ACTUALITÉ DE MAI 68

 

« Dans l’état actuel de Paris, malgré l’invasion du macadam, le pavé reste toujours le véritable élément de la fortification passagère, à condition toutefois d’en faire un usage plus sérieux que par la passé ».

Auguste Blanqui

(Instructions pour une prise d‘armes) 1868-1869

 

Déjà dix ans... alors que de municipales en législatives, les travailleurs viennent d'être embrigadés pendant  des mois et des mois sur le terrain électoral par toutes les fractions du capital de l'extrème-droite à l'extrème-gauche, cet "anniversaire" n'est pas pour nous une occasion de jouer aux anciens combattants (description panoramique et en technicolor des journées de Mai-Juin) ou bien de nous pencher en exégètes critiques sur toutes les productions intellectuelles qui se rattachent à "l'Esprit de Mai" à travers le gauchisme et le modernisme. Nous laissons cela à d'autres, soit aux habitués des célébrations-enterrements, soit aux adeptes du contre-discours et de la révolte comme le "collectif des révoltes logiques" qui a publié un numéro spécial intitulé "Les Lauriers de Mai ou les chemins du pouvoir 1968-1978" (éd.. Solin, 1 rue des Fossés St Jacques, 75005 Paris) dans lequel il déclare: "Bref, dans notre regard sur la politique de gauche aujourd'hui, nous avons été superficiels, ou si l'on veut épidermiques. Car c'est peut-être dans la sensibilité des épidermes que nous gardons la plus grande confiance pour conserver dans le train-train des résignations réalistes ou le carnaval des subversions à la mode, un peu de ce qui a changé en 68".

Pour le P.I.C., il s'agit de tirer des leçons du Mouvement de Mai 68 visant à contribuer à une plus grande clarification politique par rapport à ce qui a pu être écrit précédemment dans d'autres circonstances et dans des revues ou journaux se situant alors sur des positions réellement communistes1. Des leçons sur les racines et les implications d'une telle explosion sociale, avec en particulier les problèmes de conscience et d'organisation lors des années qui suivirent jusqu'à aujourd'hui. Des leçons nécessaires pour intervenir au présent c'est-à-dire pour mener une pratique révolutionnaire au sein de la pratique générale du prolétariat... et pour essayer d'envisager l'avenir autrement que par pur empirisme. Il y a une actualité précise de Mai 68 et en ce sens, tout en nous gardant de prétendre à des analyses définitives, sources du dogmatisme et de l'élitisme, tout en sachant qu'au feu de la prochaine expérience de lutte d'envergure, nous devons nous dépasser et enrichir nos positions actuelles, nous refusons d'être "superficiels" et de ne faire confiance qu'à notre "épiderme". En effet, cela aboutit au nom d'un fétichisme de la spontanéité, caractéristique de tout ce qui a été les limites de la confusion du Mouvement de Mai, à nier le rôle de la conscience et de l'organisation !

 

RACINES ET IMPLICATIONS DU MOUVEMENT DE MAI 68

 

1- Racines

 

Mai 68, ce fut apparemment à son époque un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Certains révolutionnaires, comme nous l'avons déjà souligné par ailleurs2, cherchèrent alors, sans criante du ridicule, les racines du mouvement dans l'action exemplaire de quelques individus. Ainsi, R. Viénet écrivit dans son livre "Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations" (éd. Gallimard, oct. 68): "Le refus qui était déjà dans plusieurs pays, porté par de larges couches de la jeunesse, n'était encore signifié en France que par une frange minime de groupes avancés. On ne pouvait observer aucune tendance à la crise économique ni même politique. L'agitation déclenchée en janvier 1968 à Nanterre par quatre ou cinq révolutionnaires qui allaient constituer le groupe des Enragés, devait entraîner, sous cinq mois, une quasi liquidation de l'État...". "L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique, mais elle a tout au contraire contribué à créer une situation de crise dans l'économie. Ce qui a été attaqué de front en Mai, c'est l'économie capitaliste développée fonctionnant bien"! (souligné par nous).

Il est vrai que le Mouvement de Mai fut avant tout une explosion sociale avec tout ce que cela entraîne de surprenant, que les grèves et occupations qui s'étendirent à la plupart des usines, éclatèrent spontanément: Sud-Aviation à Nantes, Renault à Flins,..., au lendemain de la grande manifestation du 13 mai pourtant super-encadrée par les syndicats et surtout par la C.G.T.. Mais n'y avait-il pas pour autant des causes matérielles profondes, au-delà des simples constatations, qui expliquaient le surgissement et le développement de luttes touchant 10 millions de travailleurs. Pour trouver ces causes, il fallait dépasser les apparences car les choses ne peuvent marcher sur la tête et être produites par des désirs qui se prennent pour des réalités ou par une imagination qui se proclame au pouvoir!

Ainsi, depuis quelques mois, voire une année, des symptômes importants d'une détérioration de la situation économique du capitale français avaient fait leur apparition. Pour n'en citer que quelques unes: le nombre de chômeurs s'accroissait régulièrement (au début de 68, il était déjà de 500 000!) et les jeunes se trouvaient les premiers touchés; les salaires réels commençaient à baisser et les conditions générales d'existence des travailleurs subissaient les attaques préliminaires d'envergures de l'État capitaliste (ex: les Ordonnances de 67 sur la Sécurité Sociale). Et puis surtout, ces symptômes s'inscrivaient dans un contexte de difficultés économiques globales concernant le capital mondial; ce qui ne pouvait déboucher que sur une accélération de la détérioration en France même (interrelation plus grande qu'auparavant entre les divers capitalismes nationaux en concurrence), alors qu'elle occupait jusque là une place relativement privilégiée. Ces difficultés s'étaient manifestées en particulier fin 67 à travers la dévaluation de la Livre sterling et la mise au point d'un programme d'austérité en Angleterre (le gouvernement travailliste de Wilson avait promulgué entre autres le blocage des salaires et la réduction des importations). Début 68, l'administration Johnson était obligée de prendre des mesures draconiennes pour freiner l'inflation et le déficit croissant de la balance américaine des paiements car cela menaçait l'équilibre économique, mais ces mesures n'empêchèrent pas le dollar de connaître crise sur crise comme en mars 68 et d'être dévalué de fait. Partout dans  le monde retentissaient des exhortation qui nous sont aujourd'hui devenues familières: augmentation des exportations et restriction des importations (ce qui allait devenir les "Fabriquez et Achetez Français!"), réduction des dépenses et de la consommation (cela préfigurait les appels actuels à "l'Austérité", à "Faire des Sacrifices"!),... De plus, les conflits inter-impérialistes, terrains entre autre de l'écoulement d'une production d'armements massive qui avait été une des bases essentielles de la reconstruction capitaliste d'après-guerre, s'étaient intensifiés durant l'année 67: guerre du Vietnam, guerre des "six jours" au Moyen-Orient.

 

1.1- La première racine du mouvement était donc le début d’une crise économique mondiale du système capitaliste

 

