LA WICCA vue par une universitaire.

Sabina MAGLIOCCO
California State University -- Northridge
(Revue Ethnologie 20/01/98)
publi� sur Ethnologie
via l'En Dehors

� l'approche du second mill�naire, comme ce fut le cas � chaque fin de si�cle, on observe le d�veloppement d'un int�r�t marqu� pour tout ce qui rel�ve du spirituel et de l'occulte. En parall�le aux grandes religions traditionnelles, une nouvelle forme de spiritualit� prolif�re, spiritualit� � travers laquelle se lit une qu�te de croyances plus progressistes. Cette nouvelle forme religieuse est aussi populaire maintenant que le fut, lors de la derni�re fin de si�cle, la diffusion de la pens�e scientifique qui aurait soi-disant mis un terme � la religiosit�. Religion et science ont visiblement pris, toutes les deux, des places compl�tement diff�rentes � la table de la culture humaine.

Parmi les nouveaux mouvements religieux du XXe si�cle, le renouveau de la sorcellerie et le wicca sont les plus significatifs du grand ensemble form� des religions centr�es sur la nature, connues sous le terme de " n�opaganisme " et qui cherchent � resacraliser l'univers par la red�couverte et l'exp�rience du culte polyth�iste. Le n�opaganisme comprend tous les cultes qui v�n�rent les divinit�s �gyptiennes, greques, romaines, chanaanites, norv�giennes et celtiques, de m�me que les cultes qui s'int�ressent aux pratiques traditionnelles de magie des autochtones d'Am�rique et des Afro-Antillais. De tous ces mouvements, le wicca est le plus important.
G�n�ralement, les wiccains vouent un culte � une divinit� associ�e � la lune et plusieurs autres cultes dans lesquels un dieu est associ� au cycle des saisons, de la mort et de la r�g�n�ration. Les n�opa�ens et les wiccains partagent une conception romantique de l'univers qu'ils con�oivent comme vivant et �troitement li� au sacr� et � la magie. Ils per�oivent le divin comme existant ou s'exprimant lui-m�me sous de multiples formes. Ils tentent de vivre en harmonie avec la nature et interpr�tent le d�tachement moderne des humains de la nature comme une source d'ali�nation et comme la cause de nombreux probl�mes sociaux. Ils critiquent la vision du monde mat�rialiste et positiviste, laquelle a men� au gaspillage des ressources de la plan�te, � la destruction des habitats naturels et � la d�vastation des cultures traditionnelles et de leurs formes indig�nes de spiritualit�.
Cette argumentation est porteuse d'une critique du rationalisme positiviste et de l'abandon de la magie, du religieux et du surnaturel qui ont �t� rel�gu�s au rang de l'irr�el. Pour les n�opa�ens, la magie se d�finit souvent comme la capacit� de changer � volont� son �tat d'esprit ; elle est donc bien r�elle. Ils utilisent les rituels et la magie pour combler le gouffre entre l'humain, la nature et le divin. Le rituel est le culte de base du mouvement, de m�me que l'occasion de ses plus importantes manifestations artistiques (Adler 1986 : 252-53 ; Luhrmann 1989 : 230-31 ; Orion 1995 : 153-55 ; Magliocco 1996). Le wicca et le n�opaganisme constituent peut-�tre le plus important mouvement de renouveau depuis celui de la musique traditionnelle qui a eu cours dans les ann�es 1950 et 1960.
Les wiccains et les n�opa�ens tiennent l'ethnologie et le folklore en haute estime, parce que ces disciplines ont pr�serv� les vestiges d'une ancienne tradition spirituelle pr�chr�tienne. Ils puisent abondamment � ces connaissances et leur donnent un nouveau visage en cr�ant de nouveaux rituels et d'autres formes d'expressions culturelles. La culture n�opa�enne a permis l'�mergence de nouvelles formes de folklore qui sont appr�ci�es tant parce qu'elles sont agr�ables en elles-m�mes, que parce qu'elles repr�sentent une forme de r�sistance et de contre-culture. Les articles de ce num�ro sp�cial portent tous sur l'un ou l'autre de ces processus.

