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Le premier chemin de fer Canadien     

 

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Au début du XIXe s., Montréal, de par sa situation géographique, est le centre du commerce de la colonie. Pour maximiser les profits, les riches marchands élaborent des plans pour mieux organiser le transport des marchandises. On cherche un trajet de liaison Montréal - New-York qui soit le plus court possible. New-York, port de mer, libre en hiver, semble le lieu privilégié pour assurer le commerce avec l'Europe.

    On écarte rapidement l'idée de creuser un canal entre La Prairie et Saint-Jean et le train est privilégié.

    Dès le début des années 1830, on a commencé à planifier le premier chemin de fer canadien. En 1831, l'assemblée 1égislative du Bas-Canada (Québec) recevait un projet de loi visant à établir une voie ferrée entre le lac Champlain et le Saint-Laurent. Ce projet de loi obtenait la sanction royale le 25 février 1832.

     Ayant obtenu de la Législature les droits d'expropriation des terres, 74 marchands de la colonie, détenteurs de capitaux, fondent «La Compagnie des propriétaires du chemin à lisses du Champlain et du Saint-Laurent» en 1832.

    Le projet de construction d'une voie ferrée ne manqua pas de soulever l’enthousiasme des Montréalais, mais c’est seulement après que le président de la Banque de Montréal de 1'époque, Peter McGill, soit devenu le premier des 754 souscripteurs de la nouvelle société ferroviaire, que cet enthousiasme se traduisit par un intérêt du public pour les actions mises en ventes. Le premier à suivre McGill fut John Molson, fondateur de la brasserie du même nom et président de la Banque de Montréal jusqu'en 1830. Parmi les actionnaires de la société, on relève aussi le nom de Jason C. Peirce, originaire de la Nouvelle-Angleterre, qui, après avoir été fait prisonnier au cours du conflit de 1812-1815, décida de demeurer à Saint-Jean, Québec, dont il devint l'un des habitants les plus en vue. Peirce aura été non seulement un actionnaire intéressé, mais un promoteur énergique du projet de chemin de fer.

    En 1835, on commence les travaux de construction. Dès le mois de décembre, le comité directeur signale que le nivelage, la maçonnerie, les ponts et le quai du traversier à Laprairie sont achevés. Une locomotive, nommée Dorchester, a été commandée en Angleterre à Robert Stephenson, fils de George Stephenson, constructeur de la célèbre locomotive Rocket. La construction des voitures de première et de deuxième classes fut assurée par des compagnies américaines durant les années 1830, tandis que celle des wagons de marchandises fut confiée à des compagnies montréalaises.

    À cette époque, on était loin des rails en acier, posés sur des assiettes de voie spécialement conçues pour les recevoir, comme aujourd'hui. Les rails étaient des pièces de six pouces carrés en pin, maintenues aux traverses par des blocs triangulaires et raccordées à leurs extrémités par des éclisses en fer. La surface supérieure du rail était recouverte d'un feuillard en acier de trois pouces de largeur et d’un demi-pouce d'épaisseur que l’on fixait au rail par des crampons noyés.

    Ces rails étaient posés selon l’écartement Stephenson, soit quatre pieds et huit pouces et demi. Ils étaient fixés sur des traverses de neuf à dix pieds de longueur, elles-même soutenues par des longerons. Le ballast utilisé aujourd'hui n'existait pas alors.

    C'est le 26 avril 1836 que la nouvelle société ferroviaire publia son premier barème de tarifs marchandises. On y trouve les tarifs pour le transport de tonneaux de cendre, boeuf, porc, farine de blé ou autres céréales, ainsi que pour le transport des planches et du bois d'oeuvre.

    Le lancement du traversier à vapeur appartenant à la société ferroviaire a lieu le 12 mai, au milieu des cris et des vivats de la foule. En l’honneur de l’héritière présomptive de la couronne d’Angleterre, le traversier est baptisé Princess Victoria par madame Peter McGill, épouse du président de la Banque de Montréal également président du conseil de la société ferroviaire. Après avoir gracieusement glissé sur les eaux, le traversier est remorqué jusqu'au port afin d'y recevoir ses moteurs. Le 9 juillet, soit une dizaine de jours avant le voyage inaugural du premier train, le traversier fait son premier voyage d'essai.

    L'ouverture de la ligne de la voie ferrée a lieu le 21 juillet 1836. Toute l'élite coloniale est conviée à la cérémonie d'inauguration. 

    Trois cents invités célèbrent l'évènement.  Gosford, gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique, préside l'inauguration. Il est accompagné de deux membres de cette commission, Sir Charles Grey et Sir George Gipps. Plusieurs membres du conseil 1égislatif et de l'Assemblée du Bas-Canada sont là, ainsi que des responsables militaires, de prospères commerçants et d'«honorables étrangers».