La réapparition de la crise marquait la fin de la période de reconstruction qui durait depuis la 2° guerre mondiale ; le « boom » économique du capitalisme trouvait à nouveau ses limites dans la saturation croissante des marchés comme cela avait été le cas auparavant à partir de 1914 marquant historiquement l’entrée en décadence du système. En effet, les pays détruits (Europe et Japon) pendant la guerre qui avaient constitué le principal débouchés pour l'économie mondiale jusqu'au début des années 60, retrouvaient tous peu à peu des balances commerciales rééquilibrées ou excédentaires tandis que celle des États-unis allait être déficitaire en 68. Cela signifiait non pas une nouvelle phase d'expansion mais une exacerbation de la concurrence et une plongée dans la crise ouverte pour l'ensemble du capitalisme. La véritable guerre économique que se livrent aujourd'hui les grandes puissances à travers la baisse du dollar et la montée du protectionnisme, après les mesures Nixon de 71 et la hausse des prix du pétrole en 73, ne fait que confirmer le caractère mortel de cette crise inhérente au fonctionnement du système en entier (y compris les pays de l'Est de capitalisme d'État); mortel dans le sens où celui-ci pour essayer de s'en sortir ne peut qu'entraîner l'Humanité dans une guerre mondiale et donc dans un accroissement considérable de la Barbarie3. Le développement des rivalités inter-impérialistes depuis 67-68: Indochine, Moyen-Orient, Afrique, Océan Indien,..., témoigne de cet enfoncement du système dans une crise mortelle. Mais à la différence d'après 1929, le capitalisme a affaire à un prolétariat non vaincu, combatif et qui résiste à l'embrigadement. Cela provoque contre les tentatives de renforcement des blocs existants depuis Yalta, le phénomène que nous avons souligné de nombreuses fois: celui de l'effritement des blocs4, alimenté également par les tendances économiques (autarcie et sous-impérialisme) dues à l'approfondissement de la crise interne à chaque capital national. Et puis surtout, cela entraîne le passage du mécontentement des travailleurs aux réactions violentes de la classe ouvrière face à la détérioration de ses conditions d'existence. Il y a donc impossibilité pour le système d'aller à court terme vers la guerre généralisée par suite de l'absence des conditions idéologiques propices à un embrigadement: "Le capitalisme dispose de moins en moins de thèmes de mystification capables de mobiliser les masses et de les jeter dans le massacre. Le mythe russe s'écroule, le faux dilemme démocratie bourgeoise contre totalitarisme est bien usé. Dans ces conditions, la crise apparaît dés ses premières manifestations pour ce qu'elle est. Dés ses premiers symptômes, elle verra surgir dans tous les pays des réactions de plus en plus violentes des masses. Aussi, c'est parce qu'aujourd'hui la crise économique ne saurait se développer pleinement,, mais se transforme dés ses premiers indices en crise sociale, que cette dernière peut apparaître à certains comme indépendante, suspendue en quelque sorte en l'air, sans relation avec la situation économique qui cependant la conditionne. Pour bien saisir cette réalité, il ne faut évidemment pas l'observer avec des yeux d'enfant, et surtout ne pas rechercher la relation de cause à effet d'une façon étroite, immédiate et limitée à un plan local de pays et de secteurs isolés. C'est globalement, à l'échelle mondiale, qu'apparaissent clairement les fondements de la réalité et les déterminations ultimes de son évolution.; Vu ainsi, le mouvement des étudiants qui luttent dans toutes les villes du monde, apparaît dans sa signification profonde et sa limite. Si les combats des étudiants, en Mai, pouvaient servir comme détonateur du vaste mouvement des occupations d'usines, c'est parce que, avec toute leur spécificité propre, ils n'étaient que les signes avant-coureurs d'une situation s'aggravant au coeur de la société, c'est-à-dire dans la production et dans les rapports de production. Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation mondiale allant en se détériorant". Voilà ce qu'écrivait le groupe "Révolution Internationale" (n°2, ancienne série, fév. 69),... Il y a de quoi être surpris à la lecture de ses analyses actuelles dans lesquelles, sans pourtant que le prolétariat ait été battu et embrigadé à l'échelle mondiale depuis 68, on nous annonce que les blocs se renforcent effectivement, que les thèmes de mystification mobilisent les masses (ex: la croisade des droits de l'Homme de Carter), et qu'il y a reflux global des luttes ouvrières depuis quelques années. Les révolutionnaires ont parfaitement le droit de changer d'analyse s'ils estiment que la période s'est modifiée, mais il faut qu'ils le disent clairement. En effet, il est absurde de prétendre qu'il puisse y avoir à la fois "marche à la guerre mais cours vers la révolution" 'R.I. n°46, p.7) ! Si l'alternative générale à moyen ou long terme est toujours "Guerre ou Révolution", il y a à court terme une combativité ouvrière qui empêche la marche à la guerre et qui peut déboucher sur une phase révolutionnaire.

 

1.2- La deuxième racine du mouvement de mai fut la reprise d’une lutte de classe généralisée à l’échelle de la planète

 

Le mécontentement face à la détérioration se concentra d’abord dans le secteur étudiant : luttes à Berkeley en 64, des Provos hollandais en 65-66, du S.D.S. de Rudi Duchtske à Berlin en 67 ou de la Zen-Ga-Kuren au Japon,… ; au-delà d’un certain type de politisation dû aux groupes gauchistes (« anti-impérialisme » par rapport à l’intervention américaine au Vietnam qui fut à l’origine de la formation du « Mouvement du 22 mars » à Nanterre et qui avait animé auparavant l’U.N.E.F. vis-à-vis de la guerre d’Algérie), c’était l’arrivée des générations de l’après-guerre (décollage démographique postérieur à 1945) sur un marché du travail saturé, qui expliquait les divers remous universitaires donc une des principales revendications se trouvait être la « réforme de l’enseignement supérieur » en vue d’ouvrir de nouveaux débouchés à l’issue des examens. D. Cohn-Bendit le dit très clairement dans son livre "Le Gauchisme? remède à la maladie sénile du communisme" (p.32-33): "Il est ridicule d'employer le terme de "guérilla culturelle" pour qualifier l'agitation qui règne à Nanterre depuis le début de l'année scolaire 1967-68. Au premier trimestre de cette année "historique", une grève déclanchée sans le traditionnel encadrement politique ou syndical, regroupe 10 000 des 12 000 étudiants sur des problèmes d'amélioration des conditions de travail. Sanctifiée de "grève modèle" par le Figaro, elle n'était en fait que la conséquence de la surpopulation de la faculté. Ce malaise créé était accentué par l'instabilité due à la mise en place définitive de la réforme de l'enseignement supérieur. Des changements complexes dans l'organisation des études nécessitaient des équivalences ou des non-équivalences arbitraires qui décontenançaient les "bons" étudiants eux-mêmes". Le mécontentement existait aussi dans le secteur ouvrier en France depuis la fin de son dévoiement autour des thèmes de la décolonisation (guerre d'Algérie et accords d'Evian en 1962 aboutissant à la paix et à l'indépendance pour l'Algérie). Sa première manifestation avait été la grande grève des mineurs en 63, puis un nombre important de grèves revendicatives s'étaient déclanchées en 66-67 mais les syndicats -surtout la C.G.T.- gardaient un contrôle rigoureux sur le déroulement de ces conflits. La poussée de la Gauche aux élections législatives de 67 (manque de quelques sièges pour avoir la majorité à l'Assemblée Nationale) témoignait de façon déformée de ce mécontentement et du discrédit croissant du pouvoir gaulliste en place.

Après Mai 68, les luttes "étudiantes" se poursuivirent en changeant de caractère et en entraînant la radicalisation croissante d'une frange d'étudiants: en effet, de Mexico en septembre 68 à l'Italie au printemps 77, leurs objectifs généraux glissèrent peu à peu de l'espoir d'une réforme au désespoir de la mise au chômage et de la marginalisation ("emarginati"). Le "mouvement étudiant" proprement dit avait vécu car après avoir servi de détonateur aux luttes sociales, il avait cédé la place au nouveau mouvement ouvrier !

Ainsi, au niveau mondial, dans les pays dits "industrialisés", à l'Est ou à l'Ouest (Italie 69 et 72, Espagne 71 et 75-76, Angleterre 72 et 74, Pologne 70 et 76, Portugal 74-75,...), comme dans ceux appelés "sous-développés" (Pérou 75 et 77, Égypte 71-72 puis 75 et 77, Afrique du Sud 76, Tunisie 78,...), et y compris en Chine depuis l'officielle "révolution culturelle" de 66-67, le mécontentement grandissant des travailleurs s'est transformé souvent en "explosions sociales" et les affrontement qui eurent lieu avec l'État ainsi qu'avec ses organes (partis, syndicats) traduisirent l'élan combatif régénéré du prolétariat après 50 ans de contre-révolution. Les grèves actuelles aux États-unis (mineurs) et en Allemagne de l'Ouest (métallos, typos,...) participent de cette reprise et sont peut-être encore plus significatives car elles témoignent d'une vitalité de la classe ouvrière au coeur même des capitalismes les plus développés et dans lesquels les théoriciens modernistes, type Marcuse, prétendaient qu'elle était définitivement intégrée. Évidemment, beaucoup de ces luttes, comme ce fut en particulier le cas en France depuis 68 (Joint Français en 72, Lip en 73, Banques P.T.T. en 74,..., Michelin en 77), sont restées globalement sur le terrain revendicatif5 et ont donc été récupérées assez aisément par les syndicats. Peu parmi même les luttes les plus avancées ont débouché, à l'image des grèves en Pologne, sur l'expression d'une conscience de classe radicale et sur l'apparition d'organisations autonomes du genre Comités anti-syndicaux ou Conseils. Le saut qualitatif pour se hisser à un niveau entièrement politique et pour occuper enfin la scène historique comme classe révolutionnaire est encore à accomplir pour la grande majorité du prolétariat mondial. En conséquence, il est clair que nous ne sommes pas dans une période pré-révolutionnaire où d'importants secteurs ouvriers commenceraient à poser consciemment la destruction du système capitaliste, l'abolition du salariat et de l'économie marchande. Pour cela, à l'issue de cette phase historique de dix ans depuis 68, et surtout à cause de l'apathie relative qui s'est installée dans la classe à partit des retombées effectives (75-76) de la "crise pétrolière" (rejet du poids essentiel des difficultés économiques par les E.U. sur l'Europe), on peut parler de "stagnation des luttes" à un certain niveau que le prolétariat n'arrive pas à dépasser. Mais le fait que les luttes continuent à exister sinon à s'intensifier sur le plan revendicatif, empêche qu'il soit question comme certains de parler de "reflux des luttes" depuis 72, voire de "marche à la guerre" ! En effet, comme le disait P. Mattick dans un texte-critique des théories de Martchse6: "Les limites de l'intégration: l'homme unidimensionnel dans la société de classe" (1969): "Sans doute les raisons ne manquent pas de penser que rien n'ébranlera les masses laborieuses, qu'elles préfèrent la misère à la lutte contre le système qui en est la cause. Mais l'absence de conscience révolutionnaire ne signifie pas l'absence de lucidité. Il est par conséquent beaucoup plus vraisemblable que la classe ouvrière n'acceptera pas à l'infini le destin que le système capitaliste lui réserve; un point de rupture peut être atteint, à partir duquel la conscience de classe viendra s'uni à la lucidité. L'apparition d'une volonté révolutionnaire, le passage à l'action autonome, ne seront pas forcément précédés d'une longue période d'opposition résolue, de tous les instants. Apathique dans certaines conditions, la classe ouvrière peut se révolter dans d'autres. Et parce qu'elle est vouée à souffrir plus que les autres classes sociales des graves à-coups de la production de capital et des entreprises guerrières de la classe dirigeante, elle sera selon toute probabilité la première à briser avec l'idéologie unidimensionnelle inhérente au règne du capital".