Bien que l'�mergence du wicca puisse �tre retrac�e dans les �crits des n�oplatonistes romains (voir Frew dans ce num�ro) et dans leur red�couverte par des �crivains de la Renaissance (Orion 1995 : 80-86), l'�mergence du wicca au XXe si�cle est attribuable � la publication, en 1954, de l'ouvrage Witchcraft of Today du folkloriste amateur Gerald B. Gardner. Celui-ci pr�tendait avoir �t� initi� par un cercle de sorci�res qui pratiquaient en Angleterre. Gardner a interpr�t� sa d�couverte � la lumi�re de th�ories folkloriques qui pr�valaient � la fin du XIXe si�cle, c'est-�-dire comme la survivance d'une religion primitive qui aurait �t� conserv�e par la tradition chez la population rurale. Il ajouta � sa th�orie plusieurs �l�ments de l'hypoth�se de Margaret Murray selon laquelle la sorcellerie �tait une survivance d'un culte de fertilit� pr�chr�tien.
Ces �l�ments d'interpr�tation, qui ont �t� puis�s � m�me d'anciennes recherches folkloriques, sont maintenant devenus partie prenante de l'histoire sacr�e du mouvement. Les sorci�res contemporaines croient donc qu'elles sont elles-m�mes les h�riti�res spirituelles d'une religion pr�chr�tienne qui aurait surv�cu aux chasses aux sorci�res de l'Europe. Ce mouvement de va-et-vient entre les th�ories de sp�cialistes et les discours populaires est typique de l'histoire de ce mouvement et contribue sans doute aussi � son extraordinaire complexit�.
Les pr�tentions de Gardner, de m�me que ses descriptions des pratiques de sorcellerie ont �t� �tudi�es par plusieurs sp�cialistes qui ont conclu que tous ses �crits �taient faux, Gardner �tant accus� par plusieurs d'avoir invent� la religion de toutes pi�ces, et ce dans le but de satisfaire ses titillations sexuelles (Kelly 1991 : 65).
Mais comme l'article de D. H. Frew le d�montre, les recherches r�centes qui ont �t� faites sur les notes personnelles de magie de Gardner sugg�rent qu'il est possible que celui-ci ait d�crit les pratiques d'un groupe occulte contemporain de l'Angleterre. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces pratiques soient n�cessairement anciennes ; elles peuvent tr�s bien avoir �t� bricol�es en Angleterre quelques ann�es avant que Gardner ne prenne contact avec le groupe. Quoiqu'il en soit, la discussion concernant l'authenticit� de l'origine du wicca continue de faire partie du mouvement et de donner lieu � nombre de travaux scientifiques.


Qu'ils soient v�ridiques ou non, les �crits de Gardner ont donn� naissance � un nouveau mouvement religieux. Plusieurs traditions, ou sectes, de sorcellerie situent leurs racines dans le cercle de Gardner et les ramifications de celui-ci.
La sorcellerie de Gardner a �t� amen�e aux �tats-Unis par Raymond et Rosemary Buckland dans les ann�es 1960 (Adler 1986 : 92), mais la sorcellerie pourrait aussi avoir �t� implant�e en Am�rique du Nord par des immigrants britanniques qui sont arriv�s pendant l'apr�s-guerre2.
Quoiqu'il en soit, � cette p�riode, les groupes fonctionnaient clandestinement et transmettaient la tradition seulement aux initi�s. La diffusion massive a �t� rendue possible par la publication d'ouvrages comme celui de Janet et Stewart Farrar intitul� What Witches Do (1983) ou celui de Raymond Buckland, le Buckland's Complete Book of Witchcraft (1971). Dans ces ouvrages, certains �l�ments de la sorcellerie de Gardner ont �t� repris et m�lang�s � des pratiques locales de magie provenant de diff�rentes communaut�s culturelles. Les pratiques y �tant �rig�es en syst�me de croyances, ces ouvrages ont donn� naissance � une masse de nouvelles traditions de sorcellerie (Adler 1986 : 70-80).
Parmi les cultes issus de ce m�lange, on trouve la stregheria, une forme de sorcellerie italo-am�ricaine que Loretta Orion pr�sente dans son article de ce num�ro sp�cial3.
� la fin des ann�es 1960, la critique f�ministe des religions jud�o-chr�tiennes est devenue un facteur important dans le d�veloppement de la sorcellerie qui �tait d�sormais con�ue comme discours d'opposition ou comme contre-culture.
