par
c1999 - Tous droits
réservés : Jean-Noël Tremblay
Visite paroissiale à notre maison
familiale de Pointe Savane Famille de Joseph Tremblay –
Automne 1941
Ce récit découle d'une première suggestion de
mon épouse qui m'a persuadé qu'il y aurait un certain intérêt relativement au
vécu de mes parents qui ont fait partie de l'une des grandes familles
québécoises et qui ont évolué dans un milieu tout à fait spécial ayant connu ce
qu'on a surnommé la catastrophe écologique du Lac St-Jean en 1926.
La source de certaines données provient de
l'histoire du Saguenay-Lac-St-Jean et plus particulièrement le récit "La
blessure d'une terre".
De même, ce récit évoque les us et coutumes
d'une époque où la plupart des épouses vivaient dans l'ombre de leur époux qui
trop souvent évitaient de rendre apparent le talent naturel que possédaient
leurs charmantes épouses comme collaboratrice hors-pair en administrant de
mains fermes les biens matrimoniaux.
Cette façon d'agir permettait d'éviter l'atteinte à leur suprématie
masculine.
J'ai lu avec intérêt ce récit qui m'a permis de
connaître davantage les origines de cette belle région où j'ai passé les deux
premières décennies de ma vie.
Cependant, je suis désolé d'avoir à signaler le manque de réalisme à
l'égard de certaines familles qui y ont vécu plus de 25 ans et dont le chef de
famille a pris part aux activités municipales jusqu'à la fin de 1947.
INTRODUCTION
Ce récit est dédié à Yvonne T.-T, ma mère, et
Yvette, ma sœur.
L'interprétation pourrait être T.-T. pour
"Tais-toi" ce qui n'est pas le cas!
Cependant, ceci aurait été applicable à de nombreuses femmes de
l'époque.
Nous suivrons les traces de Yvonne
Tremblay-Tremblay tout en poursuivant l'aventure du couple Joseph et Yvonne qui
unissent leur destinée à la fin de l'an 1913, dans la belle région du Lac
St-Jean.
La première partie couvre les origines du
couple. La deuxième partie exposera les principales occupations et déplacements
du couple.
PREFACE
Nous sommes à l'époque où une seule famille
représentait une communauté paroissiale dont les enfants se comptaient à la
douzaine particulièrement dans les régions où l'agriculture demeurait la
principale ressource naturelle du pays.
La meilleure description serait que la famille
québécoise est une entreprise fondée sur la cellule familiale qui fournit à
l'entreprise agricole la main d’œuvre utile à son fonctionnement. La ferme est essentiellement familiale dans
le sens où elle assure la subsistance de la famille où seuls les surplus des
produits généraux sont vendus sur les marchés régionaux du moins jusqu'aux
années 1930.
Les historiens considéraient que la
transmission du patrimoine au Québec dépendait de trois types de famille: la
famille nucléaire, la famille-souche et la famille communautaire.
La famille nucléaire ou individuelle se compose
des parents et des enfants d'un même ménage; à l'intérieur des ces familles, on
favorise une division égalitaire entre les enfants.
La famille souche: un des enfants se marie et demeure
sous le même toit que son conjoint. Le
couple héberge les parents jusqu'à leur mort et hérite ultimement de la
ferme. Le patrimoine peut ainsi se
transmettre sans grande modification alors que les non-héritiers reçoivent une
compensation.
La famille patriarcale ou communautaire: elle est sous le contrôle du père qui garde
son ascendant sur ses enfants même après leur mariage. A sa mort, le patrimoine est transmis de
manière indivise ce qui permet de perpétuer le patrimoine familial.
En conclusion, nous vous laissons l'opportunité
de faire une analyse typologique de l'agencement des formes familiales des
pratiques successorales qui ont connu les derniers membres de la cellule
familiale concernée dans ce récit.
PREMIERE PARTIE
Origine du couple Yvonne et Joseph
Joseph : Né à Saint-Louis de Chambord où il fait
son cours primaire; ses études secondaires
se déroulent à Chicoutimi et il fera son cours commercial à Sherbrooke puis
Montréal.
Yvonne: Née
à Saint-Cyriac, paroisse environnant le lac Kénogami où le relèvement du niveau
d'eau par barrage a fait disparaître les trois-quarts de la municipalité. Aujourd'hui l'église repose sur une
presqu'île située au centre du lac.
Elle quitte sa paroisse vers l'âge d'un an alors que
ses parents s'installent dans un petit bourg nommé "La Ratière" situé
en banlieue de Jonquière. Ce nom
étrange nous amène à imaginer que ce lieu étant en banlieue d'une ville d'une
certaine importance pouvait avoisiner un dépotoir municipal reconnu à l'époque
pour maintenir une prolifération de vermines, en l'occurrence des rats de
dépotoir.
Yvonne
fait des études primaires à la paroisse de Saint-Jérôme.
Elle devient orpheline à l'âge de 6 ans alors que sa
mère, Lydia, décède lors de son cinquième accouchement. Le père d'Yvonne, Elzéar, est âgé de 33 ans à la mort de son épouse. Il devient donc responsable de trois orphelines, Yvonne, Rose-Anna et
Marie-Louise.
A ce moment, Elzéar
travaillait à la construction du chemin de fer reliant Québec à Chambord et
ayant débuté vers l'année 1900. Étant
chef d'équipe attitré à l'entretien de la ligne du chemin de fer, il lui est
impossible de prendre soin des trois filles âgées de 1 à 6 ans. Il y avait à ce moment manque de ressources
et manque d'orphelinat, le premier orphelinat devant être fondée à Chicoutimi
en 1931.
Voilà qu'une sœur du père endeuillé, Calixte,
étant encore célibataire vient offrir ses services pour la garde temporaire
des orphelines. C'est alors qu'un frère
de Calixte et d'Elzéar, Johnny, a un logement disponible au 2e étage de sa
maison, une fromagerie dans le rang du poste à Saint-Jérôme. Elzéar déménage de La Ratière à Saint-Jérôme
avec ses trois filles et sa sœur
Calixte, laquelle prendra soin des filles pendant un certain temps.
Quelques semaines passent et voilà que le
propriétaire de la fromagerie, Johnny, devient veuf à son tour alors qu'il a
trois enfants en bas âge, Émile Néré, Germaine et un autre dont j'ignore le
prénom.
Enfin Johnny, le frère de Calixte et d'Elzéar,
logeait lui-même avec sa famille dans l'appartement voisin d'Elzéar. La disposition des logements
jumelés a permis la prise en charge des deux familles par Calixte sans
déplacement du ménage de Johnny. Cet arrangement avait probablement été mis au
point au moment des funérailles entre les frères et la soeur.
La grande tristesse qu'ont connu les six
enfants ayant perdu leur mère respective en l'espace de quelques mois a été
amoindrie par la présence d'une tante bien généreuse qui se dévoue constamment
et donne le meilleur d'elle-même pour reproduire une ambiance familiale pour
ces deux groupes d'enfants qui viennent de perdre l'être le plus indispensable
pour des enfants de cet âge.
La chose la plus importante pour ces enfants
fut bien sûr de sentir la tendresse et l'amour de leur père respectif, ainsi
qu'une nouvelle personne qui les aime et les protège dans un milieu paroissial
récent alors que la paroisse de Saint-Jérôme a été fondée en 1872, le village
en 1898, tandis que ces faits se passent en 1901.
Je souligne que cette généreuse tante Calixte a
pris soin des deux familles pendant au moins trois ans soit jusqu'au moment où
Elzéar, mon grand-père refait sa vie au début de l'année 1904 en épousant la
belle Emma, une fille généreuse et courageuse.
Suite à leur mariage, le couple et les trois
filles ont continué de vivre dans le logement de Johnny, en haut de la
fromagerie. Ils y sont restés pendant
de nombreuses années c'est-à-dire jusqu'au moment où la famille s'est agrandie;
ils ont dû déménager sur une nouvelle ferme située dans la paroisse St André
dit de l'Épouvante en 1915 environ.
Notons que cette municipalité a vécu une
période florissante au moment de la construction d'une usine de pâtes et papier
sur la rivière Métabetchouan; cependant
en raison d'une faiblesse de l'économie et d'un changement de propriétaire,
l'usine n'a jamais été mise en opération.
Retour au moment du remariage
En 1904, au moment du remariage d'Elzéar, ma
mère Yvonne, aînée d'Elzéar, avait 8 ans et 7 mois. Après une année, soit en 1905, naissait un fils nommé
Arthur. En 1907, une autre fille, Alice
suivie d'une autre fille, Lydia, en 1909, puis Eugène en 1912, Louis-Georges en
1915 et finalement le dernier, Edmour, venait compléter la famille le 19
septembre 1918.
Donc, Yvonne a vu grandir les enfants d'une
deuxième famille pendant quelques années!
Cependant, tenant compte que la nouvelle mère Emma avait beaucoup
participé à l'entretien de ses frères et sœurs au nombre de dix; sachant
qu'elle était la plus âgée des filles, Emma avait convenu avec son époux
qu'elle n'exigerait aucun travail de la part des trois premières filles
d'Elzéar. Semble-t-il que les filles
aînées n'ont pas respecté l'entente et ainsi elles prenaient part au service du
ménage de la maison et accompagnaient
leur père dans les travaux de la ferme.
Ce travail était une détente et une période d'apprentissage importante
pour les jeunes femmes de l'époque considérant que la société donnait priorité
aux hommes pour ce qui est de l'instruction alors que normalement les femmes
étaient destinées à accomplir les tâches nécessitant moins d'instruction; surtout pour demeurer au service des hommes
qui trop souvent ont abusé de ces femmes talentueuses qui ont pu se développer
respectueusement dans l'ombre des hommes.
Sortie du nid familial
Vers l'âge de 11 ans, Yvonne croit avoir acquis
assez d'expérience pour s'occuper de l'entretien d'une maison. Elle prend l'initiative d'offrir ses
services à des parents pour y faire l'entretien ménager chez les grandes
familles qui à l'époque ajoutaient un nouveau-né à chaque année presque. Cette expérience s'est poursuivie pendant 7
ans moment où elle atteint ses 18 ans.
Grande aventurière
Déjà à l'âge de 15 ans, Yvonne accomplissait
les tâches d'une femme d'expérience alors qu'elle avait un tempérament très
mature ce qui découlait sans doute des nombreux événements qu'elle a vécus
depuis l'âge de 6 ans. Elle n'a jamais
manqué d'aider sa belle-mère lors de l'arrivée d'un nouveau né; elle a
également pris part aux relevailles de ses tantes par alliance soit Maria et Marie, l'épouse d'un oncle de
St-Louis de Chambord. A ce moment, la
tante Maria a quitté St-Louis pour acheter une ferme à Albanel où Yvonne a
passé de longues périodes alors que la tante Maria n'avait guère le tour pour
entretenir une maison. Elle se dévouait
particulièrement auprès des organisations paroissiales et même régionales.
Yvonne
a gardé de bien bons souvenirs de ce couple formé de Maria et
Élisée. Pourtant Yvonne a toujours été
avare de commentaires sur son passé;
nous avons pris connaissance de ces faits auprès d'autres membres de la
parenté.
Il est évident qu'avec sa belle apparence et sa
force de caractère, elle a été courtisée comme la plupart des jeunes filles par
de nombreux garçons. Elle a arrêté son
choix au cours de l'année 1913 moment où elle a fait la connaissance d'un jeune
homme du milieu qui sans aucun doute devait rendre visite à sa soeur Emma qui
était de 13 ans son aînée. Celle-là
même qui avait épousé le père d'Yvonne en janvier 1904 et qui à ce moment était
devenu son oncle par alliance soit Joseph.
DEUXIÈME PARTIE
Demande en mariage usuelle et exceptionnelle
Comme tous les amoureux de l'époque, le jeune Joseph
à peine âgé de vingt ans devait se conformer à la coutume et exigence d'avoir à
demander la main d'Yvonne à son beau-frère Elzéar qui deviendra également son
beau-père lors de leur union qui sera célébrée le 24 novembre 1913 en la
paroisse de Saint-Jérôme.
Première résidence
Suite au mariage, dont le voyage de noces a dû
être assez court, car les voitures automobiles n'étaient pas présentes dans la
famille, le couple prend logement dans la paroisse de Saint-Louis où Joseph
travaille dans son environnement.
L'année suivante, la cigogne fait son
apparition dans ce jeune ménage. Heureusement, le trousseau est à point. Le
berceau est garni de couleur neutre sachant qu'à l'époque le service
d'échographie n'existe pas! Alors les parents s'accommodent d'un garçon ou
d'une fille sans inconvénient.
Probablement qu'Yvonne a été assistée par une
sage-femme qui est retournée chez elle le lendemain. Alors Joseph fera le nécessaire avec les conseils de ses proches
qui prennent plaisir de se rendre utiles dans ces circonstances.
Le baptême
Selon la coutume religieuse du temps, l'enfant
sera baptisé le lendemain; il portera le nom de Louis-Philippe. Le parrain et la marraine seront le
beau-frère et la soeur de Joseph, soit Elzéar et Emma, vivant dans cette municipalité.
Les parents et amis de la paroisse assisteront au baptême; à ce moment, le
grand-père paternel, Benjamin, a 70 ans et la grand-mère, 59 ans.
Le père Joseph a préparé une petite fête le
soir même en se procurant quelques bouteilles et friandises dont raffolent
Joseph et ses parents.
Une bonne ménagère prendra soin de la maison
pendant que Joseph poursuivra son travail pour quelques mois à
l'extérieur. Les travaux d'hiver sur
les chemins ne sont pas de longue durée.
Ils reprendront temporairement au printemps. Yvonne a repris ses forces et libéré la femme de ménage; Joseph l'aide tant bien que mal mais ce
n'est pas son genre d'effectuer les travaux ménagers.
Au printemps, il effectue quelques travaux
par-ci, par-là. Les centres de placement de main d’œuvre n'existent pas. Les seules possibilités d'emploi se
retrouvent chez quelques fermiers qui offrent des salaires de misère.
Déménagement en vue
(La suite du couple d'Yvonne et Joseph
reviendra plus loin).
Déménagement de la famille du beau-père
A l'automne de 1915, Elzéar, père d'Yvonne
achète une petite ferme dans la future paroisse de Saint-André de
l'Épouvante. De nombreux efforts et de
persévérance seront nécessaires pour joindre les deux bouts sur cette petite ferme
garnie de forêts et surtout de nombreuses roches et rochers au niveau du sol.
Avant le départ de la famille d'Elzéar et
d'Emma de Saint-Jérôme, la seconde fille, Anna, quitte le célibat pour épouser
un petit cousin de sa deuxième mère, Ismaël Tremblay, fils d'Édouard.
Au départ de celle-ci de la maison, la famille se compose de trois
filles et trois garçons.
Anna décède
Moins d'un an après son mariage, Anna, à peine
âgée de 19 ans, décède après une courte maladie lui occasionnant de graves maux
de tête. Elle ne laisse pas
d'enfant. Après quelques temps, son
époux se déplace dans la région de Rivière-du-Loup où il refait sa vie et où semble-t-il, il a élevé une nombreuse
famille.
Passage de la cigogne chez Emma et Elzéar
Le couple reçoit l'avis de la cigogne d'avoir à
ressortir le berceau pour recevoir un gros garçon qui se nommera Edmour. Emma a maintenant 38 ans et Elzéar, 50 ans,
en 1918. Ce sera le dernier; la cigogne
sera en chômage dans cette famille.
Pendant cette même année, la troisième fille
d'Elzéar, issue du premier lit, Marie-Louise, prend époux en la paroisse de
l'Épouvante. L'heureux époux se nomme
Adélard Gagné; il décédera malheureusement quelques mois plus tard. La veuve a un comportement bizarre: elle
décide de laisser vieillir le jeune frère de son époux décédé et elle
s'empresse de l'épouser dès qu'il atteint la seizième année d'âge. Son nom, André, avec qui elle passera le
reste de ses jours dans la région de l'Abitibi où ils élèveront une
belle-famille de 10 enfants.
L'aîné, Arthur, a élevé deux filles adoptives,
Rose-Anna et Marie-Marthe. L'aîné des
filles, Alice, a élevé huit enfants dont deux sont décédés dans la
quarantaine. Alice est décédée en 1989
à Roberval. La seconde fille, Lydia, a
élevé huit enfants plus un enfant adoptif; elle décède à Québec en juin
1987. Le deuxième garçon, Eugène, a
élevé 12 enfants; il décède en 1993 à Roberval. Louis-Georges décède le 16 octobre 1997; il avait 7 enfants.
RETOUR AU COUPLE DE JOSEPH ET YVONNE
Déménagement en vue
Voilà que quelques temps après le départ de la
famille d'Emma et Elzéar de la paroisse de Saint-Jérôme à la fin de l'année
1915 pour déménager à Saint-André, Joseph et Yvonne retiennent le même logement
en haut de la fromagerie de l'oncle Johnny.
Ils y déménagent à l'automne et y passeront l'hiver suivant alors que
Joseph s'est trouvé un emploi temporaire.
Déjà à ce moment, la cigogne a signifié son
passage avant la fin de l'hiver 1915-16. Le 11 mars, le berceau sortira pour la
naissance d'un beau garçon qui portera
le nom d'Adrien. Il sera porté au
baptême le lendemain à l'église de Saint-Jérôme; le parrain et la marraine
seront le beau-frère de Joseph, Méridé Doré, et son épouse Émilie la soeur de
Joseph. L'aîné, Louis-Philippe, a déjà 18 mois et il marche depuis plusieurs
mois. Très heureux de l'arrivée d'un
petit frère, il ne quitte pas le berceau des yeux.
Ce lieu est très achalandé pendant la saison de
culture agricole; les agriculteurs y
apportent chaque matin leur lait. C'est
aussi un lieu de rencontre intéressant pour les gens à la langue bien pendue ou
les maquignons en profitent pour exercer leur commerce florissant avec les
colons; ceux-ci adorent le changement
de chevaux et même de voitures. Lorsque
Joseph n'est pas au travail, il prend plaisir à demeurer sur son balcon afin
d'évaluer les méthodes de ces commerçants sans scrupules.
Pendant l'été, il prend goût à la vie de
fermier qui semble être la vraie belle vie.
Voilà qu'en complicité avec ses deux jeunes frères, il se rend visiter
des terres à défricher aux environs de la paroisse de Normandin. A ce moment, le gouvernement provincial
favorisait les nouveaux colons voulant s'établir sur des lots pour en faire le
développement dans le but d'établir de nouvelles paroisses vers le Nord.
Après consultation avec l'agent des terres de
la colonisation, les trois frères achètent chacun un lot dont un a déjà eu un
propriétaire qui s'est découragé après y avoir construit une cabane et y avoir
creusé un puits artésien. A la fin de
l'été 1916, Joseph achète un cheval et une voiture d'un cultivateur de
Saint-Jérôme, puis il invite ses deux frères à le rejoindre à Saint-Jérôme pour
entreprendre le voyage vers les lots de Normandin ce qui représente une
distance de 96 km soit trois jours de marche, avec un coucher à St-Louis et un
à Saint-Félicien pour arriver en après-midi sur les lots de Normandin qui sont
aujourd'hui dans la nouvelle paroisse de Saint-Edmond-des-Plaines, à une
distance actuelle d'environ 4 km de l'église.
Les trois frères sont âgés respectivement de 23 ans pour Joseph, 20 ans
pour Samuel et 16 ans pour René.
Autres points à considérer
Deux des jeunes hommes sont en âge d'être
enrôlés pour le service militaire pendant cette fameuse guerre de 1914-18. Les cultivateurs ou fils de cultivateurs
sont exemptés de l'armée tout au moins pendant les premières années de la
guerre.
Beaucoup de courage nécessaire
Ces lots à défricher et à bâtir exigeaient
beaucoup de courage et de persévérance pour ces jeunes colons qui s'installent
à une distance de plus de 12 km pour se rendre à l'église et à la fromagerie,
non loin du magasin général qu'ils auront à visiter maintes fois pour le temps
de l'organisation, parcourant un chemin de terre étroit et poussiéreux.
Expérience non acquise
Ces trois jeunes nouveaux colons possèdent très
peu d'expérience en défrichement et agriculture. Fort heureusement qu'Yvonne a pris part à l'installation de la
famille de son père à ses débuts sur son lot à Saint-André. Le plus âgé, Joseph, ayant étudié jusqu'à
l'âge de 19 ans, n'a pas bénéficié de l'expérience de son frère aîné. Les autres n'étaient plus sur une ferme au
cours des dernières années alors que leur père âgé de plus de 72 ans avait
quitté sa ferme depuis un bon moment.
Auparavant les garçons avaient pris part aux
travaux de la ferme en assistant surtout leur mère alors que leur père était
plus passionné de commerce que d'agriculture qui disait-il aggravait son état
asthmatique depuis de nombreuses années.
Cependant il est possible que leur père ait contribué à l'achat de ces
derniers lots à Normandin.
Autres naissances à Normandin
Enfin, la cigogne n'a pas chômé longtemps dans
la région. L'année suivante soit en
1917, Yvonne donne naissance à un troisième fils, qui recevra le prénom de
Roland lors de son baptême le lendemain à l'église de Normandin. Voilà qu'au moment où il commence à marcher
vers l'âge de 9 mois, il est emporté par la grippe espagnole qui sévissait à
l'automne 1918 vers la fin de la première guerre mondiale. Cette maladie a fait disparaître un ou
plusieurs membres dans la plupart des familles québécoises. Joseph lui-même a été atteint par cette
sournoise maladie et c'est grâce aux prières d'Yvonne et à ses bons soins qu'il
en est sorti sans trop de séquelles.
Je constate que la plupart des femmes enceintes
sont malheureusement décédées pendant le passage de ce fléau qui a emporté un
grand nombre de jeunes mères de famille.
Il est heureux qu'Yvonne s'en soit réchappée alors qu'elle était
enceinte depuis le mois de juin 1918.
La cigogne change de sexe
Après avoir traversé les épreuves précitées, la
cigogne se présente en avril pour annoncer cette fois que le berceau devra être
garni de rose alors qu'une grosse fille viendra l'occuper pour quelques
mois. A ce moment, les deux aînés sont
en mesure de s'occuper de la nouvelle venue pour la bercer et lui donner son
besoin. Cette fille sera portée au baptême le lendemain de sa naissance et
portera le nom de Rose-Anna. Le parrain et la marraine sont un couple du
voisinage Brochu et Moisan.
Sans aucun doute, cette fille sera bien
acceptée par Yvonne qui souhaitait ardemment avoir la présence d'une fille à
ses côtés. Cette mère, évidemment, ne
passait pas une journée sans penser à son cher Roland qui l'a quitté
prématurément à l'automne précédent. Le
Seigneur l'avait comblé en lui envoyant une remplaçante qui l'a aidée à oublier
l'événement tragique.
Coalition fragile
Au cours de ces quelques années de vie de
collaboration avec les deux frères, cette situation demandait beaucoup de
compréhension de la part des participants; tenant compte que la famille de
Joseph s'agrandissait, cette situation représentait certains ennuis pour les
célibataires qui semblaient irrités de plus en plus par la présence des enfants,
au moment des déplacements en voiture plus particulièrement.
Analyse des circonstances
Sans vouloir faire un procès sur les démarches
effectuées par les trois frères, je crois qu'il est bon de reprendre leur
cheminement depuis leur arrivée sur leur lot respectif; le bâtiment existant a été rafistolé par les
trois coopérants. Ils y passent le premier hiver regroupés temporairement.
Dès ce premier automne, un bon nombre de
billots seront coupés sur leur lot afin de faire préparer le bois de
construction en vue d'entreprendre l'érection d'une petite maison sur chacun
des lots le printemps suivant. Déjà le
cheval appartenant à Joseph était logé dans l'écurie en place à leur
arrivée. Le peu de terrain défriché
avait été rasé par les animaux du voisinage; donc il a fallu acheter le
fourrage nécessaire pour le premier hiver.
Ce cheval a pris part à l'organisation pressante, puis il a été utilisé
pour le défrichement, ainsi que le transport du bois de sciage et bois de
chauffage de la maison. Parallèlement avec
la coupe du bois de poêle, le terrain était déblayé en faisant des abattis dont
Yvonne s'est chargée de faire brûler par temps pluvieux. De même elle prenait plaisir à arracher les
souches à l'aide du cheval et des enfants.
Il lui est arrivé un jour d'avoir la frousse en raison que le vent avait
tourné vivement pour s'attaquer à un buisson broussailleux avec foin séché au
sol. Cette fois les trois frères sont
intervenus pour éviter la catastrophe dans le secteur. Fort heureusement il y avait un ruisseau qui
a coupé l'incendie quelques arpents plus loin.
Cet événement a quand même avantagé le défrichement qui a permis une
bonne récolte de foin les années suivantes.
Le défrichement du lot central s'est maintenu
en avance sur les autres appartenant aux frères de Joseph, Samuel et René. Les trois frères avaient des tempéraments
très différents; Samuel, un grand gaillard de plus de six pieds était très
travailleur et persistant au travail sauf qu'il n'était pas avantagé pour le
talent d'administrateur. René, un peu
moins travailleur, prenait plaisir à contredire les décisions des autres. Étant le cadet de la famille, il était
difficile à satisfaire, de façon désespérante à maintes occasions.
Après trois ans bien sûr que chacun possédait
sa propre maison et sa propre voiture à cheval. Les deux plus jeunes étant célibataires sortaient travailler à
l'extérieur au cours des hivers. Ils avaient acquis quelques animaux en plus du
cheval. Cependant en leur absence
Joseph et Yvonne prenaient soin de leur organisation pour le mieux.
La vie reprenait au printemps sur chacun leur
lot tout en collaborant pour l'utilisation des équipements aratoires ainsi que
pour les travaux nécessitant plusieurs mains comme la récolte du grain, le
battage du grain et bien d'autres situations particulières.
Le temps passe. Les deux jeunes frères sont
toujours célibataires et ils ont connu beaucoup de gens; alors la collaboration
s'amoindrit. Les besoins de clôturer
traînent, également pour le creusage
des fossés de ligne, la machinerie est entretenue souvent par le même
utilisateur; les visites sont plus distancées; les jeunes garçons, Philippe et
Adrien commencent à mieux comprendre qu'ils ne sont pas toujours acceptés par
un des oncles; ce qui rend Yvonne plus intolérante au moment des sorties.
De plus l'aîné devra aller à l'école en
septembre 1920. L'école sera à une distance de 4 km ce qui est inquiétant pour
un jeune de 6 ans.
Même que le couple entrevoit un bel avenir sur cette
petite ferme qui promet beaucoup avec six vaches à lait et de nombreux autres
animaux qui procurent une grande partie des besoins de la famille avec les
oeufs, le lait, le beurre, la viande, la laine et même un peu de légumes et de
fruitage sauvage.
Voilà qu'après avoir pris part à tant de
travaux sur cette propriété où il y avait tout à bâtir en collaboration avec
son mari et les frères, Yvonne perd de jour en jour l'enthousiasme et le
courage qui la soutenaient dans l'accomplissement de cette belle oeuvre. Un
autre propriétaire, ne connaissant pas le nombre de sacrifices nécessaires pour
sortir cette terre de la forêt verdoyante aperçue lors de leur arrivée à
l'automne 1916, recevra les bénéfices d'une ferme en voie de développement.
Changement d'ambiance nécessaire
Une soeur de Joseph ayant été mise au courant
de l'atmosphère existant dans le milieu qui devenait de plus en plus tendue a
cru bon d'en parler à son époux qui n'a pas tardé à aller faire une proposition
à Joseph et Yvonne. Ceux-ci ont bien
réfléchi les jours suivants à cette proposition inattendue de la part d'un
beau-frère qui demeurait à Saint-Louis.
Une réponse doit suivre avant cinq jours. Généralement Yvonne ne s'implique pas
beaucoup dans les affaires, dites affaires d'hommes. Joseph tient compte de tant d'énergie qu'a fourni sa femme sur
cette ferme; alors il attend d'obtenir sa propre décision; connaissant l'état
de sa femme qui est enceinte et vient de se remettre des épreuves connus au
cours de l'année 1918; Yvonne ne peut oublier la situation intolérable des
derniers mois; ce qui sans doute lui causerait des blessures irréparables en
persistant à demeurer dans ce milieu où l'atmosphère est devenue irrespirable.
Alors la réponse est ferme: " Si ça te
convient, quant à moi, j'accepte de
vendre la terre et si Dieu le veut, nous recommencerons ailleurs."
Déménagement en vue
Au début du mois d'août, Joseph téléphone à son
acheteur et lui demande de bonifier son offre d'un certain montant, ce qui
permettrait d'accepter sur-le-champ son offre.
Le beau-frère accepte ses conditions et le contrat suit dans les jours
suivants chez le notaire proposé par l'acheteur.
Sachant qu'un logement est libre, soit celui du
beau-frère, le couple s'y installera avant l'ouverture des écoles. L'aîné, Louis-Philippe, pourra débuter
l'école qui sera pour lui une première expérience dans un lieu contrôlé par
d'autres que ses parents. De plus,
l'école sera située à quelques centaines de mètres de leur résidence et il
pourra prendre le dîner chez lui ce qui est très important pour un jeune
débutant, pour la mère également qui tient à ce que son enfant se sente en
sécurité dans son apprentissage à vivre hors du foyer familial.
Départ hâtif
Enfin à la date fixée, l'acheteur prendra la
charge de la maison et du troupeau.
Alors que la maison sera libre pour l'acheteur, Yvonne et Joseph auront
pris soin de charger leur mobilier sur une "wagine" portant rack à
foin, laissant assez d'espace pour la famille qui se compose de trois enfants,
Louis-Philippe, Adrien et Rose-Anna en plus des parents.
Le parcours d'environ 77 km s'accomplira en
deux jours dont un coucher à St-Félicien.
Arrivée à Saint-Louis
Aussitôt le ménage en place dans le logement, le
cheval sera prêté à un cultivateur de la paroisse avec conditions sans aucun
doute!
Après quelques jours de répit, Joseph consulte
la compagnie Moody afin d'y obtenir un secteur comme agent vendeur pour cette
entreprise. Quelques semaines plus
tard, il reçoit les informations utiles qu'un agent formateur passera chez lui
sous peu.
Vers la fin de septembre, il accompagne un
vendeur pour quelques jours. Les jours
suivants, il est devenu vendeur de machineries pour de bon, alors qu'Yvonne est
déjà assez bien organisée dans son nouveau logement. L'hiver approche; les
vendeurs de bois de poêle se sont présentés et la remise est remplie. Les garçons l'ont aidée à corder ce bois.
Maintenant, la cigogne rôde dans le village et
Yvonne doit sous peu ressortir le berceau sous le regard des plus jeunes à la
maison. L'heure de l'accouchement
arrive au beau milieu du mois de novembre au moment où le sol est recouvert de
belle neige blanche. Joseph reconduira
les aînés chez son frère aîné pour la circonstance. La sage-femme vient passer un moment à l'occasion au cours de la
journée. Ce n'est qu'en soirée que la
cigogne déposera une deuxième fille qui fera la joie d'Yvonne.
Le frère de Joseph et son épouse, Aimé et
Marie, acceptent d'être parrain et marraine.
La nouvelle fille sera portée au baptême à l'église de Saint-Louis, et
portera le nom de Mariette.
Tout en faisant ses promotions de l'agence de
Moody, Joseph prend des informations en
rapport avec les terres à vendre. A
cette époque d'après-guerre, les jeunes ménages y voient un gage de sécurité en
devenant propriétaire d'une; donc les terres disponibles se font rares aux
environs de Saint-Louis. Il apprend qu'une petite ferme devient disponible sous
peu dans le secteur est du Lac-Saint-Jean;
il y a dans ce secteur, plusieurs fils de la paroisse qui s'y sont
installés dernièrement tout près de la rivière Péribonka.
Paroisse en expansion
La colonisation prenant de l'expansion,
prévoyait y fonder une nouvelle paroisse à la Pointe Taillon. A l'été de l'an 1921, Joseph se rend à
Roberval pour traverser le Lac Saint-Jean sur le bateau passeur afin de visiter
une petite ferme occupée par un M. Prosper Norbert. Ce dernier s'apprêtait à quitter pour accepter une nouvelle
fonction au ministère de la colonisation.
A ce moment, son gendre, Émile Moreau, vivait au village de
Péribonka. Ce dernier avait été choisi
pour représenter la région comme député du Lac-St-Jean depuis l'an 1919. Lui-même étant voisin de son beau-père sur
une ferme, avait quitté suite à sa nomination comme député de la région. Ce dernier demeure à Péribonka jusqu'en
1927, année où il vend sa maison au nouveau médecin Jos Rochette qui est au
début de sa pratique dans cette région.
Prise de possession de la ferme
Les négociations des intéressés se sont
effectuées dans un court délai. Déjà au début de l'automne, le déménagement
s'est amorcé sans trop d'inconvénients même si Yvonne n'avait aucune idée du
milieu qui l'attendait car aucune photo du lieu, ni même aucun dessin de
l'organisation de la ferme ne lui avait été présenté; sauf, bien sûr, quelques
détails verbaux concernant les bâtiments, la disposition du terrain, du nombre
et du genre d'animaux qui vivaient sur la ferme.
Surtout Joseph a pris soin de l'informer du
lieu de l'école fixée sur un de leur lot; il y avait aussi une grande amie
d'Yvonne, Éva Boily, épouse d'Oscar Bolduc, qui était propriétaire de cinq lots
avoisinant l'école rurale du centre de la Pointe Taillon. Il y avait de plus un voisin, François
Boily, qui avait un lien de parenté avec Éva Boily et Oscar Bolduc qui étaient
comme eux originaire de Charlevoix et de la paroisse de Saint-Louis, comme
l'époux de Yvonne et Joseph.
5e déménagement en 8 ans
Tenant compte que l'aîné des quatre enfants,
Louis-Philippe, devait reprendre l'école en septembre, le déménagement a été
accéléré. Ce moment correspondait au besoin d'entreprendre les labours
d'automne ainsi que la récolte du grain à engranger avant les grands froids.
Grande collaboration
Dès l'annonce du déménagement, les voisins et
parents offrent leur collaboration en fournissant des boîtes de toutes
grandeurs, même quelques aliments, la main d’œuvre nécessaire pour classer les
objets et boîtes par identification.
Premier déménagement de Mariette
Âgée de 10 mois, la dernière, Mariette,
marchait depuis quelques semaines et prenait plaisir à circuler autour des
boîtes; les plus âgés offraient leur aide tout en posant beaucoup de questions
en rapport au chargement en cours qui les préoccupaient beaucoup dans leurs
petites têtes d'enfants de 2 ans et demi à 7 ans.
Changement de vie
La famille connaîtra un important virage en
quittant un milieu assez bien organisé pour les services communautaires autant
religieux que civils. Les jeunes n'étaient
pas conscients qu'ils auraient à vivre dans un milieu vraiment rural où tous
les services sont éloignés.
Cependant ils pourront constater que les gens
du voisinage quoique plus distancés les uns des autres topographiquement sont
très près les uns des autres par leurs comportements journaliers, alors que
l'entraide est constante dans ce milieu rural.
Le jour J arrive; un parent offre les services
d'un cheval pour conduire le buggy et le personnel familial. Le cheval de Joseph attelé à la
"wagine" qui transporte l'ameublement et les nombreuses caisses
d'utilités générales. Tout ce beau
monde entreprend une longue journée; 20 km de chemin de gravelle entre
Saint-Louis et Roberval, puis 33 km sur le bateau "Colon" qui fera
escale à l'île à Boulianne où le ménage sera débarqué au moment d'une période
de pluie sporadique.
Déjà à leur arrivée au quai, la famille
Boulianne s'y trouve pour les accueillir à bras ouverts, en se portant
volontaire afin d'aider au débarquement et surtout en tirant le buggy sans
cheval. Cet accueil chaleureux fait
oublier à Yvonne les émotions retenues dans son fort intérieur pendant le long
trajet sur le bateau qui a bercé ses passagers pour un bon moment au passage
près de la Pointe-Bleue où le vent a beaucoup de prise.
Aucune nostalgie
Au moment de la traversée, Yvonne a démontré
l'absence de nostalgie sans pour autant avoir ressassé quelques souvenirs de sa
jeunesse alors qu'elle est entourée de ses quatre enfants. Quant à
son mari, il a causé avec des connaissances qui traversaient vers
Péribonka ou à la Pointe Taillon.
La jeune mère espérait bien l'absence d'une
tempête qui apparaît souvent au milieu de la traversée. Seulement quelques passagers ont connu le
mal de mer. Les plus jeunes ont dormi
d'un profond sommeil; ils ont sans doute rêvé de l'expérience qu'ils vivaient
pendant le parcours en voiture sur le bateau alors qu'ils se sentaient en
sécurité en compagnie de leurs parents.
Au départ du bateau, l'heure du souper est
arrivée. Le chef de famille, Joseph
Boulianne, invite la nouvelle famille à prendre place autour de leur grande
table familiale. Pour un accueil
chaleureux, c'en est un!
Dernière étape du déménagement
Après le repas où il y eut beaucoup d'animation,
un des garçons, Émile, se charge de conduire la nouvelle famille à leur
nouvelle résidence sur le lot no 60 situé au centre de la Pointe Taillon.
Pour ce faire, il attelle un bon cheval au
"buggy" de Joseph. Tellement,
la voiture est remplie de boîtes en plus du personnel, que le conducteur ne
peut prendre place sur le siège ou derrière le siège; alors il demeurera
debout, les pieds appuyés directement sur l'essieu entre la roue arrière et le
chargement des caisses qui débordent de la voiture.
L'autre voiture, conduite par Joseph suit de
près. Pour le retour en soirée, M.
Boulianne embarque sur le dos de sa monture.
Cette dernière étape s'effectue sur une distance de plus de 12 km sur
chemin de terre.
Arrivée en lieu inconnu
Il est 8h30; la nuit est apparue depuis un
moment. Yvonne est émue; elle a hâte d'entrer dans sa nouvelle maison. Maintenant, où est le fanal? dans quelle
caisse il est? avec son intuition coutumière, elle y arrive dans peu de temps. Un voisin, M. François Boily, se présente et
allume le fanal et offre ses services pour le déchargement des voitures. Pendant ce temps, Yvonne avertit les enfants
que s'ils veulent satisfaire leurs besoins naturels cela se passera derrière la
maison à la noirceur. Ils ont vu d'autres conditions semblables.
Joseph arrive avec sa voiture. Les quelques meubles sont débarqués;
maintenant au tour du poêle, avant le départ de M. Boily. Les longueurs de tuyau s'accrochent l'une à
l'autre en direction de la cheminée.
Yvonne avait trouvé une brassée de bois. Elle allume aussitôt le feu et fait chauffer
un peu d'eau puisée au baril près du comptoir de cuisine. Dans peu de temps, elle peut offrir un thé
aux hommes. Les enfants bouffent les
galettes avec appétit. Même les plus jeunes auront une tasse de lait. Les
généreux visiteurs quittent vers 09h30.
Les couchettes sont montées pour les dernières qui ont sommeil; les
autres lits n'auront pas de matelas paillasses le premier soir. Tout le monde couche au premier plancher en
groupes dans les quelques pièces.
Déjà vers 10h00, les enfants dorment à poings
fermés. Les voisins avaient quitté sans
oublier d'offrir leur entière collaboration pour le besoin de victuailles en attendant
l'occasion d'un premier voyage au magasin général de Honfleur ou au village de
Péribonka.
Le couple monte leur lit dans une chambre du
bas où dort déjà Mariette. Pour une
première nuit, le matelas paillasse demeurera flasque c'est-à-dire sans être
rembourré de paille.
Sans doute Yvonne anticipe la lourde besogne
qui l'attend le lendemain. De plus,
elle a bien hâte de voir le milieu environnant la maison dès la levée du
jour; elle songe à l'entrée en classe
de l'aîné, Louis-Philippe, de connaître l'organisation hygiénique entourant la
maison, surtout de prendre contact avec tous les animaux de la nouvelle ferme,
etc.
Courte nuit
La nuit passée sur un matelas flasque a été
courte. Les enfants ont bien dormi et se
lèvent tôt. Ils cherchent leurs
vêtements de rechange et les quelques jeux apportés. Plus particulièrement, ils sondent les caisses une à une pour y
trouver de la nourriture qui comblera leur faim matinale.
Sans caprice
Heureusement, Yvonne n'a jamais accepté de
donner satisfaction à tous les caprices des enfants sauf que j'imagine qu'une
caisse avait été prévue pour offrir les premiers repas de la famille soit du
pain maison avec beurre et galettes, le lait dans un cruchon et une bouteille
d'eau froide. La viande était également
conservée dans des bocaux.
Enfin, vers 8h00, le repas du matin est
terminé; la prière du matin suit pour quelques minutes alors qu'Yvonne croit
bon de remercier la Providence pour la protection de la famille tout au cours de
ce voyage non coutumier.
Aussitôt la prière terminée, les trois aînés
sous la surveillance de Joseph quittent la cuisine pour aller prendre l'air de
la campagne sous un ciel radieux. Les
corneilles voltigent de poteau en poteau de clôture, puis elles survolent la
cour du poulailler attendant probablement les grains laissés par les poules au
cours du repas.
La première occupation d'Yvonne a été de laver
l'armoire à vaisselle pour y déposer le contenu des caisses à vaisselle afin
d'éviter la manipulation de celle-ci par les enfants qui manquent encore
d'habileté pour cette fonction.
Dès qu’elle a terminé, elle sort rejoindre le
groupe afin de visiter les champs et bâtiments environnants. Vers 9h00, le
vendeur, M. Prosper Norbert, qui demeurait temporairement chez son fils Eugène,
plus haut dans le rang, arrive tel que prévu afin de compléter l'information
touchant la possession de la ferme.
Passation des biens et prise de possession
Tenant compte qu'à l'époque, les clauses
contractuelles étaient moins élaborées et moins définies avec précision que maintenant,
bien sûr que la plupart des bâtiments, la localisation des lots avec les bornes
plus ou moins précises le genre et le nombre d'animaux y étaient inscrits.
Cependant les ententes verbales concernant les
clôtures, les accessoires en utilisation commune avec les voisins, il y avait
aussi le partage des produits existants sur la ferme entre l'ex-propriétaire et
le nouveau possesseur étaient généralement omis dans le contrat. Le jour même, le soin des animaux en place
avait été effectué à l'aide de l'ex-propriétaire.
Début de la vraie besogne
Dès le lendemain matin, Yvonne sert le repas au
groupe, puis après la prière, les deux s'entendent sur les priorités du
moment. La fin septembre approche, le
couple n'a pas de temps à perdre. La
belle température aidant permettra au jeune ménage de s'intégrer rapidement à
ce nouveau milieu et à connaître des gens sympathiques. Les enfants ont hâte de prendre le large, du
moins autour des bâtiments ou dans le grand jardin.
Pendant ce temps, Joseph court aux champs pour
rassembler les vaches vers les bâtiments pour y effectuer la traite en
compagnie d'Yvonne et des enfants. Yvonne avait fait une recherche pour
découvrir grains et moulée afin de nourrir poules, chevaux et porcs qui
demeurent à l'intérieur des bâtiments.
Bien sûr qu'Yvonne a hérité de la garde des
deux dernières alors que les aînés avaient souvenir des animaux de ferme qu'ils
avaient connus à Normandin. Pendant le
parcours, les deux garçons en profitent pour satisfaire leur curiosité en
posant de nombreuses questions à leur père.
Pourquoi les vaches vont aussi loin de la maison? Pourquoi les vaches mangent-elles de
l'herbe? Pourquoi et comment est fait
le lait? etc.
Dès le début de la traite des vaches, l'aîné supplie
son père pour traire une vache; il prend un seau et tente de faire sortir le
lait du pis sans obtenir de résultat, ce qu'il réussira l'année suivante avec
grand plaisir, alors qu'il y avait parmi le groupe une bonne bête à tempérament
spécial pour permettre l'apprentissage des enfants.
A sa première tentative, Louis avait déclaré à
son père qu'il aurait 7 ans le lendemain 24 septembre; alors il prétend être
devenu un homme!