Ainsi, en dépit de leur erreur consistant à nier toute tendance à une crise économique mondiale du système capitaliste, au-delà de leur triomphalisme reposant sur le volontarisme, souvent proche du substitutisme, de leurs actes exemplaires et transparaissant à travers un langage typique d'une subjectivité mal dégagée du surréalisme, les situationnistes avaient raison de proclamer que Mai 68 marquait: "Le commencement d'une époque": "Le mouvement des occupations, c'était le retour soudain du prolétariat comme classe historique, élargi à une majorité de salariés de la société moderne, et tendant toujours à l'abolition effective des classes et du salariat. Ce mouvement était la redécouverte de l'histoire, à la fois collective et individuelle, le sens de l'intervention possible sur l'histoire et le sens de l'évènement irréversible, avec le sentiment que "rien ne serait plus comme avant"" ("Internationale Situationniste" n°12, sept. 69). Ayant énoncé cette vérité, il ne leur restait plus qu'à disparaître car ils se révélèrent incapables de dépasser leurs limites théoriques par rapport justement à la nouvelle époque qui s'ouvrait. A l'image de leurs disciples (pro et péri-situationnsites), ils se cantonnèrent dans le bavardage et le rabâchage: c'est ce que vint confirmer le film de G. Debord sur son bouquin "La Société du Spectacle" (cf. J.T. n°2).Comment ce début de crise économique et de mécontentement social allait-il cependant déboucher en France sur une explosion du type de celle de Mai 68 ? Quel fut l'élément décisif qui entraîna l'éclatement d'un tel mouvement ?

 

1.3- La troisième racine du mouvement de mai est à chercher dans l'usure des fractions politiques et la crise du pouvoir d'État

 

De Gaulle qui était arrivé au pouvoir grâce à des circonstances extérieures en 1958 (émeute et prise du pouvoir de l'armée à Alger) pour résoudre les problèmes de décolonisation que la bourgeoisie française n'arrivait pas à régler, se montra incapable au fil des années, en dépit de la mise au point d'une constitution renforçant le pouvoir exécutif (rôle fondamental du président et la république), de restructurer l'État capitaliste du point de vue économique et social comme il avait pu le faire avec les fractions de Gauche à la "Libération" (par exemple les nationalisations, la sécurité sociale, les comités d'entreprise,...). Face au mécontentement croissant, il ne proposait qu'une politique extérieure de prestige (place du capital français dans le monde). Aussi en Mai 68, il commit une double erreur:

- faire donner la répression policière au lieu d'essayer de négocier comme le fera Pompidou par la suite lorsqu'il prendra la situation en mains; cela entraîna une extension des évènements (thème de la solidarité) et favorisa le déferlement du mécontentement.

- tabler sur un pourrissement de la situation sans offrir de perspectives réelles autres que la menace du bâton; ceci créa en conséquence un vide politique, une faillite du gouvernement ébranlant les structures étatiques, que l'appel de De Gaulle au référendum du 24 mai (arme classique qu'il utilisait depuis 1958 pour faire plébisciter ses choix) ne put cette fois combler.

Le Mouvement profita de ce vide et il fallut d'une part les accords de Grenelle entre Pompidou et les syndicats (27 mai) tandis que le général avait "disparu" à Baden-Baden auprès de Massu pour voir s'il avait l'appui de l'armée, d'autre part la dissolution de la Chambre des députés et l'appel aux élections bien entendu repris par les partis de Gauche (30 mai), pour arriver à en briser l'élan.

La meilleurs preuve de cette érosion du pouvoir fut le renversement de De Gaulle l'année suivant (69) par l'alliance des "Non" entre les fractions de Gauche et une partie des fractions de Droite de la bourgeoisie. Face à des projets inconsistants de régionalisation et de participation, le capital national, aiguillonné par la crise et prenant de plus en plus conscience du danger social, essaya en s'appuyant encore sur ses fractions de Droite mais "modernistes" de replâtrer l'édifice étatique défaillant par d'autres moyens: "Nouvelle Société de Chaban-Delmas sous Pompidou, puis "Libéralisme Avancé" de Giscard d'Estaing à partir de 74. C'était urgent. Giscard ne déclarait-il pas en oct. 74 lors de sa première conférence de presse: "Le monde est malheureux... parce qu'il ne sait pas où il va et parce qu'il devine que, s'il le savait, ce serait pour découvrir qu'il va à la catastrophe". Rêvant d'Union Nationale, le capital ne parvient essentiellement qu'à renforcer son arsenal répressif sur les plans policier et juridique (loi anti-casseurs avec Marcellin, opérations "coups de poing" avec Poniatowski,...) et qu'à assurer une stabilité institutionnelle (continuation de la V° République et consolidation des pouvoirs de l'exécutif).

Mais au fur et à mesure qu'il se rendait compte des dimensions de la crise mondiale et de ses répercussions en France, le système buta sur la recherche d'une crédibilité de son équipe de rechange, la Gauche, sans laquelle les plans d'austérité, à l'image du plan Barre, risquaient d'être remis en cause. Il fallait une idéologie susceptible de dégager un consensus social.

2- Implications

 

En effet, vu le caractère draconien des mesures à prendre pour éviter de sombrer dans la crise, un problème essentiel se posait : l’acceptation par le prolétariat de se serrer la ceinture. La difficulté était immense car il fallait avant tout l'empêcher de réagir comme en Mai 68 et réduite peu à peu sa combativité. Seule la Gauche, forte de son expérience historique (Juin 36, "Libération"), semblait à même de jouer ce rôle d'embrigadement idéologique de la classe ouvrière et de dévoiement de ses luttes pour permettre une restructuration effective de l'État capitaliste.

 

2.1- La première implication du mouvement de mai apparut donc à travers la poussée relative de la gauche du capital vers le pouvoir d’État

 

Ainsi, le Parti Socialiste réémergea du « néant » dans lequel il était tombé (5% des voix pour la candidature Defferre/Mendès aux élections présidentielles de 69) à partir de son congrès d’Épinay (69) et de sa prise en mains par Mitterrand, celui qui avait déjà été le « candidat unique »   de la Gauche en 65 et qui avait mis De Gaulle en ballottage.

Ainsi, le "Programme Commun de Gouvernement" fut rédigé et signé en 72.

Ainsi, le Parti "Communiste" commença à pratiquer une politique d'ouverture en abandonnant ses vieux réflexes staliniens comme le P.S. avait laissé les défroques usées de la S.F.I.O.. Ce furent par exemple les thèmes d'"Union du Peuple de France" ou la mise au placard de la "Dictature du Prolétariat" lors de son XXII° Congrès en 76, sans parler par la suite de son ralliement à la "Force de frappe" ou à l'"Autogestion" dans la perspective des législatives de 78. Il se posa en futur "gestionnaire loyal du capital national": "Les ouvriers travailleraient d'avantage s'ils avaient un gouvernement dans lequel ils ont confiance" (Marchais).