Plusieurs femmes qui se sentaient exclues des religions dominantes ont accueilli avec enthousiasme cette religion dans laquelle le concept de d�isme inclut aussi bien les d�esses que les dieux et o� les femmes ont acc�s aux r�les liturgiques et � l'autorit� religieuse (Carson 1992 ; Eller 1993 ; Spretnak 1994 ; Starhawk 1979).
La sorcellerie f�ministe s'est r�appropri� le mot " sorci�re ", lequel renvoyaient jadis � l'image de la vieille femme diabolique du folklore europ�en et am�ricain, pour le transformer en un symbole de r�sistance f�minine contre la domination masculine et pour r�interpr�ter ses qualit�s n�gatives - pouvoir supernaturel, sexualit�, lien avec la nature - en qualit�s positives. Si la sorci�re �tait en opposition avec la soci�t� normative, alors le renouveau de la sorcellerie int�grait cette image pour en faire une force d'opposition susceptible de changer certains aspects de la culture am�ricaine que ces femmes trouvaient mauvais et pour amener un nouvel ordre moral qui inclurait le f�minisme et l'environnementalisme.
La sorcellerie f�ministe est devenue un mouvement populaire � travers les travaux d'auteures comme Starhawk (1979 ; 1982 ; 1987) et Z. Budapest (Grandmother of Time 1989 ; The Holy Book of Women's Mysteries 1989). Le paganisme contemporain regroupe autant des groupes pa�ens et des traditions de sorcellerie mixtes que des traditions " dianiques " compos�es exclusivement de cercles f�minins dont la " th�alogie " (un terme que les croyantes pr�f�rent au concept masculinisant de th�ologie) est centr�e exclusivement sur la d�esse.
Il existe de nombreuses sectes, ou traditions, de renouveau de la sorcellerie et de n�opaganisme. Les membres se rencontrent g�n�ralement dans de petits groupes de quatre � treize personnes, souvent appel�s " cercles " ou " groves ", pour c�l�brer la pleine lune et les huit sabbats ou jours sacr�s. Ceux-ci incluent les solstices, les �quinoxes et les jours qui tombent entre chaque solstice et �quinoxe, soit le 1er novembre (Samhain), le 1er f�vrier (Sainte-Brigitte ou Imbolc), le 1er mai (Beltaine) et le 1er ao�t (Lugnasad).
Les connaissances magiques et les techniques sont apprises de fa�on informelle lors de ces rencontres en face-�-face, autant que par le biais de cours offerts par les librairies sp�cialis�es dans l'occultisme et lors des festivals commandit�s par les groupes locaux et les organisations nationales.


Aujourd'hui, ils sont entre 200 000 et 300 000 sorci�res et n�opa�ens en Am�rique du Nord. Leur nombre exact est difficile � �valuer parce que plusieurs d'entre eux sont r�ticents � s'identifier publiquement, habituellement par peur des pr�jug�s et de la discrimination.
Les sorci�res et les n�opa�ens ont �t� la cible d'attaques de la part de ceux qui ne comprennent pas leur religion et qui l'associent aux cultes sataniques. La plupart d'entre eux sont des Euro-Am�ricains qui b�n�ficient d'un niveau d'�ducation sup�rieur � la moyenne - bien que leur revenu tende � �tre inf�rieur � ce qu'il pourrait �tre compte tenu de leur scolarit� (Orion 1995 : 66-68). Comme l'explique Orion � partir de ses donn�es statistiques de 1995, il y a environ deux fois plus de femmes que d'hommes n�opa�ens dans l'est et le sud-ouest des �tats-Unis, bien que la proportion puisse varier l�g�rement dans les autres r�gions (Orion 1995 : 62). La majorit� des wiccains et des n�opa�ens demeurent dans les grandes villes et dans les cit�s universitaires. C'est seulement une fois adultes que la plupart d'entre eux se sont convertis � leur nouvelle religion, soit par des lectures, soit par la fr�quentation de gens qui avaient les m�mes convictions qu'eux.
Toutefois, le nombre de n�opa�ens et de wiccains de deuxi�me g�n�ration est en pleine croissance. Il y a maintenant plus de 100 publications et journaux n�opa�ens et wiccains, ainsi que plus de 10 000 sites web consacr�s au n�opaganisme et au wicca. On compte aussi plusieurs maisons d'�dition populaires, comme celle de Llewellyn qui publie une douzaine de nouveaux titres chaque ann�e, maisons d'�dition qui ciblent sp�cifiquement les lecteurs wiccains et n�opa�ens.