Premier voyage au magasin général
La déclaration du jeune Louis-Philippe aura une
suite étant donnée que son père Joseph devra se rendre au village de Honfleur
aussitôt que la traite des vaches sera
complétée, sachant qu'il doit porter le lait à la fromagerie qui est située sur
le chemin conduisant au magasin général ce qui représente 3 km plus loin. La distance totale représente 11 km
Occupations d'Yvonne
Pendant l'absence de Joseph, Yvonne ne se
tournera pas les pouces ayant la charge des quatre enfants. Trois sont à s'amuser dans la cour arrière
d'où elle peut jeter un coup d’œil de temps à autre; la dernière Mariette dort
dans son lit; alors elle en profite pour préparer une cuite de pain, relevant
le couvercle de la huche pour y déposer la farine et les ingrédients; quoique changée de milieu, elle n'a pas
perdu l'habitude de pétrir la pâte pour la déposer dans les casseroles ou
lèchefrites, ce qui permettra de nourrir la famille pour une période d'au moins
quatre jours; quel délice, le pain maison sous toutes ses formes.
Pour ce premier voyage, Joseph a utilisé un
cheval qui lui est familier depuis quelques années; l'autre laissé à l'écurie
est avancé en âge et devra sous peu être remplacé. Au printemps de l'année 1923, cette bonne vieille jument aura
produit une belle pouliche qui assurera la relève sur les travaux de la ferme
dès la fin de 1925.
Joseph a pris connaissance de la situation des
fermes environnantes sous un soleil bienfaisant; également, il fit la
connaissance de plusieurs voisins sur le lieu de la fromagerie; déjà ces derniers lui offrent leur collaboration
pour faire partie d'une entente entre les fermiers du même secteur au bout du
rang no 4, afin d'y effectuer le transport du lait à la fromagerie à tour de
rôle.
Sans connaître les propriétaires des fermes sur
son parcours, il observe l'organisation de ces fermiers dont il doit maintenant
être du nombre de cette communauté d'agriculteurs.
Cette fois, il laissera les bidons vides à la
fromagerie et poursuivra sa route vers le magasin général afin d'y acheter les
victuailles nécessaires pour une période d'environ deux semaines, surtout sans
oublier d'apporter quelques friandises pour souligner le septième anniversaire
du fils aîné Louis-Philippe.
Ambiance au magasin
Lors de ce premier contact au magasin de
Honfleur, les gens sont courtois et semblent heureux de servir un nouveau
client qui par sa longue liste en commande donne l'indice d'une famille assez
nombreuse.
Joseph observe la coutume des gens du deuxième
et du troisième âge, qui est partout la même au Lac Saint-Jean où les gens se
regroupent au magasin général pour placoter de choses et d'autres.
Visite surprise
La grande amie d'Yvonne, Éva Boily, profite de
la belle température. Alors qu'elle avait été informée par un passager du
bateau "Colon" de l'arrivée d'une nouvelle famille dans la région de
Pointe Taillon. Il faut savoir que même
en l'absence de moyens de communication tels radio ou télévision, les nouvelles
se répandaient très rapidement dans ces régions rurales.
Enfin, l'amie Éva attelle un cheval sur un
"buggy" pour franchir la distance d'un km et demi afin de rendre
visite à son amie Yvonne qui, à son arrivée, est à préparer l'aménagement de
leur nouvelle maison.
Éva avait la garde des trois enfants alors que
son mari Oscar était au travail sur sa ferme;
les trois ont bien sûr pris place dans la voiture et étaient bien
contents de connaître les nouveaux arrivés.
L'aîné Ludger du même âge que l'aîné d'Yvonne, Louis-Philippe; le
second, Daniel avait quelques mois de différence avec le deuxième d'Yvonne,
Adrien; Béatrice, un peu plus jeune que la première fille d'Yvonne, Rose-Anna.
A leur arrivée, le groupe d'enfants s'est montré un peu timide ce qui s'est
assez vite dissipé pour entreprendre différents jeux de société.
La visite est écourtée
Consciente de la grande besogne qui reste à
accomplir par son amie, la visiteuse attelle le cheval et fait embarquer sa
marmaille pour le retour chez elle afin d'y préparer le souper pour son homme
et enfants. Avant son départ, Yvonne ne
manque pas d'inviter la famille Bolduc à revenir prendre le souper du dimanche
en groupe afin de souligner le septième anniversaire de Louis-Philippe.
Joseph revient du magasin
Quelques instants après le départ de la
visiteuse, Joseph arrive la voiture encombrée de boîtes et caisses de
victuailles. Il est juste de dire que
ce premier voyage au magasin général, ce que nous appelons aujourd'hui
l'épicerie, a nécessité une commande hors de l'ordinaire.
Les enfants qui ont aperçu leur père accourent
en vitesse afin d'offrir leur aide pour débarquer les paquets et petites
boîtes. Joseph se charge de débarquer
les grosses caisses et sacs de farine et autres boîtes d'une certaine
fragilité, surtout le petit cadeau de Louis-Philippe qui a été remis
discrètement à leur mère qui le cache dans un lieu sûr.
Messe du dimanche
Seul Joseph se rendra à cette première messe
dans la paroisse. L'assistance à la
messe à l'époque était bien sûr une obligation pour ceux qui en avaient la
possibilité. En plus d'un office divin,
c'était une occasion permettant aux gens de se rencontrer pour fraterniser soit
sur les quais, soit sur le perron de l'église.
A la Pointe Taillon, très peu d'agriculteurs n'étaient pas catholiques.
Alors nombreux voisins ont traversé en
compagnie de Joseph et Oscar qui a dû présenter le nouveau cultivateur. Les Brassard, Rousseau, Rouleau, Boily,
Douillard et Gagnon. Nombreux
agriculteurs demeurant plus haut iront à la messe à Saint-Henri de Taillon en
voiture à cheval.
L'étendue de la rivière n'était pas ce qu'elle
est aujourd'hui. Il y avait de larges
battures surtout du côté de la Pointe Taillon, de même de nombreuses îles
faisaient partie du décor.
Les débarcadères étaient très restreints, les
gens du centre de la Pointe utilisaient le bac d'un M. Jos Gagnon pour
débarquer sur un long quai presque en face de l'église de Péribonka. Quant à
Joseph, il devait parcourir plus de cinq km à pied le bac devant
parcourir plus d'un km entre les deux quais.
A trois km de la ferme de Joseph existait un quai
qui était utilisé pour le bateau passeur entre Honfleur et Roberval; le
capitaine, Pierre Douillard, a dirigé ce bateau "Colon" pendant plus
de six ans.
Détails sur la messe
La messe débutait exactement à 9h30; donc la
barque arrive seulement quelques minutes plus tôt. A leur arrivée, l'église est remplie de fidèles; il faut dire
qu'en 1921, la paroisse de Péribonka dessert un très grand territoire. Plus tard deux églises seront construites
sur son territoire soit celles de Saint-Augustin et Sainte-Monique-de-Honfleur
au cours de l'année 1923. Celle de la
nouvelle paroisse détachée de Péribonka, Sainte-Jeanne-d'Arc, sera construite
plusieurs années plus tard.
L'église de Péribonka a été construite vers
1902 après la construction d'une usine à papier sur la petite Péribonka en 1901
par W. Tremblay. L'église de St-Henri de Taillon aurait été construite au même
moment. Cette dernière est distante de
20 km de la résidence de Joseph.
La messe du temps dure parfois 2 heures. A l'issu de la messe, les gens fraternisent
sur le perron pendant une vingtaine de minutes. Très souvent, à l'automne, des petits animaux sont vendus par un
encanteur; ces animaux, des cochons, des oies, des poules, sont contenues dans
des poches de jute. Les annonces
courantes offrent des terrains, des bâtiments en échange d'animaux.
Le placotage terminé, les passagers du bac sont
priés de prendre le traversier. Sinon, ils devront attendre au voyage suivant
après l'office des vêpres en soirée.
Quant à Joseph, il s'empresse de
prendre le bac afin d'aller préparer la rencontre avec les parents et enfants
Bolduc en après-midi. A ce moment,
Joseph n'a que 28 ans; son ami Oscar a le même âge; donc aussitôt débarqué du
bac, ils prennent le chemin d'un pas rapide pour revoir femmes et enfants
autour de la table pour le repas du midi.
A son entrée, les enfants sont en belle tenue du dimanche et le
demeureront au moins jusqu'à l'arrivée des visiteurs vers 15 heures.
Suite à un moment de repos, Joseph fait part à
Yvonne les quelques observations perçues au cours d'une première messe
dominicale au village soit l'organisation du traversier surtout le long sermon
et les sujets traités en chaire, l'encan sur le perron de l'église. Il lui a
parlé bien sûr de l'intérêt démontré envers les nouveaux concitoyens de la
Pointe Taillon.
Les aînés posent bien des questions concernant
le parcours. Particulièrement quand pourront-ils eux-mêmes assister à la
messe? La mère connaissant leur grande
sagesse répond sur-le-champ, le prochain dimanche, je vous amènerai à la messe
si vous êtes sages cette semaine.
Yvonne fait remarquer à l'aîné, Louis-Philippe,
qu'il devra débuter l'école le lendemain matin. Il lui répond qu'il ne peut se rendre seul à l'école. Joseph prend la parole et reprend sur la
conversation du jour précédent où il avait dit être un homme maintenant qu'il
avait 7 ans.
Enfin la mère avec sa générosité coutumière a
promis de l'accompagner pour le premier matin.
A ce moment l'institutrice avait la charge d'une quarantaine d'élèves;
elle enseignait de la première à la septième année sauf que les premières
années sortaient vers 14h30.
La visite arrive
Pendant que les enfants s'amusent dans la cour,
ils voient la visite venir et avertissent leurs parents par des cris. Aussitôt ces derniers accourent pour
accueillir les visiteurs rayonnants de joie.
Ils se retrouvent dans la cour arrière tout en repoussant les plus
jeunes vers leurs mères respectives.
Alors, Rose-Anna, Mariette et Béatrice retournent à l'intérieur de la
maison sans trop s'en faire.
Les parents discutent de choses et d'autres,
plus particulièrement de leur nouvelle acquisition autant pour l'un que pour
l'autre, sachant que les Bolduc et Boily sont sur leur ferme depuis l'année
précédente. Enfin, les deux familles
ont le même objectif soit améliorer leurs fermes; ils ambitionnent de vivre des
produits de leurs fermes et même d'agrandir la famille ce qui apportera des bras supplémentaires
pour défricher et grossir le troupeau de vaches.
Pendant que les femmes veillent aux enfants,
Éva annonce à son amie qu'elle est enceinte de cinq mois.
Joseph conduit Oscar vers la remise des
équipements aratoires afin de connaître mutuellement l'utilisation de certains
appareils qu'ils pourront utiliser en
commun selon les besoins, la sarcleuse à légumes, l'arracheuse de patates, la
moissonneuse lieuse, la presse à foin, la pelle à cheval pour creuser les
fossés et bien d'autres. Même certains
animaux peuvent être utilisés par la communauté; par exemple, les mâles
reproducteurs suivants: étalon, taureau, verrat, bélier, etc.
Il est clair qu'un cheval reproducteur par
canton est suffisant; un taureau pour deux ou trois fermiers de 6 à 8 vaches,
ce qui évite de nourrir ces animaux qui sont utiles une fois de temps en temps.
Au cours d'une visite dans les champs, ils ont
observé les très grosses souches de pin, ce qui a fait découvrir à Joseph qu'un
proche voisin dans l'autre rang possédait un treuil spécial pour arracher les
grosses souches et pierres des champs.
Enfin le temps passe, les hommes retournent à
la maison; les enfants attendent l'heure du repas en dégustant quelques
friandises; Yvonne et Joseph invitent les Bolduc à souper mais Oscar dit ne
pouvoir accepter l'invitation parce qu'il est seul pour faire le train du
soir. Son épouse lui assure être en
mesure de l'aider aussitôt revenu à la ferme puisque son état de santé s'est
amélioré à ce jour. Il décide de prendre
le souper à condition de quitter immédiatement après le repas.
La table est servie en vitesse par Yvonne. Les
enfants ayant mangé quelques galettes et friandises n'ont pas tellement
faim! Tout en racontant l'aventure du
déménagement, le repas prend fin; le petit cadeau est présenté à Louis-Philippe
qui a 7 ans; il est applaudi par le
groupe et très heureux. Les visiteurs s'empressent de quitter afin de faire le
train avant la nuit.
Il en est ainsi pour Joseph qui doit courir aux
champs pour ramener les vaches au bâtiment; les garçons se sont changés de
costume pour rejoindre leur père aux champs.
Yvonne se charge du soin des autres animaux; arrivée au poulailler pour
le repas des poules, elle se rend compte que des visiteurs sont passé par-là;
trois oeufs sont fracassés sur le plancher et les poules sont toutes à
l'extérieur; elle contient sa surprise
afin d'éviter de blesser les enfant surtout qu'il est difficile de porter un
jugement alors que les visiteurs semblent être des enfants assez agités. L'avertissement est reporté à un autre
moment. Les vaches arrivent donc; elle rejoint aussitôt Joseph.
Au retour à la maison, Yvonne dépose le lait au
bidon et prépare l'éclairage en nettoyant les globes de lampe et met le feu à
la mèche imbibée d'huile de charbon ce qui donne une lumière parfois vacillante
lorsque les portes s'ouvrent.
Les enfants sont lavés et les plus jeunes vont
au lit assez tôt après une journée bien remplie. Les deux aînés demeurent avec le père qui accompagne les jeunes
pour entrer un peu de bois de poêle car les nuits commencent à être
fraîches. Vers 8h00, les garçons vont
au lit qu'ils apprécient bien depuis que leur matelas paillasses a été rempli
de pailles ce qui les a surélevés d'au moins 10 pouces.
Les souches de pin
Dans sa chaise berçante, Joseph jongle à ces
gros monstres de souches qui couvrent une trop grande partie du champ avec
leurs longues racines.
Origine de ces fameuses souches
Avant d'arriver à l'enlèvement des souches dont
Joseph passera de nombreuses soirées pour les faire disparaître, je me permets
d'élaborer quelque peu sur les origines de la Pointe Taillon qui a connu des
soubresauts: chantiers, colonisation, organisation puis abandon.
Découverte du Lac Saint-Jean
On attribue la découverte du Lac Saint-Jean au
père Jean Dequen en 1647. Le Lac St-Jean
baptisé par les Indiens “Piékouagami”. Il reçoit la visite du père Albanel en
l'an 1672. La région reste fermée
jusqu'au milieu du XIXe siècle; seul la présence des missionnaires et le
commerce des fourrures changent la vie des Indiens. Bien sûr, ils fréquentent la rivière Péribonka; les missionnaires
et les Blancs ont recours à leur service pour obtenir une meilleure
connaissance du territoire.
Il est compréhensible que les Indiens gardent
le silence sur la Pointe Taillon et ses environs. Ce sont des endroits
excellents pour la chasse et la pêche.
Ils profitent de son isolement pour la laisser ignorée des
étrangers. La route des fourrures passe
donc par le sud du Lac ce qui fait le bonheur des Indiens.
La signification "rivière creusée dans le sable"
revient au père François de Crispiel en 1673.
Début de la colonisation
En 1829, après l'exploration, une commission
gouvernementale est chargée du développement du Lac Saint-Jean. Les grandes compagnies de fourrure s'y
opposent fortement. Plus rien ne bouge
jusqu'en 1838, année où débute la colonisation de la région, ancien royaume des
Montagnais. Dans ce coin de pays
s'étendent de belles prairies et des terres unies enrichies de la présence des
loutres et des orignaux.
Préparation d'un rapport d'arpenteur
En 1854, l'arpenteur P.A. Tremblay travaille
pour le compte de W. Price, entrepreneur en foresterie. Il rencontre la rivière Péribonka et dresse
un rapport détaillé qu'il remet en 1860.
Il parle surtout de la présence de très gros pins blancs en abondance
dans le canton Taillon.
Chantier forestier
Ce canton doit son nom du député de
Montréal-est et président de l'assemblée législative à Québec, Sir
Louis-Olivier Taillon. Chose curieuse,
le canton Taillon n'a pas été érigé à l'origine; on le retrouve comme ça sans
savoir qui l'a délimité et baptisé. Il
est reconnu comme existant et approuvé par un ordre en conseil, le 30 mars
1883, mais il n'est proclamé officiellement que le 16 avril 1916.
Les chantiers forestiers connaissent un essor
considérable en 1860 grâce à la construction de la glissoire bâtie à la petite
décharge d'Isle-Maligne. Le grand
artisan de la colonisation est Nicolas de Tobentin-Hébert, curé de
Saint-Pascal. En 1883, l'arpenteur John
Langlais, explore l'intérieur du canton Taillon. Dans son rapport, il conclut que cette partie du territoire offre
des avantages réels et immenses à la colonisation.
Arrivée des premiers colons
En 1885 arrivent les premiers colons dans le
canton Taillon, plus précisément à la Pipe.
A Péribonka, dès l'année 1887, un industriel de Drummondville, Edouard
Niquet, achète 12 lots à l'embouchure de la Petite Péribonka. Il y fait construire une scierie en 1891; le
bateau "Arthur" porte le nom de son fils aîné; il fera le transport
du bois vers la ville de Roberval.
Déjà en l'an 1903, un grand nombre de colons
sont fixés sur Pointe Taillon.
Résistance des compagnies
Les compagnies font de fortes pressions pour
empêcher la colonisation. Le département des industries est sous leurs
pressions. Il envoie une équipe avec
mission de faire une enquête pour établir que cette partie est impropre à la
culture.
Un colon du rang IV, lots 54-55, Thomas-Louis
Marcoux, prend la contrepartie: il fait signer une pétition par tous les colons
de la Pointe Taillon y compris le futur ministre sans portefeuilles, Émile
Moreau, qui demeure à ce moment sur le lot 61 voisin de Joseph. Ce même Émile Moreau occupera le poste de
député et ministre de la colonisation entre 1919 et 1935 sous le gouvernement
Taschereau.
Les colons pionniers venus s'installer sur la
Pointe Taillon, dont le propriétaire du lot où je suis né, étaient M. Prosper
Norbert, beau-père de Émile Moreau, qui venait de Nashua, New-Hampshire;
également les Rousseau qui possédaient 5 lots voisins de Joseph dont un
Rousseau est devenu mon parrain.
Milieu bilingue
Nous retrouvons dans le récit d'un
procès-verbal d'une réunion du conseil municipal au cours de l'an 1917, un
règlement exigeant l'obligation de l'usage de la langue française dans toutes
communications aux réunions du conseil municipal.
Retour sur la famille
Nous sommes lundi; la nuit a été fraîche suite
à un orage assez important qui semble dissipé sur le coup de 7h00. Le gros poêle chauffe depuis quelques
minutes. La bouilloire de fonte, qu'on
appelait à l'époque "canard" est à chauffer sur le premier rond du
poêle pendant que Joseph se rend à la hâte donner le repas aux chevaux.
Il revient alors qu'Yvonne a préparé le
déjeuner à bonne heure sachant qu'elle doit préparer le jeune Louis-Philippe
pour l'école; elle-même l'accompagnera pour son inscription tel que promis le
jour précédent.
Joseph s'occupe de la traite des vaches et du
soin des autres animaux; il veillera aux trois autres enfants jusqu'au retour
d'Yvonne. Le plus âgé, Adrien, se
charge de pomper l'eau dans le baril au bout du comptoir de la cuisine tandis
que les deux filles suivent leur père.
Le jeune Adrien doit monter sur une chaise pour manipuler le long bras
de la pompe à eau. Par la suite, sa
mère lui demande de ranimer le feu du poêle pendant qu'elle lave la
vaisselle.
Elle vide les vases de nuit dans la bécosse
(back house) derrière la maison et elle devra y déposer de la chaux pour faire
disparaître les mauvaises odeurs dues à la grande humidité qui règne en ce jour.
L'eau chaude
L'eau chaude ne s'obtient pas par l'ouverture
d'un robinet! Sauf exception, bien sûr
les enfants doivent être baignés tous les jours dans une grande cuve moitié
remplie d'eau dégourdie c'est-à-dire chaude réduite avec l'eau du baril. Parfois les derniers connaissaient l'eau
refroidie. Cette eau chaude était obtenue soit par un récipient de cuivre
intégré à l'extrémité du poêle à bois ("boiler") ou par le
réchauffement d'une grosse bouilloire en fonte ou autres assise sur la surface
du poêle à bois. Pour cette raison, le
poêle à bois devait fonctionner tout au cours de la journée même pendant la
saison chaude d'été. A cet effet, le
caveau à bois était régulièrement rempli de bois de poêle.
Inconvénients
Sans aucun doute, la présence d'un ou deux
poêles à bois fumant parfois dans la maison contribuait grandement au salissage
du plancher, des rideaux, des murs et plafonds, ce qui nécessitait un ou deux
grands ménages annuels. Il faut tenir
compte qu'à l'époque les murs et plafonds étaient conçus en bois uni, parfois
peinturés de couleur sombre.
Ceci donne un aperçu du travail que devait
effectuer Yvonne et les autres femmes du temps sachant que très peu d'hommes
participaient aux travaux intérieurs des maisons.
La vraie vie de ferme débute
La veille, un fermier des environs avait
convenu du transport du lait à la fromagerie et devait le ramasser vers 8h30.
Le programme occupationnel de la journée est
assez chargé. Aussitôt la livraison du
lait réalisé, Joseph doit rendre visite à son voisin, M. François Boily, afin
d'obtenir quelques renseignements concernant les coutumes et ententes avec les
concitoyens pour ce qui est des clôtures, des routes ainsi que de l'usage des
machines aratoires à usage commun; de même les conditions de l'usage de son
taureau, aussi si possible du moment que ses propres vaches ont été saillies.
Avant de quitter, il lui souligne son besoin
d'une petite faux à manche. François
est heureux de lui fournir les renseignements désirés et lui prête volontiers
une faux et offre de lui passer tous les accessoires nécessaires. Joseph trouve
encourageant d'avoir un bon voisin collaborateur sans précédent pour sa part,
ce qui n'existait pas régulièrement sur sa ferme précédente. Par la suite une grande amitié s'est
installée entre voisins et ce dernier a été un conseiller bien apprécié par
Joseph et son épouse. Ce monsieur était plus âgé que Joseph et possédait
beaucoup d'appareils aratoires.
Le travail de bras débute
Enfin le temps passe; Joseph quitte le voisin
avec la faux en main pour se diriger vers son champ d'avoine dont les épis sont
devenus jaunes comme de l'or et prêts à être couchés dans les prochains
jours. Pour le moment, Joseph se contente
de couper les grains tout autour du champ sur une largeur d'un chemin de 2
mètres. Le tout sera râtelé en tas à
l'aide d'un petit râteau manuel de fabrication domestique en bois, puis
engrangé avant qu'il subisse la pluie qui s'annonce dans les prochains jours.
Pour ce faire, Joseph obtient la collaboration
d'Yvonne et des enfants qui prennent plaisir à marcher sur le voyage qui prend
de la hauteur constamment. De plus,
Adrien, âgé de 5 ans et demi, dirige le
cheval du haut de la ridelle avant de la voiture; il adore commander le cheval
Freddy qui obéit aux commandes de la jeune voix; "marche Fredy",
"wo", "hu" pour gauche et "di" pour droite.
Besoin d'aide
Aussitôt l'engrangement terminé, Joseph prévoit
commencer la moisson de son champ à l'aide de sa moissonneuse-lieuse. Il prend une entente avec son deuxième
voisin, Oscar Bolduc, alors qu'ils procéderont à la coupe du grain à tour de
rôle. Ce dernier doit ajouter un
troisième cheval pour opérer la moissonneuse très lourde et chargée de nombreuses
composantes commandées par la grosse roue qui supporte et actionne tous ces
dispositifs à engrenages mécaniques qui conduiront les grains et pailles dans
le haut de l'appareil où un dispositif particulier attachera les gerbes à
l'aide de corde de sisal.
Ce système a beaucoup fasciné les enfants qui
se questionnaient sur l'adresse du monsieur qui attachait les gerbes d'avoine.
Aussitôt les gerbes envoyées au sol par
l'appareil, Yvonne et les enfants prenaient plaisir à les regrouper par six ou
huit gerbes, debout liées par la tête.
Ces gerbes sècheront pendant plus de dix jours avant d'être engrangées
pour être séparées de leurs grains au cours du printemps suivant.
Coutume de l'époque
Cette opération terminée chez Joseph sera répétée
chez l'ami Oscar, ce qui est une façon normale chez les petits fermiers qui ne
peuvent effectuer ces travaux en solitaire ou payer pour accomplir ces tâches,
alors que l'argent est rare pour tout le monde sur ces petites fermes. Ce genre d'entente était courant sur la
Pointe Taillon sauf pour les fermiers qui formaient une communauté entre père
et frères tels que les Rouleau, les Rousseau, les Aubin, les Douillard, Les
Boulianne qui pouvaient se retrouver de trois à cinq membres de la famille dans
le même secteur. Quelques-unes de ces familles feront l'objet d'un court récit
historique dans cette page.
Les Boulianne et les Douillard
Avant de relater l'origine des Boulianne, je passerai
par leurs prédécesseurs au nombre de trois sur cette presqu'île. Je dis
"presqu'île" parce que ce territoire est devenu une île lors du
rehaussement du Lac Saint-Jean en juin 1926.
Pourtant on l'a toujours appelé l'île à Boulianne ce qui s'est avéré
exact après 1926.
En voici l'origine :
Eugène Roy, fils de François-Xavier, perd son
père en bas âge; il vit chez son oncle et tuteur, le juge David Roy, frère de
son père.
A 18 ans, Eugène assume seul ses
responsabilités. Sans expérience, il ouvre un magasin à Québec; il s'associe à
Eugène Lécuyer pour travailler à la publication d'un journal qui est de courte
durée.
Ruiné, il accepte un emploi dans un magasin de
fourrures à New York. Peu de temps
après, il s'engage dans l'armée américaine.
Au cours des 10 ans de sa carrière militaire, il combat à la guerre du
Texas. De retour au Canada, il ne
dévoile rien des événements qu'il a vécus.
Il se marie et achète la terre de son grand-père maternel Descormiers à
Gentilly. Il possède très peu de connaissances
de la culture et n'obtient guère de succès.
Peu de temps après, il obtient de son ami le
ministre Chauveau un emploi de gardien de phare à Pointe Rich à Terre-neuve,
sur le détroit de Belle-Ile. A cet endroit, personne ne cultive car la terre
s'avère inculte. Eugène Roy et sa femme
sont les seuls à avoir quelques animaux dont quelques vaches et un taureau qui
pâturent dans les prairies naturelles.
Il cultive avec sa femme un petit jardin pauvre pour combler les besoins
de leur famille. Seul le bateau du
gouvernement vient une ou deux fois par année.
Ce bateau apporte des paquets de vieux journaux et quelques livres
expédiés par des amis d'Eugène. Il lit
pendant l'été les journaux de l'hiver précédent. Leurs amis qui écrivent adressent leur courrier en France. Au mois d'avril, la famille Roy reçoit leurs
salutations du Jour de l'An. Les
enfants ne fréquentent pas l'école; leur père leur enseigne la lecture, le catéchisme
et les prières. Dans les années
antérieures, les deux aînés ont eu la chance de suivre des études à Québec.
Papa Roy entretient des relations suivies avec
sa mère. Cette dernière est devenue
mère Marie du Sacré-Coeur. Cette femme
devenue veuve a fondé la congrégation des sœurs du Bon-Pasteur. Elle a abandonné son nom de jeune fille,
"Marie-Joseph Fitzback Roy" pour adopter le nom de mère Marie du
Sacré-Coeur. La famille Roy est honorée
car il est rare d'avoir une religieuse pour grand-maman.
La vie d'Eugène Roy est raccourcie en ce jour
malheureux où il se fait encorner par un taureau. Le poumon perforé, il rend l'âme après neuf jours de douleurs
atroces. On l'enterre à Pointe-Rich, là
où repose une de ses petites filles morte en bas âge.
Pour les douze enfants vivants, l'avenir ne
s'annonce pas prometteur à Terre-Neuve. Dame Roy revient à Québec et rencontre
le père Zacharie Lacasse, oblat, qui l'incite à s'établir avec sa famille au
Lac St-Jean. Elle aménage donc à
Roberval où elle ouvre un magasin et se bâtit une maison; elle vend sa terre de
Gentilly. Ses enfants travaillent ici et là.
Son fils Albert que j'ai connu forme une
société avec son frère aîné, Eugène. Ils achètent trois lots à Albanel. Eugène
se rend compte qu'il n'aime pas la culture. Ils revendent donc chaque lot pour
$50,00. Alors Eugène s'ouvre une menuiserie à St-Prime.
Avec le produit de la vente de la terre de
Gentilly, Albert ainsi que deux de ses frères achètent les derniers lots à
l'extrémité de la Pointe Taillon en 1895. Ils hivernent sur leurs terres et le
printemps venu, ils consacrent leurs journées au défrichement. Maman Roy leur rend visite au cours de
l'été; elle loge dans le camp construit par ses garçons.
A son retour, elle songe sérieusement à venir
s'établir avec ses fils. Son commerce avec
les Indiens s'avère désastreux. Trafiquer avec eux demande en plus d'un capital
solide une connaissance approfondie de leur caractère. Dame Roy ne possède ni
l'un, ni l'autre et perd presque tout.
Elle sauve ce qu'elle peut et décide de venir
avec le reste de sa famille rejoindre ses trois fils. En janvier 1897, le monastère des Ursulines de Roberval se voit
ravagé par un incendie. Dame Roy met son foyer à la disposition des
religieuses. Quelques temps après, le curé Paradis achète sa maison qui sera
revendue plus tard à la municipalité de Roberval pour la construction de
l'hôtel de ville.
Madame Roy arrive donc à Pointe Taillon en
1897. La terre est fertile et, après quelques années, la ferme des Roy devient
l'une des meilleures de la région.Elle réalise son idée d'ériger un calvaire
situé sur la rive vers l'embouchure de la rivière Péribonka. Ce calvaire représente un gage de protection
pour son domaine et un acte de réparation. Paul-Augustin Normand, le futur
propriétaire de ces lots, écrira quelques années plus tard: “Madame Roy m'a dit
qu'elle avait édifié ce calvaire en expiation des blasphèmes qui avaient été
proférés dans les chantiers de bois ayant été opéré sur la rivière Péribonka”.
Elle soumet son projet à Mgr Labrecque, évêque
de Chicoutimi. Le 28 janvier 1899, elle reçoit cette lettre:
« Madame,
Je vous félicite de l'heureuse idée que vous
avez eu d'élever un calvaire. Je bénis l'entreprise et lui souhaite plein
succès.
J'espère que Dieu vous accordera aussi la
prospérité dans votre entreprise de colonisation, et pour l'établissement de
vos fils.
Veuillez me croire,
Votre très dévoué en N.S.
M.T., év. de Chicoutimi »
J'ai visité ce calvaire à plusieurs occasions
sur l'Ile à Boulianne mais je ne connaissais pas l'origine de ce beau monument
haut en couleurs. Le corps du Christ,
en bois de grandeur naturelle, est sculpté par Henri Angers de Québec au coût
de 75,00$. La statue de Marie Désolée est exécutée pour la somme de 40,00$.
Elle y inscrit la liste des contributions qu'elle reçoit soit pour la statue de
la Vierge, soit pour le crucifix. C'est
pour remplir une promesse qu'elle a faite qu'elle quête à Québec et aux
environs de Québec. Il fut installé dans
la première semaine de juillet 1899; celui-ci est abrité par un petit édifice
d'environ huit pieds sur six pieds. La toiture est de forme octogonale; la
façade vitrée avec une porte au centre. On peint l'extérieur en rouge, la
façade et l'intérieur en blanc.
A l'été 1900, lors de la visite paroissiale,
Mgr Labrecque s'arrête à la colonie et pour la première fois, il donne le
sacrement de la confirmation dans la chapelle inachevée. Le même jour, soixante-quinze(75)
excursionnistes du Canada et des États-Unis saluent le calvaire lors de leur
passage sur la rivière Péribonka.
En 1905, dame Roy vend sa propriété à
Paul-Augustin Normand. Son fils, Albert Roy, bâtit à Péribonka une maison
voisine de l'école du village.
En 1908, une attaque de paralysie frappe
sournoisement Mme Roy; âgée de 62 ans, cette femme énergique n'est plus qu'une
loque humaine. Albert et sa soeur
Angéline se dévouent au chevet de leur mère. Après 3 ans de paralysie, cette
grande dame de la colonisation décède à Péribonka en 1911.
Changement de propriétaire
A l'été 1905, un jeune Français, Paul-Augustin
Normand, achète les propriétés de Madame Roy, D'André Donaldson et de U. Dionne
à la Pointe Taillon. Fils millionnaire
d'un puissant armateur du Havre, il nourrit de grands projets agricoles et
industriels. Âgé de 20 ans, ce
célibataire possède le sérieux indispensable à la réussite d'un homme
d'affaires. Il consacre son temps au
défrichement et à l'exploitation du bois.
Ne pouvant assumer seul cette entreprise de
grande envergure, il engage Onézime Tremblay, maire de Saint-Jérôme; lui ayant
servi de guide dans son exploitation de terres productives, Onézime représente
le style typique d'intendant digne de confiance pour le seconder. Cent
vingt-cinq employés oeuvrent sous ses ordres.
P.A. Normand baptise sa propriété “Domaine de
la Pointe Taillon”. Le calvaire de madame Roy devient le sujet d'une clause
spéciale: il est entendu qu'en signant le contrat d'achat des lots de dame Roy,
Paul-Auguste Normand s'engage à maintenir en bon état cette magnifique sculpture
religieuse. Cette nouvelle acquisition
ajoute au charme naturel du domaine qui bénéficie de lieux bordés par des
limites naturelles évitant la lourde tâche de clôturer.
Le nouveau propriétaire fait construire de très
grands et beaux bâtiments qui font l'envie des gros cultivateurs de la
région. Ces bâtiments sont peints. La grange-étable et la remise sont
recouvertes de tôle galvanisée; déjà cinq jeunes chevaux et une pouliche de
deux ans hébergent à l'écurie.
P. A. Normand éprouve une fierté justifiée en
regardant son troupeau de bétails enregistré de pure race canadienne. Il a sur place tout un arsenal d'instruments
de meilleure qualité et généralement des plus grands modèles.
Homme d'affaires actif, il fait la navette de
la France à Pointe Taillon. Onésime, son chef de pratique, le seconde de main
de maître. Malheureusement, la mort de
M. Normand père oblige P.Augustin à rentrer au Havre pour prendre la direction
des affaires paternelles. Cet homme
exceptionnel a poursuivi les communications avec ses amis du Canada; même qu'en
1975, âgé de plus de 90 ans, il écrit à son ami Mgr Victor Tremblay, fils
d'Onésime.
Société anonyme au capital de 5 millions
Siège social : 67, rue de Perré, Le Havre
Cargos, chalutiers, bâtiments rapides, yachts
Spécialité de navires coloniaux et chalands de
mer et de rivières à faible tirant d'eau démontable par tranches.
"Surf-boat" et canots de sauvetage à
rames ou à moteur.
Moteurs diesel de toutes sortes, fixes ou marins
marchant au pétrole ou aux huiles et graisses végétales
Chaudière Normand brevetée SG.D.6, chauffant au
mazout ou graisses végétales.
L'avant dernier propriétaire de l'île, M. Auguste Gagné
Auguste Gagné Victor Gagné naît le 6 avril 1850
à Notre-Dame-du-Bon-Secours dans le comté l'Islet.
En 1868, Auguste s'engage “zouave” pour la
défense des états pontificaux attaqués par les troupes de Garibaldi. Par la suite, il s'installe à Saint-Jérôme
où il devient maire et y demeure pendant 23 ans, préfet de comté pendant 7 ans.
En 1909, il acquiert les propriétés de
Paul-Augustin Normand. Le 27 juin 1910, c'est la fête à la Pointe Taillon!
Trois mille personnes, dont l'évêque de Chicoutimi, se sont déplacées pour
assister à l'événement. Auguste Gagné recevra dans quelques instants l'honneur
qu'il s'est mérité par sa bravoure à la guerre des Boers. Tout ce beau monde assiste religieusement à
la messe en plein air. Par la suite, le
délégué papal décore Auguste "Chevalier de Saint-Grégoire le Grand".
Toute cette émotion et cette fierté rejaillissent sur la petite population de
Pointe Taillon.
Auguste agrandit son champ d'action en achetant
la fromagerie située à l'extrémité de Pointe Taillon le 30 avril 1916. Il la revend le 5 janvier 1920. Estimateur
le 15 mars 1920, il répétera l'expérience du 5 mars 1923 au 3 juillet de la
même année.
En 1926, le baignage ne l'épargne pas; suite à
l'élévation du Lac, c'est avec regret qu'il quitte Jeanne d'Arc pour aller
demeurer avec l'un de ses fils à Mistassini.
Joseph Boulianne
Accompagné par sa femme, Philomène Côté et par
ses huit enfants, Joseph Boulianne part de Sainte-Croix en novembre 1918 et
s'installe à la Pointe Taillon pour cultiver les terres achetées d'Auguste
Gagné. Le déménagement de leurs bagages
les oblige à faire de cinq à six
voyages pendant l'hiver, lesquels voyages leur demandent deux jours et
demi chacun.
Sur ses neuf cents acres de terre paissent
quarante vaches et de nombreux autres animaux.
La famille Boulianne ne craint pas de faire
deux heures de route en voiture à chevaux pour aller s'amuser jusqu'à la Pipe
pour veiller souvent jusqu'aux petites heures du matin. Ils sont très amis avec les quinze familles
qui habitent dans le rang IV de Pointe Taillon; de nombreux visiteurs arrêtent
sur l'île chez cette famille accueillante que sont les Boulianne.
En 1926, ils rendent la compagnie Duke Price
responsable du baignage des terres de la Pointe Taillon. Ils savent qu'un comité
de défense des résidants de la Pointe Taillon et autres paroisses est formé
pour protéger les biens des habitants.
Ils approuvent Onésime Tremblay dans sa démarche jusqu'en en Angleterre
pour solliciter aide et appui. La
Compagnie lui accorde 2 500,00$ pour payer leurs frais de déménagement en
1928. Emportant le calvaire de Madame
Roy pour en faire don à leur nouvelle paroisse de Saint-Augustin, ils quittent
donc Jeanne d'Arc en 1928. Joseph et
Philomène finissent leurs jours à Saint-Augustin.
L'un des membres de cette belle-famille dira un
jour: "Je crois que les dix plus belles années de ma vie, je les ai vécues
sur la Pointe Taillon".
Émigrants français à la Pointe Taillon
Léonine Douillard raconte...
« Née le 29 novembre 1896 dans un petit village
de France appelé Gétigné non loin de Cleisson au Poitou.
Mon père Auguste cultivait les fruits: pommes,
prunes, pêches, cerises de France, fraises et raisins dont il faisait des vins
délicieux. Il cultivait aussi les
légumes, le blé pour le besoin de notre farine. Il aimait aller à la foire se chercher des animaux maigres qu'il
engraissait pour ensuite les revendre gras pour la boucherie, ce qui faisait
notre bénéfice.
Notre église se nommait
Notre-Dame-de-Toutes-Joies. Une deuxième chapelle s'appelait
Notre-Dame-de-la-Recouvrance.
Un jour, arrivant de l'école, j'entends que
papa devait partir prochainement pour le Canada. "Pourquoi partir pour le Canada?" demandai-je à maman.
On a lu dans les journaux qu'il y avait là-bas de belles terres à vendre, et
ton père veut en acheter une pour nous faire un chez-nous pour nos vieux jours.
Mais comment préparer ce voyage?
Nous allons écrire à M. l'abbé Pierre Richard;
lui, il va nous donner les renseignements nécessaires; ce qui fut fait. Donc, dans le mois de mai 1904, papa partait
pour le Canada. La maison restait bien triste et bien vide mais ça n'a pas été
bien long que nous avons reçu l'ordre de tout vendre et de préparer le voyage.
Tout abandonner pour une terre inconnue! Hé oui! Nous sommes partis le 2
octobre 1904, après avoir salué nos parents et amis. Mais nous avons dit un
dernier adieu à Notre-Dame-de-toutes-Joies en passant.
Partis de la maison à onze heures du soir en me
rappelant ce passé, je me promets d'écrire un poème:
“ Blanche colombe si j'étais,
Vers mon pays natal je volerais
Pour revoir mes amis
D'autrefois...”
Conduits par notre ami et voisin, Jean-Baptiste
Daben, nous avons été prendre le train, alors que nous étions au nombre de sept
pour ce voyage, dont voici les noms: ma mère Véronique Bossard, un frère de ma
mère, René Bossard, ensuite mes frères Pierre et Auguste, mes sœurs Marie,
Augustine et moi-même.
Partis de Cleisson, nous sommes arrêtés à
Nantes 2 heures et à Château-Brillant, puis Rennes et enfin à Saint-Malo, port
de mer. Après deux jours d'attente pour
le bateau qui devait nous amener en Angleterre. A Saint-Malo, pour tuer le temps, nous allions en groupe au bord
de la mer chercher des coquilles, ce qui nous a fait de beaux souvenirs.
Partis de Saint-Malo à onze heures du soir,
nous avons pris 8 heures à traverser la Manche; nous avons tous été malades du
mal de mer. Débarqués le lendemain
matin à Southampton et puis à Londres, Liverpool. Là encore deux jours à attendre le bateau qui devait nous faire
traverser la mer et nous conduire au Canada.
Mais avant de prendre le bateau, il faut que je
vous raconte ce que j'ai vécu en Angleterre.
D'abord Southampton, nous avons été seulement quelques temps à nous
préparer à prendre le train. Les gens préposés à la douane ont bien voulu faire
passer sans défaire nos bagages car nous avions huit grosses boîtes et avons dû
attendre le train de Londres. Arrivés à
Londres, nous avons attendu 2 heures pour le train de Liverpool. Débarqués,
nous étions attendus par la Société de la colonisation qui nous a aidés à nous
trouver un hôtel pour nous loger. Nous
avons pris les petits chars électriques pour faire le tour de la ville.
Quelques-uns uns de la famille sont allés voir les chantiers maritimes, une
place très dangereuse de la construction de bateaux. Maintenant il a fallu changer notre argent car nous avions de
l'argent français ce qui ne valait rien au Canada.
L'heure d'embarquer dans le gros Transatlantique
arrive. Nous voilà dans notre petite
cabine, juste à l'égalité de l'eau. Le lendemain, nous étions déjà sur la mer.
Un petit bateau nous apportait la "malle" de l'Irlande. La traversée a duré 15 jours.
Nous sommes finalement débarqués à Québec, bien
fatigués après avoir eu le mal de mer.
Nous nous dirigeons vers un grand hall qui abritait tous les passagers
au nombre de 1 500. Après les
formalités d'usage, nous continuons notre route jusqu'à Grenville, petit
village pas très loin d'Ottawa. A cet
endroit, mon père nous attendait avec hâte.
Revoir les siens après six mois de séparation, la joie est
indescriptible. Là, nous nous sommes
installés pour deux ans chez un cultivateur.
Cette petite paroisse s'appelait Saint-Philippe d'Argenteuil. Ensuite, il nous fallait repartir pour se
faire un chez-nous au Lac Saint-Jean, plus précisément sur le bord de la
rivière Péribonka, juste en face du village.
Nous étions sur une terre pas avantageuse; il nous fallait toujours
traverser la rivière pour les commissions, pour la messe et tout cela, en
bateau seulement.
Nous sommes arrivés là le 2 novembre 1906; mon
père aimait bien cultiver la terre et c'est ce qu'il a fait jusqu'à sa mort à
l'âge de 79 ans un 5 octobre 1934.
Ma mère était décédée 7 ans auparavant le 5
octobre 1927 à l'âge de 72 ans. Ma
soeur Augustine qui me précédait avait épousé Edmour et demeurait sur l'île
d'Anticosti; elle est décédée à l'âge de 19 ans 5 mois le 12 janvier 1914.
L'épouse de mon frère Pierre, Marie-Louise
Gaudreault, est décédée à l'age de 23 ans le 6 juillet 1918 de la grippe
espagnole. Pierre est resté avec deux
enfants, Pierrette et Paul. Il s'est remarié à Marianne Côté. Mon autre soeur,
Marie, avait épousé Joseph; ils ont eu deux filles; elle est décédée le 4 novembre
1918.