Tout cela se traduisit au fil des diverses échéances électorales par des résultats prometteurs pour aboutir à une future majorité de Gauche: que ce soit avec les législatives de 73 ou les présidentielles de 74, puis avec les cantonales et les municipales en 76 et 77.

En liaison avec ce processus de rénovation des partis de Gauche, le temps que se dissipe la "fièvre de Mai", la carcan syndical se remit peu à peu en place dans les entreprises et lors des grèves. L'encadrement du prolétariat redevint une réalité parfaite malgré quelques accrocs et les journées d'action-bidon de 24h (7 oct. 76, 24 mai et 1et déc. 77) s'articulèrent avec "d'autres formes de luttes" tout aussi bidons par laisser échapper la vapeur et tout en servant de soupape de sécurité, pour prévenir de possibles explosions de colère et endormir la combativité ouvrière.

Cette poussée de la Gauche eut lieu à l'échelle mondiale et particulièrement en Europe. Après l'expérience du Chili où 3 ans du gouvernement d'"Unité Populaire" du "socialiste "Allende" et du "communiste" Corvalan avaient permis au capital de ce pays de désarmer politiquement le prolétariat et de le livrer pieds et poings liés à la répression féroce de la dictature militaro-politique de Pinochet, il apparaissait que le système allait jouer pleinement sa carte de Gauche pour mystifier la classe ouvrière internationale7. La fin des vieux régimes "fascistes" de Salazar et de Franco déboucha en effet soit sur un gouvernement de Gauche (P.C. puis P.S.) avec l'aide de l'armée (M.F.A.) au Portugal, soit sur une transition démocratique (sous une forme monarchique) avec une emprise grandissante des partis de Gauche et des syndicats (P.S.O.E., P.C. et Commissions Ouvrières, "renaissance" de la C.N.T. anarcho-syndicaliste) en Espagne. De plus, face à la décomposition accéléré de l'appareil d'État en Italie, le P.C. de ce pays s'affirmait d'année en année comme le grand parti "garant de l'Ordre"8 et marchait d'un pas sûr et tranquille ers le "Compromis historique" avec la Démocratie-Chrétienne.

Cependant la poussée en question ne donna pas de résultats comme dans les années 30 (Fronts Populaires). En effet, la Gauche connut des revers et subit elle aussi l'usure de la crise, soit en étant au pouvoir (renversement du gouvernement de Palme en Suède où les socialistes tenaient les rênes de l'État depuis 40 ans, minorisation des gouvernements travaillistes de Callaghan en Angleterre, sociaux-démocrates de Schmidt en Allemagne ou de Soarès au Portugal, ayant besoin de l'appui d'une partie des fractions de Droite), soit même en restant dans l'opposition (division du P.S. et du P.C. en France et mort du "Programme Commun, nouvel échec aux élections).

Il y a deux explications à ce que l'on peut appeler la faillite et l'usure, ou du moins la carence dans certains cas, des équipes de Gauche de relève pour la gestion du Capital.

D'abord, la nécessité d'une Union Nationale entre toutes les fractions de Droite ou de Gauche pour contrebalancer les phénomènes de minorisation ou de division dus à l'intensité de la crise.

Ensuite, la résistance -parfois faible (proche de l'inertie)- mais globalement positive jusqu'à maintenant du prolétariat aux thèmes d'embrigadement idéologique mais en avant traditionnellement par la Gauche du Capital (résistance aidée, nous l'avons vu précédemment, par l'usure de ces thèmes de mobilisation: disparition du mythe de la Russie comme "paradis socialiste" donc l'intervention armée en Tchécoslovaquie (août 68) avait une nouvelle fois sonné le glas, ébranlement de la "défense du monde libre" et de toutes les illusions démocratiques que la "croisade des droits de l'homme" de Carter ou la propagande "anti-terroriste" ne parviennent à redorer,...).

En effet, malgré la stagnation des luttes sur le terrain revendicatif, malgré le renforcement du carcan syndical, la combativité ouvrière reste intacte et indéniable.

Le capital a eu donc, et continue d'avoir besoin de "nouveaux" thèmes de mystification brandis par des forces "nouvelles", distinctes mais complémentaires de la Gauche, ou bien susceptibles de semer la confusion propice à l'atomisation et au fleurissement de l'individualisme.

 

2.2- La deuxième implication du mouvement de mai se révèle par le développement significatif et multiforme du gauchisme comme du modernisme

 

« Si nous voulons une transformation de la société, nous devrions commencer à transformer quelque chose. En Allemagne, ce « quelque chose » fut d’abord la vie de tous les jours et les rapports sociaux. D’où les nombreuses communautés et ce que l’on appelle ici le contre-milieu gauchiste. Qu’est-ce-ce que c’est, changer les rapports sociaux ? En général, un groupe, un collectif, une cellule discutent dans les réunions de leur intervention politique dans un meeting, d’une action dans un quartier, d’une stratégie révolutionnaire. Mais tout ce qui se passe dans la vie quotidienne, les problèmes qui se posent dans le travail, dans les rapports aux autres, ne sont pas discutés collectivement comme s’il s’agissait là de problèmes mineurs. L’échec des groupes politiques qui prônent « l’idéal militant » au service du peuple montre qu’il n’y a de révolution que de désir » D. Cohn-Bendit (« Le Grand Bazar », chap. « La douceur de vivre », éd. Belfond, 75).

Il apparaît clairement qu'avec l'usure des thèmes traditionnels de Gauche, le mécontentement social n'a pu être canalisé sous la bannière exclusive du "Programme Commun" (cf. les moins de 46%, au-dessous de la Droite, lors du 1er tout des élections législatives de mars 78. Il était donc nécessaire pour le capital de produire des idéologies complémentaires vis-à-vis de la Gauche ou tout au moins susceptibles d'entretenir une confusion suffisante au dévoiement du prolétariat de son terrain de classe.

Ainsi, au lendemain de Mai 68, les gauchistes qui avaient scandé "élections, piège à cons !", "élections, trahison !" dans la rue, se mirent très rapidement à utiliser les campagnes électorales suivantes comme une "tribune parlementaire" (cf. la candidature de Krivine aux présidentielles de 69), puis appelèrent dans la foulée à voter pour la Gauche au 2° tour (municipales de 71). Leurs différences, en fait uniquement verbales et tactiques avec cette dernière, qui avaient fait illusion pendant les évènements, laissèrent peu à peu la place au "soutien critique", voire au soutien "tout court" pratiqué quotidiennement et à chaque échéance électorale suivante. Les gauchistes se révélèrent donc pleinement comme étant les "rabatteurs de la Gauche" par rapport aux ouvriers combatifs ayant commencé à se détacher de celle-ci. La fameuse déclaration d'Arlette Laguiller (élections de 74) en est resté l'expression la plus claire: "nous avons réconcilié avec la Gauche des milliers de travailleurs qui avaient perdu confiance". Quant à Cohn-Bendit, son passage du refus des élections en 68 au soutien à Mitterrand en 74 symbolise parfaitement la trajectoire gauchiste, ainsi que les élucubrations contenues dans son livre "Le Grand Bazar" qui reflètent toutes les couleurs de l'arc-en-ciel confusionniste.

Ce serait trop long, trop fastidieux et finalement peu intéressant de parler de toutes les facettes du rôle joué par ce qu'il faut appeler très clairement l'extrème-Gauche du Capital depuis 10 ans ! Il suffit de prendre deux exemples. D'abord, l'aide apportée par tous les gauchistes, au nom de la "démocratie syndicale", à la consolidation des appareils étatiques et capitalistes que sont la C.G.T., la C.F.D.T., voire F.O. et autres, et cela après avoir tenté de contrôler puis de faire durer des organes produits par la lutte et dépassant les syndicats, tels que les Comités d'Action. Ensuite, toutes les campagnes de soutien aux "luttes de Libération Nationale" propulsées par l'ensemble des tendances confondues (trotskistes, maoïstes, anarchistes,...) au sein d'organisations frontistes du type F.S.I. (Front de Solidarité Indochine) qui contribuèrent à répandre le nationalisme, sous couvert d'"anti-impérialisme", au sein de la classe ouvrière et à envoyer celle-ci au massacre dans les pays concernés par ces luttes nationales (Indochine: Vietnam, Cambodge; Moyen-Orient: Palestine et pays arabes; Afrique: Angola, Éthiopie,...la liste serait trop longue !!!). Et nous ne développerons pas non plus ce qui est la "tarte à la crème" des diverses variantes léninistes du gauchisme depuis Mai 68: c'est-à-dire la construction du "véritable Parti Révolutionnaire" car ce parti, s'il voyait le jour, ne saurait être que la contrefaçon du "grand aîné" à savoir le P.C.F.. En effet, tous les ingrédients en sont les mêmes: parti "de masse", centralisme démocratique, cellules d'entreprise, syndicats courroies de transmission, dirigisme, substitutisme, programme capitaliste d'État, etc., etc...