Ce type de publication a chang� la nature de la religion. Autrefois, la transmission ne se faisait que par la tradition orale et l'�tude approfondie en petits groupes, alors qu'on observe maintenant la diffusion massive d'une forme de spiritualit� con�ue pour des consommateurs individuels.
En d�pit de cette vaste diffusion, le mouvement demeure peu organis�, sans structure hi�rarchique ni textes sacr�s ou ensemble de croyances qui seraient uniformes pour tous. La tension entre la communaut� et les individus est au centre de la dynamique de groupe du mouvement. Les wiccains et les n�opa�ens id�alisent g�n�ralement la communaut�, mais demeurent f�rocement individualistes et m�fiants � l'�gard des organisations autoritaires, leur m�fiance entra�nant souvent des tensions � l'int�rieur des groupes, des traditions et des grands r�seaux de l'organisation.
Plusieurs excellents travaux ethnologiques ont �t� effectu�s sur les groupes wiccains et n�opa�ens4. Il y a d'abord le travail de Adler, un vaste sondage sur le n�opaganisme et la sorcellerie aux �tats-Unis, Drawing the Moon (1979 ; 1986) ; l'�tude de Luhrmann, qui porte sur un cercle de Londres, Persuasions of the Witches' Craft (1989) ; celle de Orion, Never Again the Burning Times (1995), une vaste �tude traitant tant les aspects qualitatifs que quantitatifs du ph�nom�ne ; et celui de Eller, une ethnographie du mouvement f�ministe spirituel, Living in the Lap of the Goddess (1994). De son c�t�, Kevin Marron a men� une �tude � partir de donn�es canadiennes qu'il a intitul�e Witches, Pagans and Magic in the New Age (1989). On compte �galement plusieurs ouvrages collectifs, dont celui dirig� par James R. Lewis, Magical Religion and Modern Witchcraft (1996), et celui dirig� par Graham Harvey et Charlotte Hardman, Paganism Today (1996). Ces recueils, qui regroupent d'excellents textes de chercheurs canadiens, britanniques et am�ricains, traitent des diff�rents aspects du mouvement.
M�me si tous ont remarqu� l'extraordinaire esprit de cr�ativit� et d'imagination des wiccains et des n�opa�ens, aucun auteur n'a sp�cifiquement travaill� sur le folklore et l'expression culturelle qui s'expriment tant dans les activit�s des membres du mouvement que dans leur appropriation massive des pratiques traditionnelles ou folkloriques.
Les textes r�unis dans ce num�ro devraient nous permettre de faire un premier pas pour combler cette lacune. Tous portent sur le folklore ou sur l'expression culturelle, qui sont trait�s sous des angles diff�rents, soit sur la mani�re utilis�e par les critiques universitaires pour remettre en cause les travaux sur l'origine du mouvement, soit pour pr�ciser les connaissances sur le ph�nom�ne par lequel chacun des croyants �tablit des liens avec son pass� en cr�ant une nouvelle tradition, soit en s'interrogeant sur l'esth�tique et la po�sie dans les pratiques alimentaires et musicales wiccaines.

Ce num�ro d�bute par deux articles qui portent sur l'origine du groupe et sur la question de l'authenticit� de son histoire. D. H. Frew, dans un texte provocant et controvers�, pr�sente plusieurs des pires manipulations qui ont �t� faites par les sp�cialistes du renouveau de la sorcellerie.
Il s'attaque notamment � l'ouvrage de Aiden Kelly, Crafting the Art of Magic, Book I (1991), lequel avait �t� accueilli sans critique par la communaut� scientifique. Cet ouvrage pr�sentait une analyse des manuscrits de Gardner � partir de laquelle Kelly soutenait que Gardner avait invent� le wicca de toutes pi�ces. Par une analyse de texte d�taill�, Frew apporte un �clairage nouveau sur les �crits de Gardner.