La femme de mon frère Auguste est décédée en
1918 de la grippe espagnole. Auguste s'est remarié avec Marie-Louise Tremblay.
Moi, j'ai marié un veuf, Édouard Néron, qui
avait perdu sa femme Julianna Maltais pendant l'année 1918 de la grippe espagnole.
Nous avons eu 17 enfants dont 11 sont vivants: Antoinette, Annette, Lionel,
Patrick, Jean-Charles, Georges-Henri, Simone, Florent, Jacqueline, Roger et
Paul.
Mon frère Pierre est allé travailler deux ans
sur l'île d'Anticosti afin de ramasser des fonds nécessaires pour s'établir à
Péribonka vers 1913, en même temps que l'écrivain Louis Hémon; il a eu deux
enfants de sa première femme et neuf avec sa deuxième, Marie-Anne Côté. Les
Douillard ont subi les affres du baignage du Lac-Saint-Jean et quitté Pointe
Taillon vers l'année 1936.
Participation d'Yvonne
En plus de voir à l'entretien des enfants,
Yvonne fabriquait le pain, toutes les pâtisseries, le beurre, les confiseries
pour les mettre en cruchons. Elle
voyait également à la confection des vêtements usagés; elle tricotait gilets,
bas, mitaines, tuques, foulards et complétait d'autres tricots effectués par
Joseph utilisant la tricoteuse mécanique pour les bas, camisoles, caleçons ou
autres.
Travaux de la ferme
Elle prit part à la plupart des travaux de la
ferme dans la mesure du possible évitant d'exposer les enfants aux risques
d'accidents. Parfois, elle a pris part à la coupe du bois de poêle. Elle prend plaisir à aider Joseph pour
l'enlèvement des grosses souches de pin
sur le terrain qu'il devait labourer au cours du mois d'octobre.
Les enfants aimaient courir aux champs pour
empiler les pièces de souches et les racines découpées par leur mère avec une
petite scie; ces parties de souches disséquées seront utilisées pour la cuisson
des aliments dans le gros poêle de la cuisine.
Malheureusement, les scies mécaniques n'existaient pas. Combien d'efforts et d'énergie auraient été
réduits pour disséquer ces monstres à grandes pattes allongées sur le sol,
parfois jusqu'à plus de 10 mètres.
Dès la première chute de neige, Yvonne prenait
plaisir à parcourir les buissons accompagnée des enfants pour y étendre des
collets à lièvres. Quelle grande joie
pour les enfants de lui rapporter le lendemain deux ou trois beaux lièvres
qu'ils pourront déguster mélangés dans une bonne tourtière au cours des jours
suivants.
Que de fois Yvonne accompagnée des enfants prit
part au transport des gerbes d'avoine en faisant la mise en place des gerbes
dans un support à foin, tandis que les enfants s'amusaient à fouler
c'est-à-dire courir sur la surface d'une extrémité à l'autre de la voiture;
généralement l'aîné tenait les guides pour commander les déplacements du cheval
d'un quintal à l'autre.
Au début d'octobre, les quelques rangs de
patates avaient été éventrés par le gros arrache-patates, appareil tiré par
deux chevaux et dont les deux roues sont garnies de nombreuses dents afin
d'augmenter l'adhérence au sol. Des
roues d'engrenage faisaient en sorte que des mains d'acier reliées à une grande
roue transversale à l'appareil lançaient les patates jusqu'à une distance de 5
mètres. Yvonne et les enfants
ramassaient et ensachaient le produit qui sera transporté le soir même dans une
remise conçue à cet effet.
Depuis quelques jours, le couple ne cessait
d'espérer recevoir le montant dû du premier terme du contrat de leur ferme
vendue l'année précédente à Normandin.
Une partie de l'argent comptant donnée sur la nouvelle ferme devait être
remise au vendeur le 1er octobre 1921.
Les jours passent et l'argent n'arrive toujours
pas! Joseph téléphone à son parent
acheteur qui l'informe avoir mis au cours des derniers jours une lettre
d'information juridique se rapportant au contrat de vente de la terre.
Vers le 25 octobre, le postillon apporte une
lettre venant de Normandin. Joseph était à labourer lorsqu'Yvonne lui apporte
la fameuse lettre. Il en prend connaissance et aussitôt Yvonne constate grâce à
l'expression du visage de Joseph que l'enveloppe ne contient aucun chèque.
De plus, l'acheteur indique l’invalidité du
contrat notarié l'année précédente. Instantanément, Joseph dételle les chevaux
et court vers la maison; Yvonne se charge d'entrer les chevaux à l'écurie
pendant que Joseph téléphone au notaire responsable du contrat de la
terre. Ce dernier répond qu'il se
charge de faire le nécessaire pour corriger la situation le plus tôt possible.
Les jours passent; le jeune couple est angoissé
en raison de ne pouvoir remplir leur obligation, même que le vendeur, M. P.
Norbert, comprenant leur situation avait accepté une extension d'un mois pour
le paiement prévu. De plus, M. Norbert
prend entente pour une compensation d'échange, en acceptant des produits de la
ferme c'est-à-dire des patates et de la viande qui pourront être livrés suite
aux boucheries effectuées vers le 8 décembre.
Suite à cette entente, Joseph respire mieux puisqu'il est satisfait de
ce nouvel arrangement avec M. Norbert. Il est heureux de l'annoncer à Yvonne
alors qu'elle est à traire les vaches entourée des enfants qui, comme leur
mère, avaient bien hâte de voir leur père arriver.
Fin décembre, le couple reçoit une lettre du
notaire les informant que la modification du contrat devra être réalisée en
présence d'un juge, du notaire, de l'avocat de l'acheteur ainsi que des deux
partis concernés par l'acte de vente.
De même, la date de ces démarches n'est pas encore connue. Cependant, la cour avisera les intéressés en
temps et lieu, ce qui, sans aucun doute, contribuera à alléger l'atmosphère qui
était quelque peu tendu au cours des premiers mois de l'hiver.
Malgré ces inconvénients un peu dramatique,
cette jeune famille remplie d'espoir de voir la lumière au bout du tunnel un
jour, reprend la besogne le lendemain du premier téléphone où il y a eu
déception. Les labours se sont poursuivis et l'élimination des souches s'est
poursuivie par les soirs lorsque la température le permet.
Tenant compte que la Pointe Taillon compte
parmi ses concitoyens de nombreux boute-en-train soient des musiciens, de bons
chanteurs, des danseurs, des raconteurs et même de bons fabricants de boisson
ou "bagosse", ces gens s'amusent et adorent faire participer les
nouveaux venus dans leurs soirées coutumières.
Déjà depuis leur arrivée, Joseph et Yvonne ont
accepté les invitations afin de participer aux soirées chez les Rousseau et les
Boulianne qui aiment bien s'amuser.
De plus les familles Bolduc, Boily et Douillard
ont été visitées par courtoisie et échange de rencontre en famille. Même que la famille Bolduc connaissant les
capacités de Joseph en profite pour le solliciter à leur enseigner les
mathématiques et la grammaire au cours de ces rencontres de courtoisie. Ce qui
sans doute sera un atout pour leur amie Eva qui pourra assister les jeunes
élèves qui vont à l'école au même endroit que le fils d'Yvonne.
Ayant la responsabilité de quatre enfants, la possibilité
de sortir au loin est réduite; Joseph et Yvonne doivent parfois prendre part
aux funérailles ou encore assister à des mariages de parents proches. Pour ces
occasions, il a toujours été possible d'obtenir les services d'une personne du
milieu pour quelques jours. Après
quelques années, le couple a pu obtenir les services de nièces de l'un ou de
l'autre qui acceptaient volontiers de passer quelques semaines et même quelques
mois pour certaines occasions que nous reverrons plus tard.
Le milieu de novembre approche et la petite
Mariette atteindra bientôt son premier anniversaire de naissance. A cette occasion, la liste d'épicerie
comportera un supplément de produits afin de souligner l'événement en famille. Il y aura sûrement un petit gâteau, sans
chandelle, ce qui n'était pas courant en campagne.
Ne connaissant aucun autre système de chauffage
en campagne, chaque famille prévoyait une bonne réserve de bois de poêle
suffisante pour une année. Ce bois était entreposé dans une remise protégée par
un toit sur poteaux et même parfois des cordes de ce bois de poêle servaient
d'enclos pour les animaux.
La coupe du bois de poêle
Aussitôt les labours terminés dus à une période
de gel intense, Joseph sort sa hache et son sciotte pour se diriger dans le
secteur forestier situé à l'extrémité de sa terre.
Les arbres abattus seront délestés de leurs
branches et étêtés pour être regroupés en tas de façon à les retrouver même
sous une couche de neige au cours du mois de décembre. A ce moment le transport sera effectué par
un cheval tiré une sleigh (traîneau).
Quant au bois utilisé pour
l'allumage des poêles, la récupération des quartiers des souches de pin sera
suffisante pour les prochains 12 mois.
Dans cette région où vivaient de nombreux
Français, la fête de la Sainte-Catherine ne passait pas inaperçue. A cette occasion, tous les enfants avaient
congé en après-midi, non pas congé de l'école mais bien congé de leçons et
devoirs.
Dès que l'heure de midi a sonné, la plupart des
parents accompagnés des petits et grands frères et sœurs des élèves se
rendaient à l'école apportant assiettes, casseroles, cruche de mélasse, beurre,
vinaigre et farine afin de prendre part à la fabrication de la tire Sainte-Catherine. Certains se chargeaient des recettes et
mélanges, d'autres de la cuisson, de l'étirage de la tire, de la coupe en
minuscules morceaux. Parmi ces enfants
deux avaient une identité particulière soit une Sainte-Catherine et un roi qui
devenaient l'héroïne et le héros de la fête.
Des filles et garçons costumés et déguisés
animaient le groupe par des chants et de la danse, des histoires et des jeux de
société.
Les gens s'amusaient bien; les enfants souvent
par manque d'expérience s'empiffraient tellement de bonne tire que nombreux
étaient bien malades au cours de la nuit suivante. C'était bien sûr la maman qui avait à nettoyer les lits et les
"catherines" le lendemain matin.
Au temps des Fêtes, les nouveaux venus ne tardaient
pas à faire connaissance de la plupart des gens du milieu. Cette période de réjouissances débutait le
24 décembre pour se terminer parfois le 8 janvier. Comme les autres paroissiens de la Pointe Taillon, Joseph et
Yvonne ont dû organiser une soirée afin de remettre la pareille aux
boute-en-train qui ne manquaient aucune soirée. Il y avait particulièrement un nommé F. Larouche renommé pour un
maître joueur de violon qui était bien apprécié pour la danse et les gigues.
Les musiciens, les gigueurs et les
"câleurs" de danse se devaient d'être présents à toutes les
rencontres. Les parents avec enfants
s'entraidaient afin d'offrir de bonnes gardiennes d'enfants.
De même, il est arrivé que certains fermiers
oubliaient le soin de leurs animaux étant entraînés par l'effet du vin;
d'autres voisins charitables se chargeaient de faire le train pour eux.
Bien sûr, cette période de joyeuse camaraderie
a aidé quelque peu Yvonne et Joseph à oublier le mauvais coup de poignard reçu
au milieu du mois d'octobre. Cependant,
ils vivaient dans l'incertitude d'obtenir la balance du montant d'argent inclus
dans le contrat de la vente originale.
Pourtant déjà le couple était intégré dans leur nouveau milieu. A ce moment, Joseph avait déjà assisté aux
dernières réunions du conseil municipal qui se tenaient toujours dans le
voisinage.
A la fin du mois de janvier 1922, Joseph est
nommé secrétaire trésorier de la municipalité; il y demeure jusqu'à la fin de
janvier 1929. Par la suite, les
réunions du Conseil ont lieu chez lui ce qui donne 2,00$ par réunion; son
salaire en 1923 était de 125,00$ par année.
Le jour des réunions du conseil, Yvonne avec
les enfants doivent éviter la section de la cuisine annexée à la maison
principale.
Ce nouveau revenu de 12,00$ par mois
contribuera à arrondir leur budget.
Cependant, le couple espère toujours obtenir un règlement favorable
concernant la balance des paiements sur la ferme de Normandin.
Un premier hiver s'écoule lentement; les
produits d'alimentation pour la famille sont surtout le lait, le beurre, les
patates, quelques oeufs, la viande de bœuf et porc. Ces derniers produits ont fait l'objet d'une réduction par
rapport à l'entente de la balance du paiement comptant de la ferme au vendeur
M. P. Norbert. Par conséquent, quelques
poules âgées seront abattues au cours de l'hiver; elles seront remplacées par
l'élevage de poussins au printemps.
Yvonne n'est pas une femme exigeante et est
bien consciente de la nécessité d'un contrôle des ressources précaires du
moment. Tout de même, les enfants
n'auront pas à souffrir de la réduction du revenu que connaissent les parents.
A l'automne, Joseph a fait l'acquisition d'un bon
chien de traîne qui l'aidait au rassemblement des vaches, en plus d'être un bon
compagnon pour les enfants. Ce chien
est utilisé régulièrement pour ses déplacements vers le magasin chez Sigefois
Desjardins de Péribonka.
Voilà qu'au cours du mois de mars 1922, Joseph
est avisé qu'une séance de cour sera tenue le 25 mars au palais de Justice de
Roberval à 10h00 a.m. Le jour venu, il
attelle le chien vers 5h00 du matin et se dirige sur le chemin du Lac en
passant sur l'île à Boulianne qu'il connaît bien, puis vers la cabane chauffée
au centre du lac où se trouve une large crevasse recouverte par un panneau de
bois. Après un arrêt de quelques
minutes pour se réchauffer et prendre un verre de revigorant, il débute la
dernière étape jusqu'au palais de justice de Roberval où il arrivera vers 9h00,
ce qui lui permet un peu de repos avant la séance de la cour qu'il appréhende
puisqu'une surprise est toujours possible dans ces endroits.
A l'heure prévue, le juge prend place; l'avocat
de la Couronne est présent; le notaire responsable du contrat précité
représentant l'acheteur et le vendeur, l'avocat de l'acheteur qui à la demande
du juge présente son plaidoyer qui dure 10 minutes; par la suite l'avocat de la
Couronne pour faire son exposé en ripostant que le tout serait conforme si tel
mot avec virgule était présent dans une clause en annexe. Alors le notaire de reprendre : "Je
peux l'ajouter ce mot sur-le-champ". Le juge de reprendre : " Vous
avez raison!". Le notaire s'exécute pour ajouter la modification en
présence des parties qui par la suite apposent leurs signatures en guise de
consentement.
Enfin le tout rentrait dans l'ordre sauf que
Joseph a subi une grande frustration de la part d'un parent sans scrupule ce
qui a privé le couple du premier paiement occasionnant une longue période
d'anxiété ainsi que des déplacements qui auraient pu être évités si l'acheteur
avait accepté le correctif de la part du notaire en collaboration avec les
parties.
Suite à ce geste disgracieux qui a laissé des
séquelles de la part de Yvonne qui est décédée en 1944 sans avoir oublié cette
action. Elle n'a jamais rendu visite à
ces proches parents qui pourtant ne vivaient pas très loin dans une région bien
facile d'accès.
Quant à
Joseph, plus souple que son épouse, il fit une première rencontre avec
ce parent au moment où il fut invité à prendre part à la construction d'une
maison pour son fils Adrien vers l'année 1949 à Girardville où les deux
beaux-frères prenaient part à cette construction. Aucun témoignage de cette rencontre après 28 années.
En mars 1922, la femme d'Oscar, amie d'Yvonne,
donne naissance à un quatrième enfant, Léonel.
Il est évident qu'Yvonne et Joseph ont rendu visite à Éva suite à
l'accouchement sachant que ces deux femmes considérées comme des sœurs ont
toujours démontré une grande collaboration lors de ces événements particuliers.
Tout au cours de l'hiver, les quelques sorties
au loin étaient réduites. Cependant les
enfants sortaient à chaque jour; Philippe va à son école, Adrien a eu 6 ans au
début de mars; Rose-Anna aura trois ans au début d'avril; ces derniers
accourent à l'étable deux fois par jour; Adrien fait le service du pompage de
l'eau pour les vaches; Rose-Anna observe les animaux qui mangent leur fourrage
avec appétit.
Déjà en mars, des vaches ont donné naissance à
de beaux veaux qui téteront leur mère pendant trois jours; puis par la suite
Yvonne ou Joseph fera la traite de ces vaches et donnera le boire aux veaux
avant d'apporter le surplus du lait à la maison.
A cette période les poules et les oies
reprennent la ponte du printemps après avoir bénéficié d'une bonne alimentation
de blé ou d'orge mélangé à leur nourriture normale.
Déjà en avril certaines poules et piroches
demanderont à couver leurs oeufs.
Yvonne fait le nécessaire pour aider les poules afin d'obtenir de beaux
poussins après 21 jours de couvage. Les mères oies (piroches) couveront leurs
oeufs pendant 28 jours d'incubation continuelle, maintenant les oeufs au même
degré de température que le corps de l'oiseau qui souvent néglige de se
nourrir, ce qui augmente sa température de façon telle qu'il perd ses plumes. Avant l'arrivée de cette situation, le ou la
préposé doit sortir l'oiseau du nid pour le nourrir tout en protégeant les
oeufs du froid.
Sans aucun doute, au cours de cette expérience
que vivent les enfants, de nombreuses questions surgissent! Pourquoi les poules gardent leur nid? Pourquoi tu mires les oeufs devant le
soleil? Pourquoi la poule oublie de
manger? Pourquoi elle perd ses
plumes? Quand les petits poulets vont
sortir des oeufs? Pourquoi la poule ne
donne pas de lait? Comment les petits
poulets vont se nourrir si la poule ne donne pas de lait? C'est avec patience qu'Yvonne répondra avec
assurance à toutes ces questions: à la première, elle répondra que c'est un
phénomène de la nature relié à la procréation qui commande la poule à
réchauffer les oeufs à la température de son corps, sur une période
d'incubation qui dure normalement de 21 à 22 jours; à la deuxième question, le
mirage des oeufs devant le soleil permet de suivre l'évolution du germe
embryonnaire à l'intérieur de l’œuf. Après 6 jours, si l'embryon n'a pas
progressé, l’œuf devra être rejeté; à la troisième, la nature veut qu'une mère
poule se doit de maintenir une chaleur constante sur les oeufs. Il arrive qu'après quelques temps, l'état de
faiblesse de la poule lui fait perdre l'appétit.
Un
déséquilibre du système sanguin occasionne une montée de fièvre et fait tomber
les plumes de la poule; à la quatrième, l'éclosion du poussin s'effectue après
20 à 22 jours. Les canetons, de 27 à 28 jours, les oisillons de l'oie, de 28 à
34 jours, les dindonneaux, de 27 à 29 jours; à la 5e question, les volailles,
différentes des vaches et moutonnes, ne donnent pas de lait; alors pour nourrir
les poussins, la poule se charge de déposer des grains de nourriture dans la gorge
du poussin; il en est ainsi pour le boire des poussins. Et enfin pour répondre
à la 6e question: le poussin deviendra de la taille de sa mère après 4 ou 5
mois.
Généralement, le mois de mars était tout
indiqué pour procéder au battage du grain.
Pour ce faire, Joseph profitait du congé de classe le samedi afin
d'obtenir l'aide des enfants qui occuperont un poste à la mesure de leur
capacité.
Heureusement Joseph utilise un gros moteur à
essence. Je dis "heureusement" en raison que nombreux cultivateurs de
l'époque utilisent le horse power (cheval vapeur) pour actionner la batteuse,
ce qui était beaucoup plus compliqué et embarrassant dans la grange.
Le système du horse power signifie: roue
actionnée par la marche d'un ou deux chevaux sur une roue ou large courroie qui
faisait du surplace tout au long de la période du battage; il s'apparente au
principe de la roue installée dans une cage pour hamster.
En plus des enfants et de leur mère, Joseph
avait la collaboration d'un voisin qui échangeait du temps à quelques occasions
au cours de ce genre de travail. Pendant l'opération du battage, Joseph se
chargeait de présenter les gerbes dans la gueule et estomac de la batteuse qui
déchiquetait l'avoine ou le blé avant de retourner sur les presses de criblage
pour ensuite monter sur le dispositif d'ensachage. Pour les autres postes, Yvonne était au poste de l'ensachage
alors que les enfants enlevaient la paille sortant de la batteuse afin de la
déposer plus loin dans une remise; le voisin dégageait les gerbes de la
tasserie pour les présenter près de la gueule de la batteuse.
Normalement la campagne est un lieu privilégié
pour revivre avec le printemps alors que le soleil brille sur le manteau de
neige qui lentement découvrira la verdure des champs, ce qui représente le
délice des oiseaux immigrant en grand nombre.
Il y a également les ruisseaux qui surgissent pour accueillir canards et
sarcelles.
Cependant c'est aussi le moment où de petits fermiers
présageaient des mauvaises surprises à la naissance des animaux, veaux,
moutons, porcs et autres. Il arrivait à
quelques occasions que des femelles y laissaient leur vie au cours de la mise
bas de leur rejeton ce qui concernait particulièrement les vaches qui ne
bénéficiaient pas suffisamment d'alimentation complémentaire pendant la période
de gestation. Une autre raison était le
manque d'exercices, alors que la coutume du temps était d'attacher les bestiaux
de façon à réduire tous exercices au cours de la saison hivernale. A cet effet,
Yvonne et Joseph étaient très préventionnistes suite à quelques mauvaises
expériences du passé.
Quelque temps après la naissance d'un
nouveau-né chez le couple Bolduc, deux autres couples, Madame Boily avait reçu
la visite de la cigogne ainsi qu'une dame Rousseau qui avait donné naissance à
un cinquième enfants.
Au début du siècle, la plupart des gens fixés
sur les fermes recevaient la visite de la cigogne à chaque année, ce qui ne les
empêchait pas de prendre part à de nombreuses activités qui contribueraient au
maintien du moral à la hausse. Ces gens
pour la plupart de grands croyants n'enviaient aucunement les villageois.
Femmes et enfants prenaient part aux travaux
des champs tout en préparant la cuisine et en faisant l'entretien de la maison;
elles ne bénéficiaient pas des commodités d'aujourd'hui. Il est vrai que les conditions de confort,
d'hygiène et d'esthétique étaient moins exigeantes qu'à ce jour.
Généralement la période de gestation se passe
sans aucune visite au médecin qui n'était pas facile à rejoindre. La mère
travaille jusqu'au moment de l'accouchement, ce qui a parfois occasionné des
conséquences non désirables car de nombreux enfants et parfois les mères mouraient
au cours de l'accouchement. A noter
qu'à l'époque l'accouchée devait demeurer 15 jours au lit et s'absenter des
travaux exigeant certains efforts pour au moins 40 jours. pour ce qui est du nouveau-né, son corps
était maintenu emmailloté de langes pendant plus de 9 mois; il ressemblait
alors à un cigare de la Havane.
Cette période correspond à l'arrivée du
printemps. Déjà au cours du mois
d'avril, Yvonne avait semé des graines de tomates, concombres et citrouilles
dans des boîtes qu'elle avait remplies de terreau à l'automne précédent.
De même une serre chaude, compartiment entouré
de planches, avait été préparée à l'automne dans un coin du jardin près de la
plate-bande de rhubarbes et de groseilles.
A l'automne, Joseph avait pris soin de déposer
au moins 8 pouces d'épaisseur d'engrais de cheval sous une couche de bonne
terre jaune, cela dans le but d'y maintenir une chaleur constante au cours de
l'hiver.
Enfin, aussitôt que les semis sont en mesure
d'être transplantés en couche chaude, des fenêtres vitrées sont installées sur
la serre chaude afin de conserver la chaleur et l'humidité à l'intérieur. Cette humidité favorisera la pousse des
plants de façon à faire une nouvelle transplantation en pleine terre au cours
du mois de mai ce qui produira de bons fruits frais à l'automne.
Pour le premier printemps sur cette ferme,
Joseph s'efforce de faire de nombreuses expériences avec les graines de
semence. En premier lieu, les tubercules
de patates, de l'avoine, des pois, du blé d'Inde, des navets, des carottes et
même du tabac.
Les semences terminées, ces gens de grande foi
mettaient leur confiance dans la Providence pour faire pousser leurs produits
qui bénéficieront de pluie et d'ensoleillement suffisamment au cours de l'été.
Normalement, les rhubarbes pointent avec le
départ de la neige du printemps. Il en est ainsi pour les atocas de savane,
ensuite poussent les fraises des champs, les framboises et les bleuets poussent
naturellement, ce qui fournissaient la confiserie pour la famille de Joseph et
Yvonne.
Ayant fait préparer un grand jardin tout près
de la maison, elle a semé en pleine terre des fèves, des gourganes, des
carottes et quelques plants de patates, choux-siam et blé d'Inde. Lorsqu'elle aura transplanté les plants de
la couche chaude, Yvonne aura suffisamment d'occupation en attendant la venue
d'un cinquième enfant alors que la dernière aura atteint son 20e mois. Aussitôt les relevailles terminées, l'amie
Éva reprendra ses visites afin d'offrir ses services à Yvonne.
Il arrivait même que pendant ces périodes les
voisins offraient leur collaboration aux travaux de la ferme par différents
moyens.
Au moment de la fenaison chez Joseph, les journées
sont chaudes et humides. La cigogne
prend son envol pour la Pointe Taillon. Avec sa grande expérience, Yvonne avait
tout prévu les jours précédents. Le lendemain de la naissance, le gros garçon
sera porté au baptême à l'église de Péribonka; les parrain et marraine seront
M. et Mme Bolduc. J'imagine que M.
Oscar Bolduc a exprimé sa pensée de façon coutumière : "Verrat! Joseph, vous avez brisé l'égalité du nombre
d'enfants entre nos familles."
Maintenant la famille compte cinq enfants; donc
une dame disponible des environs rejoindra la famille pour 6 semaines. A ce moment, l'aîné a 8 ans et Adrien 6 ans;
il ira à l'école à l'automne. Joseph
aura un peu d'aide pendant les vacances; les enfants participent au sarclage
des plantes et légumes. De plus il
devra employer un jeune homme pour la période de la fenaison et de la récolte
des grains, choux, navets et patates. L'argent se fait rare; heureusement le
jeune homme sera payé avec des produits de la ferme ce qui fait l'affaire de
ses parents. Déjà au milieu de
septembre, Yvonne s'occupera de son jardin aidée des enfants.
Quant à
Joseph, il a beaucoup de pain sur la planche; les journées sont longues
et bien remplies. Une journée par
semaine, il porte le lait à la fromagerie; un jour par mois, il doit se
consacrer à sa fonction de secrétaire-trésorier pour la municipalité. De plus la correspondance devient de plus en
plus exigeante. Il y a l'entretien des
clôtures, des machines aratoires, l'épandage du fumier sur les champs, la
traite des vaches soir et matin. Évidemment le temps des sorties en famille est
réduit quelque peu.
Au moment où les deux aînés iront en classe
Yvonne participera davantage aux travaux de la ferme, ce qui ne l'ennuie pas du
tout; elle se dit à l'aise sur les travaux extérieurs. Cependant, pendant les travaux de labour,
elle devra voir à préparer les vêtements pour l'automne et l'hiver en plus du
reprisage continuel.
De plus à chacune des naissances, l'usage du
pain, du beurre et d'autres aliments augmente.
Il y a aussi la mise en cruchons des légumes et fruitages pour l'hiver,
la préparation des repas trois fois par jour en plus du soin d'un bébé au
berceau.
Pendant l'année courante, Yvonne doit laver le
linge dans une baratte va-et-vient, puis étendre ce linge sur les cordes ou sur
les clôtures extérieures. Lorsqu'il
pleut, les cordes à linge intérieures seront utilisées. Elle doit continuellement prendre part à
l'entraînement et à la formation des enfants pour apprendre à se vêtir, à se
chausser, contrôler les devoirs, enseigner les prières, les laver avant de les
mettre au lit ainsi qu'avant le départ pour l'école. Ajoutons à cela l'entretien des poêles toute la journée en
prévoyant le besoin d'eau chaude régulièrement. En surcroît, parfois avec la collaboration du père, il faut
répondre aux demandes des enfants, soigner leurs bobos, particulièrement en été
alors qu'ils ne portent pas de chaussures.
Enfin les parents doivent favoriser la paix entre eux et consoler leurs
peines qui sont fréquentes pour certains.
L'espoir pour obtenir une église dans la Pointe
Taillon règne toujours, considérant la lettre d'une requête pour obtenir une
église sur leur lot laisse planer l'espoir de l'érection d'une église à côté de
l'école existante sur leur lot, ce qui éviterait le long parcours de 6 à 7 milles à chaque dimanche.
L'entrée des récoltes terminée, les labours se
poursuivent parfois jusqu'aux gelées.
Avant l'entrée des animaux pour l'hiver dans les bâtiments; le surplus
de ceux-ci sera vendu dans la région ou échangé pour services rendus dans le
voisinage.
Les animaux choisis pour le besoin de la
famille seront abattus après le 8 décembre pour être entreposés en remise
froide; ils seront sortis pour préparer les pâtés, les tourtières et très bons
rôtis de porc froid.
En décembre, les volailles avaient connu une
augmentation importante par la naissance des poussins qui sont devenus de gros
coqs et de belles poules qui produiront elles-mêmes de beaux oeufs au cours de
l'hiver. Même que deux oies se sont
ajoutées alors qu'un voisin, M. Boily, a donné de belles petites (pérons) oies
le printemps précédent sachant qu'Yvonne aimait bien les oies.
A l'automne 1920, Joseph s'était engagé dans
une agence de vente Moody, lesquels fabriquaient des machines aratoires et
autres. Ayant conservé documents et
catalogues lors du déménagement à la Pointe Taillon au cours de l'hiver 1922-23 et ayant quelques moments
libres, le goût de vendre des appareils refait surface. Il fait les démarches
pour réintégrer le service de vente d'équipements et demande de lui faire
parvenir des documents pour la publicité et les formulaires nécessaires. En peu de temps, le tout lui est
expédié. Aussitôt le secteur réservé
aux réunions du Conseil a vu ses murs tapissés de publicité, ce qui était bien
coloré de rouge, noir, blanc et jaune démontrant d’appareils tirés par de beaux
chevaux. il y avait entre autres des
voitures de tous modèles, wagons, buggy à un ou deux sièges, autres modèles
plus luxueux portant un "top" décapotable et lanternes aux côtés,
porte-fouet et cloches de luxe. C'était la Cadillac de l'époque.
Joseph aimait bien rencontrer le public alors
il entreprend des voyages de promotion en dehors de sa paroisse.
Malheureusement, l'argent se faisait rare pour tout le monde et même les
vendeurs chevronnés ne faisaient pas des affaires d'or dans le domaine de la
vente, Même que certaines machines vendues ont dû être reprises ce qui a permis
à Joseph de posséder un bon nombre de machineries sur sa ferme. Quelques années plus tard, il récidivait
dans une autre agence pour la compagnie Battleship qui fabriquait un produit
recouvrant les toitures et autres surfaces; ce produit a fait fureur pendant
plusieurs années.
En janvier 1923, comme tous les paroissiens de
la Pointe Taillon, ils seront bien déçus de connaître la décision de l'évêché
qui a fait planter une première croix par M. P. Gaudreau sur le lieu où serait
érigée l'église c'est-à-dire à l'extrémité de la municipalité; cependant, ils
conserveront encore l'espoir d'un changement d'idée en sachant qu'une nouvelle
requête du Conseil municipal a été envoyée à l'évêché de Chicoutimi.
Entre-temps, la routine familiale se poursuit.
Yvonne prend grand soin des enfants et Joseph, des animaux, lorsqu'il n'est pas
à l'extérieur pour son travail à l'agence de Moody. Au cours de l'hiver, il aura même la disponibilité de reprendre
le cardage de la laine manuellement étant donné que le temps lui a manqué au
printemps précédent. Pour sa part,
Yvonne ressortira son rouet afin d'y filer la laine qui sera utilisée pour
tricoter les vêtements manquants. Le
tricotage se fait généralement en collaboration avec Joseph qui maîtrise la
tricoteuse mécanique qui produit un tricot genre gaine continue. Également elle peut confectionner des bas
pour hommes et enfants de façon que le bout du pied et le talon devront être
attachés manuellement.
Tôt le printemps naissait une belle pouliche
engendrée par leur jument âgée. Il va
sans dire que la pouliche va grandir et remplacera la mère dans les années
suivantes. Son nom est déjà sur les
lèvres des enfants comme "Dolly". Tout en conservant le premier nom
de pouliche qui disparaîtra alors qu'elle sera âgée de huit à dix ans.
Ce fut tout un événement pour les enfants et
parfois leur mère devait les réprimander parce qu'ils rendaient visite au bébé
cheval trop souvent et négligeaient leurs devoirs scolaires. Un jeune cheval attire toujours l'attention
des enfants plus que tout autre animal de la ferme.
A ce moment, de nombreux petits animaux avaient
vu le jour. Le même cheminement que
l'année précédente se poursuit sauf quelques animaux en plus. De même les enfants avaient vieilli d'une
année; ils offraient déjà un meilleur service à la maison ainsi qu'à l'étable.
Au cours d'une réunion du Conseil à l'été 1923,
le secrétaire-trésorier a été chargé de faire parvenir une demande pour
l'obtention d'une prolongation de la ligne de chemin de fer de Saint-Félicien à
Péribonka sur une distance de 45 milles, ce qui n'a jamais eu lieu sauf que la
ligne de Saint-Félicien à Dolbeau a été effectuée au moment d'ériger le moulin
à papier de Dolbeau en 1927. A savoir
que quelques années plus tard, la préparation pour accueillir le train du CN a
été réalisée jusqu'à la rivière Péribonka à Sainte-Monique. Cette demande a été adressée à l'Honorable
W.L. Mackenzie King, Premier ministre du Canada avec copie à Geo. P. Graham,
ministre des chemins de fer nationaux.
Cette demande a été approuvée et signée par Léon Rousseau, maire et
Joseph Tremblay, secrétaire-trésorier.
De l'année 1922 à l'année 1932, le secrétaire-trésorier,
Joseph Tremblay, a eu à préparer de nombreux procès-verbaux, même de nombreuses
revendications et contestations de la part de ce Conseil municipal pour la
raison que les autorités ecclésiastiques et civiles étaient au courant du sort
et de l'avenir de cette municipalité sans pour autant prévenir ces honnêtes
gens du Lac-Saint-Jean qui investissaient énergie et argent pour le bienfait de
la communauté de la Pointe Taillon et ailleurs. Ces dirigeants de la haute instance connaissaient le secret et
cachaient bien leur jeu; les pauvres colons se sont laissés manipuler même par
l'autorité religieuse qui pourtant leur avait démontré une pleine collaboration
depuis la fondation de la municipalité de Pointe Taillon devenue Jeanne d'Arc
en l'année 1916. Il en a été ainsi pour
les politiciens dont un des leurs, Émile Moreau, est devenu député et ministre,
puis maire de la paroisse de Péribonka de 1923 à 1925 lorsqu'il quitta la ferme
voisine de celle possédée par Joseph et Yvonne sur la Pointe Taillon.
Enfin la construction d'une église à
l'extrémité de la municipalité débute vers le mois de juin 1923 où la messe de
minuit sera célébrée par le nouveau prêtre résidant dans la municipalité.
L'aîné, Louis-Philippe, dépasse 9 ans; le
dernier, Louis-Joseph, marche depuis le mois de juin et a maintenant 17 mois;
la famille est en pleine vacances des Fêtes. Déjà le jour de Noël est chose du
passé et pourtant une femme étrangère du voisinage demeure dans la famille
depuis quelques jours. Un jour qu'elle
est assise à la fenêtre tout en se berçant, elle entrevoit la silhouette du
gros oiseau, ce qui annonce une visite surprise pour Yvonne qui poursuit ses
occupations. Aussitôt le père demande
aux enfants de se préparer pour un court voyage chez un voisin, Oscar Bolduc,
où ils passeront la nuit.
Ces événements deviennent une coutume pour les
aînés; de même cet échange de dépannage relié à l'hébergement passager des
enfants qui est devenu normal entre les deux familles. A son retour à la maison, l'oiseau avait
pris son envol et un nouveau garçon pesant 12 lb pleurait dans le berceau
libéré quelques mois auparavant par le dernier, Louis-Joseph.
Très tôt le lendemain, Joseph attelle le cheval
pour le retour des enfants qui ont apprécié cet échange avec leurs compagnons
de classe pour les deux aînés.
Revenant à la maison, les enfants qui
éprouvaient en eux une hâte craintive de voir un nouveau venu qui peut-être
apportera un certain dérangement par ses pleurs et cris occasionnels. Cependant, tous les frères et sœurs se sont
adaptés dans bien peu de temps à cette nouvelle situation.
Par la suite, l'amie Éva a visité Yvonne qui en
profite pour lui annoncer la visite de la cigogne dans peu de temps ce qui sera
son cinquième rejeton.
Monsieur et Madame Boily, voisins les plus
proches, sont invités à devenir les parrain et marraine du gros garçon; il sera
porté au baptême dans la nouvelle église de Sainte-Monique. L'enfant portera le
nom de son parrain, François-Xavier. Bien sûr ces gens de grande foi ont déjà
oublié leur désarroi concernant la décision de l'évêché d'avoir favorisé une
nouvelle paroisse au détriment de celle de la Pointe Taillon.
Les sorties sont terminées pour le temps des
Fêtes d'Yvonne; elle fera une longue convalescence tout en prenant soin de son
gros garçon. Sans doute elle ne
connaîtra pas l'ennui au cours de ces Fêtes bien particulières. Le lendemain du baptême, le parrain offre à
Joseph de prendre soin des animaux pendant son absence de près de deux jours
alors qu'il se rendra chercher une nièce à Roberval qui viendra aider sa
demi-sœur pendant ses relevailles. La
marraine de François-Xavier s'est chargée de veiller aux soins des enfants pendant
l'absence de Joseph. Comme l'aîné n'a
pas à s'absenter pour aller à l'école durant les Fêtes, il pourra aider madame
Boily. Ce dernier a donc traversé le
Lac en passant sur l'île à Boulianne afin d'accomplir une première étape alors
qu'il s'arrête pour un court repos du cheval à la cabane fixée au centre du lac
au lieu de la crevasse habituelle qui est recouverte d'un large panneau de bois
qui permet le passage en toute sécurité.
Après 30 minutes d'arrêt, il a dégusté sa collation et le cheval a mangé
sa ration d'avoine accompagnée d'un peu d'eau dégourdie dans la cabane; il
reprend la dernière étape pour aller coucher à Roberval où la nièce Lydia
viendra le rejoindre le lendemain midi.
Vers 10h30 le lendemain. la nièce débarque du
train; elle a plus de 14 ans et ne craint pas d'affronter le grand froid du 2
janvier 1924 en compagnie de son oncle qui en prend grand soin. Le parcours se fera plus rapidement au
retour c'est-à-dire que l'arrêt à la cabane sera très court afin d'arriver
avant 17h00 à la Pointe Taillon. La
nièce est bien accueillie par la tante et demi-sœur en même temps. Elle y passera une longue période de plus
de trois mois pour effectuer le retour avant le dégel du Lac et des chemins sur
neige. Même que Lydia est jeune d'âge,
elle se débrouille très bien dans les travaux de la maison.
Plusieurs années plus tard, elle m'a raconté
une anecdote survenue dans la cuisine de sa tante Yvonne: le grand chien de
Joseph portant le nom de "Sapin" était au repos étendu sur un tapis
près du gros poêle à bois. Le gros
chien dormait couché sur le dos. Au moment où elle avait à transporter la
grosse bouilloire de fonte noire du poêle au comptoir, je n'ai pu résister à la
tentation de verser un peu d'eau bouillante sur le ventre de "sapin"
qui était bien embarrassant dans la cuisine.
heureusement que la porte était entrouverte par une belle journée de
printemps; le chien a sorti tellement vite qu'il serait sorti par la fenêtre
tellement il était nerveux. Bien sûr
que la tante a pris connaissance de l'événement alors que "Sapin" a
lancé des cris stridents. Aussitôt j'ai
vu arriver ma soeur avec le bébé dans les bras, bien énervée. Après quelques reproches, tout est rentré
dans l'ordre et Sapin ne m'a jamais démontré d'affection par la suite; même il
n'est plus venu dormir à la maison pendant le reste de mon séjour à la Pointe
Taillon.
Cette même tante et cousine me racontait
quelques temps avant de nous quitter en juillet 1987 qu'elle ne s'entendait pas
tellement bien avec la troisième de ses demi-sœurs. Tout a commencé suite à l'entente de sa mère avec son père; sa
mère avait prévenu son épouse qu'elle n'exigerait aucun travail de ses trois
premières` filles afin d'éviter d'être considérée comme une belle-mère
exigeante à l'égard des filles du premier lit de son époux.
Cependant les deux plus âgées, Yvonne et
Rose-Anna, ont toujours démontré une très bonne collaboration avec les enfants
de la deuxième famille de son père.
D'autre part, la troisième, semble-t-il, était chouchoutée par son père Elzéar. Pourtant la troisième était plus âgée
qu'elle d'au moins 9 ans et n'a jamais pris part aux travaux de la maison. Par
conséquent, sa mère exigeait que ses propres filles, Lydia et Alice, se
chargent chaque matin de sortir les vases de nuit ou la catherine de toute la
maisonnée. Normalement, les vases de
nuit étaient transvidés dans la catherine puis transportés à la bécosse. Lydia raconte: "Un matin où Marie-Louise
faisait la grasse matinée, Marie-Louise, fille du premier lit, était assise
derrière la table longeant la descente de l'escalier, j'ai simulé faire un faux
pas dans l'escalier exactement au-dessus de la tête de Marie-Louise pour
renverser une bonne partie de la catherine ce qui lui a servi une bonne douche. Mon père a été très malheureux de cette
situation. Pourtant, moi, j'ai été satisfaite de mon coup et j'en n'ai aucun
remords. Son comportement à mon égard n'a pas changé. Fort heureusement elle
s'est mariée très jeune pour quitter la région et s'installer en Abitibi.
Enfin vers la fin mars, la nièce Lydia retourne
chez ses parents; Joseph la reconduit en voiture alors que la température s'est
adoucie; il doit cependant éviter de renverser; il est très difficile à
l'époque d'entretenir le nivellement du chemin par la neige non durcie de
l'extérieur du chemin se désagrège plus
rapidement que celle du chemin central.
Il arrive même qu'un nouveau chemin soit nécessaire parallèlement au
premier afin d'éviter que les voitures ne renversent.
Même si Yvonne a repris sa performance
habituelle, la besogne s'alourdit; elle a maintenant huit bouches à nourrir;
les mois d'été et d'automne exigent des bras supplémentaires sur la ferme afin
de réduire la participation de l'épouse pour les travaux de la ferme.
Joseph est de plus en plus occupé par les
affaires publiques, l'agence de la compagnie Massey-Harris et l'augmentation du
nombre d'animaux. Il n'a que 31 ans et a connu quelques périodes de maladie; il
se doit de réduire ses activités.
Déjà au début de l'an 1924, l'amie d'Yvonne,
Éva, a eu la visite de la cigogne apportant un cinquième enfant ce qui
l'accapare beaucoup plus; elle ne peut rendre visite à son amie aussi souvent
que les années précédentes.
Obligations des enfants
Tenant compte qu'à l'époque, les jeunes ne
bénéficiaient pas de radio, de TV, ordinateurs, Nintendo. Alors l'écolier
devait faire ses devoirs aussitôt à son retour de l'école et après avoir pris
une collation consistant en une beurrée de pain fraîchement sortie du fourneau
ou une beurrée de mélasse. Par la suite
les travaux légers devaient s'accomplir sans pression ni contestation pour
remplir le caveau de bois de poêle, de pomper l'eau à la maison ainsi qu'à
l'étable en hiver. Ils devaient aussi
participer à la traite des vaches et autres travaux à la mesure de leur
capacité.
L'automne arrivé, Yvonne et Joseph
accompagnaient les plus âgés au cours d'une première randonnée en forêt afin de
tendre des collets à lièvres et même des pièges à belettes ou à rat musqué sur
les petits étangs environnant certains champs sur la ferme.
