur le pont.
La nuit du 29 juin 1864, alors que le pont tournant était ouvert pour laisser passer un convoi de barges, le nouvel ingénieur qui ignore la consigne de l’arrêt obligatoire ne tient pas compte du fanal rouge et s’engage sur le pont. Il s’ensuit un fracas infernal : le train s’engouffre dans le vide. Les wagons empilés les uns sur les autres s’entassent dans le lit de la rivière. Témoin de ce qui vient d’arriver, l’assistant avise son supérieur, le chef de gare et gardien du pont. Immédiatement, on demande de l’aide de Montréal. Une équipe de secours est dépêchée sur les lieux. Durant toute la nuit et le jour suivant, une partie de la population locale aide les victimes à sortir de leur fâcheuse position. La nouvelle du désastre se répand comme une traînée de poudre. Informée par les journaux, une foule de curieux s’amène sur les lieux de l’accident. Un drame d’une ampleur aussi considérable était chose rare à l’époque.
Au lendemain de la tragédie s’ouvre l’enquête du coroner. Ce dernier
assisté des membres du jury se rend à Belœil. Après un certain temps, les jurés
se font une idée assez précise de l’accident. Au même moment, plusieurs rescapés
reviennent sur les lieux afin d’identifier leurs morts. Cette délicate tâche prend
beaucoup de temps vu les circonstances et le manque de cercueils sur place.
Le 12 juillet 1864, le jury rendait son verdict : Les victimes ont trouvé la mort suite
au fait qu’ils ont été précipités avec la locomotive et le convoi de wagons dans
la rivière Richelieu à l’endroit du pont tournant près de la gare de Belœil.
L' ingénieur qui conduisait la locomotive est tenu responsable de l’accident. Le
manque d’expérience et de connaissance de la voie ferrée et de sa signalisation est
consigné dans le jugement. On reproche aux gardiens du pont de ne pas avoir
signalé à la compagnie le non-respect de l’article 24 du règlement qui stipule que
tout train est tenu de s’immobiliser complètement, avant d’entreprendre le
pont. Dès que le verdict fut rendu public, une violente controverse éclata à
l’encontre de la décision du jury. La presse s’empara de l’affaire qui fit
couler beaucoup d’encre. La controverse dura longtemps et laissa des souvenirs amers.
L'ingenieur fut condamné à une peine de dix ans de prison. Sa peine fut réduite après
que le calme fut revenu autour de l’affaire du pont de Beloeil.
Une cérémonie funèbre eut lieu au cimetière Mount Royal, à Montréal, pour la
cinquantaine de victimes de religion protestante tandis que le cimetière de la
Côte-des-Neiges fut le lieu d'inhumation des quarante-cinq victimes catholiques.
Beaucoup plus tard, la Société de bienfaisance allemande érigea un monument
commémoratif sur lequel il est encore possible de lire : À la mémoire de 52 immigrants
allemands enterrés ici et 45 autres enterrés au cimetière catholique qui ont perdu la
vie le 29 juin 1864 lorsqu’un train avec 467 immigrants allemands à son bord est
tombé dans les eaux de la rivière Richelieu.
Seule photographie connue de l'accident prise environ 48 heures plus tard. La barge qui passait sous le pont a été écrasée par le convoi. ( Archives de l' Association Canadienne d'Histoire Ferroviaire - ACHF ) |
Recherche: Jocelyn Vachet