L'examen de Frew du Ye Bok of ye Art Magical, un livre de notes non publi� de Gardner dans lequel il a copi� plusieurs textes magiques, permet de croire que Gardner pourrait avoir copi� les textes plut�t que de les avoir compos�s lui-m�me. Ce serait donc l� un �l�ment permettant de d�montrer qu'il aurait r�ellement appris le wicca d'un ancien groupe occulte. Frew ouvre �galement de nouvelles pistes en d�montrant que plusieurs des pratiques contemporaines de sorcellerie peuvent �tre mises en parall�le avec les pratiques des n�oplatonistes et des herm�tiques romains. Il est possible que certains �l�ments des documents n�oplatonistes aient surv�cu, tout comme ils peuvent avoir �t� r�introduits dans les traditions populaires europ�ennes et avoir �merg� dans les pratiques occultes du XXe si�cle en Angleterre.
L'article de Natalie Kononenko, " Strike Now and Ask Question Later : Witchcraft in the Ukraine ", porte sur les l�gendes contemporaines de sorcellerie et sur celles du d�but du XXe si�cle en Ukraine. Sans traiter directement du renouveau de la sorcellerie, les travaux de Kononenko sont absolument essentiels, puisqu'ils permettent de mieux comprendre de quelle fa�on les croyances en la sorcellerie op�rent dans de petites communaut�s agricoles qui n'ont jamais connu la pers�cution des sorci�res, comme ce fut le cas au Moyen �ge dans l'ouest de l'Europe.
L'histoire wiccaine sacr�e attribue souvent la cr�ation de l'image satanique de la sorci�re aux inquisiteurs du Moyen �ge, lesquels l'auraient fabriqu�e pour pouvoir d�truire les vestiges de la religion pa�enne qui subsistait toujours. Le travail de Kononenko d�montre que ces croyances dans les pouvoirs sataniques des sorci�res existent ind�pendamment de l'organisation de grandes pers�cutions des sorci�res. De plus, des femmes ont �t� arbitrairement accus�es de sorcellerie par des hommes qui les avaient abus�es et qui voulaient justifier leurs abus de cette fa�on. Dans le contexte ukrainien, les croyances en la sorcellerie sont loin d'�tre l'id�ologie d'un lieu de pouvoir f�minin ; elles donnent une image macabre et sobre de la vie des femmes dans une soci�t� o� la croyance aux pouvoirs des sorciers et aux d�mons est omnipr�sente.
En d�pit du nombre grandissant de travaux sur le renouveau de la sorcellerie dans les pays anglophones, relativement peu d'�tudes ont �t� publi�es sur la sorcellerie francophone et sur son caract�re particulier. �ve Gaboury et Lucie Marie-Mai Dufresne apportent un �clairage sur le sujet dans leurs articles. Celui d'�ve Gaboury, " �cho d'une pr�sence : rencontre du troisi�me type avec des sorci�res modernes ", d�crit les pratiques de cercles f�ministes canadiens-fran�ais et pr�sente bri�vement une partie de leur liturgie. Elle conclut que l'attrait de la sorcellerie f�ministe repose autant sur son caract�re artistique et cr�atif que sur ses principes politiques et id�ologiques. Elle avance que les transformations de la figure de la sorci�re, une figure exclue par le paradigme dominant, en un h�ros culturel f�ministe repr�sente une renaissance de l'imaginaire f�minin. Mais comment peut se faire la traduction de la liturgie wiccaine de l'anglais vers le fran�ais ? Voil� la question que soul�ve Lucie Marie-Mai Dufresne dans son texte, " � la recherche des mots pour le vivre ", qu'elle a r�dig� � partir d'un travail men� aupr�s de sorci�res francophones de l'Ontario et du Qu�bec. Dufresne d�couvre que ces sorci�res pratiquent en anglais - peu surprenant quand on sait qu'il n'y a pas de publications wiccaines en fran�ais. Elle se demande s'il est possible de traduire la liturgie wiccaine en fran�ais pour que celle-ci corresponde � la vision du monde des francophones et, si non, dans quelles mesures les wiccains francophones pourront construire leur propre culte � partir du mat�riel ethnologique francophone.
Les r�flexions � propos des ph�nom�nes d'appropriation et de la notion d'h�ritage sont courantes dans le mouvement n�opaganiste et sont �galement le lieu de vives tensions dans les diff�rents groupes. Plusieurs traditions de sorcellerie sont hautement syncr�tiques, introduisant des �l�ments de nombreuses cultures traditionnelles, tant anciennes que modernes. Comme l'article de Anne Lafferty (dans ce num�ro) l'illustre, c'est particuli�rement le cas dans les r�gions multiculturelles de l'Am�rique du Nord contemporaine, o� les membres des cercles peuvent provenir de plusieurs cultures diff�rentes, chacun contribuant aux rituels du groupe avec des �l�ments de sa tradition familiale.