A ce sujet, je rappelle un fait raconté par les
aînés à l'effet qu'Yvonne aimait beaucoup la chasse aux lièvres; donc à
l'automne de l'année 1925, elle avait plusieurs collets de tendus et qu'elle
visitait régulièrement le matin accompagné d'un ou plusieurs enfants.
Un jour d'octobre, attendant la cigogne qui
s'était manifestée cette fois au moment où elle était à visiter sa
"run"(tournée) de collets qu'elle n'a pas pu compléter alors qu'elle
est revenue en vitesse afin de compléter les préparatifs de l'accouchement.
A l'automne 1925, une nièce âgée de 18 ans
passait l'hiver avec la famille d'Yvonne ce qui a nécessité moins d'inquiétude
pour Yvonne et moins de déplacements à risque au cours de l'hiver. Même la nièce Alice a accepté d'être la
marraine accompagnée d'un concitoyen Gonzague Boulianne comme parrain.
La nouvelle fille a été portée au baptême le
lendemain à l'église de Sainte-Monique ce qui représentait une distance de près
de 15 milles aller-retour sur chemin de terre.
Cette fille portera le nom de Pierrette. Encore cette fois, le père profitait de l'occasion pour se
procurer quelques friandises en plus de sa commande d'épicerie pour la
maisonnée au magasin général.
La nièce Alice qui passera plusieurs mois chez
l'oncle Joseph est une jolie fille aux yeux rieurs, toujours souriante et
remplie de qualités. Elle ne tarde pas
à se faire remarquer par les garçons du milieu qui s'empressent de faire
connaissance avec ce beau brin de fille, comme disait notre grand-mère. Elle est accueillante et ne manque pas de
visites à toutes les fins de semaine.
Il y a quelques années, elle me racontait, lors
d'une visite chez elle vers l'année 1986, des anecdotes qu'elle avait même
écrites dans un recueil personnel dont j'ai pris connaissance en présence d'une
de ses filles, Colombe, anecdotes qui nous ont bien fait rire.
Il est surprenant qu'une fille de l'époque ait
toujours conservé ces drôles de souvenirs et elle a pris plaisir à en raconter
quelques-uns en présence de son mari, R. Duchaine âgé de 84 ans.
Bonjour Mademoiselle Alice
Voilà, dit-elle, qu'un bon dimanche après-midi,
j'étais accompagnée d'un beau jeune homme du nom de Ferland, résident de
Sainte-Monique. Je note qu'il
l'appelait toujours Mademoiselle Alice.
Étant à se bercer dans une
chaise berçante individuelle sur le plancher de la cuisine sachant que le
boudoir était occupé par les derniers enfants.
Les deux se berçaient allégrement sur des
chaises quelque peu démolies particulièrement celle d'Alice qui se déplaçait
constamment du côté de son visiteur, M. Ferland. A chaque fois que la chaise
était pour entrer en contact avec l'autre, Alice se levait pour remettre sa
chaise à son point de départ. A chaque fois, le jeune homme lui disait:
"Laissez-là approcher Mademoiselle Alice! Pas besoin d'excuse". Après trois fois, il dit: "Voyons
Mademoiselle Alice, laissez-là faire, j'aime ça quand elle est
proche." Alice dit ne pas avoir
pris de chance de sortir longtemps avec ce jeune homme qui aurait apprécié
demeurer sur une seule chaise.
En l'absence de son oncle Joseph, Alice s'occupait
du secrétariat de la municipalité; elle eut donc l'occasion de connaître
beaucoup de gens qui passaient régler leurs taxes municipales et scolaires.
De plus l'agence Massey-Harris attirait
également des acheteurs éventuels, souvent seulement pour prendre informations.
Quant au
réunions du Conseil, Joseph devait s'en charger.
En 1925, les écoles d'enseignement des métiers
étaient inexistantes; donc les jeunes développaient leurs talents naturels en imitant
leurs parents. Ceci était valable pour les deux sexes. Les deux aînés âgés
respectivement de 11 et 9 ans avaient déjà le sens des responsabilités après
avoir accompagné leur père ou les employés sur la ferme.
Même s'ils n'accomplissaient pas toujours les
tâches parfaitement, ils se débrouillaient déjà de façon à surprendre bien des
adultes. A cet âge, ils connaissaient
le maniement de nombreux équipements de la ferme; ils avaient même appris à
couper le bois de poêle avec leur père ou leur mère qui aidait au transport du
bois en longueur ainsi qu'à la coupe de celui-ci en utilisant la scie ronde
mécanique avant de le corder dans la remise.
Il est évident qu'il est survenu quelques incidents et même des accidents
lors de leur apprentissage de la hache; un bout de doigt est demeuré sur la
bûche. De plus de nombreuses lames du sciotte ont dû être remplacées au cours
de leur apprentissage.
Il en a été ainsi pour les filles qui ont
appris à faire l'entretien des chambres, à laver et essuyer la vaisselle qui
souvent était en métal émaillé de différentes couleurs. Les filles ont commencé bien jeunes à
remplir les appareils d'éclairage, fanaux ou lampes à globe en verre ce qui
occasionnait des bris de globes par ces petites bonnes femmes remplies de bonne
volonté.
A l'automne 1925, Rose-Anna avait été inscrite
à l'école; donc Yvonne n'avait plus que trois enfants à la maison pendant les
heures de classe. Cependant dès le début d'octobre un lit avait été ajouté.
Quelques jours après les Fêtes 1925-26, Joseph,
qui ne possède pas du tout un tempérament sédentaire, se permet un répit de
quelques mois à l'extérieur de la ferme.
profitant du séjour d'une nièce pendant l'hiver, il engage un jeune
homme des environs pour prendre soin des animaux puis s'expatrie quelques mois
en forêt. Sans aucun doute, Yvonne aura
à suivre de près l'entretien des animaux.
Pour ce qui est de la fonction de secrétaire du
Conseil, seulement deux réunions étaient prévues au début de février et
mars. La nièce, Mademoiselle Alice, est
chargée de préparer les procès verbaux.
A ce moment, Joseph pourra retirer un salaire
de 3,00$ par jour pour un travail ardu en forêt. Les dépenses de transport, d'habillement et fumage ne sont pas
payées par l'employeur. "Note sur le fumage": à ce moment il
cultivait lui-même son tabac à pipe donc une réserve faisait partie de son
bagage. Il avait aussi sa blague à tabac qui est une vessie de cochon abattu
l'automne précédent; ce curieux sac à tabac permet une bonne conservation du
tabac le gardant souple et bien conditionné même par température pluvieuse ou
neigeuse alors que les bûcherons entrent au camp tout mouillés. Le bûcheron utilisait un bon gros briquet
alimenté par une réserve d'essence naphte.
Pendant l'absence de Joseph, Mademoiselle Alice avait l'approbation du Conseil
municipal pour prendre connaissance de la correspondance et même pour y
répondre.
Réception d'une lettre bien spéciale
Au cours du mois de janvier, la réception d'une
lettre relative à une demande d'informations enregistrée le 28 janvier 1925
concernait une demande de démembrement de leur Conseil municipal et visant le
partage de la municipalité à la faveur des trois paroisses voisines.
Dans ce cas particulier, la réponse sera
préparée par les membres du Conseil en collaboration avec le secrétaire
officiel du Conseil municipal.
Dès le retour de Joseph en mars, une résolution
du conseil a chargé le secrétaire-trésorier de faire suivre la lettre suivante
que je me permets de transcrire.
Le secrétaire-trésorier ayant donné lecture de
la lettre no 2772, Lettre du sous-ministre des Affaires municipales, ainsi que
d'une copie d'une lettre signée par J. Élie Tremblay, ptre. Le conseiller Onézime Bélanger propose
secondé par le conseiller Émile Boulianne et résolue à l'unanimité que ce
conseil remercie sincèrement les autorités du département des Affaires
municipales de leur courtoisie et d'une copie d'une lettre adressée à ce département
pour fin de démembrement projeté par des intéressés contribuables hors de notre
municipalité.
Attendu que le Conseil, ayant déjà affirmé dans
une résolution adressée au ministre des Affaires municipales que nous ne connaissons
aucun contribuable de notre Corporation, qui se soit, à la connaissance des
membres de ce conseil, déclaré pour le démembrement de notre conseil; nous
affirmons à nouveau n'en connaître. Ils doivent être en nombre très restreint
et n'ont pas le courage de s'affirmer comme tels publiquement.
Attendu que ce conseil est surpris d'apprendre
par le même correspondant que notre territoire érigé en municipalité le fut sans le nombre d'âmes
exigé par la loi et qu'il (le même) croit que nous n'avons jamais eu le nombre
nécessaire.
J. Élie Tremblay, prêtre, possède les détails à
propos de notre érection que n'avons certainement jamais possédés. Les certificats qu'on nous dit avoir été
formés par J. Élie Tremblay lui-même et que nous ne pouvons retracer seraient
peut-être intéressants à consulter; peut-être le département pourrait-il
retracer dans ses archives, ces attestations de M. Tremblay ou d'autres. Le conseiller actuel, Zéphirin Gagné, ayant
été le premier secrétaire de la municipalité de Jeanne-d'Arc atteste que tels
certificats ont été fournis par J. Élie Tremblay, ptre.
Attendu que le même correspondant déclare que
les allégués des gens de Jeanne-d'Arc sont faux.
Ce conseil déclare encore que sur les familles
absentes en 1924 telles que déclarées par la dernière résolution en question en
date du 23 février, sept familles nous sont revenues et que d'après un relevé
sommaire en présence de la majorité des contribuables, ces familles qui nous
sont revenues nous donnent le nombre voulu et exigé par la Loi.
Ce conseil est plutôt en faveur d'une enquête
puisqu'il l'a demandée dans la même résolution en date du 23 février et nous ne
craignons nullement nos fausses affirmations telles que mentionnées par la
copie de la lettre de J. Élie Tremblay, ptre.
Le révérend Tremblay, après avoir été l'un des
principaux artisans de l'érection de notre territoire en municipalité veut
maintenant son démembrement et quel démembrement? Réclamant un territoire de notre municipalité dont les
contribuables qui résident sur ce territoire s'y opposent à l'unanimité,
donnant pour raisons qu'ils sont entièrement satisfaits d'être administrés par
notre Conseil; que notre municipalité, soeur de St-Henri, après avoir consenti
librement à notre fondation il y a neuf ans, se voit aujourd'hui dans des
complications financières sérieuses en raison de longs et ruineux procès; qui,
avec un peu d'intelligence et de bonne volonté, auraient pu être épargnées, si
cette municipalité avait été mieux inspirée par ceux en qui elle met ordinairement
sa confiance ; et Élie Tremblay, ptre, ne serait pas aujourd'hui à mendier et à
menacer ; pour ne pas dire faire chanter les autorités civiles, pour démembrer
une municipalité qui possède actuellement le nombre d'âmes voulu en vue de
refaire au détriment des dits contribuables leur désastreuse situation qu'ils
ont maintenant à refaire et cela à notre détriment, un crédit perdu dont ils
sont et doivent en toute justice rester les seuls responsables. - Adopté –
Signé Joseph Tremblay, sec.-trés.
Léon
Rousseau, maire
C'est la fin d'une période de colonisation
heureuse pour ces gens qui ont mis leur espoir d'avenir dans le développement
de la culture de la terre. C'est
ensemble qu'ils ont bâti leur territoire; c'est ensemble qu'ils se battront
pour la défense de leurs droits.
Je crois important de faire un retour en
arrière depuis l'année 1922 afin d'apporter la lumière concernant la stratégie
nébuleuse exercée par les promoteurs industriels appuyée par des politiciens
astucieux auprès d'agriculteurs du Lac Saint-Jean qui n'ont pu voir venir la
tragédie désastreuse du rehaussement des eaux du Lac Saint-Jean, ce qui a
provoqué le démantèlement de la paroisse de Jeanne-D'Arc.
Nous retrouverons dans le récit qui suit les
nombreuses préoccupations qu'ont vécu ces valeureux et honnêtes colons qui ont
si bien démontré leur courage en réorganisant tant bien que mal une nouvelle
vie dans un autre lieu de la belle province de Québec.
En 1922, M. Joseph Rossignol est maire de la
municipalité et M. Joseph Tremblay est le secrétaire-trésorier. Les membres du Conseil désirent la
construction d'une église; cette requête est envoyée à l'évêché de Chicoutimi
et la réponse n'est pas favorable pour les gens du centre de la Pointe Taillon.
Le 25 janvier 1923, le Conseil proteste contre
la décision de l'évêché et affirme sa volonté d'avoir une église en un endroit
centralisé dans la municipalité.
Les familles de la Pointe Taillon n'auront pas
leur église à la limite des lots 62-63 tel que prévu depuis la fondation de la
municipalité en 1916. Le lot 63 est la propriété de Joseph et Yvonne.
A savoir que depuis l'année 1911 existait un
litige entre les industriels du Québec et les agriculteurs de la région du Lac
Saint-Jean. En 1911 débute un long
combat des droits de la personne. Déjà
en 1914, le gouvernement Gouin avait cédé les deux décharges, les îles et les
terres adjacentes à l'embouchure du Saguenay.
En 1922, le gouvernement québécois, avec
l'approbation du gouvernement d'Ottawa, autorise par contrat la construction
d'un barrage sur la grande décharge dont l'élévation peut atteindre 17,5 de
l'échelle d'étiage de Roberval en faveur de la compagnie Québec Développement. Pendant les deux premières années, le niveau
de l'eau ne devra pas dépasser 7,5.
Dès le mois de janvier 1923 débutent les
travaux de préparation. La compagnie
Québec Développement présente une description détaillée des travaux à exécuter
aux Décharges du Lac, au Gouvernement du Québec en date du 4 avril 1923. Le 25 août, le gouverneur général du Canada
approuve cette requête.
Le 1er août 1924, la compagnie Duke-Price
achète en totalité les droits de la compagnie Québec Développement. Le 2 octobre de la même année, William
Price, troisième du nom de ceux qui ont opéré dans la région du Saguenay meurt
accidentellement dans un éboulis qui se produit près de sa première usine de
fabrication de papier.
A la requête de la compagnie Duke-Price, le
comité exécutif de la province de Québec vote le 15 juillet 1925 un arrêté
ministériel que le lieutenant-gouverneur approuve annulant la clause stipulant
une attente de deux ans pour l'élévation du niveau du Lac après avoir parachevé
les travaux sur la Grande-Décharge.
Alexandre Taschereau pour sa part crie
"Victoire" devant l'arrivée massive des capitaux étrangers.
Le printemps 1926 amène la venue d'une
compagnie. Suite à la disparition des
chefs fondateurs de l'entreprise Duke-Price, l'Aluminium company of Canada
acquiert la majeure partie des actions de la compagnie et continue
d'administrer sous le même nom. Les
concessions et le barrage d'Isle-Maligne totalisent un montant de 17 000
000,00$.
On pourrait dire que l'Alcoa achète... On
pourrait dire aussi que l'Alcan achète... Qui dit vrai? Levons le voile du mystère pour comprendre
le tortueux mode de fonctionnement de ces compagnies.
En 1883 la compagnie, originaire des États-Unis
se nomme : Pittsburgh Reduction Company of America. En 1907, elle s'appelle : Aluminium Company of America, donc
Alcoa.
En ouvrant une filiale au Saguenay-Lac-Saint-Jean,
l'Alcoa porte le nom de Aluminium Company of Canada, soit Alcan. En fait, on peut dire que c'est la
maison-mère, Alcoa, qui achète le barrage de l'Isle-Maligne pour la société
Alcan. En 1931, quatre actionnaires de
l'Alcoa possèdent plus de 50% des actions. Ce sont les familles Mellon, Duke,
Hunt et Davis.
Faillite en vue
En 1950, un jugement "anti-trust" est
ordonné contre elles; elles se voient alors dans l'obligation de vendre leurs
actions à l'une ou l'autre de ces compagnies.
En 1950-51, on assiste à la séparation de l'Alcoa et de l'Alcan; la compagnie Alcan fera désormais cavalier
seul.
Le jour de notre fête nationale, le 24 juin
1926, la compagnie ferme les vannes des déversoirs; l'eau monte. Après trois jours, elle baigne les basses
terres; au bout de cinq jours, les terrains en culture sont inondés et le
niveau de l'eau atteint le point 15,0 de l'échelle.
Aucun avis public n'a paru dans les
journaux. Ébahis les cultivateurs
croient à une erreur. Pour eux, il est
impensable de supposer que cette action a été faite volontairement sans aucun
respect des lois et sortant de leurs droits.; ils demeurent pacifiques afin
d'éviter les heurts inutiles.
Le temps s'écoule et c'est avec consternation
qu'ils se rendent compte que ce n'est pas une erreur mais la réalité.
L'affrontement débute en 1926
Face à cette situation, le 29 juillet tous les
cultivateurs touchés par le baignage de leur terre autour du Lac nomment des délégués
qui se rendront protester auprès du Premier ministre A. Taschereau.
Taschereau révèle alors son secret à cette
délégation le lendemain 30 juillet.
L'expropriation des propriétés de Saint‑Coeur‑de‑Marie
a été effectuée de façon hors-la-loi; elle ne devait avoir lieu que trois ans
plus tard selon le contrat.
Le Gouvernement n'a pas obligé la compagnie à
respecter leur entente secrète et savait pertinemment les conséquences néfastes
du relèvement du niveau de l'eau de la rivière. La permission a été accordée quatre ans avant la fin du délai
prévu. Le Gouvernement savait... Secret bien gardé! Le citoyen ignorait...
Des délégués écrivent au Premier ministre, A.
Taschereau, le 31 juillet et lui soumettent leurs exigences.
Ce même jour, les gens de Saint-Jérôme lui
expédient l'avis de formation d'un bureau d'organisation dans le comté
Lac-Saint-Jean afin de protéger les droits des particuliers. Cet avis sera
connu sous le nom de : "Bureau de protection contre le baignage du Lac
Saint-Jean".
Déjà plongés dans cette réalité, les gens
prennent connaissance de la publication de cet avis dans la gazette officielle
du Québec. Il faut ne pas savoir lire
pour ne pas comprendre; les travaux terminés et les terres inondées depuis déjà
deux mois, la compagnie se décide à manifester son intention d'obtenir un
privilège qu'elle détient depuis le 12 décembre 1922.
Les citoyens se réunissent; ils forment un
comité de défense des cultivateurs lésés.
A une séance du 26 août convoquée par M. Irénée Duguay de Saint-Méthode,
se rassemblent plusieurs personnes dont Auguste Gagné et Léon Rousseau de
Jeanne d'Arc ainsi que le secrétaire du comité Antoine Tremblay de Péribonka.
Il est proposé et résolu qu'une requête pour s'opposer
au relèvement du niveau du Lac et exiger la réouverture des vannes soit mise en
circulation et devra être signée par tous les cultivateurs, approuvée par les
conseils locaux et par deux conseils de comté du Lac-Saint-Jean. Pour rédiger cette plainte, ils demandent le
secours de l'avocat Lefebvre. Celui-ci leur annonce que le procureur général
peut selon son gré retarder indéfiniment toutes procédures ou refuser sans plus
de cérémonies.
Le lendemain 27 août, ces délégués se réunissent
avec Onézime Tremblay et décident de convoquer une rencontre avec Émile Moreau,
ministre du cabinet provincial. Cette
réunion n'aura jamais lieu alors que le ministre ne se présente pas.
Alors le Premier ministre Taschereau reçoit une
lettre de protestations concernant l'avis public dans les journaux expédié par
la population du comté du Lac-Saint-Jean en date du 31 août. Le 16 septembre, un mémoire parvient au
Premier ministre. un court extrait de celui-ci reflète bien l'angoisse et la
détresse des citoyens qui ont une soif inassouvie de justice!
Vous savez que la région du Lac Saint-Jean
souffre depuis de longs mois un véritable martyre, que l'habitant de cette
région a été mis à la porte de sa terre par un millionnaire américain sans cœur
et sans pitié, qu'il est bafoué par cet orgueilleux et traité chez lui comme ne
le serait nulle part en pays libre un simple étranger.
Vous savez tout cela et vous n'avez pris aucune
mesure; vous protestez de votre amour pour la victime; vous avez vendu votre
frère à une compagnie qui veut faire fortune et vous ne voudriez pas qu'on vous
laisse voir un peu l'odieux de votre action... Tous vous protester de votre
innocence; Monsieur le ministre des Terres et forêts.. était absent: il est
fort mécontent de la chose... Monsieur le ministre de la colonisation... était
absent; il en est souverainement fâché... Monsieur le ministre de
l'agriculture... était absent; il est au paroxysme de la colère... Monsieur le
député;é du comté E. Moreau, ministre sans porte-feuille... était absent; il
veut s'arracher les cheveux. Monsieur
le Premier ministre est souverainement sympathique aux cultivateurs... et la
compagnie continue cyniquement son oeuvre de destruction sans être gênée par
personne; les requêtes ne sont "prises en considération"; les
protestations suivent; les plaintes ont le même sort...
Quelle sinistre comédie jouez-vous là messieurs
les ministres? Il est temps que cela cesse! Il est temps aujourd'hui de vous
ressaisir; demain il sera trop tard; demain le vol sera consommé, la loi aura
sanctionnée l'expulsion de l'habitant, la désertion des campagnes, la violation
solennelle du droit inviolable de la propriété...
Suite à ce mémoire, Alexandre Taschereau reçoit
le 17 septembre une première lettre dans laquelle les cultivateurs maintiennent
leur position et se disent prêts à régler à la satisfaction des propriétaires;
la deuxième lettre écrite par Onézime Tremblay et Léon Rousseau se veut leur
protestation et à la quatrième demande
contenue dans la première lettre, ils avaient leur désaccord face à
l'expropriation et expriment nettement leur volonté d'une restitution complète
de leurs biens.
Le 20 septembre 1926, le Conseil municipal de
Roberval se réunit, ayant à leur tête leur maire, Thomas-Louis Bergeron avocat
de la compagnie Duke-Price. Cet homme
juge minime l'étendue des terrains rendus impropres à la culture.
Étant d'accord avec le développement
industriel, il ne favorise pas un remboursement complet. Alors que les cultivateurs se battent avec
honneur, cet honorable défenseur de la compagnie affirme dans le journal que:
"partout l'industrie se développe au dépens de l'agriculture"; donc
selon son jugement, il faudrait que les citoyens lésés jouent aux moutons en se
croisant les bras et en subissant leur triste sort sans mot dire... Par la suite, le 22 octobre, le comité de
défense avec leur président Onézime Tremblay et Léon Rousseau directeur
poursuivra avec persévérance le combat contre l'injustice flagrante faite à ses
concitoyens et à lui-même.
Le 11 novembre, il prononce un long discours au
congrès de l'U.C.C. de la paroisse de Québec.
Les requêtes des citoyens ayant été mis au
courant de la volonté de construire les barrages pour rehausser l'élévation du
Lac avaient obtenu du gouvernement en place la discontinuité des travaux.
Quelques années passent et ce projet n'est pas
oublié; le 12 décembre 1922, la compagnie avec la complicité des politiciens
dans leur projet autorise par contrat la construction d'un barrage ce qui ne
sera pas connu par les citoyens du Québec.
Objet du récit suivant
La transcription de ce récit vise deux buts
particuliers: le premier se rapporte à l'état d'âme qu'ont vécu plus de mille
agriculteurs lésés par l'élévation du niveau de l'eau du Lac Saint-Jean en 1926
et Joseph et Yvonne faisaient partie de ce groupe. Le deuxième point me permet de réfléchir à la condition de ma
mère pendant cette période dramatique alors qu'elle portait l'auteur de cet ouvrage
en son sein depuis trois mois au moment de l'élévation du niveau de l'eau du
Lac, particulièrement sur la municipalité de Jeanne-d'Arc au moment où ma mère
vivait à cet endroit.
L'évêque savait...
La requête du conseil municipal préparée par Joseph
Tremblay, le secrétaire-trésorier et envoyée à Mgr l'évêque de Chicoutimi n'a
pas été retenue et ce dernier en a décidé autrement en désignant le site d'une
nouvelle église près de la première
chute alors que la fondation de la paroisse de Sainte-Monique de Honfleur n'est
pas encore réalisée. Le pont sur la
rivière Péribonka n'est pas construit; il a été réalisé en 1925. Une barque
servait à franchir la rivière à ce moment.
L'église a donc été construite au cours de l'année 1923 et a servi à
célébrer la messe de minuit cette année là.
Le 25 janvier 1923, le conseil proteste contre
la décision de l'évêque et affirme sa volonté d'avoir une église en un endroit
centralisé dans sa municipalité.
Le secrétaire-trésorier est chargé de
renouveler la demande à sa Grandeur Mgr l'évêque du diocèse de Chicoutimi. Les paroissiens de Jeanne-d'Arc ne
comprenaient pas la décision sur le décret canonique fixant les limites de
Saint-Henri-de-Taillon au no de lot 62-63, rang 1. De plus, une partie du rang 4, depuis le lot 62-63 était destinée
par décret canonique à la paroisse de Sainte-Monique de Honfleur. Une troisième partie comprenant l'extrême
partie de Jeanne-d'Arc est destinée à la paroisse de Péribonka.
signé par Léon Rousseau, maire
Joseph Tremblay, sec.-trésorier
Pendant la construction de l'église, un prêtre
avait été nommé pour prendre charge des services religieux dans cette future
paroisse.
A la toute fin de cette année 1923, Yvonne
donnait naissance à un gros poupon de 12 livres qui a été un des premiers
baptisés dans la nouvelle église. Les
parrain et marraine ont été les voisins côté Nord, Monsieur et madame François
Boily; le nom choisi a été François-Xavier.
Ce n'est pas sans amertume que ces gens
généreux ont dû marcher sur leur orgueil pour poursuivre leur devoir de parents
religieux avec grande soumission.
En octobre 1923, le Conseil manifeste le
souhait d'une prolongation de la ligne de chemin de fer. Proposée par le conseil Omer Rousseau,
secondée par le conseil Émile Boulianne, préparée par Joseph Tremblay, cette
demande concerne une prolongation d'environ 45 milles soit de Saint-Félicien à
Péribonka.
Réalisation du chemin de fer
Cette même année 1923, la compagnie
Alma-Jonquière a construit le chemin de fer entre Hébertville et Alma : 16 km.
La compagnie Roberval-Saguenay construira en
1926 la ligne Arvida-Chute à Caron et la compagnie Canadian National construira
en 1927 la ligne de Saint-Félicien à Dolbeau soit 38 km.
La requête d'une prolongation de chemin de fer
par le conseil municipal de Jeanne-d'Arc adressée à l'Honorable W.L. Mackenzie
King, Premier ministre du Canada avec copie à Geo. P. Graham, ministre des
chemins de fer nationaux.
Autre requête
Opposition au plan de l'érection d'une
municipalité rurale à Sainte-Monique le 28 janvier 1924.
Proposée par Zéphirin Gagné, conseiller ;
secondée par Émile Boulianne, conseiller.
Préparée par Joseph Tremblay, adressée à
l'Honorable E. Moreau pour être transmise à Monsieur Oscar Marin, sous-ministre
des Affaires municipales.
Nomination de jurés
Le 12 avril 1924, proposée par Omer Rousseau,
secondé par Zéphirin Gagné, que la liste des jurés telle que préparée par le
secrétaire-trésorier soit acceptée. – Adoptée.
Ceux-ci auront à se prononcer dans des cas
d'expropriation.
Demande d'un médecin
A la réunion du 2 juin 1924, le maire et les
conseillers discutent de la possibilité d'avoir un médecin plus rapproché et se disent d'accord pour
que les enfants reçoivent le vaccin devenu obligatoire.
Attendu que le médecin le plus proche se trouve
à 35 milles et que la municipalité ne trouve pas les moyens nécessaires pour
payer le montant qu'occasionne un tel déplacement.
Règlement sévère le 7 juillet 1924
A compter de l’entrée en vigueur du présent règlement, la vaccination et la revaccination seront obligatoire dans les limites de cette municipalité pour toutes les personnes qui s’y trouveront sauf celui qui pourra établir à la satisfaction de l’officier exécutif de l’autorité sanitaire municipal qu’il a eu la variole.
- Adopté le 7e jour de juillet 1924.
- Préparé par le secrétaire-trésorier, Joseph Tremblay.
Le 4 août 1924, un montant de 200,00 $ est offert au médecin J. Rochette pour l’aider à s’installer à Péribonka. Cet engagement prendra fin en décembre 1925. Le médecin J. Rochette devra s’engager à venir dans les limites de la municipalité de Jeanne d’Arc à raison de plus de 10,00$ par voyage.
- Proposé par E. Boulianne
- Secondé par Omer Rousseau
Le 6 octobre 1924, le médecin Rochette refuse cette offre. Cependant nous retrouvons un rapport d’analyse de l’eau pour le bureau d’hygiène daté du 13 juin 1927 alors que le médecin Jos Rochette pratiquait la médecine à Péribonka à cette date.
Comme aujourd’hui, certains enfants connaissaient des difficultés à l’intérieur de grande famille, particulièrement dans les villages.
Vers l’année 1925, un garçon nommé P. Bolduc âgé de 12 ans connaissait ce genre de difficulté dans une famille connue de Joseph et Yvonne.
A la demande de la famille, Yvonne accepte de prendre le jeune homme chez elle et de le considérer comme son propre fils en autant que ce fut possible.
Le jeune possédait un tempérament étrange donc il avait besoin d’un encadrement particulier et une motivation venant d’autres garçons. Il a poursuivi ses études jusqu’à l’âge de 14 ans à Jeanne d’Arc tout en produisant le même travail que les aînés d’Yvonne. Il semblait se plaire dans la famille et ne créait pas trop d’ennuis. Il y est demeuré pendant près de cinq années et ce n’est qu’après une conciliation avec les parents que le jeune homme a quitté Jeanne d’Arc pour retourner dans son milieu familial.
RETOUR D’YVONNE ET JOSEPH A
LA VIE NORMALE
L’ère de l’industrialisation
L’ère de l’industrialisation est commencée. Elle provoque de sérieux ravages. Le conseil prend position à la réunion du 5 juillet 1926 car la construction du barrage de l’Isle-Maligne provoque l’inondation des terres.
Le Conseil proteste contre le rehaussement des eaux du lac et contre la mise en vente des terres vouées à l’exploitation forestière ce qui provoque l’inquiétude de la municipalité car elle est la plus importante vente de la limite forestière sur la Grande Péribonka, ce qui désavantage au moins 15 paroisses de ce secteur. Ils contestent la coupe du bois, la drave de ce bois sur la rivière Péribonka qui deviendra un réservoir pour ce bois lequel sera « rafté » et conduit à Alma, ce qui réduira la possibilité d’y ériger des moulins à scie et par l’effet même la ligne de chemin de fer dans ce secteur.
Le combat des gens de Jeanne d’Arc
De 1926 à 1931, le Conseil se bat pour la sauvegarde de sa municipalité. C’est une partie de leur vie qui leur est arrachée ; c’est leur espoir de développement qui disparaît ; c’est un cri à l’imposture qu’ils lancent le 4 septembre 1926 : ils protestent contre un permis accordé « illégalement » à la compagnie Dubuc Price pour l’élévation des eaux.
Le 12 décembre de la même année, on passe une résolution afin que les dommages soient évalués et payés par la compagnie Duke Price.
1927 – demande d’aide à Alexandre Taschereau, Premier ministre
La situation devient critique. Ce conseil à l’unanimité soumet le cas à l’Honorable Premier ministre et à la compagnie Duke Price demande protection des contribuables de la municipalité de Jeanne D’Arc.
La hausse des eaux endommage dangereusement les chemins et terrasses qui s’effondrent.
Santé en péril
La santé des gens est mise en péril car la pollution de l’eau rend improductive l’industrie du fromage. Le bureau d’hygiène publique se doit d’agir. Le médecin Jos. Rochette défend l’usage de l’eau qui est non potable.
Autre irrégularité
Une réunion secrète a lieu le 19 décembre 1927 ; la municipalité accepte que des lots soient transférés au nom de la compagnie Duke Price.
Comment a-t-elle pu procéder à cet achat sans que le conseil n’en soit informé ?
Le 19 décembre 1927, formant quorum, sous la présidence de Joachim Gagné, pro-maire. Il est ordonné et statué par résolution du conseil comme suit à savoir :
Le conseiller Achille Aubin propose, secondé par le conseiller Jos-Auguste Gagné qu’une partie des lots 61 et 62, rang 4, canton Taillon soit 15,6 âcres sur le lot 61, 19,58 âcres sur le lot 62 soit transporté au nom de la Compagnie Duke Price Power, celle-ci ayant déclaré avoir acheté ces parties de terrain à 20,00$ par âcre. – Adoptée – Sans signature. (A savoir que ces deux lots appartenaient au ministre Émile Moreau quelques années auparavant).
A ce jour, les deux tiers de la municipalité de Jeanne d’Arc appartiennent à la compagnie ; celle-ci omet volontairement le paiement des taxes. Le Conseil se voit dans l’obligation de réclamer son dû le 5 mars 1928.
Emprunt le 3 juillet 1928
La corporation décide d’un emprunt de 7 000,00$ ; elle en demande l’approbation de Jeanne d’Arc en procédant par voix de votation.
Votation
Le 16 juillet 1928, journée de votation, seize électeurs sont présents et tous, sans exception, votent pour le règlement.
Le 19 juillet 1928 a lieu une réunion spéciale car la compagnie doit venir prendre entente avec la municipalité. Fidèle à elle-même, la compagnie de donne aucun signe de vie.
Le 16 août 1928, les contribuables refusent de payer leurs taxes tant que les terres demeurent inondées. Le Conseil transmet leurs revendications au ministre E. Moreau à l’assemblée ; il lui demande des explications à ce sujet.
Un cri d’alarme au Premier ministre A. Taschereau
Le 17 décembre 1928, le Conseil demande de l’aide au Premier ministre Taschereau ; toute leur vie communautaire est désorganisée. Conscients que la ruine les menace, ils espèrent un secours gouvernemental qui les sauverait du désastre.
Les semailles en général ont été retardées ; les animaux ont été gardés à l’étable un mois de plus que d’habitude, ne pouvant passer pour se rendre dans les parties un peu plus élevées.
La récolte de l’automne est presque nulle ; des gens ont dû quitter leurs bâtisses, presque tous les cultivateurs enfermés pendant trois semaines. En un mot des dommages considérables qui ne peuvent qu’entraîner la ruine de tous si on ne reçoit pas d’aide.
Aucune réponse
Le 10 avril 1929, aucun problème n’est résolu et d’autres s’ajoutent ! Les éboulis font disparaître le chemin tout au long de la rivière Péribonka. A cette réunion du Conseil le même jour, la municipalité engage des négociations pour un emprunt de 7 000,00$ devant servir à acquitter les dettes et les jugements dont la corporation est grevée.
Malgré tout, leur foi demeure vivante. A l’assemblée du 13 mai 1929, le Conseil réfère aux autorités provinciales afin que le jour du Seigneur soit respecté.
Le 4 novembre, deux compagnies refusent de payer le 7% d’intérêts des taxes demandées ; la municipalité remet cette cause entre les mains de l’avocat Eudore Boivin.
Le 3 mars 1930, la paroisse de Jeanne d’Arc est criblée de dettes. Afin de satisfaire à la demande du shérif, le secrétaire est autorisé à vendre les débentures de la municipalité.
Le 3 novembre 1930, le Conseil entrevoit un espoir en s’adressant au comité de chômage par l’entremise de l’abbé Bergeron dans le but d’obtenir un octroi de secours. Les chômeurs sont au nombre de trente.
Fin des procès-verbaux
Le dernier procès verbal date du 2 mars 1931 ; la municipalité produit son bilan : avec 15 804,04 de dettes.
Le 21 septembre 1931, une requête empreinte d’humilité, de souffrances et d’un espoir de justice est expédiée au lieutenant gouverneur en conseil.
L’humble requête des soussignés expose leur requête en 13 items dont trois seront transcrits :
#2 Que cette municipalité a été dissoute et qu’elle est actuellement administrée par le Conseil de comté du Lac St-Jean ;
#8 Que les impositions auxquelles ils ont été astreints et l’application de la loi 17, geo V, chapitre 9, les dépossèdent d’un capital impondérable, mais réel ;
#13 Que l’annexion du territoire de Jeanne d’Arc au territoire de la municipalité de Ste-Monique, sous règlement au préalable des difficultés existantes à Jeanne d’Arc laissera les requérants dans leurs droits particuliers et empirera un sort déjà pénible.
Et nos requérants ne cesseront de prier Jeanne d’Arc.
La municipalité de Jeanne d'Arc est maintenant chose du passé ! Elle est temporairement administrée par le conseil de comté. En 1931, on assiste impuissant à l'annexion de Jeanne d'Arc à la paroisse de Sainte-Monique de Honfleur. Heureusement qu'il existe encore de ces gens simples au cœur généreux…
La vie de tous les jours doit se poursuivre chez les fermiers de la Pointe Taillon : les semailles sont complétées depuis le début du mois de juin ; les champs ensemencés semblent déjà des coussins de verdure tandis que de nombreux animaux broutent l'herbe verte sur les battures en face des maisons près de la rivière Péribonka.
Voilà que par une belle journée ensoleillée du début de juin naissait une deuxième fille chez la famille Bolduc. Cette fois, Joseph et Yvonne seront les parrain et marraine. Le lendemain de la naissance, M. Bolduc conduit le groupe dans son bateau pour le baptême de sa fille Annette à l'église de Péribonka.
En rapport à cette filleule de Joseph et Yvonne, je me rappelle une anecdote qui fait toujours partie de mes meilleurs souvenirs ce qui n'a pas été le cas j'en conviens pour Yvonne et Joseph.
Arrive le temps des Fêtes de l'année 1934 et Yvonne comme à l'accoutumée, avait acheté un des plus gros bas de Noël assez bien garni de jouets et de bonbons ; il devait être donné à sa filleule Annette comme étrenne de Noël.
A mon avis, l'achat s'est effectué un peu trop tôt car quelques temps après l'achat, j'avais découvert l'endroit où était caché ce beau gros bas de Noël soit au fond du tiroir d'une très grosse armoire mesurant 6 pieds de haut qui était dans la chambre de mes parents. Par la suite, chacune des absences de mes parents était l'occasion pour moi de soulager le bas d'une petite poignée de bonbons. Ha ! Qu'ils étaient délicieux ! C'est bien meilleur lorsqu'ils sont volés ces bonbons !
Le soir de Noël arrive ! Joseph attelle le cheval à l'étable et s'arrête pour faire monter Yvonne dans la carriole. Elle s'empresse d'aller cueillir le bas dans sa chambre en pleine obscurité. Pour ma part, ayant pris connaissance des préparatifs, j'étais déjà en position pour connaître la réaction de ma mère au sortir de sa chambre, étendu sur la grille du plafond tout en haut de l'escalier. Je vois arriver ma mère hors de la chambre avec le bas vide à 75%. Ah ! Que j'étais malheureux de voir le visage bien tendu de ma mère ; elle est allée rejoindre mon père dans cet état sans que je sache jamais la suite de ce déboire soudain.
Ce qui m'a le plus inquiété, c'est qu'elle ne m'en a jamais parlé et je ne lui en ai jamais parlé non plus. Je n'ai jamais su comment elle avait remplacé ce beau bas destiné à sa filleule.
En juin, le temps s'écoule comme à l'accoutumée sauf qu'Yvonne est enceinte de plus de trois mois. Donc à la différence de mes aînés, je ne verrai pas monter le niveau d'eau sur les terres basses de mes parents au moment où seront fermées les vannes du barrage de l'Isle-Maligne le 24 juin étant la fête de la Saint Jean-Baptiste qui à l'époque ne passait pas inaperçue même en campagne où les gens faisaient des feux de joie et alors que les citoyens s'amusaient beaucoup. C'est pendant ces réjouissances quel a compagnie Duke-Price a fermé les vannes qui ont créé tant d'ennuis aux gens habitant autour du Lac Saint-Jean.
Voilà qu'après trois jours, les basses terres sont inondées ; après cinq jours, le niveau de l'eau atteint 15,0 de l'échelle ; peu de temps après le niveau atteint 23,5 de l'échelle. C'est la catastrophe sur la Pointe Taillon ; Les récits précédents et suivants donnent un aperçu des conséquences. Déjà les concitoyens débordent de revendications auprès du gouvernement ainsi que des compagnies responsables qui se moquent des agriculteurs lésés.
Pendant ce brouhaha, mes parents s'efforcent de survivre en attendant des jours meilleurs. Déjà en juillet, le fœtus que je suis évolue normalement sans être conscient de la tragédie qui s'aggrave de jour en jour.
Pour ce qui est des animaux, ils ont perdu leur merveilleux pacages sur les battures pour être déplacés sur les terrains plus élevés ou dans les buissons.
Les chemins ont dû être déplacés par endroit et les terrasses ont dû être surveillées en cas d'effondrement.
Le seul avantage de ce rehaussement des eaux a été la possibilité de pêcher à partir de la galerie pour certains, cela sans résultat étant donné que l'eau était incompatible pour les poissons.
Donc pour la plupart des agriculteurs, l'objectif du progrès était tombé à l'eau, on ne peut mieux dire…
Par conséquent, la population a diminué graduellement sur la Pointe Taillon. Cependant la plupart des habitants du rang 4 y sont demeurés jusqu'à l'année 1936.
Pour Yvonne, cet événement n'était que la répétition de ce que ses parents avaient vécu en 1897 puisqu'ils avaient dû déménager parce qu'une compagnie avait érigé deux barrages sur le lac Kénogami, sur la rivière Chicoutimi y déverse 1200 p. c. /seconde et sur la rivière aux Sables, 600 p. c. / seconde. Ces barrages ont noyé les terres basses où était la paroisse de Saint-Cyriac alors que 75% du territoire avait été inondé ; la paroisse avait ainsi disparue.
Il y avait eu le décès de la mère de Joseph, Émilie Harvey. De plus Yvonne a accouché entre Noël et le jour de l'An ; elle a participé à la fête de Noël parmi les siens tandis qu'au Jour de l'An, elle se contentait de communiquer de son lit seulement.
Pour ma part, j'ai cru bon de voir le jour le 29 décembre soit deux jours avant le début de l'an 1927. Pour la bonne raison qu'il m'est plus facile de retenir l'année de ma date de naissance qui correspond à la période mémorable du rehaussement des eaux du Lac Saint-Jean.Cependant il a été malheureux pour ma première année d'existence de n'avoir pas été là pour recevoir un cadeau le jour de Noël ! Toutefois ma mère a pu profiter du gros lot offert pour Noël et le Jour de l'An… J'ai donc rempli le berceau laissé libre depuis le mois d'octobre 1926
On m’a donné comme parrain et marraine le maire et la mairesse de la municipalité, M. et Mme Léon Rousseau. J’ai dû accepter étant donné que je ne parlais pas le même langage que la plupart des gens du milieu. J’avoue humblement avoir oublié certains détails ce qui n’est pas surprenant après la période de turbulence que j’ai subie depuis la montée des eaux le 24 juin.
J’ai probablement été porté au baptême le jour suivant ma naissance à l’église de Sainte-Monique ; je suis sûr de la paroisse ayant obtenu mon extrait de baptême dans cette paroisse. De plus on m’a nommé Jean-Noël probablement en l’honneur de la fête de Saint Jean-Baptiste d’où le brouhaha a débuté au moment où j’étais impuissant pour faire quoi que ce soit.
Pour ce qui est de la réception d’après naissance, elle a été remise au Jour de l’An, histoire de sauver des déplacements, également des friandises. De toute façon, j’ai pour une fois laissé ma part aux autres participants considérant l’absence de dent à ma naissance.
Pour mes déplacements, la sortie pour le baptême a été la seule pendant ces mois d’hiver québécois que je n’ai d’ailleurs pas choisi en raison du manque d’expérience personnelle. On m’a prêté du linge usagé étant le neuvième de la famille ; ensuite on m’a enroulé dans une drôle de couverture sans agrafe ni bouton, une épingle à ressorts attachée après le nombril a fait l’affaire car je ne sautais pas très haut les premiers jours en raison que mon régime gastronomique n’était pas tellement diversifié ; donc mes énergies étaient très restreintes. J’avoue qu’avec ce costume très serré, j’ai manqué d’exercice alors que je ressemblais à un cigare et mes jambes refusaient de me porter pendant plusieurs mois.