Le gauchisme s'est donc développé de façon significative comme béquille pour la Gauche: les résultats qu'il a obtenu au 1er tout des élections, en dépit de l'enjeu, viennent encore de la confirmer (près de 4%). Cependant, avec l'approfondissement de la crise, il s'est lui-aussi usé (nivellement de ses "différences" avec la Gauche) et il a subi soit des mutations, soit des pertes qui ont constitué à part d'autres sources de confusion et de dévoiement pour les luttes ouvrières. En effet, avec la stagnation des luttes, les théories de l'intégration du prolétariat au système capitaliste -plus ou moins dans la lignée de Marcuse-, ont commencé à refleurir et elles ont eu trois résultats:

- La transformation de certaines tendances gauchistes en groupes activistes, puis terroristes, qui veulent "réveiller le prolétariat" en montrant l'exemple face à ce qu'ils nomment "la fascisation des États démocratiques". L'exemple de la "Gauche Prolétarienne" en France après l'affaire Overney, fut un des plus nets; les "N.A.P.A.P." (Noyaux Armés Pour l'Autonomie Populaire) ou tout autre groupe s'auto-qualifiant d'"autonome", charrient aujourd'hui tous les thèmes contre-révolutionnaires mis en application par la "Bande à Baader" (R.A.F.) en Allemagne ou par les "Brigades Rouges" en Italie: substitutisme, fétichisme de la violence, nationalisme,...

- La marginalisation d'une partie importante des contingents gauchistes fatigués par le militantisme jacobin (division des tâches, activisme,...) et déroutés par l'évolution confuse de leurs divers groupes ou le ralliement à la Gauche par le biais d'un soutien plus ou moins critique. Cela va de la tendance aux "communautés" en tous genres, y compris bien sûr les agricoles réalisant le thème du "retour à la terre", jusqu'aux adeptes de sectes religieuses "nouvelles" ou en restauration (de la kyrielle des bouddhismes à Haré Krishna ou Jésus-Freak) en passant par les non-violents ou ceux qui tombent dans la drogue dure (au-delà du Joint !). Il y a dans tout ça un abandon pur et simple de toute perspective révolutionnaire et un retour au néant (résurgence du nihilisme) ou du moins un repliement sur soi-même (cf. "Je suis un autarcique"). La tendance "punk" (pourrie), au-delà de ses aspects récupérés par le système sous forme de mode, reflète également cette marginalisation mais en y ajoutant une note supplémentaire dans le dégoût social et le désespoir. Cela est dangereux car toute révolte uniquement viscérale si elle prend un caractère de masse, et avec l'accroissement du chômage cela est possible, peut servir d'embryon à des solutions capitalistes totalitaires comme le fut le fascisme.

- L'apparition de thèmes modernistes déplaçant les objectifs de luttes du terrain ouvrier à une quantité de secteurs dits de contestation du système. Que ce soit les écologistes visant à rassembler tous les mécontents de la pollution comme de l'énergie nucléaire, ou bien les féministes et les homosexuels revendiquant leurs spécificités et leurs "droits" dans le cadre du capitalisme, ou encore les squatters et les prisonniers voulant réaménager l'espace existant à travers une critique partielle de l'urbanisme et de l'univers pénitentiaire,... et sans parler de tous les autogestionnaires de la vie quotidienne ! Toutes ces luttes parcellaires n'attaquent non seulement pas le capital mais pire elles lui permettent de s'aménager en gommant les abus trop flagrants de son fonctionnement, de se restructurer sur le plan des superstructures en reprenant à son compte les idéologies marginales produites et en s'en servant comme nouvel écran mystificateur. A cet égard, toute la merde idéologique des "Nouveaux Philosophes" (ces anciens maoïstes-staliniens en mal de "paradis chinois" !), remettant au goût du jour les thèmes démocratiques "anti-répression" charriés un moment par le "Secours Rouge" mais cette fois-ci dirigés essentiellement contre les pays de l'Est et la Chine, en faveur des "dissidents" témoigne de la façon dont peut s'opérer la récupération.

En fait, au-delà du caractère parcellaire de ces luttes, la confusion répandue par les thèmes à la mode vis-à-vis des aspects totalitaires et concentrationnaires du capital (tendance au capitalisme d'État), provient du rôle réducteur et simplificateur joué par les spécialistes de la sociologie et de la psychologie, ainsi que de leurs prolongements du type structuralisme ou psychanalyse. Tous les écrits et discours de Messieurs Foucault, Deleuze, Lacan, Guattari, Barthes, Althusser ou autres "Gourous", qui se présentent tous comme des contre et anti/discours ou écrits et donc comme des moyens de dépasser une situation objective (suprême ruse de la pensée non-dialectique !), ne sont en réalité que les ultimes mystifications de la survie d'une système décadent en lui offrant un miroir pour se refaire la façade.

Toutes ces divisions artificielles produites par le capital, ces tendances à l'atomisation, cette confusion généralisée, pèsent d'un poids très lourd sur les secteurs combatifs de la classe ouvrière et sur les jeunes générations qui éprouvent déjà beaucoup de mal à se défaire des projets contre-révolutionnaires "classiques" de la Gauche ou de l'extrème-Gauche du capital. Elles sont un handicap supplémentaire et expliquent en partie le niveau auquel stagnent actuellement les luttes ouvrières, tout en soulignant les limites et les immenses faiblesses du Mouvement de Mai9.

(Fin de la partie de cet article paru dans Jeune Taupe n°20, la partie suivant est parue dans le n°21).

"COHN-BENDIT, QUI EST-CE ?" (G. Seguy)

Avant d'aborder la dernière partie des leçons sur les racines et les implications de l'explosion sociale que fut Mai 68, il est nécessaire de réfléchir une instant sur la vaste récupération que tente d'opérer le système capitaliste vis-à-vis de tous les aspects et thèmes du Mouvement qui l'a ébranlé.

Déjà, dans les mois, voire les premières années qui suivirent "l'évènement", diverses méthodes de récupération avaient largement été utilisées. Cependant, cette fois-ci, dix ans après, en profitant de l'occasion offerte par cet "anniversaire", le rouleau-compresseur de la normalité bourgeoise s'est mis en marche. Les mass-média dans leur ensemble (télévision, radio, presse,...) se sont mobilisés pour "donner la parole" à tous les représentants des forces contre-révolutionnaires. Ces canailles ne s'en privent pas ! Elles y vont chacune de leurs petits couplets, témoignages, analyses, révélations "inédites", souvenirs attendris,..., afin de dissimuler la vraie nature de Mai 68 sous un flot de mensonges ou bien de la noyer dans une confusion généralisée. Les émissions, interviews, articles, recueils d'affiches et de photos, films, débats, livres, etc..., se seront succédés et accumulés à la cadence d'une production marchande canalisant les besoins et donc la demande de consommation. Nous avons assisté à l'érection d'une véritable tour de Babel par les fractions capitalistes, de l'extrème-droite à l'extrème-gauche, dans le but de conjurer l'immense trouille que leur a collé le spectre de la reprise globale de la lutte de classe.

Rien n'a arrêté les partis, syndicats, gauchistes et autres sociologues ou "nouveaux philosophes" -tous détenteurs en leur ciboire de ce qu'ils appellent "l'Esprit de Mai" (dixit l'ex-gaullo-maoïste M. Clavel !)- dans leur oeuvre de consolidation du système. Ils ont déversé à pleins tombereaux leur merde idéologique pour contribuer au replâtrage de l'édifice dans le sens de la paix sociale, de la restructuration de l'État capitaliste et de la défense de l'économie nationale (la situation actuelle en Italie avec l'Union Nationale réalisée grâce à l'anti-terrorisme à propos de l'affaire Moro, les a d'ailleurs particulièrement aidés pour remplir ce sale boulot).