Mais on a aussi soulev� des questions dans la communaut� en ce qui concerne les implications �thiques de l'appropriation de faits culturels provenant d'autres cultures, particuli�rement dans le cas des cultures autochtones d'Am�rique, qui ont �t� exploit�es et d�truites par des int�r�ts commerciaux (Eller 1994 : 62-82). La r�action de plusieurs groupes a �t� de d�velopper un ensemble de traditions de culte uniquement � partir de l'h�ritage ethnique des membres du groupe. � l'extr�me, cette logique a men� � la cr�ation de traditions qui regroupent uniquement des participants qui poss�dent un m�me h�ritage particulier, donc � l'exclusion de ceux qui sont d'origine ethnique diff�rente - une tendance probl�matique et d�rangeante.
Comment les personnes qui adoptent une nouvelle religion peuvent-elles construire une continuit� entre leur pass� et leur pr�sent ? Qu'arrive-t-il � la tradition qui peut avoir marqu� de fa�on consid�rable l'identit� ethnique ou familiale, surtout lors d'occasions importantes sur le plan affectif ?
Les articles de Loretta Orion et d'Anne Lafferty analysent en d�tail la fa�on utilis�e par les croyants pour cr�er des liens entre les pratiques de leur nouvelle religion et leur pass� personnel. Le texte d'Orion, " Wise Circe's Culte of Nature ", traite d'une sorci�re italo-americaine, Lori Bruno, et de sa relation avec son anc�tre l�gendaire, le philosophe de la Renaissance Giordano Bruno, illustrant comment Lori Bruno a transform� la figure historique en un anc�tre personnel, en un symbole magique et en un objet de v�n�ration religieuse. Cette sorte de r�visionnisme historique et d'appropriation est typique de la fa�on dont les wiccains et les n�opa�ens cr�ent, transmettent et modifient leur tradition. Dans son article intitul� " How We Braid Our Lives Together with Our Ancestors ", Anne Lafferty analyse le processus par lequel trois femmes ont introduit des traditions de leur premi�re religion dans leur c�l�bration du Samhain (1er novembre), le sabbat durant lequel les sorci�res se souviennent des morts et les honorent. Plut�t que de rejeter les traditions de leur famille d'origine, les informatrices de Lafferty ont trouv� des mani�res explicites d'introduire celles-ci dans leurs pratiques wiccaines, leur attribuant un sens nouveau et diff�rent.
Comme celui de Lafferty, l'article de Kerry Noonan porte sur les rituels de c�l�bration du cycle calendaire. Dans son texte intitul� " May You Never Hunger : Religious Foodways in Dianic Witchcraft ", elle analyse les pratiques alimentaires des rituels publics d'une communaut� dianique de Los Angeles, rituels au cours desquels se tient un festin communautaire auquel tous les participants contribuent. En s'appuyant sur l'affirmation de Susan Starr Sered selon laquelle les religions de femmes sont toujours centr�es sur l'alimentation qui prend alors la forme d'un symbole sacr�, Noonan �tudie le symbolisme de genre qui est impliqu� dans les pratiques alimentaires des rituels et la fa�on dont les femmes des groupes dianiques exp�rimentent la pr�paration des aliments, tant comme une expression de leurs qualit�s nutritives que comme une incarnation des st�r�otypes du r�le f�minin. Les rituels alimentaires ne sont pas seulement une pratique �l�mentaire de subsistance, ils sont aussi une forme d'art, une performance qui incarne plusieurs aspects politiques de la sorcellerie dianique.
Les informatrices de Noonan commentent en profondeur l'esth�tique de la nourriture et la fa�on dont celle-ci peut renforcer et inverser les notions dominantes de f�minit�. L'article que je signe avec Holly Tannen, " The Real Old-Time Religion : Towards an Aesthetics of Neo-Pagan Song ", aborde �galement les questions d'esth�tique, mais cette fois en ce qui concerne les pratiques de musique wiccaines et n�opa�ennes. En l'absence d'un seul texte dominant ou d'un ensemble de croyances, les chansons peuvent vraiment servir � codifier et � diffuser une partie des principes de la culture traditionnelle wiccaine et n�opa�enne. Notre article d�crit plusieurs cat�gories de chansons, examine leur r�le dans les rituels wiccains et n�opa�ens et explique la fa�on dont les critiques �miques de la musique �clairent les zones de conflits et de tensions dans le mouvement. Nous souhaitons d�crire l'�mergence esth�tique de la chanson n�opa�enne, chanson qui est syncr�tique, participative, anti-autoritaire, romantique et centr�e sur la femme, refl�tant les valeurs de contre-culture du mouvement.