Lors de ma naissance, une nièce de mon père a passé l’hiver dans la famille qui comprenait déjà 8 enfants de 0 à 12 ans. L’aîné, Louis-Philippe, avait quitté l’école depuis juin 1926 alors que la deuxième fille, Mariette, avait commencé l’école en septembre.
Tenant compte qu’Yvonne avait l’aide nécessaire à la maison et que l’aîné prenait charge du soin des animaux, Joseph retourne en forêt pour quelques mois dans les chantiers extérieurs.
Alice était devenue responsable de l’agence de la compagnie Massey-Harris en plus du secrétariat du conseil municipal. Elle était à accomplir sa dernière période d’assistance chez l’oncle et la demi-sœur Yvonne étant donné qu’elle quittera le célibat au cours de l’année 1927 en épousant Rosario Duchaîne.
A son retour du chantier, Joseph aura beaucoup de pain sur la planche alors qu’en plus de son travail sur la ferme, les réunions du conseil sont plus fréquentes et la correspondance augmente considérablement.
Fort heureusement au cours de cette même année 1927, les concitoyens du tour du Lac Saint-Jean forment un comité de défense ayant à leur tête comme président, M. Onézime Tremblay de Saint-Jérôme et M. Léon Rousseau, maire, devient directeur du comité. Je n’élabore pas plus longuement sur les démarches du comité de défense étant donné les nombreux passages qui y sont déjà inscrits auparavant ou à la suite de ces pages.
Dès son arrivée, Joseph devra moudre le grain avec la mou lange à pierre « Moody » acquise l’année précédente. De plus en plus les cultivateurs qui tiennent à maintenir leur troupeau ont recours à la moulée, même pour les vaches alors que le fourrage n’a plus la même valeur qu’il avait auparavant. Déjà au cours de l’hiver, lorsque l’aîné, Louis-Philippe, devait s’absenter pour se procurer de l’essence où l’approvisionnement des produits de la famille, Yvonne prenait plaisir à moudre le grain à l’aide de cette grosse moulange actionnée par un puissant moteur à essence de marque Plessiville 5 forces. Souvent le fermier qui apportait les sacs de grains à moudre se chargeait de mettre le gros moteur en marche.
De plus à chaque printemps, le grain doit être battu ce qui se passe en collaboration avec un des voisins. Le mois d’avril est la période de la coupe du bois de poêle qui sera découpé et entré dans la remise avec l’aide des enfants.
Joseph étant reconnu comme un bon constructeur en bâtiment de tous genres, est en demande pendant les mois de l’été et d’automne, ce qui se passe même dans les paroisses environnantes. Il est reconnu pour construire ces bâtiments dans un temps record sachant qu’il se fait payer à forfait donc sans regard aux heures travaillées ; normalement, il travaille de 14 à 15 heures par jour. Ainsi il augmente ses revenus ; cependant Yvonne doit dépenser beaucoup d’énergie pour l’entretien de la famille et de la ferme assistée des plus âgés, à la maison par les filles, et à l’extérieur par les garçons et les filles.
L’amie Éva reçoit encore la visite de la cigogne au printemps de 1927 ; le garçon se nomme René et devient le septième enfant des Bolduc. Yvonne lui rend visite de temps à autre et elles maintiennent une bonne collaboration dans leurs moments libres qui sont de plus en plus rares.
Jusqu’à maintenant le régime de vie se poursuit, même que le rehaussement des eaux affecte grandement les récoltes à cause de l’élévation de la nappe phréatique qui apporte une grande acidité rendant le sol improductif de plus en plus.
A l’automne 1927, Joseph prépare son départ dès les premiers jours de novembre. Une nièce viendra passer l’hiver avec Yvonne et les enfants. Cette nièce, Lydia, prendra charge du secrétariat et de l’agence M. Harris. L’aîné, Louis-Philippe, est presqu'île homme avec ses 13 ans ; comme l’année précédente, il prend charge de la besogne de la ferme. Les animaux sont tous dans l’étable. Il peut compter sur l’aide de sa mère et même des voisins si nécessaire. Joseph doit revenir pour passer les Fêtes avec sa famille, pour s’en retourner dans les bois après les Fêtes. Les mois d’hiver se passent sans connaître de problèmes de la part des membres de la famille.
Fin mars 1928, la période de battage du grain terminée, Joseph entreprend l’usage d’un hache-paille conçu pour réduire en particules les pailles d’avoine ou de blés ce qui permettra la préparation de nourriture mélangée à la moulée qui sera servie aux porcs et même aux vaches laitières ce qui économisera le fourrage qui devient de plus en plus rare.
Voilà qu’en fin d’après-midi, les aînés assistaient leur père pour alimenter l’appareil hache-paille ; ce dernier est actionné par un moteur à essence. Vers 16h30, Joseph décide de discontinuer ses opérations ; il arrête le moteur et déplace la courroie sur la poulie ; le hache-paille continue à tourner un moment.
Voilà que vers 16h25, les deux jeunes garçons, à l’insu de leur mère, s’habillent pour rejoindre les aînés à la grange. Voyant leur père occupé d’un côté de l’appareil, le jeune Louis-Joseph entre et se faufile pour tenter d’arrêter la roue de l’appareil ; portant de longues mitaines, la main gauche est entraînée dans l’engrenage soit entre les roues dentelées, couronne et pignon, qui heureusement s’arrêtent aussitôt. Cependant, la petite main de Louis-Joseph est écrasée dans le mécanisme. A l’aide des plus grands, Joseph actionne l’appareil inversement afin de libérer la main qui n’était pas belle à voir ressemblant à un ruban rougi par le sang.
Le jeune garçon est demeuré conscient et n’a même pas versé de larmes tout en demeurant très calme tout au long de l’aventure.
Le médecin appelé d’urgence par téléphone à son domicile de Péribonka donne les informations appropriées comme mesure d’urgence en attendant son arrivée à la maison qui est à 5 milles du village. A son arrivée, il entre immédiatement avec sa trousse. Les garçons se chargent de dételer le cheval à l’écurie en le couvrant avec une couverture toujours présente dans les voitures d’hiver.
La main du blessé trempait dans une solution aseptisée ; Yvonne avait prévu un bon éclairage en suspendant la grosse lampe alimentée au naphte au-dessus de la table de la cuisine où le blessé devait être traité.
Comment Yvonne a appris la nouvelle !
Au moment de l'accident, les deux garçons, Louis-Joseph et François-Xavier, étaient entrés à l'improviste dans la grange juste au moment où Joseph était à ramasser les accessoires et à fermer les opérations avant de faire le train.
Le jeune Louis-Joseph s'approche de la machine ; le plus jeune était demeuré à l'écart. Aussitôt après avoir vu sortir la main de Joseph, il accourt à toute vitesse vers sa mère pour lui crier que son frère avait la main comme une tripe. Yvonne arrive aussitôt vers la grange pour apercevoir l'enfant dans les bras de son père et ayant la main gauche enveloppée dans un manteau.
En 1928, la ville de Chicoutimi avait un hôpital ainsi que la ville de Roberval.
La chirurgie se pratiquait surtout pour l'enlèvement des membres trop amochés avec la fermeture des plaies par des points de suture. Normalement les membres trop brisés n'étaient pas remis en place. La chirurgie interne n'était pas pratiquée, du moins dans les hôpitaux régionaux. Un cas d'appendice pouvait représenter la fin d'une vie.
C'est pourquoi on retrouvait souvent dans chaque paroisse des manchots ou des unijambistes, des jambes courbées, des bras croches ou sans jointures, bien des cous de travers et fixes.
Selon le premier diagnostic du médecin, ce dernier tente de persuader Joseph et Yvonne que l'enfant ne pourra se servir que de son pouce. A ce moment Yvonne avait aussi fait son diagnostic et elle décide de tout faire pour sauver le pouce et l'auriculaire qui n'étaient pas irréparables. C'est alors que le médecin Jos Rochette, jeune médecin, décide de contacter le seul spécialiste en chirurgie installé à Dolbeau depuis l'année 1927, un dénommé Briault. Ce dernier saute dans une voiture à cheval ; les chemins ne sont pas entretenus pour l'automobile en hiver et le "snowmobile" n'existe pas à l'époque.
Arrivés au village de Péribonka, une autre voiture prenait la relève pour faire reposer le premier cheval qui avait couru sur une distance de plus de 18 milles. Donc le spécialiste Breault arrive dans la famille Tremblay en soirée vers 10h00 pour entreprendre l'opération c'est-à-dire exciser des trois doigts centraux. Ce n'est donc qu'après minuit que le tout a été terminé. Enfin, au grand soulagement des parents, le pouce et l'auriculaire ont été sauvés sauf que l'auriculaire était déformé alors que le bout élargi ressemblait à une petite paire de fesses ce qui a valu à Louis-Joseph plus tard le sobriquet de quatre fesses dans le milieu scolaire.
Le chirurgien a dû faire quelques voyages de contrôle. Le médecin a pris la relève après quelques semaines. Selon la version d'un frère aîné, le jeune Louis-Joseph n'a jamais versé une larme suite à cet accident. Pour récompenser son courage, les médecins lui apportaient un petit présent à chacune des visites à la maison. Voilà qu'après environ un mois, le médecin lui demande avant de partir quel objet il préférerait avoir à sa prochaine visite ? Le jeune Ls-Joseph lui répond sans hésitation : le plus beau cadeau serait que tu arrêtes de me mettre ces maudits pansements qui sentent mauvais ! Le médecin, semble-t-il, a bien ri !
La perte de ses doigts semble avoir créé un choc psychologique qui a affecté son tempérament le rendant plus nerveux et moins discipliné. Il devint très renfermé et incompréhensible dans ses agissements. Par exemple, suite a l'accident, il est devenu incontinent pour ses besoins naturels pendant près d'une année où il était prévenu par sa mère ou ses frères et sœurs qui soupçonnaient par ses agissements le moment d'aller sur le vase ou à la toilette. Il leur répondait : non, je n'ai pas envie. A chaque fois, il s'était sali dans ses culottes une minute plus tard. Mes parents ont eu recours à bien des procédures sans obtenir de résultats la première année.
Yvonne décide de transformer son milieu de façon psychologique ; elle transforme le décor de sa chambre : rideaux, couleur du lit des couvertures et draps d'un beau bleu ce qui provoque un autre choc d'une attention particulière à son égard et il redevient soucieux du plaisir d'être propre, au grand plaisir de ses parents.
Cette fois, grâce à l'obstination des parents, la main du petit Louis-Joseph a été recousue et le doigt brisé a été conservé et le tout a guéri assez rapidement. Tout au cours de sa vie, cette a pu accomplir la presque totalité des tâches familières à ses occupations après avoir développé des trucs particuliers.
Il a dû être suivi par le médecin pour une longue période ; aussi il a occasionné bien des soucis pour sa mère qui a exercé des soins particuliers par trempage de sa blessure périodiquement dans de l'eau bouillie aseptisée ; cette main a dû être enveloppée et protégée pour une longue période.
A l'époque, sans aucun doute, la plupart des gens rejetaient le blâme sur l'enfant qui n'avait pas d'affaire à cet endroit ; certains ont même pu dire que les parents n'avaient pas surveillé leur enfant comme il faut.
Ma version à titre d'ex-enquêteur d'accident du travail est bien différente et la voici : ces deux énoncés ne sont que des facteurs contributifs à l'accident. " La conception de l'appareil en est la cause réelle" étant donné que les poulies ou roues d'engrenage permettaient l'entrée en contact de la main donc ces dispositifs qui se doivent d'être protégés afin qu'aucune partie du corps ne puissent les atteindre. Donc je n'accorderais aucun blâme de la part des parents.
Ayant atteint l'âge de six ans au début du mois d'août suivant l'accident, le jeune enfant devait commencer l'école même que la blessure n'était pas tout à fait guérie. Malheureusement, il était toléré à l'époque que les institutrices utilisent une règle de bois pour al formation du caractère des débutants. C'est alors que son institutrice semblait profiter de la sensibilité de sa main gauche pour atteindre ses objectifs d'autorité qui était à l'époque une priorité pour les enseignants.
Après avoir frappé le jeune Louis-Joseph à plusieurs reprises sur sa petite main encore sensible, surtout les moignons des trois doigts coupés et recousus. Une sœur du petit Louis-Joseph rapporte les faits à la maison. Le lendemain, son père, secrétaire de la commission scolaire, se rend à bonne heure pour rencontrer l'institutrice avant l'entrée des enfants en classe. Cette dernière a été avisée fermement de ne plus utiliser sa règle dans l'exercice de sa fonction à l'endroit du petit Louis-Joseph qui était devenu très nerveux à l'approche des gens qui tentaient de l'approcher.
L'enfant avait suffisamment souffert au cours des derniers mois pour ne prendre le risque d'aggraver sa sensibilité. C'est alors que l'institutrice a dû retirer la règle de son bureau sur-le-champ.
Il faut tenir compte que les souffrances ressenties par l'enfant, souvent en l'absence de calmants efficaces, se reflétaient sur les parents qui ont sûrement manqué de sommeil au cours des premiers jours suivant l'accident. Par ailleurs, tous les services médicaux n'étaient aucunement défrayés par l'état à ce jour. Je signale que les médecins de campagne acceptaient des produits de la ferme en guise de paiement.
Bien sûr que le petit était esthétiquement affecté à un membre ; il est même devenu plus nerveux suite à cet accident. Cependant je rappelle un fait apparu longtemps plus tard et qui lui a valu une certaine tolérance à son égard lorsque la qualité de son travail ne respectait pas les règles de l'art, particulièrement au moment où il exerçait le métier de bûcheron sur les chantiers forestiers, alors qu'il était payé à la corde. A ce jour, l'abattage des arbres se faisait à la hache et au sciotte. L'ébranchage comportait une certaine importance qui pouvait influencer le cubage réel d'une corde de bois pour le rendement monétaire du fabricant de papier.
Il est arrivé à maintes reprises que ses cordes de bois de 4 pieds soient refusées par certains mesureurs de bois payés par le fabricant de papier qui établissait des critères sévères sur le cubage réel du bois. Il arrivait que le mesureur passe tout droit en percevant les nombreux trous excédant la norme. L'entrepreneur se devait d'en aviser le bûcheron de reprendre le cordage du bois. Aussitôt Louis-Joseph rencontrait le mesureur ou encore le mesureur en chef qui se devait de vérifier le mesureur général. Très souvent après avoir démontré sa main et expliqué la difficulté pour lui de maintenir sa hache fermement comme tout autre bûcheron pour effectuer efficacement la coupe des branches très près du corps de l'arbre. Parfois il acceptait d'y faire une correction en y ajoutant une petite bille au cœur des plus gros trous ce qui convenait à l'acceptation de ses cordes de bois.
Bien qu'il ait eu son accident dont la cause est reliée à des causes mécaniques, il n'a jamais craint aucune opération mécanique, même non sécuritaire. A 19 ans, il est devenu responsable d'une scierie de billots pour bois de construction. Quelques années plus tard, il était propriétaire de moulins à scies et contracteur forestier pendant plusieurs années. De plus il a terminé sa carrière à titre de mécanicien de machinerie lourde à l'âge de 65 ans.
Au moment de l'accident, Louis-Joseph était vêtu d'un paletot d'étoffe vendu comme surplus de l'armée. Ma mère avait confectionné le manteau pour un enfant de 6 à 8 ans. L'année suivante le manteau lui convenait bien ; cependant il n'a jamais accepté d'endosser le vêtement ; alors ma mère a compris qu'il avait été marqué psychologiquement… Elle conserve le manteau pour le garçon suivant, François-Xavier, qui l'accompagnait au moment de l'accident et qui a carrément refusé de porter le manteau. Alors sans trop insister, elle le conserve en attente pour le suivant qui sera en l'occurrence moi-même. Il en a été ainsi pour moi qui avait pris connaissance de l'événement même que j'étais âgé de 2 ans et 4 mois lors de l'accident. Par la suite, ma mère transforme le manteau en une belle paire de culotte pectop. Alors j'ai usé ces culottes qui étaient d'une qualité excédant le tissu ordinaire.
Pour une première fois, la cigogne a profité du beau mois de mai pour prendre son envol au-dessus des champs verdoyants et jardins fleuris pour visiter ma mère afin d'y occuper le berceau que j'avais libéré depuis plusieurs mois étant donné que je suivais déjà mes frères et sœurs autour de la maison.
Comme d'habitude, l'enfant a dû être baptisé le lendemain de la naissance. Les parrain et marraine ont été un voisin, M. et Mme Mathias Rousseau ; son premier nom est Elphège, comme son parrain.
Une dame demeure avec la famille pour quelques semaines. Yvonne avait terminé les semences dans son jardin. La période de classe touche à sa fin. L'aînée des filles a maintenant 9 ans ; elle sera utile dans la maison assistée de ses grands frères de 14 et 12 ans. Les semailles des grands champs ne sont pas terminées ce qui donne beaucoup de travail à Joseph.
Quelques semaines plus tard, Éva Boily reçoit la cigogne qui lui laisse un gros garçon qui s'appellera Philippe ; il sera le 6e fils d'Éva et Oscar Bolduc.
Comme tous les fermiers, ces deux familles espèrent un règlement de la part de la Cie Duke Price qui n'arrive toujours pas.
Voilà que les familles Boulianne étant encerclées par l'eau sur leur île reçoivent l'offre d'une compensation de 2 500,00$ pour leur déménagement à Saint-Augustin.
Pendant cette longue période de 1926 à 1931, nombreux sont les cultivateurs qui tentent d'obtenir une réponse convenable de la part des politiciens.
Nous retrouvons entre autres M. Mathias Rousseau qui écrit au ministre J.-E. Caron le 11 décembre 1926. Le cher ministre s'en lave les mains.
Le 21 décembre 1926, c'est au tour de son frère, M. Léon Rousseau, maire de la municipalité qui écrit au Premier ministre, M. A. Taschereau, il reçoit une réponse de non-compréhension de l'insatisfaction des offres effectuées par les délégués des parties, Messieurs Bouchard et Plourde, agronomes.
Un autre groupe de cultivateurs de la municipalité de Jeanne d'Arc fait parvenir leurs doléances au Premier ministre, A. Taschereau, par l'intermédiaire de leur bon ami, Charles Senouillet, notaire.
Texte de la requête portée à Québec par M. Charles Senouillet, le 4 juin 1928.
Nous soussignés,
cultivateurs de la municipalité de Jeanne d'Arc dans le Lac Saint-Jean, venons
très humblement vous exposer en résumé notre situation actuelle par rapport aux
dommages de toutes natures causés par l'élévation des eaux du Lac Saint-Jean et
de la Grande Péribonka. Les eaux de
cette dite rivière sont maintenant à un niveau plus haut que celui du lac en
question. Lui-même fait des dommages de
toutes natures. Désorganisation de tout
ce qui existait : écoles, fromagerie, téléphone, eaux d'alimentation, quais,
chemins éloignés de toutes communications et de tous postes de commerce. Toutes
les servitudes que nous possédions sont submergées et une autre partie glissant
graduellement dans la rivière.
Sachant que les
dommages matériels peuvent se compenser mais qu'il est beaucoup plus difficile
de réparer les dommages soufferts physiquement étant donné que ceux-ci
augmentent. Tous les jours, vraiment on serait porté à croire qu'on s'est donné
pour mission de nous réduire à la famine et au découragement, armes bien
illégales, il faut l'avouer.
La population est très bien disposée à en venir à une entente avec la compagnie Duke-Price pourvu que les conditions soient acceptables. Nous savons aussi que si à l'impossible nul n'est tenu, c'est avec une pleine confiance que nous vous soumettons notre situation à peu près telle quelle et nous vous demandons de faire en sorte que justice pleine et entière nous soit rendue sans retard. Il devrait y avoir assez longtemps que cette situation dure et le délai accordé par le gouvernement à la compagnie Duke-Price doit être expiré. Pour vous donner tous les détails nécessaires se rapportant à cette question, nous nous en remettons à notre député ministre, l'Honorable Emile Moreau, homme en lequel nous mettons notre confiance. Celui-ci, nous en sommes certains, se fera un plaisir de vous donner tous les renseignements nécessaires et de vous suggérer au besoin les moyens à prendre pour donner satisfaction en rendant justice aux cultivateurs de la municipalité de Jeanne d'Arc.
L'Honorable
Émile Moreau, ayant résidé lui-même
dans notre municipalité et cela au début de cette décennie, il fut un de nos pionniers
; il connaît donc quels sacrifices les cultivateurs ont fait pour la faire
prospérer et ce qu'elle était avant la hausse de la rivière. Il sait ce qui
doit être fait pour dédommager les cultivateurs lésés de cette localité.
Espérant, Honorable Premier
Ministre, que vous ne nous refuserez pas votre aide et votre secours, nous vous
demandons bien humblement votre puissante protection ; c'est avec confiance que
nous nous en remettons à vous.
Nous avons signé :
René Bossard
Auguste Douillard
(fils)
Auguste Douillard
(père)
Pierre Douillard
Charles Senouillet
Emile Aubin
Nazaire Aubin
Achille Aubin
John Rouleau
Louis Rouleau
Donat Rouleau
Joseph Rouleau
Omer Rousseau
Léon Rousseau
Zoël Rousseau
Mathias Rousseau
Oscar Bolduc
Le ministre Taschereau est beaucoup trop occupé pour leur répondre. Les conseillers, Achille Aubin et Zoël Rousseau, proposent que l'on revienne à la charge en expédiant une lettre rédigée sous forme de résolution. Le 3 septembre 1928, les membres du Conseil adoptent unanimement cette proposition.
En 1928, le nombre des familles restantes est plus élevé qu'en 1930. Le secrétaire-trésorier fait parvenir une lettre explicative aux avocats Amers, Demers et Pratte, 97 rue Saint-Pierre, Québec.
Remarque : Cette lettre a été la dernière d'une longue série de requêtes et protestations écrites par Joseph Tremblay à titre de secrétaire-trésorier, ayant démissionné au début de l'année 1929.
Colons venant de l'extérieur du Canada
Au moins dix colons arrivaient des États-Unis ; neuf arrivaient de France : les Douillard, les Bossard, Lépine, Boutin et Senouillet. Ce dernier, Charles Senouillet, arrive à la Pointe Taillon en 1903, accompagné d'un M. Boutin. Il s'établit sur le lot no 76 dans le rang 4 non loin de mes parents.
Homme réservé, sa façon de vivre semble bizarre aux gens de la Pointe. Il parle peu et ne se mêle pas à la société, ce qui fait dire à certaines personnes : "C'est un espion venu de France". Pourtant cet homme est notaire de profession.
Il vit en solitaire ; le 7 août 1922, Charles Senouillet est élu au siège de conseiller municipal. Le travail acharné de cet homme augmente l'évaluation de sa terre d'une étendue de 152 acres.
Voilà qu'arrive l'élévation du lac Saint-Jean qui anéantit ses travaux sur sa ferme. Il est chassé de sa terre comme un vulgaire bandit. Il meurt célibataire en décembre 1930 sans avoir obtenu un sou d'indemnité.
Cet homme se qualifiait d'athée mais il paraît qu'il s'est converti au catholicisme avant de mourir. Il se plaisait à répéter : "Tu sais bien Jos non de Dieu qu'il n'y a pas de Dieu, ni de diable ! Nous sommes comme le bœuf et la vache dans le champ ! Quand nous serons morts, tout sera mort sur terre, nom de Dieu !"
1928:
DEUXIÈME TRAGEDIE DU LAC SAINT-JEAN
Moins de deux années après la fermeture des vannes du barrage sur la petite décharge de l'Isle-Maligne, la direction de la compagnie Duke-Price a complètement perdu le contrôle de l'élévation des eaux du lac Saint-Jean.
Partout dans la province de Québec, il y eut un record de chute de neige au cours de l'hiver, suivi de fortes pluies diluviennes en avril et mai de sorte que toutes les rivières drainant le contour du lac ont contribué au rehaussement du niveau des eaux d'au moins trois mètres.
Voyant les eaux déborder leurs barrages, les administrateurs des barrages décident d'ouvrir les vannes du barrage de la grande décharge le 23 mai alors que l'élévation se situe à 28 pieds sur l'échelle des mesures fixées au quai de Roberval. Sachant que les eaux doivent être maintenues au niveau 17 pi 5 selon l'entente gouvernementale, la direction de Duke-Price décide d'ouvrir les vannes du barrage de Petite Décharge qui traverse la ville d'Alma. Aussitôt informés, les dirigeants de la ville refusent l'autorisation d'ouvrir les vannes afin d'éviter l'envahissement d'une grande partie de la ville par au moins 5 millions de billes flottantes sur le réservoir en amont du moulin à papier de la compagnie Price.
Déjà toutes les villes et villages des alentours du lac sont partiellement inondés. Au moment du sinistre, les citoyens affectés ou non s'entraident afin d'éviter les pertes de vies humaines. Certains ont été secourus à l'aide de chaloupes et canots afin de quitter leurs résidences. Les animaux sont récupérés sur des cageux de fortune et barques pour les faire paître sur les terrains élevés de leurs fermes.
La ville de Roberval est très affectée et même la résidence du ministre de l'Agriculture, M. Émile Moreau, est immergée par l'eau et les billes de bois. De même la paroisse de Saint-Méthode subit des dommages inestimables comme beaucoup d'autres paroisses autour du lac.
Malgré l'évidence, le ministre E. Moreau rejette toujours le blâme sur des causes naturelles imprévisibles ce qui blanchit le dossier des entrepreneurs industriels de la région.
Déjà un comité de défense des cultivateurs avait été formé en 1926 et M. Onézime Tremblay possédant une ferme à proximité de l'oncle Johnny en la paroisse de St Jérôme a été élu président de ce comité.
Selon le récit d'un fils de ce monsieur Onézime Tremblay, Mgr Victor, fondateur de la société historique du Saguenay Lac Saint-Jean, son père est né à Saint-Jérôme en l'année 1866 et décédé en 1947 au même endroit. Ce monsieur Tremblay était un fervent catholique récitant un chapelet en famille quotidiennement. Voilà qu'au cours des fréquentes représentations du comité de défense des cultivateurs auprès des autorités gouvernementales, il a dû combattre pendant de nombreuses années sans obtenir l'appui gouvernemental dans ses démarches pourtant bien légitimes envers les propriétaires lésés par le rehaussement du Lac Saint-Jean. Il est fréquemment arrivé qu'au cours de la récitation des prières, son père Onézime récitant le "Je vous salue Marie, pleine de grâces" frappait son poing sur la table et s'écriait "Baptême de Taschereau !" puis poursuivait sa prière calmement.
Le récit précédent provient de l'enregistrement d'une cassette vidéo découlant du récit historique de Mgr Victor Tremblay dans les archives nationales du Québec.
Je joins à ce chapitre une revue d'Actualité 1996, dont la deuxième tragédie du rehaussement du Lac a été racontée par un journaliste en entrevue avec une dame Noëlla Genest, de St-Méthode, et âgée de 86 ans en 1996. Cette dernière dit avoir vécu cette tragédie au cours du printemps 1928. Voir les pages #26 à 29.
Cette même revue d'Actualité contient un récit détaillé sur la catastrophe qu'ont connu les gens demeurant dans les régions d'Hébertville, Jonquière et Chicoutimi. Voir les pages # 5 à 25.
La situation s'aggrave de jour en jour sur la Pointe Taillon. Mes parents vivent dans l'angoisse comme l'ensemble des citoyens. Les dettes de la municipalité se multiplient en raison du refus de payer les taxes municipales de la part de la compagnie Duke-Price qui ne répond même plus aux supplications du Conseil formulées par le secrétaire-trésorier, mon père, qui prend part à de nombreuses réunions spéciales du conseil dans sa résidence. Voilà qu'au cours du mois de janvier 1929, il donne sa démission de secrétaire-trésorier du Conseil et retourne en forêt afin de se changer les idées. Il deviendra maire de la paroisse de Jeanne d'Arc jusqu'à la désintégration de la paroisse.
L'aîné a plus de 14 ans et il prend charge de la ferme, assisté de sa mère qui ne lâche pas dans l'espoir d'obtenir un règlement favorable. Lorsque Joseph revient en mars, le petit dernier marche et se mêle aux huit autres enfants; il tombe donc sur les nerfs des quatre autres qui ont à faire leurs devoirs en soirée.
Les jours s'allongent. Le soleil est plus chaud de jour en jour. Le temps de la mise bas des animaux arrive. Les poules ont recommencé à pondre; les victuailles ne manquent pas. Les enfants sont tous bien habillés. La vie se poursuit malgré l'incertitude…
Fort heureusement, les concitoyens fraternisent comme par le passé. La famille cultive la terre comme les années précédentes.
Nous sommes le jeudi 24 octobre (jeudi noir) : la crise économique, par un krach boursier sans précédent, sème la panique à Wall Street et même l'intervention des banques du syndicat Morgan ne parvient pas à l'endiguer.
Cette crise se propage bientôt dans les pays capitalistes et se transforme en une série de crise générale qui frappent tous les secteurs de l'économie. Partout sévit la mévente tandis que les prix baissent (du tiers environ pour les produits industriels et des deux tiers pour l'agriculture), les stocks s'accumulent tellement qu'on sera obligé de les détruire.
La production languit ; les entreprises réputées les plus solides font faillite et le chômage prend des proportions gigantesques : 30 millions de chômeurs recensés en 1932, dont 15 millions pour les seuls États-Unis. Crise articulée: l'état intervient en 1935 seulement. Elle est suivie d'une rechute dès 1938 : finalement c'est la guerre qui sauvera l'économie capitaliste.
Joseph n'est plus secrétaire de la municipalité ; cependant il maintient un lien avec le conseil municipal. A l'automne, il se rend à pied par affaire à Sainte-Monique. A son retour, à la brunante, ma sœur Pierrette et moi accourons à la hâte pieds nus, étant non loin de lui, nous crions de joie : "Bonjour papa! Bonjour papa!! Arrivés tout près de lui, nous nous rendons compte que c'est le voisin, M. Mathias Rousseau. Grande fut notre déconfiture et cela m'a marqué psychologiquement dans mon orgueil d'enfant de 2 ans 10 mois.
Pendant l'hiver de 1928-1929, la famille de Joseph Boulianne a quitté la Pointe Taillon pour aménager à Saint-Augustin. De nombreuses autres familles songent à quitter mais où aller; ils n'ont pas les ressources nécessaires pour se réinstaller ailleurs…
Au cours de l'année 1929, les deux frères Jos et Johnny Gagnon quittent la Pointe Taillon. Une grange étable avait été construite récemment. Joseph T. collabore avec les Gagnon dans leur installation des bâtiments. En échange Joseph fera la coupe du foin pour son utilité et les surplus pourront être vendus.
A l'automne, la nièce Noémie Plourde vient passer quelques mois avec sa tante Yvonne ; son époux a une pneumonie et il passera quelques mois avec mes parents pendant l'hiver. Joseph demande à son neveu d'offrir le surplus du foin aux cultivateurs de son secteur de la rivière Blanche, aujourd'hui Sainte-Jeanne-d'Arc. Son époux souffre d'une pneumonie; il passera alors quelques mois avec mes parents. Pendant l'hiver, Joseph demande à son neveu d'offrir le surplus du foin aux cultivateurs de son secteur de la rivière Blanche, connu aujourd'hui comme Sainte-Jeanne-d'Arc. La vente du foin n'a presque rien rapporté à Joseph; Il doit prendre un cheval handicapé pour paiement.
A la fin du mois de février 1930, la cigogne annonce sa visite à Yvonne; elle lui laissera une belle fille qui sera dénommée Marie-Rose ; elle sera portée au baptême le lendemain à Péribonka. Le parrain et la marraine seront la nièce Noémie et son époux Louis-René Boulianne.
D'abord à savoir qu'en 1926, 138 lots sont en exploitation sur la Pointe Taillon. En 1930, 87 lots sont vendus à la compagnie Duke-Price ; 21 sont abandonnés. Il reste donc 30 lots et leur situation au point de vue détérioration est identique aux terres vendues ou abandonnées. Lors du recensement de 1925, on compte l'existence de 52 familles pour un total de 307 âmes; en 1930, il n'y a plus que huit maisons restantes qu'habitent 11 familles ce qui représente 86 âmes. Avant 1926, quatre écoles desservent la population enfantine; il n'en reste qu'une ce qui oblige certains enfants à franchir une distance de plus de trois milles afin de pouvoir la fréquenter.
La fromagerie au bout du rang 4 ferme ses portes ce qui oblige les gens à se rendre à l'autre extrémité de la municipalité. Le seul moulin à scie de billots et de bardeaux, celui de Xavier Gaudreault, est désormais inexistant. Sur les fermes occupées, on compte aujourd’hui 45 vaches sur 293 antérieurement. Jos Tremblay et Charles Eugène Bolduc conservent le même nombre de bêtes car ils ont obtenu temporairement la permission de faire pacager sur les terrains de la Compagnie.
La fertilité des sols diminue chaque année par la suite du manque de rotation. Des éboulis se produisent tout le long de la rive ; celle-ci est dévorée sur une largeur qui atteint 150 pieds à certains endroits. Une maison et un chemin public ont été emportés. Les demandes pour entretenir les chemins municipaux ne manquent pas. Certains contribuables ont avisé la municipalité que des procédures allaient être prises contre elle. Du foin croît encore naturellement sur certaines parties de lots achetés par la compagnie Duke-Price. Précieuse est cette récolte ! La compagnie ne consent pas à entretenir le chemin sur ses lots à moins d’y être forcée par un jugement de la cour. Pour sa part, la municipalité tient énergiquement à l’entretien convenable de la partie du rang quatre.
Le service régulier de la traverse reliant ce territoire à Péribonka a disparu. Cet isolement est particulièrement pénible en été à cause des chemins.
L’eau est devenue absolument imbuvable. Avisée la compagnie délègue sur les lieux un chauffeur de taxi, St-Cyr, qui ramasse des échantillons d’eau chez quatre cultivateurs. Cet homme ne se gêne pas pour dire et répéter que cette eau est imbuvable.
En raison de l’impossibilité de trouver de l’eau potable, la municipalité est bien désorganisée car, sur un parcours de huit milles, huit maisons seulement sont habitées. La municipalité entame des négociations avec la compagnie dont on ne cesse de vanter la générosité. Celle-ci fait les offres suivantes :
1. pour tous les dommages causés ou à être causés, elle donne à Mathias Rousseau 225,00$ pour ses lots ;
2. à Zoël Rousseau, 100,00$
3. à Omer Rousseau, 300,00$
4. à John Rouleau, il ne reçoit rien.
Les lots 44 et 45, les écoles désaffectées, les chemins brisés, tous les dommages directs et indirects non-cités ne retiennent pas l’attention de la compagnie qui n’offre absolument rien en matière de dédommagements compensables.
On dit qu’une compagnie est un corps sans âme ; ceci explique sa satisfaction absente de gêne à l’endroit du règlement avec les inondés qui auraient dû recevoir quatre fois au moins le paiement de leurs dommages. Voyons comment cette merveilleuse compagnie procède avec notre pitoyable paroisse de Jeanne d’Arc.
Il faut oublier l’incertitude
Les résidants continuent de fraterniser, même que nombreux résidants
viennent fêter sur la Pointe-Taillon.
La culture des terres se poursuit ; les champs labourés ont été ensemencés. Yvonne a repris sa performance habituelle pour cultiver son grand jardin.
A la fin de l’année 1929-1930, Rose-Anna quitte l’école ainsi que son frère Adrien. Rose-Anna a 11 ans et Adrien, 14. L’aînée donnera un bon coup de main à Yvonne qui a 11 bouches à nourrir sans compter les parents et les gens de la parenté qui passent beaucoup de temps avec la famille.
Tant qu’Adrien, il sera très utile sur la ferme en compagnie de l’aîné Philippe, ainsi que le pensionnaire Paul Bolduc qui est considéré comme enfant de la famille depuis 1925.
Adrien le patenteux
Adrien accompagne les autres sur la ferme tout en s’intéressant surtout à la mécanique (réparations, entretien et nouvelles patentes). N’allant plus à l’école, il aura plus de temps pour ses loisirs. Un jour il entreprend la fabrication d’une chaloupe ; pour ce faire, il utilise une feuille de tôle de 36 pouces x 10. Les deux bouts sont retenus par des rivets et bien calfeutrés ; un contour en cèdre constituait la charpente. Il semble que le canot fut assez performant.
Leur sœur Rose-Anna n’était toujours pas invitée à prendre part aux excursions effectuées par les garçons. Donc un jour que les gars étaient au travail, elle décide d’emprunter le canot de tôle ; étant à son premier essai en canotage, aussitôt rendue à quelques 50 pieds de la rive, elle tente de marcher dans le canot qui se renverse et elle ne sait pas nager. Fort heureusement le niveau de l’eau avait baissé depuis quelques jours et elle touchait le fond. Elle a remis le canot à sa place puis elle a continué sa besogne sans en parler à qui que ce soit. Cependant elle a dû faire sécher son linge à l’extérieur ; donc sa mère a très vite été mise au courant de l’excursion en solitaire de sa fille.
Le même jour, Yvonne s’est chargée de confisquer la nouvelle création de son fils ; elle prit une hache et elle fit des entailles à plusieurs endroits, puis elle le poussa au large du canal. Il n’a jamais refait surface. Ainsi fut le premier naufrage d’un bateau dans la baie.
Plaisir du jardinage
Comme à l’accoutumée, Yvonne s’entoure des enfants pour entretenir le
jardin comme pour la cueillette des fruits sauvages.
Joseph et l’aîné utilisent l’auto pour aller faire la coupe du foin sur les lots des Gagnon et même qu’ils iront travailler sur différentes constructions dans la région.
Elphège dans le baril
L’été est chaud et nous sommes en période de sécheresse. Notre mère
avec l’aide des aîné(e)s est à sarcler les plants du jardin ; quelques
enfants sont chargés d’arroser les plantes du jardin. Mon petit frère et moi
voyant la pompe libre depuis un moment, nous décidons de remplir le baril à
l’aide d’une grosse pompe à bras ; alors nous approchons une chaise de la
pompe et du baril ouvert, nous l’élevons à la hauteur de nos têtes, puis nous
l’aidions à redescendre. Pendant la course du bras, mon petit frère âgé de 2
ans et 3 mois est frappé par le bras de la pompe et culbute dans le baril la
tête la première. Aussitôt je cours vers ma mère pour l’avertir ; elle le
sort du baril alors qu’il est noir bleu et étouffé ; après l’avoir tourné
la tête en bas puis sur le plancher, il rejette de l’eau et reprend sa
respiration. Ce fut un choc pour toute la maisonnée. Même si je n’étais âgé que
de 3 ans 7 mois, cet incident m’a marqué profondément.
Bronzage dans
un pit de sable
Un après-midi où il faisait très chaud, j’ai souvenir que ma sœur Pierrette et moi étions allés manger des framboises dans un champ à la limite de notre ferme dont la clôture longeait un « pit » de sable qui était du côté du voisin, M. M. Rousseau. Voilà qu’en ramassant les framboises, nous avons aperçu un couple d’amoureux qui se faisait bronzer en ayant quelques parties du corps enterrées dans le sable. La clôture enrobée de foin et framboisiers nous protégeaient des regards du couple qui parfois dégageaient leur corps du sable alors qu’ils étaient certains d’être seuls à cet endroit. Ces gens étaient des visiteurs de Montréal. M. P. Huot et P. Lauzon.
Cette fois, le spectacle gratuit était un vrai hasard. Cependant ma sœur Pierrette était de nature fouineuse et prenait plaisir à m’entraîner dans différentes situations parfois à risque, comme monter sur des toits ou dans les arbres. Souvent nous allions prendre les œufs de dessous les poules qui nous picoraient les mains jusqu’au sang. Pierrette étaient très bavarde et découvrait beaucoup de choses grâce à sa grande curiosité, puis elle criait : « Venez voir ! Venez voir ! » C’est pourquoi nous l’avions surnommée la corneille aux pattes galées. Nous étions bien méchants car cette sœur n’était que débrouillarde et généreuse comme c’est pas possible mais la tête toujours remplie d’idées.
La bouilloire renverse
Pierrette m’a appris beaucoup de choses ; un jour elle m’a montré comment faire une collation de grillades de patates. D’abord je pèle les patates et nous les tranchons minces pour les faire cuire directement sur la surface de notre gros poêle à bois. Comme c’est elle qui nous montre et qu’elle est plus grande que moi qui n’avait que 4 ans et 4 mois, elle utilise les 2 ronds du poêle au-dessus du foyer « feu ». La bouilloire de fonte noire très lourde occupait un rond ; alors je monte sur une chaise pour pouvoir déplacer la bouilloire vers le réchaud à l’autre extrémité du poêle.
Voyant que j’ai de la difficulté à déplacer la bouilloire, elle saisit la poignée en même temps que moi. Alors la chaise se renverse et la bouilloire se déverse sur moi. L’eau est bouillante et j’étais habillé en laine épaisse pour l’hiver. Entendant mes cris, le secours ne tarde pas à venir. Je ne me rappelle plus qui est venu à mon secours. Cependant je sais qu’en enlevant mes vêtements, la peau et la chair ont suivi, particulièrement sous les bras où j’ai été brûlé au 2e degré. Je porte encore les marques et cicatrices de cet accident ce qui pourrait être d’un certain recours pour identification future. J’ai eu ma leçon et j’ai fait cuire beaucoup de tranches de patates par la suite sans connaître aucun problème.
Autour de Pierrette
Au début de juin 1931, Pierrette était amante de la nature et regardait pousser les plantes dans les champs ou près des petites rivières. Un jour elle me dit : ces fleurs seraient beaucoup plus belles dans un pot pour notre mère qui ne sort plus de la maison alors qu’elle vient de mettre au monde un beau garçon.
Cette fois nous avions cueilli des fleurs très belles non loin de la rivière Péribonka. Afin d’y conserver les fleurs, il fallait les déposer dans un bocal de verre (cruchon) ; aussitôt nous filons vers le puits au bas de la pente devant la maison. Ma sœur, plus grande que moi, se charge de remplir le cruchon d’eau en se glissant sur le bord du puits qui a un contour en bois. L’eau est à environ 24 pouces du haut du puits ; elle penche sa tête vers le niveau de l’eau et en remplissant le cruchon les pieds lui ont levé et elle culbute tête première dans 30 pouces d’eau. Elle s’étouffe et crie de toutes ses forces après avoir touché le fond du puits. Après de nombreux efforts et aussi avec mon aide, elle en est sortie bien énervée, les cheveux défrisés et son ruban rose tout taché de boue. Je n’ai jamais su si ma mère a été mise au courant de l’aventure ; cependant elle n’a pas eu de fleurs ce jour-là.
1931 – le temps de la fenaison
Pendant que mon père, aidé de l’aîné Philippe, travaillait de longues périodes à l’extérieur, ma mère veille au grain assistée du second fils Adrien ; il a maintenant 15 ans et se tire bien d’affaire sur la ferme avec l’aide des autres garçons de 8 et 7 ans ainsi que des deux filles de 12 et 11 ans ; ces dernières sont toujours présentes pour la traite des 12 vaches laitières.
Suite à la convalescence de ma mère Yvonne vers la fin du mois de juin, le sarclage et le renchaussage des plants et légumes du jardin seront entrepris avant le début de la fenaison au cours du mois de juillet.
Surprise
Un représentant de la compagnie Duke-Price, M. M. Low, offre à négocier un arrangement concernant l’échange de la ferme de mes parents contre les lots #82, 83, 84, 85 à l’extrémité de la Pointe Savane en face du village de Péribonka.
La famille connaît le territoire puisqu’il y fait les foins depuis près de 2 ans. Au même moment, un autre cultivateur, ami de Joseph, Arthur Plourde reprenait les lots #86 et 87, voisins des lots de mes parents. M. Plourde avait obtenu ces lots par contrat pour 10 ans tandis que mon père avait obtenu un contrat indéfini c’est à dire 99 ans et plus de la part de la compagnie Duke-Price.
La famille Plourde a fait construire les bâtiments par mon père et les gens de la famille Plourde qui demeuraient à St-Henri. Philippe Plourde a pris possession de la ferme au début de l’année 1932.