Un des points culminants de ce travail de récupération a été atteint par le biais de l'unanimité exprimée (à part le ministre de l'intérieur C. Bonnet) sur le cas du retour en France de D. Cohn-Bendit. Avec l'aide de ce dernier qui avait écrit pour plaider en sa faveur à tout ce que le capital national compte de sommités: des syndicats à R. Aron, une touchante entente s'est faite, en effet, pour réclamer l'abrogation de la mesure d'expulsion qui le frappe depuis Mai 68. Ainsi, de G. Seguy qualifié "d'un des représentants des forces démocratiques" par Cohn-Bendit dans la lettre qu'il lui avait envoyée (où sont passées les "crapules staliniennes" ?), à M. Droit regrettant presque d'avoir employé la formule "ce petit boche joufflu et bedonnant", en passant par A. Glucksmann qui réclame le "droit au sol natal" pour un enfant de Montauban (!) ou par M. Debré, voire par l'ancien préfet de police M. Grimaud, tous ces pantins sont tombés d'accord pour que celui qui reste, à tort, un "bouc émissaire" puisse revenir dans "notre douce France" afin de "revoir ses copains"... et pourquoi pas de reprendre ses études interrompues de sociologie à la faculté de Nanterre !?

Pour clore cet avant-propos, nous citerons le début de l'un des rares ouvrages parus récemment et qui essaye de s'opposer à la vague de récupération. C'est le livre de J. Baynac intitulé "Mai Retrouvé" (éd. R. Laffont) donc nous conseillons la lecture. Bien que sa première partie sur le mouvement étudiant soit la plupart du temps plutôt du domaine du western à la Sergio Leone que de la réflexion politique, il faut souligner le grand intérêt de la deuxième partie: "l'alliage travailleurs-étudiants". En effet, celle-ci traite avec sérieux de ce que fut l'action réelle et méconnue du Comité d'Action Travailleurs-Etudiants installé à la faculté de Censier, du Comité Inter-Entreprises regroupant les Comités d'Action ou de Base de plusieurs entreprises, à l'image des Comités de Base Rhône-Poulenc à Vitry. Elle parle également du rôle non négligeable joué dans cette action par les quelques éléments véritablement communistes de l'époque autour de La Vieille Taupe, du G.L.A.T. ou des Cahiers de Mai:

"Sur les pavés, la page... "L'Histoire de la Commune a été escamotée", dit Michelet pour la Révolution française. "L'Histoire de la Commune été fabriquée par des escamoteurs" renchérit Lissagaray pour 1871. De ce que certains ont appelé la Commune étudiante de Mai 1968, on pourrait dire de même si un siècle de développement économique n'avait considérablement modifié la forme de l'escamotage. "La consommation du mouvement de mai montre avec précision le stade répressif actuel: dans le passé on étouffait la liberté de parole par la censure, aujourd'hui par la prolifération massive d'ouvrages" constate un tract (signé "les amis de Bernstein, non daté, été 68). La fonction de l'escamotage, elle, n'a toutefois pas beaucoup varié et c'est ce qu'affirme un autre tract qui accuse les "pisse-copie" de vouloir "rejeter ainsi un soulèvement aussi inquiétant et l'écraser sous une pile de bouquins" (signé "Groupe d'intervention antifasciste" et "Comité Révolutionnaire d'Agitation Culturelle", non daté, été 68). Et certes, que l'on n'entende rien à l'évènement par pénurie de parole ou qu'on soit assourdi par abondance de verbe, le résultat est le même: le sens est enseveli" (cf. "Mai Retrouvé").

2.3- La troisième et essentielle implication du mouvement de mai fut le surgissement et l'amorce de développement de pôles communistes d'intervention et de clarification au sein du prolétariat.

 

Rappel d'une évolution:

 

Nous avons souligné il y a presque trois ans10 comment ont surgi à travers diverses décantations les multiples tentatives de constituer des pôles communistes dans les années qui suivirent Mai 68.

Il suffit donc de rappeler les deux exigences fondamentales à laquelle répondaient ces tentatives:

- "La "retombée" des luttes en France et la confusion politique (cf. l'activisme gauchiste dont le plus beau fleuron a été la "Gauche Prolétarienne")..., imposait alors aux groupes révolutionnaires de se préoccuper AVANT TOUT DE LA CLARIFICATION THÉORIQUE, en particulier de la mise au point d'une plate-forme avec des positions de classe indiquant nettement la rupture avec la contre-révolution";

- "A partir de 72, la reprise de grèves "dures et longues" provoquée par les atteintes de plus en plus importantes de la crise (inflation, chômage),... le mécontentement croissant des couches en voie de prolétarisation..., l'accentuation de la répression..., les contradictions du gauchisme...? auraient dû imposer à ce moment-là aux groupes révolutionnaires d'entamer un travail D'INTERVENTION SUR LA BASE DE LEUR CLARIFICATION THÉORIQUE ACCOMPLIE. Cela signifiait essentiellement dans un premier temps une diffusion des positions de classe dans les mouvements les plus significatifs pour dénoncer toutes les impasses et toutes les mystifications".

Nous avions employé le conditionnel passé car cette deuxième exigence, celle de l'intervention, ne fut pas du tout comprise à cette époque par une partie des militants révolutionnaires ayant pourtant contribué à la clarification théorique d'après Mai 68.

Si le P.I.C. se forma en 74, c'était avant tout pour pallier à cette carence de ce que l'on pouvait encore désigner à ce moment-là du nom de "courant communiste". Il voulait poser "les BASES d'une activité révolutionnaire RÉSOLUMENT TOURNÉE ERS L'INTERVENTION". Ce souci des militants qui allaient constituer le P.I.C. s'exprimait non seulement face à l'évolution de la situation politique en France mais surtout vis-à-vis de certains évènements qui, à l'échelle internationale en 1973, confirmaient la profondeur de la crise dans laquelle s'enfonçait le système capitaliste et la nécessité d'une révolution prolétarienne pour éviter à l'humanité la perspective d'une 3ème guerre mondiale (massacre des ouvriers chiliens préparé par l'Union Populaire, 4° conflit au Moyen-Orient).

Après avoir tenté de définir le mieux possible les bases de son action générale11, le P.I.C. élabora une "STRATÉGIE D'INTERVENTION" et s'attela à remplir les tâches dérivées des deux grands AXES de cette intervention: la constitution de noyaux ouvriers révolutionnaires, l'organisation de campagnes révolutionnaires.

Cette amorce de développement de pôles communistes d'intervention et de clarification au sein du prolétariat a révélé depuis bientôt 3 ans la démission de tous les "constructeurs de Parti" et de tous les encyclopédistes fervents d'élucubrations sur le communisme intégral, par rapport au travail militant à accomplir dans la classe. Mais surtout, elle a montré que leur démission se fondait sur des positions qui ne rompaient pas avec la contre-révolution c'est-à-dire avec le lénino-bordiguisme: en effet, construire le Parti ou Programmer le communisme signifie nier le processus de maturation de la conscience immanente au prolétariat et situer le siège de cette conscience à l'extérieur de celui-ci qui, bien entendu, ne peut qu'être trade-unioniste (cf. Kautsky et l'héritage social-démocrate).

 

Clarification autour de l'Autonomie Ouvrière:

 

Notre intransigeance dans le sens d'une contribution active à l'Autonomie Ouvrière contribua à nous détacher de toute une série de groupes (cf. par exemple les lettres publiées dans ce même numéro vis-à-vis de R.I. et de C.P.A.O.). Mais ce ne fut jamais, contrairement à ce que veulent accréditer certains, dans l'optique d'un quelconque sectarisme. Nous n'avons à aucun moment prétendu détenir la vérité, en témoignent nos diverses tentatives passées - que ce soit lors de la campagne sur les luttes de classe au Portugal en 74-7512 ou lors de notre "Adresse à Union Ouvrière"13- pour envisager avec d'autres groupes et éléments la mise en place, puis la tenue d'actions communes !

Cette intransigeance reposait et continue de reposer sur deux bases:

- le sérieux dans le débat excluant donc toute polémique superficielle et tout usage de méthodes contre-révolutionnaires (mensonges, calomnies et contrevérités);

- le besoin d'une clarification de plus en plus grande sur le concept d'Autonomie Ouvrière.

A travers une nouvelle campagne révolutionnaire, intitulée "Lutter contre le chômage ou contre le capital ?"14, puis avec les contacts nouées et les discussions entretenues au fil de l'apparition d'un certain nombre de "Groupes Autonomes Ouvriers"15, nous sommes parvenus à aller dans le sens de cette clarification indispensable. Le texte "Mise au point sur l'Autonomie Ouvrière"16 a en particulier marqué une étape décisive dans notre compréhension des rapports: Autonomie du Mouvement réel de la classe vers les Conseils Ouvriers/Formation et action des Groupes Autonomes Ouvriers (ou Groupes de Travailleurs Communistes)/Contribution des Fractions révolutionnaires du type P.I.C. ou autre.

Dansla mesure où s'affirmait notre vision de Groupes Ouvriers pouvant exister dans les entreprises, en-dehors des syndicats et sur des bases entièrement politiques, se creusait le fossé avec la plupart des organisations d'auto-proclamant de plus en plus ouvertement le "futur Parti mondial de masse de la révolution". Ces dernières passèrent de la négation pure et simple sur les possibilités d'existence de tels groupes au mépris avoué, voire au travail de sape de ceux-ci quand ils commencèrent non seulement à apparaître mais à se maintenir pour développer un travail régulier d'intervention au sein du prolétariat. Reconnaître un processus visible de maturation de la conscience de classe en-dehors d'elles, c'était évidemment impossible à leurs yeux car c'était leur demander de rompre avec les schémas lénino-bordiguistes qui enferment toute la conscience -passée, présente et à venir- (conscience achevée !) dans les sphères du Parti. D'ailleurs, par là même, ces schémas nient également tout processus souterrain d'ensemble de la conscience de classe, ce que Marx appelait la spontanéité révolutionnaire du mouvement réel de la classe ouvrière ! En effet, si certains du genre R.I. (C.C.I.) admettent la perspective des Conseils Ouvriers, ce n'est que comme organisation unitaire formelle et non politique de la classe puisque tout le contenu conscient de la révolution sera apporté par le Parti conçu en tant que seule et unique organisation politique du prolétariat.

Cependant, le fossé se creuse aussi avec d'autres organisations qui, à l'image des groupes italiens dits de la "sphère de l'Autonomie", essayent de camoufler leur absence de rupture réelle avec le léninisme sous des thèmes directement produits par la décomposition du gauchisme. En effet, si celles-ci reconnaissaient l'existence des G.A.O., c'était dans l'optique de les transformer en espèce de cellules d'entreprise de l'organisation politique dite unitaire (réalité des groupes de travailleurs dans ce qui est faussement nommé "réseau de l'Autonomie Ouvrière" !): d'où même négation du mouvement réel que les précédentes au profit d'un Parti construit pour représenter la classe préalablement à toute révolution (thème social-démocrate et léniniste). Ainsi, le groupe "Combat pour l'Autonomie Ouvrière" (C.P.A.O.) est d'accord avec le P.C.I.-Battaglia Communista (organisation bordiguiste intaliene) sur la fonction "théorique" du Parti (détention de la conscience) même s'il utilise la formule moderniste "tension vers le communisme". Il ne diverge que sur la fonction "pratique", et fort de son expérience gauchiste, il lui donne des leçons (habitude courante entre "constructeurs de Parti"): "Le réseau n'est pas une projection du Parti, il EST le "Parti" puisqu'il a à charge d'accomplir l'ensemble des tâches révolutionnaires théoriques et pratiques... Le réseau est l'expression "achevée" du travail des fractions communistes, il n'est donc pas une coordination de simples groupes d'usines ou de cellules..."17. En bref, blanc bonnet et bonnet blanc !! "La référence à l'autonomie devient alors le complément du rejet de toute autonomie de classe du prolétariat" (cf. l'article intitulé "Syndicalisme-Autonomes, même combat", dans la revue "Spartacus" n°9, p.14, mai-juin 78).

Pour le P.I.C., les G.A.O. sont des "jalons de conscience" produits directement par la lutte de classe dans le sens de l'auto-organisation de celle-ci. Ils doivent rester distincts des fractions communistes produites elles-aussi par le prolétariat mais de façon différente (cf. "Mise au point sur l'Autonomie Ouvrière" dans J.T. n°17, p.13-14) et se coordonner entre-eux pour compléter le rôle des fractions: contribution à l'homogénéisation de la conscience. Cela ne signifie absolument pas que des actions communies et des relations politiques ne doivent pas existe entre G.A.O. et fractions sur la base d'une parfaite égalité dans l'élaboration de ces actions éventuelles et dans la discussion théorique. Ce fut le sens du travail accompli par trois Groupes Ouvriers et le P.I.C. ors de la compagne de dénonciation des élections législatives de mars 7818.

 

Perspectives:

 

Le travail qui reste à accomplir pour développer de façon significatives des pôles communistes d'intervention et de clarification au sein du prolétariat, est immense. Et ce d'autant plus que 10 ans après Mai 68, nos efforts se heurtent non seulement à une certaine résurgence du léninisme sous l'aspect d'un néo-bordiguisme (R.I.) ou sous le masque de l'Autonomie (C.P.A.O.), mais aussi à une sorte de renouvellement de l'anarchisme lié à la confusion généralisée qui entoure le concept d'autonomie ouvrière (O.C.L.-Front Libertaire). Le glissement, accompagné d'une mutation de plusieurs groupes et éléments, s'est opéré: le gauchisme traditionnel (trotskisme, maoïsme, anarcho-syndicalisme), dans son rôle de dévoiement des ouvriers combatifs, trouve en effet maintenant des compléments sur le terrain de ce qu'il était convenu d'appeler l'ultra-gauche. C'est l'apparition depuis les affaires Schleyer et Moro du thème du "soutien critique" aux terroristes du genre de la R.A.F. ou des B.R. et donc c'est la surenchère permanente à propos de l'usage d'une violence minoritaire et substitutiste qui se trouve en parfaite correspondance avec la compétition sans merci à laquelle se livrent les groupes sont nous avons parlé plus haut pour la construction du "véritable Parti d'Avant-Garde", "pur" et "dur". Nous pouvons dire qu'il y a désormais au coude à coude avec l'extrême-gauche, une ultra-gauche du capital qu'il s'agit de dénoncer clairement en tant que telle !

Comme contribution positive allant dans le sens du développement théorico-pratique de l'autonomie ouvrière, il faut signaler en France les efforts de certains courants qui participent à la revue "Spartacus"19, et ce malgré un grand nombre de confusions dû aux idéologies conseillistes et modernistes diverses, voire à certaines positions qui se rattachent au gauchisme de type libertaire ou social-démocrate (P.S.U.). A souligner également le travail intéressant, mais limité dans la pratique, d'autres reues telles que "Echanges", "La Guerre Sociale" ou "La Lanterne Noire"20, bien que celle-ci dans ses derniers numéros semble retourner dans le giron de l'anarchisme traditionnel aux dépends de son orientation préalable (traductions de la revue portugaise "Combate", débats contradictoires sur la C.N.T. espagnole,...).

A l'échelle internationale, le développement d'une intervention et d'une clarification communistes au sein du prolétariat est très significatif cependant dés aujourd'hui dans deux pays:

- En Italie, critiquant aussi bien l'anti-terrorisme et le léninisme de l'extrème-gauche que le soutien au terrorisme ou l'usage de celui-ci par la plupart des groupes de la "sphère de l'Autonomie" qui n'ont pas rompu également avec le léninisme, il existe des revues publiées par des collectifs ouvriers tels que "Collegamenti per l'organizzazione diretta di classe"21 qui agissent dans le sens d'une réelle autonomie ouvrière.

- en Espagne, dénonçant autant toutes les variantes du léninisme qui s'étaient constituées sur la base de l'anti-franquisme et qui soutiennent la démocratie et le régionalisme, que la reconstitution de la C.N.T. aboutissant à la défense du syndicalisme contre les Assemblées ouvrières et au bureaucratisme, apparaissent de plus en plus de revues produites par des collectifs ouvriers à l'image de celle qui s'intitule "Théorie et Pratique"22.

A un degré moindre, des petits groupes se manifestent dans d'autres pays pour défendre et faire connaître les grèves sauvages du prolétariat: "Root and Branch", "A World to Win" aux Etats-Unis; "Arbetarmakt" en Suède, "Solidarity for Social Revolution" en Angleterre, "Combate" au Portugal,... sans oublier les camarades chinois de Hong-Kong qui ont publié avec un grand mérite "Minus 7"23.

Dans l'avenir, le P.I.C. s'efforcera d'entretenir des débats réguliers et de mener des actions avec tous les groupes et  éléments qui se situent rigoureusement en-dehors du léninisme et de l'anarchisme. Il luttera également pour un renforcement des liens internationaux entre organisations de dives pays, ceci autant sur la base d'une pratique réelle que d'une clarification théorique générale. L'établissement de contacts sérieux et réguliers pourrait passer par la tenue de rencontres internationales n'impliquant pas un regroupement volontariste (ce qui est la panacée des "constructeurs de Parti": C.C.I., C.W.O.,...) mais permettant entre autres la publication d'une "Bulletin International de Discussions" pour faire le point des convergences et des divergences enre les groupes du courant communiste pour l'autonomie ouvrière. L'enrichissement réciproque ainsi qu'une véritable solidarité active et internationaliste nécessitent de telles perspectives.

De son côté, pour parfaire sa propre intervention, le P.I.C. se trouve confronté à la poursuite d'une indispensable réflexion politique et théorique. Les modifications apportées à sa plate-forme témoignent de ce souci. La parution dans les mois qui viennent de brochures sur l'organisation, sur le salariat, sur la révolution russe (2° partie), ira dans ce sens. De même, l'ouverture des colonnes de "Jeune Taupe" à des articles plus nombreux sur les problèmes tels que ceux du féminisme, du sport, de la délinquance, etc..., marquera une étape supplémentaire dans notre contribution au mouvement social de destruction du système capitaliste.

 

Notes:

A consulter particulièrement les textes:

- "La grève généralisée en France, Mai-Juin 68, brochure d'I.C.O. (Informations Correspondance Ouvrières) et de "Noir et Rouge";

- "Contre le Courant" (1ère partie: "Action" avec le bilan du Comité de Liaison Inter-Entreprises), brochure du G.L.A.T. (Groupe de Liaison pour l'Action des Travailleurs) qui publie "Lutte de Classe";

- "Comprendre Mai", article du n°2 (ancienne série) de "Révolution Internationale";

- "Le Mouvement étudiant", article du n°3, idem;

- "Mai 68" dans le n°1 de la revue "Le Mouvement Communiste";

- "Le commencement d'une époque", article du n°12 de l'"Internationale Situationniste".

On peut se reporter également malgré leurs faiblesses et leurs erreurs d'analyses aux deux livres suivants car ils contiennent des documents (tracts, textes divers,...) intéressants:

- "Le Gauchisme, remède à la maladie sénile du communisme" Cohn-Bendit frères (col. Combats, éd. du Seuil);

- "Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations" R. Viénet (col. Témoins, éd. Gallimard).

 

cf. "La Crise: Mythes et Réalités", brochure supplément à J.T. n°4, 1ère partie: "Des Mythes qui s'écroulent".

 

3 cf. cf. "La Guerre économique", J.T. numéros 14-19, et "Le Comecon face à la Crise", J.T. numéros 5 et 6, dont les camarades de "Combate" avaient fait une traduction en portugais.

 

cf. "La Crise: Mythes et Réalités", 2° partie: "Des Réalités qui s'imposent: L'effritement des blocs" et "Moyen-Orient: un abcès de fixation", brochure supplément à J.T. n°10, annexe: "Ère de la capitainerie et sous-impérialisme".

 

5 Le "contenu communiste" des luttes que certaines (Echanges, G.L.A.T., Combat pour l'Autonomie Ouvrière en France, Collegamenti en Italie) veulent déceler à travers des pratiques telles que les auto-réductions, le coulage des cadences, la "perruque" (pays de l'Est),..., n'est qu'une illusion car il ne rompt pas avec le terrain revendicatif. La "magie" des moyens mis en oeuvre ne peut remplacer la nécessaire prise de conscience non pas d'un aménagement mais d'une destruction du système et donc de l'affrontement avec l'État. L'erreur de ces camarades est liée à celle qu'ils commettent sur l'analyse des contradictions du capital à travers ce qu'ils appellent sa "crise de restructuration". Le moteur déterminant sur le plan économique n'étant pas la saturation des marchés ou la baisse du taux de profit (c'est-à-dire une contradiction inhérente au système lui-même) mais la lutte de classe, l'expression communiste de celle-ci est rattachée mécaniquement à des revendications économiques que le capital ne pourrait en principe satisfaire et qui enrayeraient donc son fonctionnement. La prise de conscience du prolétariat et son érection en classe révolutionnaire ne sont pas compris comme un dépassement politique de la classe en-soi c'est-à-dire de la classe économique pour le capital. Et l'on aboutit ainsi aux conceptions de négation du prolétariat, de "communauté humaine", d'associationnisme avant que la phase de destruction du capital soit accomplie.

 

6 cf. "Intégration capitaliste et rupture ouvrière", E.D.I. Paris (traduction S. Bricianer).

 

7 cf. "Chili hier, Portugal aujourd'hui, toute l'Europe demain: la carte de gauche du capital pour mystifier le prolétariat", brochure supplément à J.T. n°5.

 

8 cf. "Berlinguer valet d'un seul maître: le capital italien !" dans J.T. n°10 et "L'Ordre du gouvernement Berlinguotti" dans J.T. n°14.

 

9 Sur la plupart des impasses gauchistes, J.T. a développé et développera plusieurs articles, exemples:

- "Lip, c'est bien fini" (n°1)

- "Les révolutionnaires, l'armée, la violence" (n°4)

- "La relève nucléaire" (n°5)

- "Le M.R.P.P., archange de l'extrème-Gauche du capital" (n°7)

- "Goldmann ou l'absence de perspectives révolutionnaires" (n°10)

- "Écologie: du marginalisme à l'électoralisme" (n°14)

- "Terrorisme d'Etat-Terrorisme de la R.A.F.: un duel capitaliste" (n°18)

- "L'idéologie féministe: un outil de la contre-révolution (n°20)

 

10 "Petit historique depuis Mai 68 des tâches révolutionnaires" dans l'article "Perspectives d'activité" (J.T. n°7, oct. 75).

 

11 Modifications apportées à la plate-forme entre le n°1 de J.T. (fév. 74) et le n°7;

"Mise au point sur l'intervention communiste" (J.T. n°4, janv. 75)

"Mise au point sur l'organisation" (J.T. n°6, juillet 75).

 

12 Circulaire-appel (J.T. ,°3, oct. 74); "A propos du Portugal" (compte-rendu de réunion, J.T. n°4).

 

13 J.T. n°5, mai 75.

 

14 J.T. n°12 ou supplément au n°11, nov. 76.

 

15 les textes de G.A.O. dans les numéros 12-16, 18 et 19 de J.T.

 

16 J.T. N° 17, oct./nov. 77.

 

17 texte "le C.C.I. face à l'intervention dans la classe" (Bulletin Critique n°1, P.S. B.P. 3457, 59019 Lille Cedex).

 

18 J.T. n° 16, p. 20, juil/sept. 77 et J.T. 19, p. 1 et 3, fév/mars 78.

 

19 par exemple au travers des 9 numéros parus: - textes de C. Reeve sur le Portugal, l'Espagne, le refus du travail, Cuba,...

- textes de Galar sur la Chine, l'inflation, la dictature du prolétariat,...

- textes de S. Bricianer sur Pannekoek, la Chine et la dictature du prolétariat également,...

(Spartacus - R. Lefeuvre, 5 rue Ste-Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris).

 

20 Correspondance:

- Echanges et Mouvement, BP 241, 75866 Paris Cedex 18;

- La Guerre Sociale, 2 rue Wurtz, 75013 Paris;

- La Lanterne Noire - P. Blachier, BP 14, 92360 Meudon la Forêt.

 

21 Collegamenti: Gianni Carrozza, CP 1362, 50100 Firenze;

Mais aussi: Filo Rosso (collectifs politiques autonomes de travailleurs des banques, transport, santé...), Via di Porta Labiana, 12/13 Roma.

 

22 Théorie et Pratique, calle Santa Teresa 6, Madrid 4;

Mais aussi: Emancipation, calle Guipuzcoa 11, Madrid 4.

 

23 Root and Branch, Box 236, Sommerville, Mass 02143, USA; Arbetarmakt, Box 49035, 10028 Stockholm, Suède; Solidarity for Social Revolution, 123 Lathom Road, London E6, GB; A World to Win, PO Box 1587, San Francisco, CA 94101, USA; Combatee, Rua da Atalaia 204, Lisboa, Portugal; Minus 7, 180 Lockhart Rd, 1st Floor, Wanchai, Hong-Kong.

 

 

LIENS:

Sommaires de la revue Jeune Taupe

Le groupe P.I.C. et la revue Jeune Taupe sur Wikipédia

 

 

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