Plusieurs des auteurs qui ont contribu� � ce num�ro appartiennent � une tendance en plein d�veloppement dans les �tudes ethnologiques : l'ethnologie " autochtone ", l'ethnologie de l'int�rieur. La sorcellerie et le n�opaganisme sont caract�ris�s par la pr�sence massive dans les groupes d'ethnographes et de pratiquants tr�s critiques qui traversent facilement et constamment les fronti�res entre les cat�gories.
Ces sp�cialistes et ces critiques de l'int�rieur peuvent �tudier la tradition en m�me temps qu'ils sont activement engag�s dans la construction de celle-ci, � la fois m�l�s au ph�nom�ne et critiques face � ce dernier. Ces ethnographes sont accueillis avec enthousiasme par les anthropologues, mais dans l'�tude de la religion populaire, leur position demeure suspecte (Hufford 1995), surtout dans le cas de religions parall�les comme la sorcellerie et le n�opaganisme.
Il existe une pr�somption selon laquelle seule la position de sceptique d�sint�ress� convient � un ethnologue engag� dans l'�tude de la religion. Pourtant, le syst�me de r�f�rence des sceptiques d�sint�ress�s n'est rien d'autre qu'un autre syst�me de croyances : la croyance universitaire en un " ath�isme m�thodologique " (Hufford 1995 : 62-66). Comme Hufford, Wilson, Goldstein et Primano l'ont d�montr� (1995), la r�flexivit� savante dans l'�tude ethnologique de la religion n'est pas seulement possible, mais hautement efficace. La r�flexivit� " a relationship of identity between subject and object (un rapport identitaire entre sujet et objet) " (Hufford 1995 : 2), caract�rise plusieurs des textes pr�sent�s ici. En somme, ils prennent la forme d'une �valuation critique de la perspective d'�tude du n�opaganisme et du wicca, la recherche bas�e sur l'exp�rience venant enrichir la compr�hension des auteurs. D'autres encore font usage de la proximit� relationnelle entre l'ethnographe et le porteur de traditions pour engager un dialogue ethnographique (Lawless 1991).
Nous esp�rons que cette multitude de regards pourra illustrer la richesse, la complexit� et la pluralit� des perspectives, en m�me temps � l'int�rieur et � l'ext�rieur du mouvement, et stimuler la discussion et les nouvelles recherches

Notes
1. " Wicca " provient de l'ancien anglais wicca (masculin), wicce (f�minin), qui signifie sage ou sorcier. Plusieurs pr�f�rent ce terme parce qu'il est moins charg� de sens que " sorci�re ".
2. La Calfornia's New Wiccian Church, par exemple, conserve certains �l�ments des pratiques qui sont clairement associ�es au wicca de Gardner, bien que certains semblent le pr�c�der. (communication personnelle D. H. Frew et Allyn Wolf 1996).
3. La diffision de la stregheria est largement due � Raven Grimassi qui a combin� les �l�ments du culte de Gardner � un ensemble de traditions et de croyances italiennes dans son ouvrage intitul� Ways of the Strega (Llewellyn 1995).
4. Pour une revue de litt�rature tr�s compl�te, voir l'excellent article de Sarah Pike intitul� " Rationalizing the Margins " dans Lewis (dir.) 1996 : 353-372.
5. Les traditions �satr�es et odinistes sont courament cit�es en exemple comme des traditions qui limitent leurs pratiques � celles d'un seul groupe, soit les peuples nordiques ou les groupes du nord de l'Europe dans ce cas-ci. Ce ne sont toutefois pas tous les groupes nordiques qui suivent ces principes. Pour une �tude d�taill�e, voir, de Jeffrey Kaplan, " The Reconstruction of the �satr� and Odinist Traditions " dans Lewis (1996).


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