Nouvelle ferme de mes parents
Déjà en 1931, Yvonne a 13 bouches à nourrir sans compter les pensionnaires qui travaillent sur la nouvelle ferme ; quatre sont à l’école et Pierrette débute son école en septembre. Il faut dire que les six premiers enfants de la famille fournissent une aide appréciable soit sur la ferme, soit sur la construction des bâtiments à la Pointe Savane.
Prévisions en cours
Au cours de l’hiver, Joseph prépare les fenêtres et portes pour les bâtiments secondaires, cela en utilisant les gros corps d’arbres en pin demeurés sur la ferme. Cette ferme possédait une cédrière qui a rendu de nombreux services même aux citoyens qui avaient à remplacer des fenêtres ou d’autres utilités de longue durée sachant que le bois de cèdre ne pourrit pas.
Les portes et fenêtres destinés à la construction de la maison ont été commandées chez l’ébéniste, M. Delphis Potvin, de Péribonka. Mon père préférait se procurer le bois manquant au moulin à scie de M. Jos Rossignol à Ste-Monique. La plupart des autres matériaux courant étaient achetés chez le marchand général de Péribonka, M. Sigefois Desjardins. A cette époque, l’isolation des lambris et plafonds était faite avec du bran de scie récupéré sous les moulins à grande scie.
Du nouveau en mai 1931
Au début du mois de mai 1931, la cigogne avait repris son envol pour atterrir à la maison de mes parents ; ils ressortent le berceau qui accueillera le douzième de la famille, Maurice.
Cette fois le nouveau-né a été porté au baptême à Sainte-Monique sachant que le chemin sur la rivière Péribonka n’était pas sécuritaire à l’approche du départ des glaces du lac et de la rivière. Le parrain a été Ulric Boulianne et la marraine, Simone Plourde, laquelle était une nièce de mon père ; elle vivait à Albanel et elle passera plusieurs semaines dans la famille de mes parents.
Piétiné par la jument Dolly
Les vacances commencent au début de juin et l’institutrice qui logeait chez nous sera reconduite chez elle à St-Henri par mon père. La jument Dolly est attelée au boggy et attend dans la cour de la maison ; mon père est entré dans la maison chercher la valise de l’institutrice et François-Xavier et Pierrette prennent place dans le buggy en attendant l’institutrice. Les cordeaux « guides » sont sur le dossier du siège arrière.
Je suis dans la cour et voyant mon frère et ma sœur sur le siège, j’accours pour les rejoindre ; ils ne veulent pas que je monte dans le buggy par le marche-pied de côté ; c’est alors que je passe en arrière du buggy pour y monter difficilement. Je réussis à atteindre la tablette derrière le siège mais pas pour longtemps car sans aide j’ai dégringolé soudainement en accrochant les cordeaux reliés au mors de la bride de la jument.
Dans ma chute je donne un grand coup sur la gueule de la
jument qui part à reculons pour me piétiner le corps et briser mes vêtements
qui sont pleins de sang. On m’a sorti de dessous les pattes de la jument sans
que j’aie de fractures aux membres mais je porte encore les marques d’un
crampon de fer à cheval sur le front et une autre sur le côté gauche du pied droit.
Entrée à la maison
J’ai souvenir d’être entré dans la maison porté par mon père alors que je pleurais et disant être peiné de voir mes chaussures neuves toutes déchirées. Dans ma tête, je crois toujours que c’est une dame Fournier qui m’a consolé en me disant : « Ne pleure pas, on va t’en acheter d’autres belles chaussures » et elle m’a lavé et a traité mes plaies avant de me coucher sur mon lit. Je ne me souviens plus si on m’a fait voir le médecin à la suite de cet accident mais j’en conserve un mauvais souvenir.
Grand bouleversement
Au printemps de 1931, Joseph a été nommé maire de Jeanne d’Arc. Ce titre n’est pas pour longtemps, sachant qu’en ce même automne Jeanne d’Arc est annexée à la municipalité de Sainte-Monique et mon père Joseph déménagera dans la paroisse de Péribonka dans le secteur de la Pointe Savane qui fait partie de Péribonka pour l’administration scolaire et le service religieux.
Formation d’une autre paroisse
Suite à la fermeture de la paroisse de Jeanne d’Arc sur la Pointe Taillon, l’évêché de Chicoutimi fonde une nouvelle paroisse qui portera le nom de Jeanne d’Arc ; celle-ci sera découpée dans le territoire de Péribonka de Saint-Augustin et de Saint Michel de Mistassini.
La dissolution de Jeanne d’Arc
Une demande de dissolution de Jeanne d’Arc a été adressée au Lieutenant gouverneur en conseil de la Province de Québec le 21 septembre 1931.
Le conseil municipal de Jeanne d’Arc, avec Joseph comme maire, a siégé et enregistré le dernier procès-verbal en date du 2 mars 1931.
Autres agitations
La fromagerie de la Pointe Savane ferme ses portes ; plusieurs cultivateurs ont déjà quitté ; même la famille de François Boily, voisine de mes parents, qui comptait 19 enfants quitte pour aller vivre à Saint Cœur de Marie ; ils ajouteront 7 autres enfants à leur famille. Sur 26 enfants seulement 19 ont survécu.
De même, le deuxième voisin M. Oscar Bolduc, grand ami de mes parents, arrêtent les travaux sur sa ferme et rassemble ses biens dans des boîtes en vue d’un déménagement lorsque le passage sur la glace de la rivière Péribonka sera sécuritaire pour y traverser avec les chevaux, ce qui arrive normalement au début de décembre.
La famille Bolduc s’installe sur un lot acheté à Hélie Côté et situé à environ un kilomètre de l’église de Péribonka. Quelques mois auparavant (en 1931) un dernier garçon, Marcel, s’était ajouté à la famille formée de 7 garçons et 2 filles.
Courageuse cette mère Yvonne
Sans aucun doute Yvonne en a vu de toutes les couleurs au cours de l’année 1931 ; de nombreux événements ont été très éprouvants : accidents, perte de bons voisins. Malgré cela elle garde bon moral et continue à diriger la barque familiale de main de maître vu que Joseph est souvent à l’extérieur du foyer.
Pendant les vacances scolaires, dix (10) enfants demeurent auprès d’elle alors que l’aîné accompagne son père et les autres employés qui préparent les bâtiments et procèdent à la fenaison sur les quatre lots nouvellement acquis.
Escapade d’automne
Vers le 15 octobre, l’aîné Louis-Philippe part en forêt avec mon père et ils reviendront passer quelques jours durant le temps des Fêtes.
Sous la gouverne de ma mère, les labours seront exécutés par Adrien tandis que les quatre écoliers, Mariette, Louis-Joseph, François-Xavier et Pierrette prendront soin des animaux et du ramassage des grains et du jardinage.
Le temps des boucheries
Le 8 décembre passé, les animaux en surplus ont déjà été vendus et les autres destinés à l’alimentation de la famille seront abattus par Adrien et ma mère qui l’assiste fera le nécessaire pour ne rien perdre : le sang des porcs sera récupéré dans une grande poêle et on en fera du boudin (sang + lait + oignons et assaisonnements) le soir même pour la famille.
Une première pour Adrien
Une vache d’un certain âge doit être abattue et Adrien ne reculant devant rien saisit une masse et assomme l’animal qui aura la gorge tranchée. Le sang n’étant pas comestible servira à préparer la nourriture pour la volaille et de même les poumons seront suspendus dans le poulailler.
La vache sera dépecée et séparée des nombreux membres non comestibles comme la tête, la queue, les pattes, le pis et les entrailles dont on récupérera le gras en filet à travers les intestins.
Surprise
Voilà qu’au moment de sortir la panse de l’animal, Adrien dit à ma mère qu’il est étonné en raison du fait qu’en voyant courir la vache dans le champ, la panse de l’animal en semblait aucunement attachée dans l’animal, pour se balancer de gauche à droite librement.
Les parties comestibles (cœur, foie, filets) sont récupérées puis la bête est séparée en quatre parties pour être suspendue dans la remise pendant quelques jours pour le mûrissement de la viande. Par la suite les quartiers seront débités selon les règles de l’Art en boucherie.
Les volailles
La méthode qu’utilisait ma mère était d’abord de saisir la volaille pour lui servir une cuillerée de vinaigre ce qui, paraît-il, attendrissait la chair des volailles. J’ai moi-même assisté mes frères Louis-Joseph et François-Xavier un jour qu’ils devaient abattre 2 coqs. Après avoir absorbé la potion, ils se sont mis à sauter pour s’échapper des mains de mes frères ; ils sautaient, gambadaient et se battaient entre eux comme des humains en boisson ce qui nous a donné un spectacle gratuit dans la cour du poulailler.
Pour les abattre, ma mère nous a enseigné la façon rudimentaire de saisir le cou du coq avec la main droite et de faire tournoyer l’animal de haut en bas en rotation sur quelques tours ce qu’on appelait tordre le cou de la bête. Plus tard la méthode enseignée dans l’art d’abattre une volaille était d’utiliser un crochet spécial pour suspendre la volaille par les pattes et d’utiliser un dispositif conçu spécialement pour cette activité ; cet appareil ressemblait à un ouvre-bouteilles qui devait pénétrer dans le gosier de la volaille pour y laisser écouler le sang. Par la suite les abattoirs à volailles utiliseront une méthode moins cruelle : alors que les volailles sont suspendues à une chaîne qui se déplace en passant l’animal au-dessus d’un bassin d’asphyxiant rendant la bête inconsciente au moment où la tête est coupée dans une cisaille ; puis baignée dans un réservoir d’eau très chaude avant d’être dépouillée de ses plumes par un dispositif rotatif rempli de doigts de caoutchouc. De cette chaîne rotative les bêtes sont vidées de leurs entrailles et préparées pour le marché en passant par de nombreuses mains humaines qui en font l’empaquetage.
Le retour de Joseph et Louis-Philippe
Mon père et mon frère reviennent du chantier au moment où quelques vaches ont vêlé. C’est aussi le moment du battage des grains. Les bûcherons n’ont pas fait fortune sachant que la crise économique de 1929 a fait chuter les salaires en raison du surplus de produits accumulés depuis une dizaine d’années, particulièrement aux États-Unis.
Les salaires serviront à défrayer le coût de fabrication des portes et fenêtres chez l’ébéniste M. Def Potvin au printemps 1932.
La vie continue
Au printemps 1932 plusieurs concitoyens ont déjà quitté. Joseph et sa famille feront les semailles sur les lots 60 et 63. Quatre enfants poursuivent leurs études à l’école où plus d’une vingtaine d’autres enfants du rang 4 s’y trouvent.
Construction de la maison
Quelques parties du solage laissées en place lors du déménagement de la maison de M. Johnny Gagnon ont été transportées et utilisées par mon père à l’automne 1931. Ce qui a permis de monter un bon solage pour la nouvelle maison. Pendant les vacances, Joseph et les enfants travailleront sur la construction. Yvonne qui attend un enfant en octobre s’occupe de préparer la bouffe pour les deux groupes soit ceux qui oeuvrent sur la ferme des lots 60 et 63, puis les autres sur la future résidence de la Pointe Savane. Pendant l’été l’automobile sera utilisée occasionnellement lorsqu’elle est en état de marche.
Déménagement prévu à l’automne
L’ouverture de l’école se fait au début de septembre. La maison n’est pas prête pour recevoir la famille avant l’ouverture. Pour beaucoup d’autres raisons, il est préférable d’attendre plus tard pour déménager : premièrement Yvonne donne naissance à un enfant mort-né à la fin août. J’ai souvenir que l’enfant a été déposé sur la machine à coudre dans la petite cuisine en attendant de l’inhumer au cimetière de Ste-Monique. Deuxièmement la récolte n’est pas engrangée, les clôtures ne sont pas disposées pour contenir les animaux sur la nouvelle ferme, il n’y a pas de traversier sur la rivière Péribonka. Alors la fin d’octobre est le bon moment pour y effectuer le déménagement qui coïncide avec celui de la nouvelle famille soit celle de M. Philippe Plourde qui logera la nouvelle institutrice, sœur de sa femme, Mlle Rosa Plourde.
Reprise de mon école
Une nouvelle étape de ma vie commence alors que j’ai 5 ans 8 mois ; je débute en compagnie de mes quatre frères et sœurs. Je fais partie d’un petit groupe de cinq nouveaux petits en première année ; je suis bien timide et je manque d’enthousiasme pour les études. L’institutrice, Mlle Jeanne d’Arc Saint-Laurent, ridiculise les débutants. Elle utilise généreusement la règle de bois ce qui m’enlève tous mes moyens, surtout lorsqu’elle me gratifie d’un nouveau nom pendant les cours : tu es une tête de linotte. Pour les élèves mieux informés que moi, cela représente l’oiseau passereau à dos brun et poitrine rouge ; aussi « personne très étourdie ».
Le U sifflant
Un jour que j’étais à pratiquer la lecture de voyelles et à cause de l’absence d’une dent, j’ai sifflé involontairement au moment de prononcer la lettre « U » et cela a retenti comme un cri d’oiseau, peut-être le passage d’une linotte.
Rebondissement
A l’instant, la maîtresse fait retentir un coup de frappoir puissant en s’écriant : « Qui a sifflé ? » Personne n’a répondu. Ma grande crainte de la maîtresse qui me frappait par la tête m’empêche bien sûr de me dénoncer. D’ailleurs elle n’aurait pas cru ma version des faits.
Un autre coup de frappoir puis elle somme tous les élèves sauf les petits de demeurer en classe aussi longtemps que le coupable se dénonce, même après 16h30. Arrive 15h00 et la classe des petits de première et deuxième année se vide. Aussitôt sorti de la cour de l’école, j’informe ma sœur Pierrette que c’est moi qui ai sifflé involontairement. Les petits ont bien ri mais les grands, pas du tout. Cette institutrice a dû être remplacée quelque temps après notre départ pour la Pointe Savane à la toute fin du mois d’octobre.
Déménagement
Enfin le jour « J » est arrivé ; les nuits commencent à se refroidir et les enfants devront porter des chaussures car les mottes de terre deviennent dures pour les orteils le matin sur la terre gelée. Très tôt, le matin du déménagement, tout le monde est debout et particulièrement au train habituel avant d’y prendre le déjeuner.
Le chargement
En avant-midi, les deux voitures « wagines » sont stationnées une à la maison, l’autre aux bâtiments. Certains animaux tels les poules, les oies et les cochons sont placés dans des cages. Les vaches et les moutons font le trajet à pied en même temps que les voitures portant les « racks » à foin bien remplis de tous les accessoires utiles sur une nouvelle ferme. Évidemment que le gros poêle à bois n’a pas chauffé depuis le déjeuner ; un autre feu a été utilisé pour le repas du midi alors que nous étions treize autour de la table qui est débarrassée puis embarquée dans la voiture.
Le départ
Vers 13h30, tous les enfants qui peuvent suivre les voitures sans trop de fatigue font le trajet à pied pour guider les animaux qui avancent tout en broutant l’herbe devant les voitures.
Les parents se sont chargés de conduire les trois derniers, Elphège, Marie-Rose et Maurice, en voiture de marque Essex 1924.
Notre parcours a duré environ deux heures et bien sûr les moutons et les vaches n’ont pas toujours respecté la ligne droite sur le chemin non clôturé. J’ai bien apprécié d’avoir pu prendre part au déménagement, lequel était mon premier depuis ma naissance. Ce fut une journée mémorable sous un ciel bleu ensoleillé d’automne parmi les paysages colorés de la campagne.
Nouvelle résidence
Mes parents nous avaient devancés à la nouvelle maison et ils nous attendaient sur la grande galerie pour une collation composée de quelques produits alimentaires accompagnés d’un bol de lait.
Quant à moi, c’était une première entrée dans cette maison et bien sûr je la trouvais très différente de celle que nous venions de quitter et la distance m’a semblé bien grande entre les deux ce qui est normal à l’âge que j’avais.
La maison quoique très grande n’était pas complète au deuxième étage ; une division centrale séparait les appartements des 4 filles de ceux des 7 garçons. Le tiers du plancher du haut était incomplet et il l’a été au cours des mois suivants. Après les Fêtes, nous occupions déjà 4 chambres en haut et deux en bas et l’une d’entre elles deviendra plus tard le salon ou salle de réception.
Dès notre arrivée, les vaches et cochons ont pris place dans l’étable ; les moutons et jeunes taures sont rassemblés dans un enclos derrière la grange en attendant la première neige où la bergerie sera récupérée sur un gros traîneau tiré par les deux chevaux.
Période de renaissance
Cette période du déménagement a apporté une certaine sécurité, particulièrement pour ma mère qui ne pouvait dissimuler une joie intérieure qui se reflétait sur toute la famille.
Dès les jours suivants, les aînés sont retournés pour apporter d’autres équipements aratoires ; par la suite ils ont récupéré les clôtures sur les lots nos 60 et 63 ce qui occasionnera de nombreux voyages entre les deux fermes.
Les écoliers ont repris les classes dans les jours suivants avec une nouvelle institutrice qui a été bien apprécié de tous les élèves.
Changement de vocation
Dès le lendemain, Joseph doit emprunter le grand canot du voisin, M. P. Plourde, pour se procurer un appareil centrifuge du côté de Péribonka.
Le propriétaire de la beurrerie, M. Eugène Gagné, exigeait la réception de la crème deux fois la semaine. Au cours de l’hiver, le beurre était fabriqué à la maison ; même qu’à une certaine période de l’hiver, l’écrémage du lait s’effectuait par le dépôt du lait dans une écrémeuse portative c’est-à-dire un haut récipient portant une petite fenêtre d’environ 6 pouces de long par ½ pouce afin de pouvoir vérifier la ligne de séparation du lait et de la crème tout en laissant s’écouler le petit lait par un robinet au-dessous de l’écrémeuse.
Le procédé était de déposer le lait dans l’écrémeuse laissé au repos sur une période de plus de 2 heures où la crème étant plus légère demeurait à la surface du récipient tandis que le petit lait était retiré par le bas du récipient. Je note le dicton courant à l’époque pour évoquer la non débrouillardise de quelqu’un : « Tu as été élevé dans une écrémeuse à regarder par la vitre ».
La traverse de la Péribonka
A l’automne de 1932, le père de M. Philippe Plourde avait convenu avec mon père de construire une barque dont l’engin pour l’actionner serait fourni par mon père, ainsi que les équipements pour mouvoir la barque. Celle-ci avait été construite sur le quai de M. C. Landsay de Ste-Monique au cours de l’hiver. Au printemps 1933, soit en mai, la barque a été descendue dans la rivière Péribonka et stationnée non loin de notre école.
J’ai souvenir que les enfants d’école visitaient cette nouvelle acquisition aux heures des repas alors que les propriétaires s’affairaient à faire réchauffer les chaudières de goudron rigide « pitch » utilisé pour calfeutrer les joints de construction en grosses pièces de bois. Nous avions même tenté de mastiquer ce « pitch » entre nos dents ce qui était très mauvais.
Cette barque a été d’une grande utilité pour les quelques familles encore sur place puisque quatre familles au moins y demeuraient en 1936.
Cette barque mesurait 32 pieds sur 16 pieds de largeur. Elle a servi au transport d’animaux et de produits de la ferme. J’ai souvenir d’y avoir traversé en même temps que le cercueil du premier adulte décédé que j’ai vu à l’automne 1935 par un vent froid dont les éclaboussures des vagues frappant la barque formaient des petits glaçons sur le cercueil de M. René Bossard.
Cette barque a été utilisée lors du tournage du film « Maria Chapdelaine » tiré du roman de Louis Hémon.
Retour à l’automne 1932
Plusieurs bâtiments ont été traînés par les chevaux Will et Dolly sur la neige vers la fin de novembre dont la remise à bois de poêle, la bergerie, le poulailler et la porcherie. Une toilette chimique avait été construite ainsi qu’une nouvelle serre chaude près de la maison, sachant que ma mère avait planifié l’usage d’un grand jardin qui occupera de nombreuses heures de loisirs pour les enfants.
Parlons de la région
Cette nouvelle aventure nous a fait découvrir un site merveilleux qu’on ne peut oublier : une grande maison pourvue de nombreuses fenêtres et bâtie sur un solage élevé, ce qui donnait une vue magnifique sur la rivière Péribonka. Le champ de vision prenait fin sur les remparts du village de Péribonka et la plupart des citoyens étaient nos voisins d’en face et nous n’avons pas tardé à nous en faire des amis vu que nous pouvions nous permettre d’accoster la barque ou le bateau à l’endroit désiré sur le rivage de la grande rivière. L’environnement de notre maison était peuplé d’arbres le long du chemin, autour du jardin et du parterre jusqu’à la galerie construite sur deux faces de la maison.
Passage de la Ste-Catherine
Au cours de l’automne 1932, nous avions pris part à la fête de la Ste-Catherine organisée à l’école que nous venions de quitter à 4 milles de notre demeure. Je rappelle que pour le transport mes deux frères Louis-Joseph et François-Xavier avaient utilisé les gros chiens que nous possédions depuis un certain temps. Quant aux autres, depuis Adrien à moi-même âgé de 5 ans et 11 mois, nous étions conduit par notre petite jument Dolly ; elle tirait la carriole rouge vif et était dirigée par notre grand frère Adrien.
Cette fête est mémorable pour les gens de tous âges. L’animation constante avec une pièce montée par les élèves plus âgés, filles et garçons. Les plus âgés préparaient la bonne tire de la Ste-Catherine que pourront déguster dans l’allégresse tous les participants et plusieurs termineront la fête avec des douleurs abdominales.
J’ai souvenir que le régisseur, M. Auguste Douillard, était à réparer les fenêtres avant l’hiver. Ce monsieur, veuf d’une quarantaine d’années et un peu farceur, avait récupéré des papiers d’enrobage de tire, avait retiré la tire et l’avait remplacée par des petits blocs de mastic à fenêtres ; cela a créé une méfiance pour les consommateurs.
Enfin nous sommes revenus chez nous enchantés de ces retrouvailles avec les élèves que nous avions quittés un mois auparavant. De plus, l’institutrice qui m’avait enseigné quelques semaines était remplacé par une gentille demoiselle Larouche que j’ai trouvé très avenante.
Hiver 1932
Considérant la période mouvementée que venait de connaître mon père et les autres, les hommes n’iront pas dans les chantiers à l’hiver 1932-1933. Ces derniers auront beaucoup à faire pour la réorganisation de leur ferme. Particulièrement, la maison doit être terminée au cours de l’hiver ce qui n’empêchera pas les loisirs et rencontres avec les ex-concitoyens qui ont pris part à des soirées mouvementées pendant la période des Fêtes.
Nuages dans la vie de ma mère
Au printemps 1933, ma mère connaissait une grossesse qui s’est terminée par la venue d’un enfant mort-né. Elle a par la suite été très malade jusqu’à un long moment de paralysie. J’ai même souvenir d’avoir vécu des journées d’anxiété au moment où je n’osais demeurer à la maison alors que ma mère connaissait des moments pénibles étant dans un état critique en présence du médecin Jos Rochette, mon père et les filles qui la massaient avec du vinaigre et autres suggérés par le médecin. Je note qu’à l’heure des repas, nous aurions pu entendre voler une mouche.
Un après-midi où j’avais le cœur brisé, ma sœur Pierrette et moi étions allés accompagner nos frères qui oeuvraient à l’excavation d’un gros fossé non loin de la grange-étable.
Ces derniers, avec leurs yeux rougis, tentaient de nous consoler alors que Pierrette et moi étions assez âgés pour analyser les conséquences possibles de la perte de notre mère. Notre participation à leur travail nous faisait oublier pour un moment. Nous prenions un grand plaisir à tenir les cordeaux pour diriger les chevaux chacun notre tour. Nous aurions beaucoup aimé utiliser les guidons de la pelle à cheval pour creuser des trous dans le sol, puis aller la renverser plus loin. Voyant l’énorme résistance nécessaire pour contrôler la pelle, nous étions satisfaits de les voir opérer eux-mêmes. En notre présence il est arrivé que les guidons de la pelle fassent monter l’opérateur dans les airs, lorsque le devant de la pelle touchait une pierre ou une racine, ce qui était quand même excitant à voir.
Hypertension
De retour à la maison pour prendre le souper, ma mère était endormie depuis un moment. Le médecin avait quitté après avoir donné ses recommandations.
En soirée, elle connaît une montée de fièvre due à l’hypertension sporadique chez elle. N’ayant pas de glace, l’eau froide était utilisée comme pansement compresse, même un bassin d’eau tiède contenant un peu de moutarde d’où les pieds étaient baignés, étaient efficace pour régulariser la circulation du sang. Cette nuit-là nous a paru bien longue. Le lendemain le médecin est revenu pour une visite de contrôle ; il lui indique de prendre une longue période de repos avec beaucoup de calme ce qui n’était pas facile à obtenir dans une famille aussi effervescente que la nôtre.
Un climat tendu
Nous connaissions depuis quelques mois un changement important dans notre vie et ce fut encore plus difficile d’accepter l’absence de notre mère pour voir aux occupations quotidiennes, ce qui faisait un grand vide pour nous tous.
Occupation à la hausse
Je rappelle que notre mère nous demandait de bien faire nos prières matin et soir. De même, nous devions fréquenter l’église le plus souvent possible ; donc à chaque dimanche, la barque nous conduisait toute la famille sauf un ou une qui demeurait à la maison pour compléter le ménage et préparer le repas du midi. Donc nous assistions à une grande messe en matinée et un deuxième voyage après souper pour les vêpres et le salut solennel à chaque dimanche.
Déjà en 1933, le troupeau de vaches était passé de 12 à 16 vaches en raison que 4 jeunes taures étaient devenues des vaches laitières. Pour ce qui est des chevaux, ils ont dû être remplacés et le nombre a augmenté après quelques années.
Récupération
L’année 1933 a été une année de récupération de broches carrelées ou barbelés grâce à mon père qui avait obtenu l’autorisation d’utiliser les clôtures laissées par les citoyens qui ont quitté en y laissant clôtures et bâtiments. Nous avons donc appris très jeunes à arracher les crampes de piquets de clôture et aussi à démolir les bâtiments dont nous arrachions les clous, puis les redressions ce qui nous a valu bien des écrasages de doigts. L’agrandissement de la ferme et l’augmentation du troupeau exigeaient beaucoup de nouvelles clôtures et de bâtiments.
La possession de ce vaste terrain exigeait beaucoup de déplacements pour cultiver les lots éloignés de 4 milles du rang 4 vers Ste-Monique et 3 milles vers le rang 1 aux environs du lac Askeene, côté sud-ouest de la Pointe-Taillon.
Accompagnement
J’ai souvenir qu’à l’âge de 6 ans, j’avais accompagné mon frère Louis-Philippe pour la coupe des foins sur les lots que nous venions de quitter ainsi que sur les lots laissés par M. Oscar Bolduc en 1931.
J’avais bien apprécié cette première journée où mon frère et moi avions pris le dîner sur un tas de foin pendant que les deux chevaux mangeaient leur ration d’avoine et de foin, tout en balançant leurs longues queues pour éloigner les mouches.
En après-midi nous rendions visite à notre ex-voisin, M. Charles-Eugène Boily ; ce dernier nous a fait voir un grand hibou appelé harfang des neiges blanc et noir et qui semblait bien malheureux dans une cage de broches. J’ai été marqué par ses grands yeux noirs brillants et ses longues griffes au bout de pattes de chat.
Par la suite nous y sommes retournés en groupe afin de ramasser le foin pour en faire de grosses meules semblables à de gros chocolats pitons. Ce foin devait être repris à l’automne pour être transporté sur des voitures pourvues de grands racks à foins.
Cueillette des fruits sauvages
Le temps des foins coïncidait avec la cueillette des petits fruits ; les fraises d’abord, puis les framboises et quelques jours plus tard les bleuets donc la cueillette pouvait durer plus d’un mois.
Ces temps de cueillette de petits fruits nous ont tenus occupés en présence de nos parents et souvent seuls avec les filles aînées ; nous allions parfois jusqu’à 6 milles de la maison alors que nous devions revenir traire les vaches.
Un autre qui débute l’école
En septembre 1933, mon frère Elphège commence l’école à son tour alors que nous formons un groupe de 6 Tremblay et 3 Douillard. L’institutrice était Mademoiselle Rosa Plourde.
Ce même automne, mon grand-père paternel âgé de 89 ans et 10 mois décédait en octobre. Mes parents se sont absentés pour assister aux funérailles à St-Louis.
L’aîné Louis-Philippe part pour les chantiers
Aux environs du 15 novembre, mon père reconduit mon frère Louis-Philippe à St-Louis de Chambord afin de rejoindre un entrepreneur forestier de l’endroit. Je suis invité à prendre part au voyage. Nous avions visité l’oncle et la tante de Chambord, Aimé et Marie ; au retour mon père s’arrête chez le notaire Plourde de St-Jérôme. Son épouse me demande de passer dans la cuisine pendant que mon père s’entretient avec le notaire.
Cette femme fut remarquable à mon égard : elle ne cessait de me louanger, ce dont je n’étais pas habitué. Elle m’a même offert de demeurer avec eux qui n’avaient pas d’enfant. A cet âge de 7 ans, je n’en croyais pas mes oreilles ; ce fut comme un rêve de m’entendre dire que quelqu’un s’intéressait à moi et ça faisait tout drôle dans ma petite tête d’enfant sur le chemin du retour.
Joseph fait de la propagande
Vers le 20 novembre 1933, une nouvelle association voyait le jour dans la région sud du Lac St-Jean ; cette dernière reliée à l’U.C.C. fut formée dans le but d’inciter les travailleurs forestiers ainsi que les fermiers à se protéger contre l’exploitation des entrepreneurs forestiers oeuvrant pour les industriels qui exploitaient sans gêne ces honnêtes travailleurs de grande valeur.
Un certain Plourde a contacté Joseph pour le déléguer à titre de propagandiste sur les chantiers forestiers pour vendre des cartes de membres et « badges » intégrant ces gens dans la nouvelle association. Quelques jours plus tard vers le 22 novembre, nous voyons partir mon père avec une provision de documents et matricules dans de grands sacs pour se rendre en forêt au sud du Lac St-Jean.
Compromis
En janvier 1934, un autre regroupement de délégués des industriels provinciaux se rend en vitesse au parlement de Québec afin de faire amender une loi empêchant la propagande exercée auprès des travailleurs forestiers. Cette fois encore, les industriels ont réussi à manipuler les politiciens ; et la loi est votée en février 1934.
Cependant mon père doit cesser de visiter les campements forestiers mais il a épuisé son stock discrètement et astucieusement. Il s’est alors enrôlé dans un camp comme bûcheron et a poursuivi la vente des adhésions au mouvement avec des intermédiaires sur les chantiers ; donc la vente s’est maintenue sans propagandiste comme exigé par la nouvelle loi.
Retour du chantier forestier
Après quelques jours de repos pour mon père et mon frère Philippe, la période de battage des grains a commencé et avec la participation des écoliers le samedi. Notre fonction consistait à libérer la batteuse de la paille du grain qui sortait en broussailles de l’appareil et nous devions la transporter dans une grande remise tout en la piétinant sans cesse pour pouvoir en accumuler le plus possible.
Nous étions enchantés d’être invités au battage des grains mais après une heure de travail, nous invoquions parfois les Saints du ciel pour que l’engin brise ; méchante intention n’est-ce pas ? Nous étions semblables à des petits nègres de parterre et avions de la difficulté à respirer. Fort heureusement, l’encombrement des sacs d’avoine obligeait l’arrêt après une heure et demie. Là nous courrions vers les auges des vaches pour nous débarbouiller le visage et respirer l’air pur. Dès que l’engin était remis en marche, nous entendions les paf paf paf et nous allions reprendre notre poste jusqu’à ce que le réservoir d’essence soit vide.
Autres occupations d’hiver
La plupart des samedis, lorsqu’il n’y avait pas de battage des grains, les enfants ne s’ennuyaient pas. Car d’autres travaux attiraient notre attention : le lavage du linge utilisant une laveuse manuelle ; la fabrication du beurre dans une baratte rotative qui ressemblait à un baril de bois. De plus les autres enfants disponibles étaient occupés à échiffer les tissus de flanelle et de laine ; les filles découpaient les tissus de coton et soie pour en faire des couvertures ou tapis sur le grand métier à tisser toujours monté dans une chambre du haut de la maison. Les plus petits étaient employés à enrouler les découpures de tissus en pelotons de toutes les couleurs et grosseurs. Ces occupations pouvaient durer quelques heures ; puis les garçons devaient entrer le bois de poêle dans le caveau sous l’escalier du haut. Ceux qui voulaient prendre l’air pouvaient aller se glisser dans la côte vers la rivière avant d’aller assister les aînés aux soins des animaux.
Achat des produits alimentaires
A chaque samedi et même les jours d’école, un ou deux garçons devaient atteler les chiens pour aller faire l’épicerie au magasin général. Très souvent une caisse pour 144 œufs était confectionnée pour la protection des bris d’œufs ; aussi une boîte de plusieurs livres de beurre maison était apportée pour donner au marchand en échange d’autres aliments.
De plus le commissionnaire avait à apporter des cruches de verre vides pour en faire le remplissage de la mélasse, de l’essence à lampe, huile de charbon, vinaigre et autres sachant que ces produits étaient achetés par le marchand à la tonne ou au baril. Donc le marchand ne fournissait pas les récipients. Pour cette raison, le garçon se chargeait de protéger ces récipients de verre, de façon semblable au transport des œufs attachés sur le traîneau.
Le chien qui mord
Voici une anecdote survenue au printemps de l’an 1934 : mon frère Louis-Joseph était à me préparer l’attelage des chiens afin que j’aille acheter l’épicerie au village. Au moment du départ, je m’étais assis sur le traîneau pour commander les chiens comme à l’accoutumée, sauf que les chiens n’obéissent pas à mon commandement ; alors mon frère approche vers le chien bulldog qui est en avant et attelé avec collier et traits sans guidon comme le suivant ; comme il le commande en allongeant sa main handicapée vers le chien, instinctivement le chien lui mord la main ce qui occasionne une blessure assez profonde sur sa main qui est toujours demeurée sensible.
Quant à moi, j’ai fait le voyage sans problème avec les chiens ; cependant ce fut le dernier voyage pour ce chien qui était âgé d’au moins 13 ans. Mon père attendait mon retour avec inquiétude et il a aussitôt abattu le chien qui pourtant était aimé de la famille, particulièrement comme gardien et il était devenu comme un membre de notre grande famille.
Voilà que quelques semaines plus tard, un monsieur Alphonse Bolduc ayant appris que nous serions acheteur d’un chien de traîne se présente avec un gros chien, brun café d’un certain âge ; il l’attache à un poteau de la galerie et entre dans la maison pour offrir son chien à mes parents.
Voilà qu’en son absence, mon frère Elphège, âgé de 6 ans, s’approche du chien avec une croûte de pain ; aussitôt le chien sape la croûte en mordant la petite main. Au sortir de la maison, M. Bolduc voit que son chien a mordu un enfant ; alors sans perdre de temps, il ramasse une hache dans sa voiture et abat le chien à côté de la galerie. L’achat d’un chien a été remis à plus tard.
Arrive l’automne suivant, M. Ménard de Péribonka avait élevé une portée de chiens ; l’un d’eux semblait intéressant : à l’âge de 9 mois il était déjà très gros et pesait près de 100 livres. Mes parents achètent ce chien et les garçons Louis-Joseph et François-Xavier se chargent de dresser le chien même s’il est jeune.
J’ai souvenir que le gros chien noir, durant l’entraînement, était attelé sur les mancherons d’où il pouvait suivre le tuteur qui connaissait les méthodes de commandement. Pendant les premières semaines, les chiens sortaient à chaque jour pour se rendre au même endroit soit chez M. J.B. Tremblay, situé près de l’église et non loin de plusieurs commerces. Étant jeune, nous étions satisfaits du service de ce nouveau chien qui avait une résistance hors-pair. Quelque temps plus tard, nous devions nous rendre plus loin avec ce chien et il nous a été impossible de le faire dévier de son parcours habituel.
Mes frères plus âgés ont fait des tentatives pour aller ailleurs et ils ont réussi après de nombreux efforts ;cependant avec mon jeune frère et moi, le chien a toujours maintenu le trajet habituel chez M. J. B. Tremblay.
Vente du chien récalcitrant
Au printemps suivant, M. Jean Belley, directeur de course de chien, avait vu notre chien traverser la rivière en coup de vent en ne démontrant aucune fatigue. Un samedi, il se présente chez nous avant d’entreprendre une course de chien les jours suivants ; mes parents refusent de lui vendre le chien qui pouvait sans aucun doute améliorer son comportement pour l’entêtement d’aller où bon lui semble avec les enfants. Ce monsieur Belley comptait vraiment repartir avec le gros chien ; il a même doublé la première offre ; c’est alors que mes parents acceptent tout en exigeant de leur faire connaître la performance du chien dans ses prochaines courses ce qui n’a pas été décevant car le chien a devancé les participants de façon étonnante.
Au suivant
L’été suivant, un type de la paroisse de Saint-Augustin présente à mon frère une belle chienne de race policière bien dressée d’environ 2 ans, de couleur gris brun et très instinctive.
Après quelques temps, quelqu’un de la famille apprend que notre chienne avait le printemps précédent en compagnie d’un autre chien de Saint-Augustin étranglé des moutons dans cette paroisse. Donc sur notre ferme nous la tenions à l’écart des moutons de plus possible. Nous n’avions observé aucune récidive au cours de l’été et l’automne qui a suivi. Le printemps arrive et voilà donc que la chienne a déserté à notre insu au cours d’une nuit sans démontrer aucune raison de soupçon à son égard, étant sur la ferme à tous les matins. Voilà qu’un bon jour, un fermier de Saint-Augustin porte plainte que deux moutons manquent dans sa bergerie. L’enquête avait démontré que les deux même chiens étaient coupables comme le printemps précédent. Alors ma mère décide de faire tuer la chienne sur-le-champ ; mon jeune frère s’est chargé d’abattre la chienne à la manière de David contre Goliath sauf qu’il a utilisé un fer à cheval.
Le dresseur de taureaux
Adrien, cet original, était considéré le dresseur de taureaux, avec ses talents de patenteux, aimait mettre à exécution ses idées parfois originales. Pendant l’été 1934, mon père avait gardé depuis l’automne précédent deux jeunes bœufs blanc et rouge dans le but d’en faire de la bonne bouffe à l’automne suivant.
Au cours de l’été, le dresseur décide de dresser les deux petits bœufs de 1 an et demi ; une première opération consistait à fabriquer des mors de bride et accessoires, soit un joug qui est une pièce de bois qu’on attache sur le cou des bœufs. Les accessoires terminés, le dresseur passe les brides aux bœufs et jumelle les bêtes reliées par le joug attaché au cou par un tuyau d’un pouce de diamètre courbé selon la forme du cou de l’animal.
Par la suite, les bœufs sont placés dans un enclos non loin des bâtiments afin de vérifier leurs comportements. Les brides avaient été enlevées afin qu’ils puissent se nourrir d’herbes pendant les heures passées au champ.
Suite aux quelques heures passées au champ, si les bêtes démontrent un bon comportement, une selle s’ajoute sur le dos de la bête, bien ceinturée autour du corps pour recevoir les guides « cordeaux » et portefaix en vue de soutenir les guidons (menoires) d’une voiture et même parfois pour y fixer les tirettes, point d’attache pour tirer la voiture.
Autre procédé pour attelage en double
Un simple balancier relié au collier de chacune des bêtes dont le but est d’y attacher un pôle anglais : guidon central passant entre les deux bœufs et qui est relié aux roues avant de la voiture. Pour les bœufs attelés en double avec joug, l’extrémité du guidon était soutenue directement sous le centre du joug.
Deuxième étape
Les bœufs attelés en double devaient paître parfois quelques jours portant accessoires, joug et guidon afin de les habituer à accepter l’inconvénient relatif à la perte de leur grande liberté coutumière.
Première pratique sur la voiture
Au moment d’une première expérience où les deux jeunes bœufs étaient attelés en double sur une wagine, le dresseur prend la route, cordeaux en main. Les premiers arpents se passent bien mais au moment de faire dévier les bœufs de la route afin de tourner dans la cour de l’étable, les bœufs n’obéissent aucunement au commandement du dresseur et se dirigent vers la gauche au lieu de la droite et poursuivent leur course dans la pente pour atteindre la rivière ; ils s’arrêtent lorsque le niveau de l’eau atteint leur museau. L’entraîneur a été secouru à l’aide d’un chaland et un de ses frères a dû l’aider à sortir les bœufs de cette première aventure au commandement d’une voiture roulante.
La morale du dressage
Cette expérience a bien démontré qu’une étape du dressage avait été omise soit l’entraînement des bœufs tirant le guidon avec le dresseur, commandant les bêtes jusqu’à l’obtention de la maîtrise de ces derniers par les cordeaux au moment où ils paissaient dans le champ ce qui a été fait par la suite et les bœufs sont devenus des bêtes dociles et obéissantes.
Vente des bœufs
Un autre citoyen de St-Augustin, ex-résidant de la Pointe-Taillon, assez original, apprend la réussite du dressage des deux taureaux jumelés ; il se rent à notre résidence pour voir œuvrer la paire de jeunes bœufs. Et il en a été tellement émerveillé qu’il offre sur-le-champ un prix que mon père et mon frère ne peuvent refuser. Le même jour, les bœufs ont été conduits à la ferme de M. Achille Aubin.
Pour Adrien, un loisir
A vrai dire, Adrien a pris plaisir à dresser la plupart des bœufs utilisés sur la ferme pour le besoin normal et aussi ils rendaient le même service et même plus efficace pour certains travaux d’endurance, comme traîner une très grande « sleigh » chargée des détritus des animaux sur le pavé de béton ce qui exigeait un très grand effort pour le sortir de l’étable.
Anecdote
Après l’utilisation d’un des bœufs dressé depuis plusieurs années, nous connaissions ses points forts et ses faiblesses. A de nombreuses occasions, nous transportions le fumier jusqu’à une distance d’un mille en hiver. Connaissant le truc pour le faire courir, nous en profitions amplement. Pour le retour alors que le traîneau était délesté, bien sûr nous devions bien attacher fourches et panneaux avant de toucher le croupion d’une main et de prononcer le mot wo ! A chaque intervention de ce genre, ce bœuf partait à toutes jambes pour se diriger jusqu’à la porte de l’étable.
Autre bonne raison d’atteler ce bœuf
Après être passé plus de deux semaines en pacage, ce bœuf devenait agressif au moment de réunir le troupeau pour la traite des vaches, il meuglait et piochait avec les pattes avant pour même foncer sur nous ce qui nous stressait beaucoup. Donc lorsqu’il devenait dangereux, nous l’utilisions au travail pendant quelques jours et la malice disparaissait pour deux autres semaines. D’autre part ce bœuf remplaçait un troisième cheval pour traîner la grosse moissonneuse lieuse ou encore pour labourer les nouvelles terres nécessitant trois chevaux. De plus il était très puissant pour l’enlèvement des grosses souches et bien d’autres travaux exigeants.
Le moyen de chauffage
Les poêles à bois étaient les seuls moyens de chauffer ces grandes résidences de deux étages. Quant à nous, une grosse fournaise de fabrication domestique était fixée à la cave et sa chaleur était conduite au rez-de-chaussée dans un encadrement de tôle rejoignant une grille de plancher. Ce qui permis quelques petites altercations lorsque nous arrivions plusieurs de l’extérieur en hiver avec les mains et les pieds congelés ; à ces moments la grille était toujours trop petite d’où il y a eu parfois bousculade.
Alimentation des poêles
Le poêle du rez-de-chaussée était utilisé 12 mois par année ce qui exigeait une grande réserve de bois de poêle.
La coupe du bois se faisait surtout très tôt le printemps où les hommes se rendaient en forêt sur la croûte de neige gelée pour y revenir en après-midi en raquettes ou en ski.
Le bois était sorti de la forêt avant la fonte des neiges. Sur la neige douce les chevaux tiraient d’énormes charges sur les « sleighs » à travers champs jusqu’à la maison.
Loisirs printaniers
J’ai souvenir qu’aussitôt la neige disparue au bord des savanes, nous allions en groupe cueillir des atocas (canneberges).