Gosford à cette époque, dirigeait une commission d'enquête sur la situation politique au Bas-Canada. 

    La compagnie jugea plus prudent d'inviter également Louis Joseph Papineau, leader de la Chambre d'Assemblée. Sa présence permettait de gagner la confiance de la population Canadienne-française.

    Louis-Joseph Papineau, qui l'année suivante devait fuir le Canada, sa tête ayant été mise à prix en raison de sa participation à la rébellion des patriotes en 1837. Cette participation lui assurera d'ailleurs une place dans l'histoire du Canada, au même titre que son «homologue», du Haut-Canada, William Lyon Mackenzie. À son retour d'exil, Louis-Joseph Papineau devait être invité d'honneur à un autre parcours inaugural en 1847, celui de la Montréal and Lachine Railroad Company.

    Comparée aux grandes compagnies d'aujourd'hui, la Champlain and St. Lawrence Railroad Company, société exploitante de ce premier train, était une toute petite compagnie. Elle n'exploitait qu'une ligne de 14,5 milles reliant Laprairie à Saint-Jean-sur-Richelieu (Autrefois Dorchester).  Entre Laprairie et Montréal, les passagers devaient emprunter un traversier.  Il s'agissait en fait d'une voie ferrée suivant un ancien chemin de portage utilisé pour transporter les marchandises du SaintLaurent jusqu'au Richelieu et aux voies navigables reliées à ce dernier, cest-à-dire le lac Champlain et l’Hudson.

    En 50 minutes, le Princess Victoria, avec ses 300 passagers, effectue la traversée du fleuve. Arrivées à Laprairie, ces personnes prennent place à bord du train préparé pour les accueillir. 

    La petite locomotive Dorchester passe à la postérité en franchissant les 14,5 premiers milles de voie ferrée canadienne, premier tronçon d’un futur réseau ferroviaire transcontinental de réputation mondiale.

    Bien que construite par l'un des plus réputés pionniers des chemins de fer, la nouvelle locomotive était d'une fiabilité un peu douteuse. Lors d'un voyage d’essai,  on avait négligé de conserver un niveau d'eau suffisant dans la chaudière, ce qui avait provoqué une surchauffe des tuyaux. Faute de temps pour les réparer, on s'était contenté de les boucher. En raison de cette réduction de la puissance, on décida de limiter à deux le nombre de wagons tirés par la locomotive, les autres étant tirés par des chevaux. Ce jour-là, il fallut deux heures pour atteindre Saint-Jean. Le retour se fit en 59 minutes seulement et la locomotive tira quatre voitures. Les voyageurs durent toutefois passer la nuit à Laprairie, le traversier s'étant échoué. Dès le matin du 22 juillet, ils regagnaient Montréal.

    Quelques jours après, la locomotive était retirée du service afin que l'on puisse réparer les tuyaux endommagés. Cela fait, la machine devait assurer un service irréprochable pour le reste de la saison.

    La Dorchester était la 127e locomotive à sortir des usines de Robert Stephenson en Angleterre. Arrivée au quai Molson de Montréal en juin 1836, elle fut montée l'atelier d'usinage de la Molson. Elle avait coûté 150O£, pesait 12 544 livres, mesurait 13 pieds et six pouces de longueur et était équipée de quatre roues motrices de 48 pouces de diamètre. Dès la première saison, on put constater qu'une seconde locomotive serait nécessaire. Cette dernière fut construite à Philadelphie par la compagnie Norris. Équipée d'une seule paire de roues motrices et d'un bogie avant de quatre roues, elle fut livrée en 1837. Afin de distinguer ces deux locomotives, on leur attribua un nom à chacune. Celle construite en Angleterre fut nommée Dorchester, tandis que celle sortie des usines américaines reçut le nom de Jason C. Pierce. La Pierce s'avéra d'une telle efficacité sur les voies en bois inégales, qu'un ou deux ans plus tard, on convertit la Dorchester au même jeu de roues.

    Il est intéressant de remarquer que les pionniers des chemins de fer du Canada avaient, dès le départ, pressenti le potentiel du chemin de fer non seulement pour le transport des marchandises mais également pour celui des passagers. Le vif intérêt que ce moyen de transport plus rapide, plus commode et plus confortable susciterait chez le public ne leur avait pas échappé. Dans une certaine mesure, ils auront lancé les industries du tourisme et du transport par rail au Canada. On peut aller jusqu'à dire qu'ils sont à l’origine des premières excursions ferroviaires.

    Par la suite, les Montréalais amateurs d'excursions accorderont un intérêt sans pareil au train. Et cet intérêt fut accru lorsqu'un bateau à vapeur, le S.S. Burlington, assura la liaison entre Saint-Jean et les ports du lac Champlain. Les familles montréalaises résistaient rarement à l'attrait d'une sortie en bateau et en train qui durait presqu'une journée entière et ne leur coûtait que sept shillings et six pences par adulte, les enfants payant moitié prix.

    La société dut bientôt prendre certaines mesures pour pallier à l’insouciance des voyageurs. Ainsi le nouveau règlement stipulait que l’occupation d'un siège était subordonnée à l'achat d'un billet que l’on devait se procurer à bord du traversier. Les chiens n’étaient pas admis dans les compartiments de première classe. Toute personne montant sur la locomotive ou sur le toit d'une voiture pendant la marche du train était passible d'amendes de 10 et de 25 shillings dans l'un ou l'autre des cas.

    Le trafic augmentant, on fit l'achat de nouvelles locomotives en 1847, 1848 et 1849 et, entre 1846 et 1848, les rails en bois firent place à des rails de fer en forme de T.

    Au cours des années 1850, la société dut prendre de 1'expansion afin de demeurer concurrentielle face au nombre toujours croissant de petites sociétés ferroviaires faisant leur apparition dans la région. En 1851, la ligne fut donc prolongée de 28 milles à partir de Saint-Jean vers Rouses Point à la frontière des États-Unis, où elle rejoignait des lignes directes vers Boston et New York, appartenant à la Vermont and Canada Railroad. Afin de cé1ébrer cette première liaison internationale entre le Canada et les États-Unis, un "Railroad Jubilee" fut organisé cet été-là à Boston. Antérieurement, la Champlain et St. Lawrence n’avait fonctionné que pendant les mois d'été, interrompant son service en hiver lorsque les cours d'eau étaient gelés et les bateaux à vapeur, immobilisés. Mais la nouvelle liaison ferroviaire internationale exigeait que la ligne fut exploitée à l'année longue. Conséquemment, on commença la construction d'une nouvelle gare terminale pour Montréal. Celle-ci, située à Saint-Lambert, ouvrit ses portes en janvier 1852 et l’on y ajouta un tronçon ferroviaire de neuf milles. Le traversier reliant Saint-Lambert à Montréal fut exploité pendant tout l’hiver.

    La société devait faire face à une concurrence tellement acharnée, notamment de la part de la Montréal and New York Railroad, qu'en 1857 apparut la Montréal and Champlain Railroad Company, fruit de la fusion entre la Champlain and St. Lawrence et la Montréal and New York. Cette nouvelle société, dont une bonne partie du réseau existe encore a, en 1872, été intégrée à la Grand Trunk qui, à son tour, a été absorbée par le Canadien National, créé en 1923.

    Quant à la première locomotive du Canada, la Dorchester, elle est restée en service jusqu'en 1849. Elle devait ensuite être vendue à la Compagnie du Chemin à Rails du Saint-Laurent et du Village d'Industrie, quatrième chemin de fer public, à vapeur de l'Amérique du Nord britannique. Nommée d'après une ville-modèle occupant 1'emplacement actuel de Joliette, sur la rive-nord du Saint-Laurent, la ligne avait 12 milles de longueur, reliait Joliette au fleuve, et constitue l’ancêtre le plus éloigné de la CPR. La Dorchester a été exploitée sur cette ligne jusqu’en 1864, date à laquelle sa chaudière explosa et où l'on dut la retirer du service.

    On croit, suite à certains faits, dévoilés tout récemment, qu’en 1873, des pièces de la Dorchester ont été vendues au propriétaire d'une scierie de Saint-Ambroise-de-Kildare, petite municipalité située à neuf milles au nord-ouest de Joliette au Québec.

    En 1936, à l’occasion du Centenaire de la Champlain and St. Lawrence Railway, on a construit deux répliques de la Dorchester. La première appartient au musée du Château Ramezay qui l'a prêtée au musée ferroviaire de Saint-Constant au Québec. L’autre est exposée au musée de Lachine. La première a été construite par le personnel du Château et la seconde, par des apprentis du Canadien National.

    De la Dorchester originale, il ne reste que la plaque d'identification retrouvée dans un champ près de Joliette. Elle fait aujourd'hui partie de la collection du musée d’art de Joliette, en tant que relique de la grande aventure des pionniers d’autrefois qui a conduit les chemins de fer canadiens sur la voie du succès.

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Réplique de la "Dorchester" qui appartient au Musée du Château Ramezay,

prêtée au Musée ferroviaire Canadien de St-Constant.


 

Recherche: Jocelyn Vachet

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