Quelques semaines plus tard débutait la cueillette des petites fraises des champs, puis arrivait le temps des framboises pendant quelques semaines ce qui rejoignait la cueillette des bleuets au mois de juillet, ce qui a été une manne pour nombreuses familles du Lac St-Jean. Je dois dire que la cueillette des bleuets demande une période d’adaptation qui prend normalement trois jours pour ne plus ressentir des douleurs dorsales.
Le transport des bleuets
Au tout début, alors que la cueillette était moindre, nous rapportions notre récolte du jour dans de grandes chaudières au bout de nos bras. Après plusieurs milles, parfois 4 ou 5, les bras s’allongeaient de quelques pouces.
La période de mûrissement arrivée, nous apportions des éléments pour fabriquer les boîtes attachées en paquets de 5 boîtes. Nous fabriquions les boîtes selon la quantité de bleuets cueillis. Une boîte de bleuets mesurait 22 pouces par 11 pouces de hauteur et 4 pouces d’épaisseur ce qui contenait 25 livres net de bleuets.
J’ai souvenir qu’avec la participation de nos parents, nous remplissions jusqu’à 22 boîtes par jour. Ce qui représentait plus de 600 livres comprenant le poids de la boîte fabriquée de planches de ¾ de pouce et 3/8 pouces pour les côtés. Sachant qu’il n’était pas toujours possible d’utiliser l’auto ou la voiture à cheval, mes frères Joseph et François se chargeaient du transport à l’aide de deux gros chiens attelés sur une charrette.
Nous avions toujours l’obligation de poursuivre les travaux de la ferme conjointement avec la cueillette des bleuets.
Je rappelle qu’à l’été 1934, nous circulions sur la route avoisinant la limite du lot de notre voisin, M. P. Plourde. Discrètement nous aurions pu envier ce cultivateur qui n’avait pas à traire les vaches, étant donné qu’il laissait les veaux suivre leurs mères jusqu’à l’automne, sauf une vache demeurant aux environs de la maison pour alimenter la famille en lait.
Ce système fonctionnait depuis l’année 1931, alors très peu d’animaux étaient vendus ce qui doublait le troupeau après trois ans ; alors en 1934, il possédait plus de 50 bêtes de différentes grosseurs. Ces bêtes pacageaient sur un immense territoire de la rivière Péribonka au lac Askeene situé à 3 milles de ses bâtiments.
Le voisin, jeune couple avait à notre arrivée en 1932, seulement deux enfants dont l’aînée n’avait que 4 ans. Je rappelle que cette fillette nous émerveillait tous lorsqu’elle embarquait sur la barque motorisée dont l’engin nécessitait une grosse batterie d’automobile de 6 volts et magnéto, dispositif produisant l’électricité d’allumage de la bougie. A la demande d’un passager, la fillette prenait plaisir à arrêter l’engin en coupant le courant de la bougie en tenant la tête de la bougie jusqu’à l’arrêt de l’engin. Alors qu’aucun adulte ne prenait la chance de toucher la bougie de l’engin, sachant qu’il s’y dégage un fort courant électrique sur la bougie. Nous n’avons jamais compris ce phénomène qui faisait que la fillette était insensible au choc électrique.
Anecdote des taureaux
Bien que le premier volume historique familial contienne ce récit mémorable de l’été 1934, je me permets d’y ajouter quelques détails complémentaires : les personnes faisant partie du groupe suivant n’ont certainement pas oublié cet événement vécu lors d’une participation à la cueillette des bleuets à l’extrémité de notre territoire cultivé sur la ferme de la Pointe Savane.
Ayant en tête comme guide les aînés, Rose-Anna et Mariette, nous complétions le groupe par la présence d’une cousine de Chambord, Louisa, et Elphège. Voilà que tôt le matin, nous prenions la route séparant nos lots de ceux du voisin, M. Philippe Plourde, ses lots n’étant clôturés que sur une distance de trois-quarts de mille d’où une digue d’arbres représentait une clôture sur une certaine distance.
A ce jour, nous allions faire la cueillette à l’endroit des derniers champs cultivés non loin du lac Askeen, soit à deux milles de notre résidence.
En avant-midi nous avions cueilli une dizaine de boites de bleuets tout autour d’un champ où un ancien râteau à foin laissé sur place par les anciens résidents nous servait de repaire au bord d’une petite forêt. A cet endroit tout le monde transvidait les récipients de ramasse dans les boîtes tout en les ventilant grâce au vent léger qui soufflait.
En plus des dix boîtes de bleuets, notre boîte à lunch du midi était déposée sur le vieux râteau pour l’éloigner du sol et des rongeurs possible en forêt.
Enfin arrive l’heure du dîner et nous avions rendez-vous au vieux râteau. Les aînés ouvrent le lunch tout en étant installés autour du râteau. Un instant plus tard arrive un troupeau de taureaux agressifs et très violents ; ils nous terrorisent en meuglant et en piochant ce qui semblait un bombardement. Les plus gros taureaux foncent sur nous et démolissent notre lunch et les boîtes de bleuets avec leurs cornes et leurs pattes.
Nous nous sommes éloignés de quelques mètres mais les garçons âgés de 12 et 10 ans se munissent de fouets avec des petits arbres pour tenter de chasser les bêtes. Ces derniers refusent de quitter le lieu et nous menacent avec leurs longues cornes et leurs meuglements qui faisaient vibrer la terre sous nos pieds. Déjà plusieurs participants étaient montés dans les arbres aidés par les plus grands et croyaient être en sécurité. Les deux plus vieux ont été poursuivis par les bêtes et sont montés dans les petits arbres entourant le râteau. Les bœufs enragés en ont fait leur cible première ; ils ont même déraciné avec leurs sabots au moins quatre arbres dans lesquels Louis-Joseph s’était réfugié et trois autres où François-Xavier était. Dans notre grande inquiétude, voyant renverser arbres après arbres, puis les garçons couraient pour remonter dans un autre ce qui ressemblait à un film de guerre 1914-18. Tout le monde priait, pleurait et criait de toutes leurs forces.
Un sauveur
Vers 13h30, la curiosité amène Adrien à venir nous rendre visite entre deux voyages de foin qu’il était à engranger. Ce n’est qu’à un demi-kilomètre de nous qu’il entendit les meuglements mêlés de notre désespoir, cris et pleurs. Il se rend compte en arrivant plus près que les taureaux nous tenaient en otages.
Sauveur et dresseur très apprécié
Fort heureusement, Adrien, dresseur de bœufs, a toujours maintenu le don donnant la crainte envers les bœufs ; de plus il avait eu la bonne idée d’apporter avec lui sa fourche à foin à trois branchons, ce qui a donné la crainte aux bêtes qui se sont éloignées dès son arrivée. Pourtant Adrien n’a que 18 ans à ce moment. Ah ! que nous avons apprécié cette visite impromptue ce qui a permis de nous détendre et de retourner vers la maison en sa compagnie jusqu’au terrain clôturé.
Après avoir raconté cette aventure à notre mère, elle était bien peinée que nous ayons eu à subir les conséquences d’un troupeau de bœufs mal clôturés. Elle semblait tout de même heureuse de la tournure des événements qui auraient pu avoir des conséquences désastreuses. Le même jour elle nous conseille de toujours créer un obstacle au passage des bœufs en enlevant des pavés de ponceaux, ce qui décourage les bœufs de poursuivre leur voyage.
L’après catastrophe
Étant jeunes, cette aventure nous a bien sûr marqué psychologiquement pour un bon moment. Cependant dans nos habitudes de vie, la psychologie, les sentiments et les émotions devaient passer inaperçus et le devoir a toujours été une priorité dans notre façon de vivre. Donc le lendemain et les jours suivants, tout le monde se rendait à la cueillette des bleuets comme s’il ne s’était rien passé, cela dans différents lieux de la Pointe Taillon.
Sauvages
J’ai souvenir que nous étions sauvages sur les bords c’est à dire que lors de la cueillette des petits fruits, souvent le long des routes publiques, le mot d’ordre était rigoureusement appliqué de ne pas se faire voir par les passants ; donc à l’approche de quelqu’un, nous devions nous disperser derrière une tale d’aulnes ou dans un fossé. De plus notre mère interdisait de monter dans la voiture d’un inconnu.
Encore la cigogne rôde autour de notre ferme
Comme à l’accoutumée, les travaux de la ferme se poursuivent sous la gouverne de notre mère. Joseph accepte différents emplois à l’extérieur de la ferme durant l’été 1934 et il se rend travailler à la réparation d’un gros bateau de la compagnie Price Brothers, le bateau « William-Price » qui sera utilisé au transport des raftes de bois de 4 pieds descendant des chantiers des coupes forestières effectuées le long de la rivière Péribonka. Ce bois sera conduit au moulin Price d’Alma. Le bateau mouillera les eaux de la rivière au printemps 1935. Je rappelle d’avoir visité ce gros bateau sur des rampes à la digue en terre non loin d’Alma. A chacune des visites, le cuisinier du chantier, M. N. Boudreau, me servait de bien bons plats et surtout les bonnes galettes chaudes qu’il me donnait dans un sac.
Louis-Philippe au chantier
Vers le 15 octobre, mon frère aîné retourne bûcher dans le chantier forestier situé derrière Chambord. Cette fois il revient prématurément pour cause d’accident avec un crochet à billes qui lui blesse le genou.
Au retour d’Alma, mon père continue à travailler pour la compagnie Price à Péribonka où il prépare de longues pièces de bois qui serviront à l, estacade d’une longueur d’au moins deux milles sur la rivière Péribonka.
Yvonne reçoit la visite de la cigogne
Le dernier de la famille a maintenant 3 ans et 7 mois et le berceau redescend du grenier pour une première fois dans cette maison. Quant à nous, nous allons dormir chez la voisine, Mme Lydia Plourde. Le médecin, Isidore Gauthier de St-Cœur de Marie, est présent pour assister à l’accouchement d’une cinquième fille qui sera baptisée le lendemain à l’église de Sainte-Monique et portera le nom de Cécile ; le parrain et la marraine seront M. et Mme Philippe Plourde. Le dimanche, plusieurs concitoyens présents et même d’anciens concitoyens seront de la fête pour célébrer la nouvelle venue qui connaîtra bientôt la rigueur de l’hiver au lac St-Jean.
Les biscuits
À chacune des naissances, un souvenir particulier me revient à l’esprit alors que pendant sa convalescence, à chacune de mes visites à la chambre de ma mère, elle me donnait quelques bons biscuits sodas salés dont le goût me revient encore après tant d’années.
Rose-Anna sera occupée
Déjà à l’âge de 15 ans ½, l’aînée Rose-Anna est chargée des nombreuses activités de la maison, aidée de Mariette qui poursuit encore ses études en compagnie des cinq enfants qui suivent.
Joseph poursuit son travail chez Price Brothers tout l’hiver et il passe seulement le dimanche à la maison. Adrien, aidé des étudiants, s’occupe du soin des animaux et des travaux coutumiers de la famille.
Érection des piliers de l’estacade
Déjà à l’automne 1934, l’ancrage principal du départ de l’estacade avait été érigé non loin de notre ancienne ferme, au centre de la Pointe Taillon sur la rive de la rivière Péribonka.
La compagnie Price & Brothers en est le maître d’œuvre ; un dénommé François Gravel de Chicoutimi est le responsable de tous les travaux reliés à l’estacade. Je note que cet homme faisait bien rire les gars quand il disait ressembler à un marcoux habillé. Sa grande expérience n’a été que de courte durée car après environ deux ans, il décède à la suite d’une surdose d’alcool. Son fils Philippe prend la relève mais n’est pas beaucoup plus chanceux : alors qu’il a un accident : il se fait écraser un bout de pied entre un câble d’acier et la structure d’un bateau en acier ; sa blessure dégénère en gangrène et il décède quelques mois plus tard en 1938.
Anecdote
L’épouse du dernier gérant du chantier logeait et nourrissait les employés éloignés de leurs maisons. Mon père a logé chez elle avec d’autres employés ; semble-t-il que les rations du repas étaient mesurées de façon sous-estimée en temps régulier ; alors, lorsqu’il y avait du surtemps ce qui augmentait le nombre de pensionnaires, la recette demeurait la même ; alors les derniers arrivés devaient refouler leurs appétits. A certaines occasions, mon père Joseph, en charge d’un groupe, se présentait au repas après les autres. Et voilà qu’un bon soir, étant assis au bout de la longue table, il demande de lui passer un plat de l’autre extrémité de la table et le type à qui il le demandait n’osait pas dire devant la patronne que le plat était vide et ouvre les yeux grand en direction du plat. Considérant que ce n’était pas une première, Joseph demande à voix haute au préposé : « Passe-moi le plat que je le lèche ! » Les gens ont bien ri en présence de la matrone.
Autres faits
Dès le mois de mars 1935 commence l’érection des piliers d’attache de l’estacade à travers l’épaisse glace de la rivière Péribonka. Adrien, âgé de 19 ans, est engagé pour le transport des matériaux sur la glace de la rivière. Donc à chaque matin, il se lève vers 4 heures pour servir le repas aux deux chevaux Weel et Dolly. Des derniers seront attelés sur une sleigh vers 5h30 afin d’être en place pour 6h30. A ce moment, un time de chevaux tirant une bonne grosse sleigh avec boîte solide pour le transport de la pierre gagnait avec le conducteur un beau 5,00$. La journée de travail durait 10 heures ferme et à cela il faut ajouter environ cinq heures pour le conducteur qui doit se lever au moins 1 heure trente avant le départ matinal, 1 heure pour le repas du midi et 2 heures trente pour le transport de la maison au chantier.
Bain forcé
Plus tard en avril, la glace devenait plus fragile et certains jours, des chevaux se retrouvaient dans les eaux de la rivière alors que la glace cédait sous leurs pieds. Aussitôt une autre paire de chevaux était commandée pour tirer le ou les chevaux par le cou à l’aide d’un bon câble de bois toujours en réserve. Suite à leurs sorties, les malheureux chevaux devaient redoubler et même courir un bon moment pour réchauffer leur sang tout en transportant les matériaux recommandés, soient de longues pièces de bois ou de grosses pierres sur une distance d’environ un mille selon le site du pilier en cours.
Ces piliers d’estacade au nombre d’une quarantaine doivent mesurer 7 m sur 9 m à hauteur variable, selon la profondeur de la rivière. Chacun des piliers est fabriqué en pièces de 10 pouces par 10 pouces reliées par de longues tiges d’acier « dowls ». Cette cage est remplie de grosses pierres.
Je vous raconte une anecdote qui nous est arrivée à Elphège et moi un soir en revenant de la prière alors que nous étions âgés de 11 et 12 ans. Nous avions deux chiens attelés devant un traîneau à manchons, c’est-à-dire qu’un de nous restait assis au milieu du traîneau et l’autre restait debout sur les queues du traîneau pour guider les chiens.
Pour nous rendre à l’église, nous traversions la rivière Péribonka et à ce moment de l’année la glace attendrissait de jour en jour et le niveau de l’eau baissait. Donc la baisse de l’eau faisait ressortir deux côtes au milieu de la rivière et ce soir-là, le chemin rendu raboteux par les pistes des chevaux m’incita à faire marcher les chiens à environ cent pieds du chemin sur la neige durcie par la gelée de la nuit. Voilà qu’en arrivant sur la première côte, je fais remarquer à mon frère que la glace était plus noire que d’habitude. Il me dit : « C’est la nuit qui donne cette illusion ». Alors nous descendons la côte à toute vitesse lorsqu’arrivant sur la partie noircie, les chiens et ensuite nous deux, nous nous sommes retrouvés dans l’eau glacée. Pour ma part, l’eau m’arrivait aux épaules et mon frère qui était assis avait l’eau par-dessus la tête. Il est sorti de là comme un bouchon me sautant par-dessus la tête et courant comme un fou sur la côte en criant de toutes ses forces. Je suis sorti moi aussi et j’essayai de faire revenir les chiens par eux-mêmes sur le terrain solide mais en vain car l’attelage était mélangé aux morceaux de glace. J’ai dû me résigner à retourner dans l’eau pour aider ces pauvres bêtes à sortir de là pour reprendre le vrai chemin cette fois.
L’estacade « boom »
La ligne d’estacade est composée de longs troncs d’arbres réunis en groupe de trois ou quatre pièces similaires, ce qui rehausse la protection du contenu du bois de pulpe dans la réserve qui s’accumule parfois jusqu’à quatre pieds d’épaisseur alors que des milliers de cordes de bois sont retenues dans les eaux mouvantes de la rivière.
Ces sections de boom sont tous enchaînées par les bouts les unes aux autres sur le long parcours de plus de deux milles, d’une rive à l’autre de la rivière Péribonka dont l’ouverture de l’estacade est située à 2 km du village de Péribonka.
La formation d’un « raft » (train de bois)
Un regroupement de section de boom formera un anneau dont un bout est attaché d’un côté de l’ouverture de l’estacade et l’autre bout peut être retenu par un bateau à l’autre côté de la porte de l’estacade. Au même moment, un petit bateau de solide construction repousse le bois de pulpe vers l’anneau de la raft. Cette dernière contiendra normalement plus de 5 000 cordes de bois de pulpe qui sera conduit en eau profonde du lac par un bateau de moyenne grosseur jusqu’au moment de rejoindre le gros bateau remorqueur qui conduira le raft au moulin à papier Price d’Alma. A savoir que cette opération du raftage sera bientôt discontinuée afin de respecter les normes d’environnement gouvernementales.
RETOUR
À 1934
Paradis de chasse et pêche
Notre belle région était reconnue comme étant un paradis pour la chasse et la pêche ce qui nous donnait l’occasion de voir beaucoup de visiteurs. Par exemple, dès l’automne 1934, j’ai souvenir que des dirigeants de la compagnie Saguenay Power d’Arvida et Montréal s’étaient présentés à la Pointe Savane pour chasser le canard sauvage dans la zone de nombreux canaux formés par le rehaussement du lac St-Jean autour de la Pointe Savane.
Pour ce faire, ces chasseurs s’étaient munis de leurres vivants soient des canards domestiques (deux canes noires et un mâle du genre Pilet) de couleurs multicolores. Ces gens ont bien sûr fait une bonne récolte et comptaient y revenir ; donc ils s’entendent avec ma mère pour lui laisser la garde des canards domestiques sans responsabilité de la disparition involontaire des volailles.
Famille agrandie
Ma mère qui était attirée par les volailles tels poules, oies et canards, a tôt fait d’agrandir la famille de canards dès le printemps suivant par incubation.
Suivi ?
Je ne suis pas sûr si ces gens y sont revenus par la suite ; cependant ces canards se sont reproduits amplement sur notre ferme et même des œufs ont été échangés avec d’autres fermiers. Ces oiseaux vivaient conjointement avec la famille d’oies qui étaient assez criardes.
J’ajoute que mon père a reçu à maintes reprises des dirigeants de la compagnie Saguenay Power de Chicoutimi et de Montréal.
Pêche miraculeuse
Vers l’année 1934, un dénommé M. Richard, notaire d’Hébertville, accompagné de confrères d’Alma, s’amène un jour chez nous pour un voyage de pêche à la ouananiche, brochets et dorés. Une belle petite chaloupe de couleur bleue et blanche faisait partie de leurs nombreux accessoires de pêche. Au retour ces gens avaient dû traîner une grande quantité de poissons divers dans l’eau derrière la chaloupe à rames.
Certains d’entre eux pouvaient mesurer près de deux mètres et pesaient plus de 25 kg. Nous étions tous émerveillés de voir semblables poissons en aussi grande quantité et pêchés en l’espace de 10 heures.
Ces gens ont bien sûr renouvelé l’expérience à maintes reprises. C’est pourquoi ils nous ont confié leur chaloupe pour en faire un usage personnel et ils n’ont jamais récupéré cette chaloupe avant notre départ en 1946. Heureusement qu’aucun permis de pêche n’était requis à l’époque.
Autres visiteurs mystérieux
Par un matin ensoleillé du printemps de l’an 1935, arrivent sans préavis trois hommes modestement vêtus, sans cravate et avec l’allure de vraies pêcheurs. L’un se présente du nom de Léonce Collard de L’Ascension, l’autre, Eugène Boivin et le troisième Jos Fillion d’Alma que mon père connaissait un peu pour être le député du lac St-Jean. Ce dernier avait été précédemment à l’emploi du gouvernement provincial à titre de « spotter » dans la zone sud du lac St-Jean, sachant qu’à l’époque, il n’y avait que deux zones contrôlées par des agents de la route provinciale. Donc il y avait deux « spotteurs » agents patrouilleurs comme contrôleur de la circulation c’est-à-dire qu’ils ne couvraient seulement les accidents sérieux et les plaques d’immatriculation manquantes sur le devant et l’arrière de la voiture. Ces agents se déplaçaient sur une moto munie d’un panier qui ressemblait à un petit canot.
Revenant aux trois pêcheurs que mon père tente d’accommoder le mieux possible en fournissant notre grosse chaloupe verchère de 16 pieds mue par de longues rames.
Vers 17 heures, ils sont de retour avec de beaux poissons, brochets et dorés. Tous les trois avaient de grosses ampoules aux mains après avoir ramé notre chaloupe encombrante et difficile à manier. Accostés non loin de la maison, tous transpiraient sous un soleil brûlant, l’un était même pieds nus, en camisole et fourbu ce M. Collard. Ils avaient quand même la satisfaction de pouvoir rapporter de beaux poissons. Leur pêche n’était pas comparable à celle de M. Richard d’Héberville.
Les trois pêcheurs sont invités à la maison alors qu’ils méritaient un moment de repos avant leur départ. Par convenance ou par pitié, ma mère qui ne connaissait aucun d’eux leur offre à prendre le souper avec nous ; ils acceptent volontiers avec grande politesse. M. Collard taquinait les filles qui assistaient ma mère au moment du repas. Ils doivent quitter suite au souper tout en s’excusant du dérangement et même ils promettent de revenir dans peu de temps.
Le dimanche suivant, les mêmes pêcheurs arrivent quelque temps après la messe ; MM Boivin et Fillion sont accompagnés de leurs épouses. L’épouse de M. Eugène Boivin est une sœur de M. Léonce Collard et l’épouse de M. Fillion est une sœur de M. Boivin. Ce dernier était le président fondateur de Côté & Boivin, marchand du plus grand magasin de matériaux de Chicoutimi ; il était aussi le bras droit du député de Chicoutimi. M. Jos Fillion était député de Lac St-Jean et beau-frère de l’agent de colonisation du secteur Lac St-Jean, M. Philippe Collard, frère de M. Léonce Collard.
Quant au troisième visiteur, M. Léonce Collard, il s’est présenté comme étant non accompagné en raison de sa fonction de curé en charge de la paroisse du village de l’Ascension, près de St-Cœur de Marie.
Cette visite n’était nulle autre qu’une visite de courtoisie offerte à leurs épouses afin de leur faire connaître le paradis de chasse et pêche de la Pointe Savane.
M. le curé Collard est revenu à maintes reprises accompagné de confrères curés ou de membres de sa paroisse cette même année et les années suivantes. Lui aussi avait confié une belle carabine à répétition de calibre 22 qu’il n’a jamais réclamé par la suite.
Ce prêtre était original pour l’époque car il ne portait pas de soutane ; ces sorties ne l’empêchaient pas d’être présent dans sa paroisse pour les offices religieux. J’ai souvenir que pendant la période où le doré montait dans la rivière Péribonka, il a fait un voyage chez nous après sa messe du matin et il est allé célébrer l’office des vêpres après le souper pour revenir pêcher en soirée sur notre quai jusqu’à la grande noirceur.
De plus il s’intéressait beaucoup aux travaux de la ferme. Un jour que mon père avait acheté chez « Pullford », compagnie américaine, les accessoires pour fabriquer un tracteur de ferme en utilisant une vieille automobile dont les roues arrière étaient remplacées par un dispositif sur grandes roues de fer avec découplage qui donnait une grande puissance comme tracteur de ferme. M. le curé Collard a passé beaucoup de temps à regarder travailler cette machine. Le même jour il donne une commande à mon père afin d’en procurer un semblable à son frère Philippe, cultivateur de l’Ascension. Je note qu’un bon nombre de fermiers se sont procuré cet appareil à l’adresse de mon père. A ce jour les tracteurs sur pneus ne se vendaient pas dans notre région. J’ajoute que déjà à l’époque de 1935, une coopérative de fermiers existait dans la paroisse de l’Ascension ce qui créait une rareté de la main d’œuvre à la paroisse de l’Ascension. Enfin le frère du curé requiert le service d’un garçon de ferme alors mon père a consenti à laisser partir le troisième des gars pour une période d’un mois. Cette fois, Louis-Joseph a accepté d’être compensé pour son travail en ramenant avec lui un poulain d’un an et demi ; ce cheval a été dressé bien jeune et nous a été d’une grande utilité.
Philippe appelé pour examen médical
A l’été de l’an 1935, Philippe a été convoqué pour passer un examen médical suite à l’accident subi au cours de l’année précédente à un genou. Il doit se présenter à une clinique médicale de la Commission des accidents du travail à la ville de Québec ce qui représentait une bonne expérience pour ce jeune homme de 20 ans. Il a visité la quincaillerie Pascal et il a été impressionné de voir autant d’outillages dans un même magasin. Il achète un petit marteau coloré rouge et noir pour donner à l’avant-dernier de la famille Maurice qui a 4 ans. Ce dernier fut très heureux de recevoir ce marteau. La mère beaucoup moins….
Construction d’une maison
A l’été, Joseph construit une maison à la limite de St-Henri de Taillon. Cette fois, il se fait avoir. Connaissant trop peu le propriétaire, Joseph accepte de bâtir la maison à forfait pour un montant de 500,00$, tous les matériaux fournis par le propriétaire. Cependant rien n’apparaissait dans l’entente disant que les matériaux étaient majoritairement du bois et clous usagés, ce qui occasionna plusieurs menaces de la part de mon père pour quitter les lieux sans avoir complété la maison. Lorsque le propriétaire grippe-sou voyait embarquer les outils dans l’auto, il sortait une boîte de 5 lb de clous neufs. Les deux aînés assistaient mon père sur la construction qui a duré trois semaines. Comprenant le solage en béton et fini la clé en main. Les dimensions de la maison : sous-sol non habitable, cinq pièces ½ au rez-de-chaussée et cinq chambres au deuxième étage.
Autres constructions
Au cours des années suivantes jusqu’en 1939 où il débute les opérations forestières, il a construit de nombreux bâtiments en raison de sa promptitude à la réalisation des bâtiments.
Retour à l’école en 1935
En septembre, la quatrième fille, Marie-Rose, débute son école. L’institutrice est Mlle Rose Alice Côté de Lac-à-la-Croix qui en était à sa deuxième année d’enseignement à cette école.
Élèves récalcitrants
Je me permets de noter qu’un de mes frères, Louis-Joseph, encouragé par un petit cousin de Mlle Côté à contredire l’autorité de l’institutrice. Les méthodes employées rendaient l’écolier nerveux et l’institutrice devenait agressive par moments jusqu’à aller enlever son soulier pour frapper Louis-Joseph alors que la règle de bois avait été brisée par les élèves. J’ai souvenir de nombreuses scènes disgracieuses qui se sont produites à l’égard de ces garçons âgés de 14 et 13 ans et quelques mois.
A plusieurs occasions j’ai vu pleurer mes sœurs et les plus jeunes lorsqu’elles voyaient frapper leur frère pour des niaiseries. Pourtant les années précédentes s’étaient bien passées. L’institutrice n’a pas su employer la méthode appropriée pour un tempérament nerveux et il était inutile de tenter un changement dans le comportement par la rigueur.
Apprenant l’existence du problème à l’école, mes parents ont retiré Louis-Joseph quelques semaines avant la fin de l’année scolaire ce qui donnait un travailleur de plus pour les travaux du printemps sur la ferme en 1936.
Retour au chantier en 1935
A l’automne de 1935, Joseph et les deux aînés se retrouvent sur le chantier d’un dénommé André Gagné de St-André. Un des fils du contracteur, D. Gagné, en était le cuisinier, assisté de son épouse, une demi-sœur de ma mère.
Premier Noël d’Adrien en forêt
Adrien, âgé de 19 ans, sans attache sentimentale, accepte de prendre soin des chevaux en compagnie du couple cuisiniers ; ils devront maintenir les chevaux en forme, cela en les faisant travailler à tour de rôle sur le transport du bois.
Premier contact avec nos futurs voisins
Sur ce même chantier oeuvrait un père avec ses deux fils que nous connaîtrons plus tard. Cette famille était à la recherche d’une ferme dans le meilleur délai. C’est alors que mon père devient l’intermédiaire du vendeur qui est notre voisin du moment depuis l’an 1932. M. Plourde a laissé entendre à Joseph son intention de quitter la Pointe Savane afin de se rapprocher d’un village sans avoir à traverser la rivière avec sa famille grandissante.
Donc à la sortie du chantier, M. Ernest Boivin, rend visite à M. Philippe Plourde sur sa ferme. Voilà qu’entre-temps, M. Plourde perd son père, M. Arthur Plourde, qui était propriétaire d’une ferme à St-Henri de Taillon. Aussitôt Philippe étant l’aîné décide de retourner sur la ferme de son père ; donc il contacte l’acheteur intéressé à sa ferme de Pointe Savane pour lui offrir de passer le contrat le plus tôt possible, ce qui a été fait en quelques jours.
C’est alors que notre voisin vend un grand nombre d’animaux et il en transporte sur la ferme de son père à St-Henri. Malheureusement pour lui, ses frères n’ont pas accepté que la ferme de M. A. Plourde passe au nom de l’aîné qui a dû déménager ses pénates ailleurs soit dans la paroisse de St-Augustin.
Changement de voisins
Vers la fin de juin 1936, la famille de M. Ernest Boivin s’amène à la Pointe Savane avec leur ménage et remplissent deux grandes voitures à chevaux. Leur famille est composée de façon similaire à la nôtre, comptant douze enfants dont sept garçons et cinq filles. Voici les noms : François-Xavier, Welly, Létitia, Desneige, Armand, Elzéar, Rose Alice, Lorenzo, Simone, Jeannette, Léonce et Lucien.
Conséquences
La conséquence la plus significative de ce changement de voisin se fera sentir particulièrement à l’entrée de l’école en septembre. Nous formions auparavant un groupe de sept écoliers de la même famille ; deux ont quitté en juin. Un nouveau, Maurice, débutera à l’âge de cinq ans. L’ajout des six Boivin formera un groupe de 12 élèves de niveau variable entre la première et la septième année. Une nouvelle enseignante en la personne de Mlle Solange Niquet du village de Péribonka sera là.
Première impression
J’ai souvenir qu’à leur arrivée en après-midi, nous étions en famille à travailler sur la construction d’un très grande remise pour équipements aratoires. Un deuxième étage contenait de grands compartiments pour conserver les grains. Dès leur arrivée ce fut une grande joie de connaître ces nouveaux venus qui étaient vigilants, enjoués et réceptifs.
Je reviens à la culture
Au printemps de l’an 1934, je rappelle que ma mère faisait partie du Cercle des fermières de Péribonka. Les fermières prônaient la fabrication des tissus de lin et posséder des toiles de lin s’avérait une richesse.
Ma mère avait reçu les documents nécessaires pour entreprendre la culture du lin ou chanvre. Au temps des semailles, ma mère devient l’âme dirigeante pour le choix du secteur de la plantation et de l’entretien de la production non coutumière, particulièrement au moment de la récolte.
En septembre il a fallu prévoir des dispositifs de séchage, un bassin pour le rouissage, un broyeur à lin, le rouet à utiliser pour le filage était le même que pour la laine de mouton.
Lieu des opérations
Le terrain choisi au bas du coteau surnommé « le coin du chien » parce qu’au cours du printemps 1935, à la fonte des neiges, nous avions retrouvé un de nos chiens, un cocker espagnol, le plus apprécié de la famille, décédé par empoisonnement des boules à renards, moyens utilisés par des chasseurs braconniers qui rôdaient sur la Pointe Taillon. Je rappelle que nous avions pleuré la perte de notre beau et bon chien au cours de l’hiver.
L’opération
La coupe s’effectuait à l’aide d’une faucille pour attacher en gerbes les plants avant de les tremper dans un bassin d’eau, opération du rouissage permettant l’enlèvement des fibres textiles des tiges du lin. La période de séchage s’effectue par l’usage d’un feu d’abattis maintenu constamment pour un séchage rapide au sortir du bassin d’eau.
La troisième phase comportait le broyage du lin à l’aide d’un instrument broyeur genre de double couteaux de bois dur pressant les tiges de lin entre trois autres longs couteaux de bois renversés.
La phase semi-finale rendait le textile semblable à des longs cheveux, alors tenu par la main gauche et frappé à l’aide d’une lame de bois tenue dans la main droite.
Phase finale
On procédait au filage du lin avec un rouet régulier, puis la fabrication des toiles se faisait sur un métier à tisser ordinaire d’où il en ressort une production de tissu d’une grande qualité.
Je rappelle que pendant l’opération, nous les plus jeunes étions chargés du transport des services de repas en air libre alors que cette opération se poursuivait parfois jusqu’à 23 heures sous l’éclairage du feu de bois que nous prenions plaisir à alimenter avec le bois apporté par les aînés.
1936 : tournage du film de Maria Chapdelaine
Au cours de l’été 1936, mon père s’est prêté avec son traversier, un bac pour tourner quelques scènes diverses pendant plusieurs jours.
Autre bateau en projet
Considérant les nombreux inconvénients reliés à l’usage du bac, la famille songe à son remplacement par un nouveau bateau.
Mon père connaissant bien les qualifications d’un cousin du 3e au 3e, M. Jean-Baptiste Tremblay, lui expose son projet de bateau. Ce dernier possédait des photos et même les plans d’au moins cinq bateaux construits dans la région dont il en était le constructeur. Cette planification s’est effectuée au cours du printemps 1935, dès la fonte des neiges, le constructeur a dirigé un groupe de bûcherons c’est-à-dire mon père et les aînés qui ont parcouru les forêts sur notre ferme et ailleurs pour découvrir les courbes d’épinettes rouges qui sont des éléments très importants pour la charpente d’un bateau construit en bois. La centaine de souches chez le constructeur J.B.T. afin d’en faire le séchage et le découpage par la suite dans son atelier.
Origine de M. J.B.T.
Cet homme d’une grande sagesse était originaire de la Ville de Baie St-Paul. Ses parents, Charles et Marie Bouchard, ont vécu sur une petite ferme de Baie St-Paul où avait vécu mon arrière-grand-père paternel, Benjamin. De nombreux parents de son père Charles ont passé leur vie en communauté dans la province. Le frère Éloi qui suivait J.B.T. a donné sa vie à la communauté des frères Maristes. Un autre est demeuré plusieurs années en communauté pour œuvrer dans l’enseignement puis il s’est marié et a été propriétaire d’un moulin à scie fixe construit sur une rivière derrière le village de Milot par M. J.B.T. Lui-même a vécu une partie de sa vie dans la communauté des frères de St-François-Régis de Vauvert ; vers la fin des années 1920, il quitte la communauté alors qu’il enseignait le génie mécanique. Il achète une propriété non loin de l’église de Péribonka et organise un atelier mécanique jumelé d’un atelier de menuiserie-ébénisterie où il demeura jusqu’à son décès en juillet 1955.
Son jeune frère François a vécu dans sa résidence de 1934 à 1951. Leur troisième enfant né en 1936 a eu comme parrain, M. Ludger Bolduc, fils d’Oscar et d’Éva Boily ; ma sœur Rose-Anna était la marraine et en était à sa première expérience comme marraine.
Construction du bateau
La plupart des matériaux ont été commandée à l’été 1936 et l’assemblage a commencé à l’automne en compagnie de mon père qui était habile menuisier sur les bâtiments.
Enfin au cours de l’hiver, le bateau prend forme dans un abri avoisinant l’atelier de menuiserie. A savoir que mon père semble avoir trouvé ces derniers mois bien pénibles pour une raison quelque peu étrange. Voilà que le chef constructeur avait connu ma sœur Rose-Anna et il vivait une crise d’amour impossible à sens unique. Le tout a débuté au moment où cet homme très compétent a été requis à maintes reprises sur notre ferme où il prenait plaisir à produire des améliorations surtout mécaniques afin de réduire les efforts physiques dans l’accomplissement des tâches quotidiennes.
Pour cette raison, mes parents en avaient fait un allié de grande importance que nous visitions régulièrement, particulièrement le dimanche et jours de fête, alors que nous y passions quelque temps à sa résidence avant ou après les offices religieux.
Enfin M. Tremblay a vu grandir les membres de notre famille. Étant célibataire, l’aînée des filles Rose-Anna lui fit tourner le cœur et la tête pendant un certain temps. Ce qui malheureusement s’est poursuivi malgré la désapprobation de son projet par mes parents ainsi que de la principale concernée. Voilà qu’après de longues conversations, mes parents ont réussi à lui faire prendre conscience que le projet de mariage n’avait aucun sens parce l’amour était à sens unique et son âge de 45 ans devenait un obstacle à l’égard d’une fille de 18 ans.
Le mouillage du bateau
Enfin et malgré les opinions contradictoires sur ses sentiments, le bateau fut terminé en mai 1937 ; par la suite il a fallu construire un solide chariot roulant pour le conduire à la rivière afin qu’il reçoive la bénédiction d’usage du curé de la paroisse, M. David Pelletier.
L’usage du bac
Le bac aura été utilisé seulement 4 années pour le service de traversier régulier. Cependant il a tout de même été conservé un ordre d’utilité pour bien d’autres services alors qu’il était tiré par notre bateau pour traverser des animaux ou des matériaux lourds jusqu’au moment de notre dernier déménagement de ferme du côté du village de Péribonka en l’année 1945-1946.
Appréciation
Notre nouveau bateau a été bien apprécié par la famille et il nous a rendu la vie beaucoup plus agréable sachant que le bac comportait certains désavantages d’utilisation, à savoir qu’il se déplaçait bien lentement ; même lors de grands vents, le trajet pouvait durer une heure sans pouvoir accoster à l’endroit désiré.
De plus la lenteur du bac nous incitait à utiliser les petites chaloupes à rames ce qui parfois n’était pas tellement sécuritaire dans l’obscurité ou par grands vents. Ce qui m’amène à vous raconter un fait survenu à l’été 1935 : au moment où nous étions François-Xavier, Pierrette et moi-même à une journée de préparation pour être confirmés. Nous avions été conduits au village le matin en utilisant le bac. Voilà que pendant la journée, le vent s’élève de façon violente pour avoir repoussé le bac assez loin sur la plage. Mes parents n’ont pu utiliser celui-ci pour venir nous chercher le soir du côté du village. J’ajoute que le capitaine du groupe, Xavier, était d’une timidité maladive. J’ai souvenir qu’il nous a fait prendre notre lunch du midi dans un lieu isolé sous le quai qui nous appartenait non loin de la beurrerie.
Le cours de préparation s’est terminé vers 16h30 ; il nous accompagne encore vers le quai de la beurrerie d’où nos parents devaient nous cueillir à cette heure. N’ayant pas de moyens de communication, téléphone ou C.B., nous attendions patiemment près du quai jusqu’à 18h00 sans apercevoir les mouvements du bac de l’autre côté.
Décision douteuse
François-Xavier, notre capitaine, soupçonne qu’il se passe un événement grave étant donné qu’il y a plus de deux heures d’écoulées sans que nous puissions apercevoir aucune chaloupe sur la rivière. C’est alors qu’il décide d’entreprendre la route pour nous rendre coucher chez nous en passant par le village de Sainte-Monique, ce qui représente une distance de 22 milles, ce que nous avions accepté Pierrette et moi. Voilà les trois gamins qui prennent la route en passant devant la demeure de l’amie de ma mère, Mme O. Bolduc qui a deviné notre projet, ayant été mise au courant par ses enfants qui préparaient eux aussi leur confirmation.
Arrivée devant la demeure des Bolduc, cette bonne dame vient au devant de nous pour nous offrir à manger en nous empêchant d’entreprendre la tournée par Sainte-Monique. L’un de nous faisait la garde d’observation d’une chaloupe possible qui viendrait nous cueillir. Après trente minutes, vers 18h45, un canot s’amène en direction du quai de la beurrerie. Nous remercions Mme Bolduc et courons vers le quai que les vagues frappaient avec violence. De peine et de misère, mon père accompagné de Philippe accoste le canot et nous commande de ne pas nous presser, pour prendre place un par un dans le centre du long canot de 18 pieds en position à genoux pour la traversée ce qui a été une journée mémorable pour un jeune de 8 ans et 7 mois.
Notre vie familiale se poursuit
Comptant l’institutrice, nous sommes quinze autour de notre grande table ; ma mère doit préparer la bouffe, parfois même pour les visiteurs et quelques employés oeuvrant sur la ferme.
Je rappelle que normalement le dimanche, les aînés recevaient leurs invités qui devaient prendre le repas du midi ainsi que le souper avant de les reconduire par bateau afin de prendre part à l’office des vêpres de 19h00.
Progression de la ferme
Déjà en 1937, le troupeau a doublé depuis 1932. Les enfants aussi ont grandi ; les vêtements sont achetés avec l’approbation des aînés surtout. La cuisson du pain augmente d’une année à l’autre. Heureusement qu’un four à pain a été fabriqué depuis quelques années. La farine est achetée normalement à l’automne par 3000 lb. Le sucre par 200 lb et les beans au 100 lb.
La sweep : récupération du bois
Dès l’année qui a suivi le contrôle et le transport du bois sur la rivière Péribonka par la compagnie Price & Brothers, par l’érection de l’estacade (boom). Cette compagnie se devait de respecter les normes gouvernementales par le nettoyage des accumulations de bois sur les berges des rivières du lac St-Jean, des canaux et tous plans d’eau.
Pour cette raison, dès l’année 1936, vers le mois d’octobre, l’équipe de la « sweep » de la compagnie Price arrivait dans notre secteur pour y passer plusieurs jours étant donné qu’il y avait de nombreux canaux et baies dans notre secteur où il y a refoulement des eaux du lac qui occasionne un dépôt de bois « pitounes » sur les berges de ces plans d’eau.
J’ai souvenir que le chef de groupe était M. Elzéar Larouche avec ses fils René, Georges et Edmond ; aussi le capitaine du bateau principal, M. Alphonse Aubé, était présent pendant plusieurs années. L’organisation de récupération comprenait la formation d’un anneau de pièces de « boom » traînées par deux bateaux disposés de façon à y faire pénétrer les pitounes lancées de la berge par un groupe de préposés au nettoyage des berges et plans d’eau.
Visiteur bizarre
Au cours de ces mêmes années, j’ai souvenir qu’un visiteur étrange arrive à l’improviste pour s’installer sur notre ferme sur un terrain non loin de la rivière où pacageaient les vaches. Ce dernier y a passé plusieurs semaines vivant dans une tente en solitaire. Après quelques jours, nous avions observé au moment de la traite de vaches que certaines connaissaient une réduction de leur rendement habituel. Aussitôt quelqu’un de la famille s’est présenté pour connaître la raison de la présence de cet intrus sur notre ferme. Au premier contact l’homme s’est excusé de son geste impromptu alors qu’il se croyait sur des terres gouvernementales. Lors de la conversation, l’homme se présente pour faire des recherches scientifiques autour du lac St-Jean pendant l’été. Son moyen de transport : un canot rempli d’un attirail nécessaire pour y vivre en solitaire pendant plusieurs jours.
Cet homme, de formation professionnelle, nous a entretenus de ses nombreux voyages en canot sur les grands cours d’eau telle la région du Labrador où il était passé l’été précédent.
J’ajoute que dès la première rencontre il s’informe de la possibilité d’acquérir de nouvelles victuailles. De nombreux produits de la ferme lui ont été apportés, même le lait a été requis à chaque matin ; il a su payer grassement.
Observation
L’usage de ses rames a attiré notre attention alors que nous utilisions des chaloupes à rames régulièrement. Sauf que nous ramions à reculons alors que lui, possédait un dispositif particulier qui lui permettait de ramer avec la possibilité de visionner son parcours en position avant. Ce supposé intrus était devenu un centre d’attraction intéressant pour les jeunes qui s’intéressaient à la géographie du Québec.
Autre aventure de tente
A cette même époque, nous étions autorisés par la compagnie Saguenay Power à faire usage d’un long territoire s’étendant sur une distance de plus de cinq milles, cela sur les lots d’anciens concitoyens passés aux mains de la compagnie.
Arrive une saison où nos vaches pacageaient sur ce grand territoire. Mon frère Elphège et moi étions chargés d’aller quérir les vaches chaque soir ; alors nous passions devant une tente dans laquelle les usagés demeuraient pendant les jours de travail où ils effectuaient la réfection de ponceaux. Un dimanche que les propriétaires étaient absents, nous avions cédé à la tentation d’entrer faire l’inventaire de la tente. Bien sûr la tente n’était pas cadenassée ; une fois entrés, nous avions été déçus de la rareté des produits alimentaires sauf une can de sirop de maïs qui a attiré notre attention ; au premier voyage nous avons été prudents dans l’absorption du sirop de crainte d’être malade. Au retour n’ayant aucun problème, nous nous étions sucrés le bec correctement ayant quitté en prenant soin de laisser le lieu dans le même état qu’à notre entrée sauf que la can de forme carrée avait connu une baisse importante ce qui a pu causer une petite surprise peut-être à retardement aux propriétaires de la tente.
Au tour du chien
Au printemps de 1937 alors que j’étais âgé de 10 ans et mon frère 9 ans, après avoir été chercher le troupeau de vaches assisté de notre chien, nous apercevons deux pêcheurs sur le quai derrière la maison d’un ancien habitant soit M. Douillard, ce qui représente une distance de deux kilomètres de notre résidence.
Étant curieux, nous arrêtons pour constater la prise de poissons des pêcheurs. Au moment où nous conversions avec les pêcheurs, notre chien sautille en lançant de petits jappements sur le bout du quai ; il était bel et bien attaché à l’intérieur de la gorge par un hameçon et ligne à pêche. De peine et de misère avec pinces et couteau, nous dégagions le pauvre chien.
Cependant le petit appât de viande avalé par le chien était la dernière réserve de viande des pêcheurs qui exigent que nous remplacions leur viande afin de poursuivre comme prévu leur loisir pendant quelques heures. Bien sûr que nous étions réticents d’avoir à revenir leur remettre des appâts dans ce lieu éloigné alors que nous venions d’accomplir une longue marche pour quérir les vaches.
Après un peu de harcèlement, Elphège obtient une promesse de dédommagement pour son voyage ; donc il s’empresse d’aller chercher une pièce de viande à notre résidence tandis que je me charge de conduire le troupeau pour en faire la traite du soir. Elphège s’empresse de rendre la viande aux pêcheurs. Ces derniers qui avaient semblé généreux reçoivent la pièce de viande et offre en retour à Elphège une pièce de cinq sous ; quelle déception pour le pauvre Elphège qui revient à la maison tout penaud. Il n’a jamais oublié l’événement du chien voleur de viande.
L’âge ingrat
Comme toutes les mères, Yvonne a connu des enfants qui ont traversé l’adolescence. Fort heureusement que l’occupation constante a favorisé cette période de transition de l’enfance à l’âge adulte. Pour certains, notre mère n’a pas été trop incommodée ; cependant il faut admettre que notre mère n’a jamais favorisé de longues discussions vides de sens. D’ailleurs aucun des enfants n’a cru bon de revenir sur ses décisions plutôt arbitraires.
Domaine sentimental
Il m’est difficile d’entrer dans le domaine des sentiments affectifs dont elle a pu exercer un contrôle sur les sentiments affectifs de ses protégés sachant qu’elle n’était plus là au moment de mes fréquentations sentimentales.
Cependant je crois qu’elle a su exercer une certaine prudence dans le choix des camarades et ami(e)s des aîné(e)s. Je note que seulement deux mariages ont eu lieu en sa présence. Je crois qu’elle ne craignait pas de faire des mises en garde directes dès le début de certaines fréquentations incompatibles envers sa progéniture.
Retour sur les années scolaires 36-37
Sous la gouverne de notre nouvelle enseignante, Mlle Solange Niquet, qui elle aussi pensionnait chez nous, nous n’avons connu aucun événement désagréable. Sous sa tutelle, nous étions trois membres de notre famille à recevoir la confirmation par Mgr Charles Lamarche, évêque de Chicoutimi. De cet événement, je conserve un cadre souvenir suspendu dans ma chambre ; il m’avait été offert par Mlle Niquet. Je note que Mlle Niquet est devenue Mme Jean-Thomas Hudon au cours de l’été 1937.
Arrivée d’une nouvelle institutrice
Nous connaissions en 1937-38 une nouvelle institutrice en la personne de Mlle Gabrielle Renaud, originaire de la paroisse de l’Ascension ; cette dernière pensionne à notre résidence.
Les quatre premiers mois se passent sans anicroche ; ce pendant les choses se gâtent à l’arrivée du printemps alors que deux garçons âgés de 14 ans ne s’entendent plus avec l’institutrice qui devient irritée d’où s’installe l’anarchie dans la classe.
Un jour la règle de la maîtresse est brisée. Un autre jour un glaçon de 18 pouces se retrouve sous le mince coussin de la chaise de la maîtresse ; un peu plus tard c’est une braguette à tapis qui s’y retrouve.
Mon père intervient
Conscient de ce qui se passe à l’école, mon père intervient comme président de la commission scolaire. Quelques jours passent sans problème mais c’est de courte durée et le brouhaha recommence ; donc à l’approche de la fin d’année scolaire, les deux garçons de 14 ans sont retirés de l’école. En conséquence cette année scolaire a été désastreuse pour l’ensemble de la classe. Cette fois, nous avions tous hâte à la période des vacances espérant connaître une autre institutrice l’année suivante.
Premier mariage dans la famille
Ma sœur aînée Rose-Anna avait arrêté son choix sur un jeune homme de la paroisse de Péribonka, dénommé Antoine Goulet, qui lui aussi faisait partie d’une grande famille similaire à la nôtre comptant 12 enfants dont 8 filles et 4 garçons. Antoine en était l’aîné et il travaillait à la compagnie Price qui est fixée sur le terrain de son père Joseph.
Je note que notre famille a toujours maintenu de bien bonnes relations avec la famille Goulet et cela se poursuit encore aujourd’hui alors que le décès d’Antoine est survenu trop tôt suite à une longue maladie à l’Hôtel-Dieu de Roberval le 14 février 1973 à l’âge de 61 ans laissant quatre enfants : Yvon, Marie-Marthe, Roger et Jacques.
Le mariage de Rose-Anna et Antoine a été célébré en matinée par notre cousin Pierre-Marie Tremblay, père dominicain depuis l’an 1934. La réception a eu lieu dans une nouvelle remise à machineries remisées ailleurs pour la circonstance. J’ai souvenir qu’un grand nombre d’invités ont pris part à la cérémonie qui s’est avérée une réussite. Nombreux sont arrivés par la route et d’autres ont rempli notre bateau qui pouvait transporter 90 personnes.
Entrée à l’école
L’année scolaire a débuté le 8 septembre et notre nouvelle institutrice, Mlle Gertrude Gagné, était originaire de Baie St-Paul. Cette dernière avait été recommandée par la famille de M. J.B. Tremblay. Étant pensionnaire chez nous, l’enseignante a assisté au mariage de ma sœur Rose-Anna.
Nous formions un groupe de cinq Tremblay et cinq Boivin. Tous des écoliers dociles qui ont bien apprécié la nouvelle institutrice qui possédait une grande compétence alors qu’elle a su nous faire reprendre le temps perdu l’année précédente. Quant à notre opinion personnelle, je n’ai jamais hésité à affirmer qu’elle a été une des meilleures enseignantes avec qui j’ai reçu ma formation.
Cette institutrice a été réengagée pour l’année suivante 1939-40 ; malheureusement une blessure à un pied subi antérieurement s’est aggravée au cours de l’automne ce qui l’a obligé à quitter son poste au moment des Fêtes 1939-40 afin de subir une chirurgie.
Nouvelle enseignante
Une demoiselle, Jeannette Potvin, de Péribonka a pris la relève après les Fêtes pour loger chez nous comme la plupart des enseignantes. Ayant de bonnes compétences, elle a accompli son rôle de façon appréciable et elle a été réengagée l’année suivante. En juin 1940, ma sœur Pierrette avait quitté l’école afin d’assister les autres à la résidence et sur la ferme.
Je rappelle que la mère de Jeannette Potvin connaissait une maladie grave dès le début de l’année scolaire 1940 ; au temps des Fêtes, elle décède. C’est alors que le père de Jeannette, étant lui-même maladif, ferme sa maison alors que sa dernière fille âgée de 12 ans n’a plus de chez elle. Donc les deux sœurs louent notre deuxième résidence non loin de l’école afin de compléter l’année scolaire.
Lucienne, jeune fille étonnante
Avec sa formation de couventine, elle était très brillante parmi nous, Malheureusement en raison de la perte récente de sa mère, un rien la partait à pleurer et elle était inconsolable en classe ; donc nous nous devions d’être prudent dans nos agissements. Après quelques mois son comportement s’était de beaucoup amélioré.
Je rappelle que vers le mois de mai, ayant obtenu de meilleures notes que cette fille qui, comme sa compagne Jeannette Boivin étaient très orgueilleuses. Quant à moi qui étais plus âgé qu’elles et favorisé en mathématiques, j’avais pris de l’avance et lors de la réception des bulletins avec sourire je leur offre mes félicitations qu’elles n’ont pas prises du tout, alors qu’elles voulaient me tuer et elles ont toutes deux fondu en larmes de façon inconsolable. C’est alors que l’institutrice diplomate voyant les filles en larmes me somme de leur demander pardon devant la classe. Ce que j’ai pu acquiescer étant donné que je ne me sentais aucunement responsable pour avoir blessé leur petit orgueil en raison que je les avais devancées.
Le jour même, aussi les jours suivants, je suis devenu un écolier ignoré et libre c’est-à-dire exempt de devoirs et leçons. De plus j’ai pu bénéficier des prières particulières de la classe alors qu’au début des invocations, elle demandait aux élèves de prier pour les mauvais esprits en fixant son regard sur moi.
Non-réconciliation
Ce n’est qu’après plusieurs jours de liberté que quelqu’un de la famille informe ma mère que je me rendais à l’école inutilement. Le même soir, j’obtenais mon congé permanent de l’école pour changer de statut dès le lendemain matin alors que j’entreprenais la tonte des moutons soit plus de trente. Par la suite je devais laver la laine dans une grande bouilloire chauffante par un foyer à bois de poêle.
Troisième contrat : la fabrication du savon d’habitant ou savon maison dont le procédé est décrit dans le manuscrit no 1.
Reprise des activités autres que scolaires
Depuis quelques années, au cours de la saison d’hiver, mon père et l’aîné Philippe allaient travailler pour la compagnie Price au nord du village de St-Ludger de Milot. Ils oeuvraient sur des projets expérimentaux. Philippe opérait une machine lourde genre tracteur en forêt. Quant à Adrien, au printemps de 1938, il procède à la coupe du bois après l’obtention d’un permis gouvernemental, près de la rivière Savard. Cette fois, il logeait dans un petit camp forestier appartenant à M. J. B. Tremblay et son frère François qui oeuvraient lui-même à la coupe d’un permis gouvernemental.
Sur les chantiers, en groupes
A l’automne 1938, mon père accompagné des deux aînés et du beau-frère Antoine Goulet se retrouve au chantier non loin de St-André du Lac. De retour au début mars, j’ai souvenir qu’ils ont fabriqué quelques ameublements en bois dur dans un atelier de fortune au grenier de notre deuxième résidence utilisée par le jeune couple pour quelques mois.
La cigogne réapparaît dans le décor
Âgée de 43 ans et 10 mois, ma mère doit redescendre le berceau du grenier pour accueillir une sixième fille qui fut baptisée à Péribonka le lendemain 6 mars 1939. Le parrain, Antoine Goulet, la marraine, Rose-Anna, sœur aînée de cette fille nommée Yvette qui sera bien choyée par les membres de la famille.
Au tour de Rose-Anna
Quelques mois plus tard, ce sera au tour de Rose-Anna de recevoir la cigogne alors que le couple s’était installé au village de Péribonka.
Activités particulières des adolescents
Pendant que les adultes oeuvraient sur la ferme et sur les chantiers extérieurs et de même que les aînés se préparaient à faire leur choix de vie sentimentale, nous les plus jeunes, découvrions de nouvelles expériences au travail ainsi que dans nos loisirs. J’en citerai quelques-uns : au printemps 1938, Louis-Joseph âgé de 15 ans s’était procuré une paire de lapin et lapine et il avait pris soin de promettre à ma mère avant son acquisition que ses bêtes ne seraient pas admises dans et autour du jardin potager.
Connaissant bien la prolifération des lapins, le risque serait présent après quelques mois. Au départ, les lapins avaient été placés dans une cage de grandeur moyenne et déposés dans un compartiment de la remise à grains. Après un mois, la lapine donnait naissance à une famille de petits. La cage était déjà trop restreinte et il décide de les encager directement dans le secteur du ravalement en haut de la remise des machines aratoires qui était élevé d’environ 18 pieds du plancher.
Sans le dire ouvertement, j’étais bien intéressé à l’évolution des jeunes lapins. Donc aussitôt déménagés, je ne pouvais les suivre aussi facilement en présence du propriétaire. Un jour, après le repas du midi terminé, je ne dis mot à personne et chemin faisant pour retourner à l’école, je grimpe sur le ravalement pour voir et toucher les petits lapins. Au moment de tenter l’ouverture de la porte de cette nouvelle cage très complexe, je culbute tête première en direction d’une roue de semoir que mon épaule frappe brusquement.
Je croyais l’avoir disloquée pendant un bon moment ; j’ai perdu conscience pendant plusieurs minutes alors que j’ai cru voir des éclairs électriques dans ma tête. M’étant remis sur pied, je file vers la petite rivière non loin de la remise pour me refroidir alors que ma température avait monté pendant mon étourdissement. J’ai donc pu continuer mon chemin vers l’école mais je n’ai pu cacher ma douleur et la pâleur de mon visage. Tout de même j’ai pu faire quelques dessins du vendredi après-midi avant mon retour à la maison, les écoliers n’ont pas manqué de prévenir ma mère qui m’a grondé tout en m’offrant du bon liniment Randell qui réchauffait instantanément pour réduire mes douleurs. J’avoue que par la suite ma mère avait les lapins à l’œil.
Ce qui a été de courte durée étant donné qu’à l’automne, avec le consentement de Louis-Joseph, les lapins ont dû faire partie du repas de réception à la noce de Rose-Anna. Quant à moi, j’ai eu une leçon de prudence car cette aventure aurait pu me coûter la vie ou encore me causer des séquelles permanentes désastreuses.
Autre anecdote
Voilà des faits qui démontrent bien qu’en l’absence de télévision ou de Nitendo, nous étions souvent loin de la maison.
L’aventure se passe cette fois sans aucune douleur ni coulage de sang, sauf un produit liquéfié. Cela s’est passé au moment où mon frère Elphège et moi étions à cueillir des fruits sauvages non loin d’un coteau garni de trembles ; pendant la cueillette, mon frère et moi avions eu une divergence d’opinion qui nous a conduits au danger de bousculade. Voyant le risque présent, Elphège court vers le coteau, moi à ses trousses et il grimpe dans un arbre où je le suis. Voyant que j’étais pour l’attraper, il sort sa défense « quéquette » puis il m’arrose en plein visage de façon à ne rien voir au moment de ma descente de l’arbre. De peur d’être grondé par notre mère, elle n’a jamais été mise au courant de ces situations humides et non recommandables.
Une autre vers 1942
Nous sommes au moment de la fenaison, un jour où nous étions à étendre le foin sur le fenil afin d’éviter que le foin chauffe ce qui réduit la valeur du fourrage et même évite le danger d’incendie possible par le chauffage du foin.
Au cours de l’opération, je ressens le besoin de me rendre à notre toilette de l’époque sur le sol au bout de la grange étable. Connaissant bien ce soulagement, Elphège suit mes déplacements en visionnant à travers les larges fentes entre chaque planche de bois. Voilà qu’il décide d’utiliser son moyen de défense « quéquette » de plus il semble avoir une bonne réserve. Voilà qu’au moment où je suis concentré aux efforts de soulagement, je constate l’arrivée surprise d’un orage chaud soudain alors que le soleil est resplendissant ; cela est étrange. Alors je relève mes yeux vers le ciel d’où je suis aveuglé par une pluie chaude artificielle dont la source venait de l’intérieur du haut de la grange à une hauteur de plus de 30 pieds du sol. Le frère Elphège est toujours heureux de remémorer cette aventure très particulière.
Laissez moi vous dire que bien d’autres incidents du genre se sont présentés au cours de notre jeunesse.
Joseph à la rivière Savard
En avril 1939, j’ai souvenir d’avoir participé à l’équarrissage du bois de charpente destiné à l’agrandissement de notre grange en me rendant à l’entrée de la rivière Savard tout près du Lac St-Jean. C’était un samedi matin que mes deux chiens nous avaient conduits sur la croûte de neige durcie par la gelée de la nuit.
Après avoir préparé ce bois de charpente par empilements genre cage, ce n’est qu’en juin que la cage fut tirée par notre bateau jusqu’à notre résidence. Les travaux d’agrandissement ont été effectués au cours de l’été et automne 1939.
1939, année mémorable
· La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre.
· Le 10 septembre, le Canada est entré librement en guerre.
· Le 17 septembre, les Soviétiques envahissent la Pologne.
· Le 12 octobre, le Canada fait un premier emprunt de 200 000 000.00$
Grand besoin de matériel de guerre
Suite à l’entrée du Canada en guerre, un grand besoin de bois de construction se fait sentir. Mon père obtient un permis de coupe de bois ouvert à la rivière Savard. Dès l’automne 1939, un campement a été construit et la coupe du bois se poursuit pendant l’hiver 1939-40 ; les aînés ne chôment pas et plusieurs bûcherons étrangers prendront part à la coupe des billots de 12 pieds.
Autres faits historiques
· Le 25 avril 1940, les femmes obtiennent le droit de vote.
· Le 12 juillet 1940, un foyer de propagande nazi est découvert à Montréal : voir espionnage.
·
Le 6 août 1940, le maire de Montréal
Camilien Houle est interné pour avoir incité les gens à ne pas se prononcer sur
la présentation du plébiscite.
Ouverture d’une scierie en 1940
Au début d’avril, un entrepreneur en sciage s’installe sur le chantier avec son moulin portatif. Le père, trois fils et une fille prennent la responsabilité du sciage du bois.
Transport du bois de construction
Notre bateau sera utilisé pour le transport du bois du chantier à notre résidence. Une partie du bois est vendu à un commerçant de Jonquière qui ne respecte pas son engagement ; mon père prendra un jugement contre cet homme qui n’a jamais payé ; il y a une perte de plusieurs milliers de dollars.
Un chemin d’accès au chantier est construit en forêt pour sortir le bois par camion. La coupe du bois se poursuit tout l’été alors que ma mère s’occupe de la bouffe au camp, en alternance avec les filles aînées qui se débrouillent bien à la cuisine. Le bébé Yvette dépasse sa première année.
Autre début d’école en 1940
En septembre, Cécile commence son école et l’institutrice est Mlle Jeannette Potvin.
En décembre l’opération de sciage est discontinuée.
Achat d’un moulin portatif en 1941
Au cours de l’hiver, mon père achète un moulin à scie qui sera monté par M. J. B. Tremblay et un dénommé Joseph Maltais de Ste-Monique. Ce dernier est employé pour entraîner mon frère Louis-Joseph, âgé de 19 ans. Après quelques semaines, il prend la responsabilité du sciage et entretien du moulin.
Le transport du bois modifié
En août 1941, Louis-Philippe épouse notre ancienne enseignante Gertrude Gagné à la Baie St-Paul. Le couple s’installe pour quelque temps dans une deuxième résidence sur notre ferme. Louis-Philippe travaille sur la coupe du bois. Moi-même j’ai œuvré quelques mois au chantier pour le transport des billots avec un bon bœuf qui se couchait parfois pendant le déchargement de la wagine au moulin.
En été, la ferme est entretenue par mon frère François-Xavier et les employés ou autres membres de la famille.
En septembre, la nouvelle institutrice sera Mlle Albertine Gagné, sœur de Gertrude ; seulement 8 écoliers s’y retrouvent à ce moment.
Une fin de chantier mémorable
Le sciage est discontinué en novembre et le bûchage se poursuivra jusqu’à la veille de Noël.
Les chevaux reviennent à la ferme avec sleighs et provisions supplémentaires. Ma mère Yvonne, ma sœur Yvette et même Maurice âgé de 9 ans font partis du voyage, une tempête de grand vent et chute de neige pluvieuse. L’eau est montée entre la glace et neige les chevaux bottés c’est-à-dire la glace se forme sous les pattes des chevaux. Il en est de même pour les sleighs qui deviennent des blocs de glace très difficile à traîner. Le voyage se prolonge et les chevaux ne retrouvent plus le tracé habituel sur le lac ; un cheval passe à travers la glace à la sortie d’une rivière et les hommes le sortent de peine et de misère à l’aide d’un autre cheval.
L’obscurité se présente très tôt par cette température maussade à l’approche des Fêtes. Voilà qu’à une distance d’environ 3 milles, Adrien sort les raquettes et se rend à la ferme pour obtenir de l’aide. Un cheval jeune et bon dépisteur du chemin est attelé et il s’oriente vers le groupe qui avance à pas de tortue en zigzaguant sur le lac. Ma mère et les enfants sont secourus en premier lieu et sont très heureux de voir arriver la voiture de secours dans la grande noirceur vers 8 heures le soir de la messe de minuit.
Fort heureusement que cette situation ne s’est pas présentée au cours des voyages effectués les semaines précédentes alors que j’ai moi-même fait deux voyages par semaine pour ressourcer le chantier en victuailles et nourriture pour les chevaux.
Les Fêtes passent, puis on recommence
Au début de l’an 1942 arrivent les mesures de guerre qui exigent le rationnement de plusieurs aliments dont le sucre, le beurre et la viande ; ces mesures ne nous affecteront pas et nous pourrons même donner des coupons de rationnement à certains particuliers dans le besoin.
De nouvelles cuisinières prendront la relève au chantier : Mariette ou Pierrette accompagne l’épouse de Louis-Philippe pendant quelques mois. J’ai souvenir que l’enseignante Albertine Gagné est allée rendre visite à sa sœur au chantier par une journée ensoleillée où je passais sur le Lac jusqu’à la rivière Savard. Cette fois j’avais couché au chantier afin qu’elle puisse profiter d’une soirée avec sa sœur.
Autres événements de guerre
· Le 11 mai, un navire a été torpillé dans le St-Laurent par les Allemands.
· Le 20 juin, attaque contre l’île de Vancouver par les Allemands.
· Le 15 octobre, un navire marchand est coulé près du phare de Métis dans le St-Laurent par les Allemands.
Au printemps 1942, mon père, par l’entremise d’Adrien, achète la ferme de M. Benoît Savard, non loin du pont de la rivière Moreau. Une maison a été construite au cours de l’été 1942 sur la petite ferme.
Le 17 novembre,1943 il est possible de circuler sur la glace. Vers le 20, un chemin avait été balisé en utilisant des petits arbres. De nombreux patineurs ont profité de cette grande surface de glace communautaire. J’ai souvenir d’y être allée moi-même en compagnie de mon frère Elphège le soir du 26 novembre pour être revenu dans l’obscurité.
Décès de l’oncle Johnny le 24 novembre.
Le matin du 27 novembre, mes parents assisteront aux funérailles de l’oncle de ma mère. A leur retour en après-midi, mon jeune frère Maurice, ayant eu à traverser la rivière en matinée pour échanger un jar (oie) chez M. Joseph Goulet, était revenu alors que la glace cédait sous ses pieds grâce à un long traîneau qu’il poussait avec un pied et il est revenu sain et sauf.
Incident dramatique
Le matin du 27, les deux filles rendent visite à leur belle-sœur Gertrude qui demeure sur la petite ferme située à environ
2 milles de notre résidence.
Vers 15h30, elles reviennent en passant par la côte conduisant à la rivière qui à ce moment et chargée de patineurs du village. Elles sont en route pour notre résidence toute heureuse d’y apporter des souvenirs sur un petit traîneau tiré par Cécile alors qu’Yvette porte une petite chaudière métallique remplie de bonbons. A quelques deux arpents de la côte, la glace cède sous Yvette qui coule à pic sans remonter à la surface ; Cécile se retourne et n’aperçoit que le béret flottant sur l’eau ; c’est alors qu’elle s’enfonce à son tour et réussit à se maintenir à plat ventre sur la glace.
Les gens du village ayant vu la tragédie accourent sur le lieu apportant une planche et de la corde. C’est M. G. Boivin et le curé David Pelletier qui encouragent Cécile à utiliser la planche puis à saisir la corde fermement pour être sortie de l’eau et rejoindre la terre ferme.
Mes parents sont arrivés à la maison de l’autre côté de la rivière. Quelques instants après leur arrivée, Elphège prévient mes parents que les deux filles sont de l’autre côté de la rivière et que la glace n’était pas solide, même dangereuse pour les enfants qui doivent traverser sous peu. Au même moment, ma mére qui regardait par la fenêtre voit soudainement couler les enfants dans la rivière.
Nous étions tous très nerveux ; aussitôt Louis Joseph, François-Xavier et moi-même accourons vers la rivière constatant la fragilité de la glace alors que Joseph avait pris les devants, la glace cédait par endroits sous ses pieds. François-Xavier et moi sommes retournés pour utiliser une petite chaloupe qui a pris l’eau comme un panier au premier essai en arrivant au grand canal qui était à se désagréger. J’ai souvenir d’avoir utilisé une botte fourreau en guise de récipient pour vider la chaloupe. Voyant le grand risque, les gens du village nous suppliaient de rebrousser chemin en nous informant que des gens du village prennent la jeune fille en main pour la rendre chez M. François Tremblay.
A notre retour à la maison, mes parents avaient quitté pour faire le tour en auto par Ste-Monique et ils arrivent en début de soirée chez la famille Tremblay pour retrouver Cécile entre bonnes mains sauf qu’elle a demandé à voir Yvette. Ma mère dit l’avoir rassurée en lui disant qu’Yvette dormirait au presbytère ce même soir. Cependant le lendemain elle a dû apprendre la réalité avant le retour à la maison où nous étions tous consternés par le drame.
Au cours de la nuit, la glace sur la surface de la rivière était complètement disparue.
Je rappelle que des recherches se sont effectuées pendant plusieurs jours pour retrouver Yvette. Nombreux paroissiens ont accompagné mes parents pour traîner différents dispositifs d’une ou deux chaloupes voyageant à travers les glaces par une température maussade. Après environ trois jours de recherche, les généreux chercheurs ont été remerciés puis il a fallu attendre que la nature fasse sa part pour nous remettre notre petite sœur qui sera retrouvée le 29 mai suivant alors qu’un écolier, Germain Savard de Péribonka, se rendant à l’école en parcourant la berge de la rivière découvre le corps de l’enfant et la petite chaudière ensablée qui la retenait près de la grève à une distance d’environ trois-quarts de mille de la noyade.
Aussitôt mon père a été prévenu et l’entrepreneur d’arrangement funéraire de Dolbeau a été chargé de faire le nécessaire. L’enfant est revenu à la maison pour quelques heures alors que le cercueil était fermé. Je n’ai pas osé revoir l’enfant qui semble-t-il n’était plus la même. Vers 15 heures une messe des anges a été célébrée à l’église avant l’inhumation.
J’ai souvenir qu’après la cérémonie ma mère a déclaré connaître un soulagement à l’effet qu’elle savait maintenant où elle reposait.
Autre épreuve en début de 1945
Tôt le printemps en l’absence de Louis-Philippe au moment du dégel, le jeune homme prenant soin des animaux sur la ferme de Louis-Philippe se présente à l’étable un matin pour se rendre compte que la grange était effondrée alors qu’aucun animal n’est mort ni blessé.
Reconstruction
Le jour même, notre famille assistée de généreux travailleurs, a pu reconstruire la grange en peu de temps ce qui a été appréciable pour le couple de nouveau cultivateur dans cette région.
Déclaration sentimentale
Quelques temps plus tard, nous avions appris que des projets de mariage planaient à l’horizon. Il s’agissait d’Adrien qui courtisait Mlle Pâquerette Fortin, ainsi que Mariette qui était courtisée par Armand Boivin.
Autre petit chantier
Au cours de l’hiver 1944, les aînés ont procédé à une coupe de bois sur notre ferme ; les billots avaient été entreposés non loin de la rivière Péribonka sur notre ferme. En mars le moulin à scie de la rivière Savard a été transporté puis installé au cours du mois d’avril et terminé en mai. J’ai souvenir d’avoir œuvré sur les opérations de sciage en compagnie de Fernand Plourde d’Albanel ainsi qu’Elzéar Boivin de Péribonka.
Quarante heures
A la deuxième semaine du mois de juin, nous devions prendre part aux offices religieux des quarante heures d’exposition du Saint Sacrement, et ma mère considérait que c’était un devoir que tout le monde assiste à ces offices régulièrement.
Rendez-vous avec les dirigeants de Saguenay Power
Je rappelle qu’après le repas du midi le 13 juin, je suis allée guérir les dirigeants de la compagnie Saguenay Power avec notre bateau. Ces derniers avaient un appointement (rendez-vous) avec mon père sur la ferme afin de mettre en branle un projet de pépinière sur notre dernier lot où un secteur avait été fertilisé avec engrais naturel.
Le projet avait été expliqué à mon père en ma présence et lorsque terminée vers 14h30, je suis allé reconduire les visiteurs au village avec le bateau. Dès les visiteurs partis de la ferme, mon père s’empresse à faire les préparations en compagnie de Louis-Joseph, scieur sur le moulin qui était déjà sur place à Saint-André. Pour ce voyage, Pierrette accompagnait mon père afin d’y passer quelques jours chez sa marraine Alice. Les autres membres de la famille étaient dispersés : Adrien, Mariette et François-Xavier étaient demeurés au village ainsi que Cécile et Maurice était aux études . Maurice à Lévis.
Enfin vers 15h30, je suis de retour à la maison alors que ma mère prend des informations concernant le projet de la compagnie Saguenay Power. Elle me dit avoir le sentiment que ce projet n’était pas une bonne chose pour nous. Je suis retourné à l’étable pour poursuivre mon occupation d’épandage de l’engrais dans un champ non loin de la maison.
Loisir préféré de ma mère
Étant certaine de demeurer à la ferme tout au long de 1944, elle avait commandé et reçu 400 poussins au début de mai et 400 autres au début du mois de juin. J’ai souvenir qu’au cours des deux derniers voyages d’engrais, je suis passée devant la maison et le petit abri à poussins au pied de la côte. J’ai vu ma mère au premier voyage qui se tenait près des poussins. Au deuxième voyage vers 16h45, elle était à replacer quelques morceaux de bois de poêle sur une corde de bois avoisinant l’abri des poussins. Après 16h45, j’ai dételé les chevaux pour passer à la traite des vaches à l’intérieur de l’enclos en compagnie de mon frère Elphège et de ma sœur Marie-Rose puis mon cousin Fernand Plourde.
Travail partagé
Chez nous, chacun effectuait sa part de travail donc chacun de nous trayait 6 vaches et ma mère se chargeait de monter le centrifuge pour recevoir le lait vers 17h30. Normalement nous étions plus que quatre pour faire la traite des vaches.
Le soir du 13, je termine le premier la traite de mes vaches et je transporte immédiatement mes seaux de lait à la laiterie afin d’y écrémer le lait manuellement en tournant la manivelle du centrifuge pendant plus de 30 minutes, selon le résultat de la traite des vaches. Suite à cette opération de l’écrémage du lait, le petit lait est reconduit à l’étable pour nourrir les veaux et cochons.
Surprise inoubliable
Le soir du drame, j’arrive le premier à la laiterie pour me rendre compte que le centrifuge n’est pas monté. Je soupçonne donc qu’il se passe quelques choses d’anormal. Je file dans la maison pour me rendre compte que le poêle à bois ne chauffe pas ; il a été rempli de bois et papier d’allumage, préparé pour y mettre le feu, même le dessus est ouvert. Mes soupçons s’amplifient davantage et je cogne à la porte de sa chambre où elle semble dormir…pas de réponse… J’ouvre la porte en visionnant vers son lit. C’est alors que je perçois une main à son côté, les ongles sont bleuis. Je panique et cours vers la laiterie où mon cousin Fernand est à monter le centrifuge ; aussitôt je l’invite à m’accompagner à la chambre de ma mère d’où il lance des cris de détresse : « Ma tante ! Ma tante ! », pour n’obtenir aucun mouvement ni réponse.
Alors je tremble et demande à Fernand de prévenir la voisine Mme Boivin tandis que je cours vers le bateau afin d’aller au village pour prévenir les trois aînés du drame. De peine et de misère je réussis à persuader François-Xavier de se rendre chez le médecin Joseph Rochette, puis j’accours prévenir le curé Lucien Gaudreault pour nous accompagner à notre résidence. Le bateau à pleine vitesse, j’ai trouvé ce trajet très long. J’affirme que les aînés n’acceptaient pas la réalité jusqu’au moment où ils ont connu le diagnostic du médecin.
Conclusion
spirituelle
La perte d’une mère
Elle a été une mère exemplaire, bonne, dévouée, généreuse et sa vie a été un don total et continuel. Elle nous a laissé comme héritage l’exemple de ses vertus tout spécialement son grand esprit de foi, sa patience dans les épreuves, son remarquable esprit de travail et sa soumission entière à la volonté divine.
Son départ soudain
Elle n’a pas vu venir la mort. Sortant de nombreux exercices religieux, elle était sans doute prête. Sa mort est celle du juste, le couronnement de sa vie qui a été malheureusement trop courte pour nous. Elle est partie hélas pour la céleste patrie, cette mère bien-aimée ; le ciel nous l’a ravit.
Sa mort a laissé dans nos cœurs une plaie profonde ; son pèlerinage est terminé et nous, ses enfants ne pourront l’oublier. « Un cœur de mère est le plus noble et le plus grandiose secret de la nature » St-Augustin
CONCLUSION
Considération sur l’évolution industrielle
J’ose mettre sur papier ce que la plupart pense tout bas. En temps que citoyen québécois, je suis heureux lorsqu’il y a implantation d’une nouvelle industrie dans ma région ou ailleurs ; cependant, je ne suis aucunement en accord avec ce qui s’est passé au cours du rehaussement des eaux du Lac St-Jean, particulièrement sur la façon sournoise et même trompeuse exercée envers d’honnêtes citoyens qui méritaient le respect. L’expérience démontre que le gouvernement de l’époque a rampé sous l’emprise d’un gros industriel en accordant des faveurs sans bornes et sans avoir su exercer aucun contrôle de ses droits pour éviter les injustices et l’exploitation des cultivateurs payeurs de taxes.
De plus ces propriétaires ont connu le mépris de la part des politiciens qui très souvent se sont moqués des organismes municipaux ainsi que des individus qui ont tenté de connaître la vérité sur le sort réservé aux grandes familles qui avaient un droit légitime de savoir ce que les autorités civiles et religieuses connaissaient depuis longtemps.
Faits étranges
Le 24 juin 1926, la compagnie Duke-Price ferme les vannes du barrage de la Grande Décharge ; aucun avis public n’est donné aux gens du Lac St-Jean d’où il en est résulté une catastrophe par le rehaussement des eaux autour du Lac St-Jean.
Le 26 novembre 1943, les vannes du barrage du Lac Manaouan s’ouvrent ; aucun avis n’est donné aux gens pouvant être exposés lors du rehaussement des eaux de la rivière Péribonka, ce qui occasionne une descente soudaine des eaux du réservoir qui ne sont pas encore refroidies favorisent la désagrégation de la glace sur le secteur inférieur de la rivière Péribonka. Le pont de glace utilisé depuis au moins 8 jours devant le village se désagrège pendant la journée du 27 novembre 1943.
En après-midi, deux petites filles reviennent d’une visite en empruntant le même trajet que le matin et les jours précédents ; la plus petite passe à travers la glace et se noie ; elle sera retrouvée le 29 mai 1944 suivant.
Blessure profonde au cœur d’une mère
Je note que cette mère éprouvée avait connu un premier déménagement avec ses parents lors du rehaussement des eaux du lac Kénogami en 1897. Elle a connu un deuxième déménagement dû au rehaussement des eaux du Lac St-Jean le 24 juin1926. Et voilà qu’à l’automne 1943, elle subit la perte de sa fille cadette.
Responsabilité de l’ALCAN
Nombreuses personnes de la région ont trouvé étrange que mes parents ne poursuivent pas la compagnie ALCAN suite à la noyade de leur fille à l’automne 1943. Pourtant il est légitime de croire que la conséquence de la désagrégation de la glace de la rivière n’était pas une cause naturelle sachant fort bien que cette situation ne s’est jamais présentée auparavant et voilà qu’à la suite de cet événement tragique, la direction de l’ALCAN avisait les municipalités en bordure de la rivière Péribonka.
Décision sage
La raison de cette abstention d’intenter une poursuite contre la direction de l’ALCAN en est une de sagesse acquise au cours des années précédentes. L’expérience de nombreuses démarches effectuées avec de bons arguments et même accompagnées de pétitions importantes n’ont jamais obtenu gain de cause contre ce gigantesque monument qu’est l’ALCAN ; même nos gouvernements se soumettent à la puissance de cet industriel. Je reconnais qu’il est malheureux d’avoir à se soumettre sans avoir la possibilité d’exercer nos droits très légitimes. Il faut donc tolérer l’injustice et vivre avec.
TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
Merci à toi, Adrien
Tremblay pour le temps consacré à répondre à mes nombreuses
questions !
Merci à tous ceux et celles
qui ont collaboré de manière à réaliser ce travail
ADDENDA
Saut d’une clôture
Saut en hauteur effectué par Noël Tremblay
à l’aide d’un taureau au moment de la traite des vaches
Aventure survenue à l’automne 1940 : D’abord avant de réciter, laissez-moi vous dire que nous aimions tous les animaux et portions une grande attention à ceux dont nous avions pris soin dès leur naissance. Nous voulions en faire des adultes très soumis aux commandements grâce à un dressage particulier. Il est arrivé qu’à certains jours, le long trajet nous tombait dans les jambes. Nous avions habitué de jeunes vaches et même le taureau à nous transporter. Il était toutefois interdit par nos parents de se faire transporter par les vaches laitières. Enfin tous les animaux étaient familiers avec nous et nous pouvions dès leur jeune âge faire la traite des vaches dans le champ avoisinant la maison. Il est arrivé que le taureau semblait jaloux de nous voir traire les vaches et venait nous déranger pendant la traite. Nous avions l’habitude de le repousser avec une tape ou un petit coup de pied.
Surprise
Un bon matin, j’étais à traire une vache quand le taureau de deux ans vint me rendre visite de très près. Je lui donne un petit coup de pied au front et il refuse de quitter. Aussitôt je compris qu’il était agacé par ma présence près de la vache qui l’attirait. Je fis le tour de celle-ci avec ma chaudière de lait presque remplie. Voilà que le taureau accélère et après trois tours j’ai cru bon de courir vers un endroit plus sécuritaire. J’ai opté pour le jardin situé à une centaine de pieds du lieu alors que j’avais à franchir une haute clôture à poules d’au moins six pieds avec carreaux très petits donc pas question de tenter de passer à travers sans sauter par-dessus.
J’avais toujours le taureau à mes trousses et il prenait de la vitesse. Dès que j’eus mis le pied dans le cinquième carreau, je me suis sentie soulevée brusquement dans les airs comme une plume pour retomber de l’autre côté de la clôture à travers d’énormes chardons de quatre pieds de haut portant des épines comme des aiguilles. Je découvris également à côté de moi un nid d’œufs dans les broussailles. Fait surprenant, alors que j’ai pu conserver ma chaudière de lait intacte, je n’ai pas pu en dire autant de mon fondement dont le coccyx a été fracturé par la corne du taureau ce qui me rendait incapable de poursuivre mon travail cette journée-là. De plus je suis demeuré en état de choc durant un certain temps.
Récidive de la blessure
J’ai souvenir que l’année suivante, je me suis recassé le coccyx alors que j’opérais notre bateau en direction de la rivière Savard pour transporter le bois de sciage à notre résidence. Arrive un moment où j’entends un bruit étrange sous le pont du bateau ; je me plie pour vérifier alors que mon postérieur frappe le coin du banc en bois dur. Cette fois j’ai perdu conscience un bon moment puis je poursuivis mon trajet vers la rivière Savard avec grande prudence à l’endroit du postérieur qui est demeuré sensible pendant plusieurs mois.
Traversée mémorable
Voilà un fait historique vécu au printemps de 1940 alors que nous avions subi la perte d’un cheval : mon père se rend à St-Félicien chez Aldège Laflamme afin d’acheter un cheval de remplacement. Cela se passait au temps du dégel ce qui rendait notre route de terre impraticable. A ce moment, le seul moyen pour aller au village de Péribonka était le transport par eau. Le débarquement du cheval se fit chez un ami de mon père, Oscar Bolduc. Sur cet achat, il donna pour comptant un gros cochon de 350 livres. Nous devions livrer le cochon par bateau.
Voilà qu’au moment du départ, l’engin ne démarre pas (Le lendemain ils se rendirent compte que le robinet du conduit à gaz avait été fermé par quelqu’un d’autre). Vu les circonstances, le camion attendant le cochon de l’autre côté de la rivière, mes trois frères décident d’aller le livrer dans une embarcation d’environ 18 pieds de longueur avec une bonne capacité de portée ; celle-ci était mue par rames et avirons ce qui rendait l’opération plus délicate car le cochon vivant était en boîte conçue spécialement pour le transport. Arrivé à une distance d’une dizaine d’arpents de la côte, un gros morceau de glace pénètre sous la chaloupe et la fait renverser ainsi que ses occupants qui sont habillés pour la saison froide. Xavier a pu être sauvé de justesse par mon père aidé d’autres riverains qui avaient vu se dérouler la scène de loin. Ceci en lançant à l’eau une très ancienne chaloupe prenant l’eau comme un panier et des bouts de planches servant de rames, ils arrivèrent heureusement à temps car Xavier était déjà inconscient, crampé et près à sombrer. De retour chez M. Bolduc, d’autres gens et le médecin s’occupèrent de lui pendant qu’on continuait à la hâte de secourir les autres dont Adrien qui était parvenu à se rendre au rivage à la nage après avoir fait de grands efforts dans un courant très fort à cette période de l’année. Le troisième, Jos-Louis, très nerveux et gelé jusqu’aux os, fendait l’air de ses cris d’encouragement pour les autres tout en étant demeuré agrippé sur le fond de la chaloupe charroyée par le courant qui l’éloignait de plus en plus de ses frères.
Enfin, après le sauvetage, on dirigeait les rescapés vers la résidence de M. Bolduc. Après quelques heures, ces derniers ont pu regagner la maison. Bien sûr ce n’est qu’après le sauvetage des hommes que le cochon a pu être récupéré. A la surprise de nombreux spectateurs soit après 90 minutes, le cochon était sain et sauf. Même si on dit qu’un cochon ne peut nager, celui-ci a fait plus d’un mille à la dérive. Donc il fut embarqué et conduit à destination comme convenu. Je note qu’il est heureux qu’à cette occasion, mon frère aîné ait décidé à la dernière minute de se faire remplacer par Xavier vu qu’il ne savait pas nager. La chance de sauvetage était mince pour lui.
Réflexion
Cette aventure aurait dû être un signal d’alarme à tous les membres de notre famille ce qui pourtant ne nous a pas empêché d’accomplir de nombreuses activités en l’absence de mesures préventives.
Maison du pionnier Pierre Tremblay vers
1659 à son arrivée au Québec
La maison du pionnier existe encore à l’Ange Gardien près de Québec Je l’ai visité avec ma famille en l’an 1999 .Réal a filmé cette dernière,
Peintures diverses par l’auteur J.N.
Tremblay
Jéricho, plus vieille Ville au monde(8500
ans avant Jésus Christ). Jean Noël
Tremblay sur le chameau.
Dîner pendant la Croisière sur la mer Rouge
aux frontières des quatre pays suivants : Israël, Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite.