CORRESPONDANCE
(1989)
Les
extraits de lettres ci-dessous proviennent d'une correspondance entre l'un
d'entre nous et un ami de longue date. L'int�r�t g�n�ral des th�mes soulev�s
nous a conduit � cette reproduction, avec l'accord des deux protagonistes.
Lettre de J. � H�me (29/06/89)
"...Le sentiment dans la r�flexion politique ne refl�te qu'un
conditionnement id�ologique et masque la r�alit� le plus souvent. Le
"Tiers-mondisme" que tu connais bien (un bateau pour le Vi�t-nam, mao�sme,
etc...), l'antiracisme unidirectionnel (blanc contre noir) en sont des exemples
entre autres. La vision id�ologique Tiers-mondiste permet la circulation de
mensonges �normes, elle fait accepter les contrev�rit�s les plus flagrantes
comme "allant de soi", comme faisant partie de l'humanisme bien
pensant de gauche qu'il disconvient m�me de discuter sous peine de passer dans
le camp de l'infamie. Pour ceux qui veulent savoir, le racisme inter-noir est,
par exemple, une r�alit� tellement �vidente en Afrique que cela d�montre
bien l'incroyable aveuglement que permet le conditionnement m�diatique et le
"consensus" de gauche. Je constate par exemple un d�tournement �motionnel,
humainement monstrueux, contre la seule Afrique du Sud.
C'est pourquoi quand je lis "Interrogations pour la Communaut�
humaine" j'ai maintenant l'impression (d�sagr�able) de retrouver un
canard gauchiste-Tiers-mondiste bon teint des ann�es 60-70, avec l'apologie de
l'irrationalisme, du "retour � la terre" (des anc�tres) et de la
spiritualit�. C'est Fournier (Hara-Kiri, puis Charlie Hebdo). Tu sais que je ne
pouvais pas gober ce mec, pass� de l'Ultra-droite (royaliste) � l' �cologisme"
sentimental et "r�trograde". Ce type d'�cologisme est pour moi une
impasse. Parce que la situation actuelle, li�e au d�veloppement techno
(situation pas excellente mais n'exag�rons rien) ne pourra s'am�liorer dans le
sens que nous souhaitons tous (vers plus d'humanit�, de conscience, de bonheur)
que par une technologie plus pouss�e, am�lior�e (humanis�e)...
Lettre
de Heme � J. (1/7/89)
.. Plusieurs choses dans ta lettre m'ont g�n�es. Pas d'abord sur ce qui
peut �tre une divergence de fond -sur laquelle je ne viendrai que dans une
deuxi�me partie- mais sur l'impression que tes jugements d�coulent plus d'une
impression subjective que d'une lecture vraie d'Interrogations. C'est donc par
cela que je commencerai.
Comment peux-tu �voquer � propos d'Interrogations un canard
gauchiste-Tiers-mondiste alors que l'anti-nationalisme (ou plus exactement l'
a-nationalisme qui comprend le rejet de toute forme de nationalisme, y compris
l'inter-nationalisme, le tiers-mondisme,...) est un des fils conducteurs qui
s'exprime sous une forme ou une autre dans toutes nos publications. Cet
a-nationalisme me semble m�me �tre beaucoup plus profond que
l'anti-nationalisme post-soixante-huitard. Il s'appuie sur un rejet sans failles
de tout ce qui peut se nommer Etat, nation, patrie,... et non sur des p�titions
de principe du style "les prol�taires n'ont pas de patrie",... ou
autres slogans creux. J'ajouterais que contrairement � l'ultra-gauche que nous
avons bien connu toi et moi -avec sa fascination du prol�tariat, du d�veloppement
capitaliste- Interrogations n'a jamais fait et ne fera jamais l'apologie de quoi
que ce soit.
Nous ne faisons pas l'apologie de l'irrationalisme, ni d'un rationalisme
qui n'est finalement qu'un mot auquel diff�rentes id�ologies ont donn� des
contenus diff�rents. N'oublions pas au passage que le th�me du rationalisme
est un de ceux sur lesquels s'est appuy� la domination capitaliste et sert d'id�ologie
officielle � diff�rentes sectes ma�onniques...
Nous ne faisons pas l'apologie du "retour � la terre" (des anc�tres)...
qui pour la plupart d'entre nous ne correspond d'ailleurs � rien. Nous pouvons
par contre comprendre que des �tres se sentent une attache avec un coin de
terroir avec lequel ils ont un rapport privil�gi�, dont ils ont une
connaissance r�elle,... en tout cas plus facilement que quelqu'un qui
s'attacherait au mur d'une usine, d'un Institut ou pourquoi pas d'une prison.
Par ailleurs, sans avoir moi-m�me un go�t marqu� pour le dit retour � la
terre, au nom de quoi irais-je faire la critique d'un tel choix? De l'�panouissement
de la personne humaine dans l'entassement urbain, de la consommation d'aliments
frelat�s, de la course maladive � la possession de marchandises,...!
Nous ne faisons pas plus l'apologie de la spiritualit�. Les r�dacteurs
d'Interrogations sont d'ailleurs tous ath�es, non d�istes... Il n'y a parmi
nous ni chr�tien, ni juif, ni musulman,... ni agnostique. Nous ne sommes pas
pour autant des mat�rialistes vulgaires et nous ne pensons pas que les gens
(dont nous) sont simplement mus par la faim, le besoin de poss�der,... Ils le
sont tout autant par leurs d�sirs, leur affectivit�, leur mani�re de
ressentir ce qui les entoure (on peut nommer �a dans le langage actuel
spiritualit�... m�me si le mot n'est pas id�al vu sa coloration religieuse).
Je ne te critique pas d'avoir exprim� ce que tu ressentais, bien au
contraire. Les non-dit sont pires que tout. Mais en te lisant j'ai eu
l'impression soit que ce que nous �crivons �tait totalement incompr�hensible,
soit que ce que nous disons fait trop peur, s'attaque � trop de dogmes g�n�ralement
admis (comme la religion du progr�s) et conduit (inconsciemment) � de fausses
interpr�tations plus faciles � critiquer. Face � notre refus de remplacer la
religiosit� d�iste par d'autres religiosit�s plus modernes - n'y a t il pas
un r�flexe de sauvegarder ce qui dans ces derni�res permet de s'am�nager sa
petite place dans ce monde ?...
"De quoi les gens
ont-ils peur ? De l'inconnu ? Ou au contraire du trop connu ? De l'infinit� des
possibles ou de l'immensit� de leur mis�re ? La deuxi�me hypoth�se me semble
plus s�rieuse. On n'a pas peur de l'inconnu. On ne craint pas en fait ce qui
pourrait arriver si la r�volution �clatait, parce qu'on en sait foutre rien.
On a peur simplement de lutter contre soi, contre la complicit� qui nous lie au
syst�me, c'est-�-dire � notre routine, � nos cr�ations, � nos
attachements..."
(Le pi�tinement de l'histoire ou les myst�res de l'ali�nation,
brochure)
"Connais-toi
toi-m�me et connais tes ennemis, disaient les philosophes chinois. Le pire qui
puisse nous arriver, � nous comme � tous ceux que nous n'avons pas eu
l'occasion de rencontrer et qui veulent �galement se battre contre ce monde,
c'est de s'en tenir � une critique superficielle des conditions historiques
actuelles, critique dans les limites du droit et de la politique, de la d�mocratie
moderne en g�n�ral, et de s'en tenir aux r�sultats, th�oriques et pratiques,
acquis dans le pass�."
(De l'esprit de r�volte et de servitude volontaire des prol�taires
contemporains, m�me brochure)
Ces citations font en quelque sorte la liaison avec ce qui suit. Je
reprends ta lettre dans sa totalit�. Ta r�f�rence au
"sentimentalisme" (avec guillemets) et au "sentiment" (avec
ou sans guillemets) ne me para�t pas claire. Le refus de ce monde est-il fond�
sur le fait qu'il fonctionne mal, de fa�on peu efficace? Pour ma part, je suis
plut�t quotidiennement effray� par son efficacit�. Ne trouve-t-il pas plut�t
sa source dans le fait qu'il nous emp�che de vivre et qu'il r�prime en
particulier nos sentiments (et pas de vagues sentiments en g�n�ral). Le
fait que le syst�me soit capable � la fois de perturber les sentiments, puis
d'endiguer cette perturbation pour se renforcer ne contredit pas cette
constatation. Il ne fait qu'exprimer la force d'une soci�t� capable � la fois
de provoquer des d�s�quilibres, des conflits et de se nourrir de ceux-ci.
Est-il d'ailleurs r�flexion plus id�ologique que celle qui se voudrait
d�tach�e de tout v�cu, donc de tout sentiment personnel. Cette froide r�solution
est celle de tous les cocus du syst�me, refusant l'indispensable remise en
cause d�coulant de toute exp�rience nouvelle pour reproduire perp�tuellement
les m�mes sch�mas,... Cela peut se nommer militantisme, servitude accept�e au
nom des positions � d�fendre co�te que co�te, d�mission/attentisme justifi�s
par la pseudo-certitude d'avoir raison quoi qui se passe,...
...Ta vision de la technologie me para�t � la fois incompl�te et
reposant sur une id�e fausse: � savoir que cette technologie ne serait que
l'ensemble des techniques utilis�es par les humains pour r�aliser ce que bon
leur semble.
...Les humains ont toujours utilis� des techniques, des
proc�d�s dans de multiples actions de leur vie, comme d'autres animaux mais de
fa�on significativement plus sophistiqu�e. Ces techniques ne sont d'ailleurs
qu'une part nullement privil�gi�e de leur v�cu, parmi d'autres comme leurs
relations � autrui et � la nature, la connaissance intuitive de leur corps, l'�veil
progressif de leurs sentiments et sensations,...
La technologie est tout autre chose. Elle est l'�mergence des techniques
et de leur th�orisation comme sph�re autonome. Cette �mergence signifie d'une
part que l'homme n'a plus vraiment le choix de ses moyens. Il doit adh�rer �
la religion technologique du moment, sous peine d'�tre catalogu� comme pass�iste,
plus du tout dans le coup et en tout cas pas du tout performant ! Il est � la
limite rejet� par ses contemporains s'il ne partage pas leurs obsessions. Plus,
il doit si possible fa�onner son esprit et son corps � l'image de cette
technologie. Peu importe que ses sens s'atrophient, s'il est le possesseur de la
derni�re proth�se/gadget mise sur le march�. Je dois te dire que lorsque je
croise ces troupeaux de zombies �couteurs sur les oreilles, le regard vide �
force de fixer les �crans (de t�l�vision ou d'ordinateur), j'ai conscience de
me trouver face � des �tres (peut-on encore parler d'humains ?) qui me sont �trangers.
Il en est de la technologie comme de tout conditionnement. Elle est -dans
sa globalit�- ad�quate au monde qu'elle sert. Inutile de se lamenter sur ses
accidents de parcours et les bavures qui balisent son d�veloppement. Il n'y a
ni accident ni bavure. Tout ou presque est minutieusement calcul� par des
multiples experts/parasites grassement pay�s pour �a. Tous les d�veloppements
� venir de la technologie ne pourront produire que plus de zombies, plus de d�prim�s
et de dingues, plus d'ulc�res et de maladies cardio-vasculaires, des villes �
la botte de la marchandise mais vid�es de leurs habitants, un tiers-monde
refoul� vers un abrutissement croissant ou un an�antissement acc�l�r�.
Il doit �tre clair que pour moi la situation ne pourra s'am�liorer dans
aucun sens. Une telle "am�lioration" ne peut �tre que poudre aux
yeux pour cur�, politicien ou chanteur contestataire. Il ne peut au contraire
s'agir que d'abandonner ce qui fonde ce monde, non seulement depuis l'immonde
1789, mais au moins depuis la soumission de cette partie de la plan�te au syst�me
Gr�co-romain, � la Renaissance,... Non pas pour reconstituer les antiques
communaut�s barbares mais trouver (parfois retrouver) les fins et les moyens
qui correspondent ) � nos aspirations.
Je ne connais pas d'univers
plus rationalistes que ceux d'Hitler ou de L�nine. Tous deux ont su d�gager,
dans leur cadre national, les solutions pour ainsi dire scientifiques
correspondant � des situations bloqu�es (du point de vue capitaliste bien s�r)
alors que la bourgeoisie traditionnelle se r�v�lait impuissante. Qui a su r�aliser
le passage � un capitalisme moderne dans l'Europe des ann�es 30-40, le
mystique Hitler ou les libres penseurs radicaux-socialistes fran�ais ? Qui a su
organiser la gestion rationnelle des �tres humains, constituer des camps de
concentration qui ont par la suite �t� un mod�le d'organisation pour tout
l'occident, sans sentimentalit� abusive... sinon Hitler et le
national-socialisme (le terme lui-m�me est d'une modernit� �poustouflante).
Qui a su imposer les principes de l'organisation scientifique du travail dans un
pays agraire dans des conditions d�favorables, sinon L�nine et les bolcheviks.
Tout adorateur des Lumi�res devrait accrocher les portraits de ces grands
hommes au dessus de son four micro-ondes.
Pour finir l�-dessus, il n'existe pour moi aucun pens�e scientifique,
pas plus que de charit� chr�tienne, de contraintes �conomiques,... Je ne dis
pas qu'il n'existe pas diff�rents modes d'analyse, de r�flexion, de sp�culation,...
faisant appel dans des proportions diverses � l'objectivit� et � la
subjectivit� des individus. Ni m�me que tous se valent. Mais aucun d'eux ne
peut s'amalgamer � une pratique comme la "science" qui -comme
d'autres- a un contenu social et r�ducteur. Ou alors il faudrait supposer que
99,9 % de ceux qui sont cens�s incarner cette pens�e scientifique sont des
malhonn�tes (ils le sont souvent!) ou des d�viants, unis par un pr�t-�-penser
au rabais. Et si cette pens�e existe vraiment, alors elle a ses th�ologiens,
ses h�r�tiques qu'on ne br�le pas mais qu'on d�molit � plaisir (cf.
Benveniste), ses rites et ses interdits (on pourrait p. ex. analyser cette
"pens�e" au travers du ph�nom�ne SIDA). Il faut m'excuser, mais je
ne suis pas non plus de cette religion-l� !
En conclusion, moi et d'autres effectuons (et dans une certaine mesure
vivons) la critique de la civilisation qui nous est impos�e. Nous attendons
impatiemment que d'autres, qui en ont une connaissance effective, s'attaquent �
la critique des autres civilisations, sans exclusives. Mais nous ne nous
attardons pas trop � ceux pour qui la critique n'est qu'un cr�neau, l'occasion
de quelques besognes livresques. Il peut arriver qu'un J.F. Revel... ou un J.M.
Le Pen (!) balancent quelques bonnes grosses v�rit�s sur des aspects de ce
monde. Ceci ne rehausse pourtant pas notre int�r�t pour une ancienne groupie
du Manifeste Radical de Servan-Schreiber ou un ex-baroudeur galonn�. Je ne suis
pas ennemi des livres et il m'arrive d'y appr�cier telle r�flexion ou telle
information. Mais j'y vois aussi des limites. C'est qu'ils ont g�n�ralement �t�
produits par des gens qui n'ont pas honte d'entrer dans un bureau de vote, qui
sont pr�ts � accepter des responsabilit�s politiques (ou parfois syndicales)
ou un sous-sous-poste de conseiller d'Etat... et pourquoi pas � parader en
uniforme (kaki ou vert). Des gens qui finalement ne peuvent m'apporter
grand-chose tant ils sont de ce monde...
Lettre de J. � H�me (19/7/89)
...la
pens�e scientifique est le fruit d'un type de soci�t�, d'une organisation �conomique.
Vous avez tr�s bien vu que refuser l'un c'est refuser l'autre et inversement.
C'est donc un choix de base.
De toute fa�on, ce choix n'est original ni d'un c�t� ni de l'autre. Le
refus du syst�me dans sa globalit�, m�me s'il suppose nombre de
contradictions internes (d'autant plus facilement surmont�es que la conviction
est grande) est le choix de nombreux groupes religieux et sectes
"radicales" (au sens am�ricain du terme !).
Ceci
dit ma r�flexion est loin d'�tre termin�e et je lis toujours avec int�r�t
Interrogations. C'est une source d'infos extr�mement pr�cieuse (exemple
"le cuir" dans le N� d'avril) et une vision extr�mement int�ressante
(notamment "antis�mitisme et pogrome de Beyrouth", par exemple).
Merci de continuer � me l'envoyer ! J'adh�re � de nombreux points et
notamment � la critique de certains aspects du syst�me. Mais quel int�r�t de
souligner les points communs multiples? L'int�r�t est justement de mettre en
relief les divergences. Par exemple l'amalgame du tract du 10/6/89: la r�pression
du mouvement des �tudiants chinois et celui des fran�ais en 1968 ne pouvait
pas �tre identique et ces �v�nements prouvent �
l'�vidence les diff�rences entre les deux aspects du syst�me capitaliste:
le d�mocratique et le totalitaire. A la limite on vous entend presque dire :
vive le capitalisme totalitaire car il exprime, lui, la v�ritable nature du
capitalisme : la b�te immonde. Lui, au moins, n'est pas "d�guis�".
C'est de l'id�ologie pure, d�connect�e de la r�alit� pratique et
humainement v�cue des deux syst�mes. On n'est pas moins ali�n� dans une
usine fran�aise que dans une usine chinoise, mais les conditions d'existence ne
sont pas tout � fait les m�mes !
Quant � savoir si le syst�me lib�ral est auto-transformable ou non, je
n'en sais rien. Il faudrait r�fl�chir sur la question. A ma connaissance le
capitalisme sauvage n'a pas encore recycl� les cadavres humains et
transform�
les morgues en usines d'aliment pour chiens, malgr� tout le profit de cette op�ration.
Il y a donc de l'espoir. Comme vous le remarquez le syst�me repose sur les
individus. Peut-�tre que son �volution d�pendra du niveau de conscience des
individus. En cherchant bien on trouverait, dans certains cas, des indices d'une
telle �volution (en Suisse, la r�glementation de la chasse en Allemagne
etc...). En fait je n'en sais rien, il faut r�fl�chir sur cet aspect.
Je livre quelques r�flexions que m'a inspir� notre correspondance...
...Attention aux totalitarismes
...intellectuels, mais je ne vois pas de hiatus entre l'aspect
intellectuel et mat�riel. Pour moi, le totalitarisme intellectuel, c'est avant
tout la manifestation du degr� de persuasion et de conviction. C'est la
Foi, qui est ma b�te immonde � moi !
Attention � l'id�ologie
Rejeter la pens�e scientifique et la science c'est se placer soi-m�me
dans la masse h�t�roclite des id�ologies. A mon avis, toutes les id�ologies
se valent, car elles ont toutes raison (vu de l'int�rieur et pour elle-m�me) -
le nazisme, comme le christianisme, comme le marxisme, comme le stalinisme.
Quelque soit leur coloration elles sont responsables d'autant d'holocauste et de
massacre les unes que les autres.
Ne pas confondre l'id�ologie et manifestations rationnelles de l'id�ologie
Tu cites le nazisme, tu aurais pu citer le christianisme. La gestion du
clerg� est tout � fait rationnelle, son organisation aussi. Toute id�ologie a
des aspects rationnels, m�me dans son discours (cf. la th�ologie). Ca n'emp�che
pas toutes les id�ologies d'�tre fond�es � la base sur des postulats ind�montrables.
Pour le christianisme comme le nazisme; pour l'un il faut adh�rer aux myst�res
de la religion, � la nature divine du Christ par exemple, pour l'autre au credo
de l'arianisme. Au d�part il faut la foi. Les id�ologies s'opposent et se
combattent (cf. guerres de religion) mais proc�dent toute
de la m�me "alogique" de base o� au d�part il faut y croire,
il faut une adh�sion irraisonn�e. La seule d�marche qui exclut tout a
priori est la d�marche scientifique. Mais cela n'emp�che pas d'utiliser
cette d�marche � son boulot tout en allant � la messe o� en pr�chant une id�ologie
quelconque (*). L'id�al � mon avis serait d'utiliser cette d�marche dans
l'analyse de la soci�t� et du syst�me.
L'ennui c'est que cette d�marche est le produit d'un type de soci�t�
dit capitaliste. Il est apparemment logique de les rejeter ensemble... ou de les
accepter. J'en suis l� de mes r�flexions... Mais je n'ai aucun envie de
troquer l'aventure de la connaissance scientifique contre une id�ologie, quelle
qu'elle soit.
Circonstance aggravante, pour moi, le capitalisme est plus acceptable
dans sa version "d�mocratique" que dans sa version �tatique, m�me
si ce sont deux aspects d'un m�me syst�me �conomique. On pr�f�re souvent
les paradoxes scintillants aux b�tes faits d'observations. Nier le fait qu'on
est mieux en d�mocratie qu'en capitalisme d'�tat, c'est faire bon march� des
milliers de r�fugi�s qui fuient le Vi�t-nam et l'Europe de l'Est. La
condamnation (sans appel) des d�mocraties (avec ou sans guillemets) a des
relents d'aspiration, consciente ou non, au totalitarisme...
(*) on peut dire que pratiquement toutes les id�ologies l'ont accept�
et plus ou moins int�gr� dans leur syst�me... except� certains �cologistes
ou religieux.
Lettre
de H�me � J. (25/07/89)
Ta lettre du 19/7 me para�t plus convaincante que la pr�c�dente, non
pas en ce que je serais en accord avec son contenu, mais en ce que tu pars de ce
que tu penses toi... et non d'une interpr�tation de ce que pensent les autres.
Je r�ponds sur quelques points.
1-
Je ne pense pas que le refus du syst�me dans sa globalit� (y compris avec
toutes les contradictions imaginables... ou non) soit le choix de nombreux
groupes religieux; ou alors il ne s'agit ni du m�me refus ni de la m�me
globalit�. Ce que nous refusons au fond c'est la m�diation, que l'on peut
appeler aussi bien messianisme, recherche d'un sujet historique. La folie qui
s'est g�n�ralis�e dans l'esp�ce humaine au cours de ces derniers si�cles
fait que face � leurs d�sirs, leurs aspirations (� condition d'en avoir,
bien-s�r), les hommes recherchent � priori une "solution" non �
partir d'eux-m�mes et des liens qu'ils pourraient �tablir avec les autres,
mais de quelque chose qui est ext�rieur � ce qu'ils vivent directement,
d'abstractions... A un niveau religieux, ceci prend la forme de l'au-del�, �
un niveau scientiste la m�me repr�sentation peut se nommer progr�s; du point
de vue de la "politique r�volutionnaire" (sic) ceci se concr�tise
dans la recherche d'un "sujet" susceptible d'incarner la r�volution,
puis de la r�aliser... y compris contre son gr�. Peu importe le justificatif.
L'important est de ne pas s'impliquer personnellement, sinon en serviteur ou
porte-parole de "la cause"... que ce soit celle de Dieu, de la
Science, du Prol�tariat r�volutionnaire, et j'en passe !
2- Sur Chine/France, d�mocratie/totalitarisme,...
Entre 68 en France et 89 en Chine, il y a 21 ans et pas mal de kilom�tres.
Ceci dit, je r�p�te ce qui �tait dit dans le tract : aucun Etat occidental ne
supporterait ce qu'a support� l'Etat chinois, aucun ne reculerait devant une r�pression
de m�me envergure s'il le jugeait n�cessaire. J'ajouterais - bien que n'ayant
que des pr�somptions - que l'Etat chinois n'a pu r�primer comme il l'a fait
qu'avec le feu vert des Etats occidentaux, et m�me que la r�pression �tait
(officiellement ou tacitement ?) une condition pour que les occidentaux
continuent leur soutien et leur collaboration �conomique. Que la r�pression
ait �t� maladroite dans ses formes, c'est une �vidence. Mais d'une part il
faut compter avec une certaine tradition asiatique peu d�licate dans ce
domaine, d'autre part il faut voir que la Chine est totalement sous-d�velopp�e
- en hommes et moyens - dans le domaine de la r�pression si on la compare � un
pays comme la France. Ceci explique l'utilisation de moyens qui peuvent para�tre
quelque peu XIX� si�cle.
G�n�ralement, j'�vite d'utiliser le terme totalitaire, qui ne d�finit
pas grand chose... mais est plut�t une phras�ologie politicardo/
journalistique servant � masquer la poutre de son oeil derri�re la paille
(parfois toute une botte !) de l��il du voisin. Ou bien ce terme n'est qu'un
synonyme de despotisme, r�gime militaro/policier... et dans ce cas son
utilisation n'est qu'id�ologique. Ou bien il d�finit une forme particuli�re
du capitalisme, o� sa domination est la plus achev�e, englobe dans un ensemble
les choses et les �tres. Une affiche de mai 68 disait quelque chose comme
"Chassez le flic de votre t�te". Je d�finirais peut-�tre le
totalitarisme (si je tenais � utiliser ce terme) comme un �tat o� les gens
ont le flic, l'horloge, le travail,...dans leur t�te. En d'autres termes, je
pense que les seuls Etats s'approchant aujourd'hui du totalitarisme sont les
Etats occidentaux. Les Etats "dits socialistes" ne sont engag�s que
dans une tentative difficile pour y acc�der. En ce sens, Gorbatchev appara�t
typiquement comme l'agent du totalitarisme en Russie.
Ceci implique aussi pour moi que les th�oriciens d'apr�s 1917 se sont
compl�tement tromp�s dans l'analyse qu'ils faisaient de la Russie, une sorte
d'image de "l'avenir barbare" que conna�trait l'Europe en l'absence r�volution.
Depuis, on a pu constater que le mouvement du capitalisme (ce que certains ont
nomm� le passage de la domination formelle � la domination r�elle du capital)
�tait bien men� par les Etats les plus d�velopp�s d'Occident (USA,
Allemagne,...) et qu'aucune tendance d'une 'involution" vers un mod�le
Oriental n'apparaissait. De m�me, il ne s'incarnait pas du tout dans une couche
de bureaucrates lourdauds � la Russe, ni dans une bourgeoisie ancestrale, mais
dans des managers, des banquiers hyper-performants,...
3- Pour revenir � la soi-disant Science, je pense qu'il y a eu un
glissement entre ce que j'ai �crit dans ma lettre et ta r�ponse. Je n'ai
jamais oppos� l'activit� des scientifiques - sur un plan professionnel - aux
id�ologies qu'ils pouvaient avoir par ailleurs, � leur vie priv�e (souvent
d'ailleurs lamentable ou plus exactement inexistante). Je ne constate pas une
telle s�paration.
Il suffit d'avoir passablement tra�n� dans le milieu scientifique pour
savoir que le travail accompli (car n'oublions pas que c'est un travail !) par
cette profession consiste surtout � pisser de la copie et � ne pas faire de
vagues. Je reviens sur l'affaire Benveniste, car elle me para�t caract�riser tout
un milieu. Ce qui lui est reproch�, ce n'est pas tellement ses r�sultats,
c'est qu'ils remettent en cause des dogmes sur lesquels repose l'�glise
scientifique (relation simple dose/r�ponse ; possibilit� d'un traitement math�matique
de ph�nom�nes biologiques complexes, reproductibilit� des r�sultats en tous
temps et en tous lieux). Chacun sait que ces dogmes reposent sur du sable et
qu'ils ne tiennent debout que par l'accumulation de (petits?) trucages et
d'omissions diverses. Mais les ayatollahs de la Science veillent et il faut ch�tier
l'infid�le. Apr�s l'avoir accus� de trucage (= faux miracles ), l'Eglise-INSERM
va jusqu'au bout de l'Inquisition: on lui demande de renier ses travaux (avouer
son pacte avec le diable hom�opathe) sous peine d'excommunication !
Et qu'on ne vienne pas me dire que ceci est un cas isol�. Il est
l'enfant naturel de l'id�ologie-Science, de son totalitarisme pour reprendre
tes termes.
Je ne condamne pas la tentative humaine de mieux se comprendre et de
mieux conna�tre ce qui l'entoure. Mais s'il fallait croire que ceci est
l'activit� des scientifiques, la plupart des laboratoires seraient ferm�s
depuis longtemps ! Je suis int�ress� � savoir que la terre n'est pas plate...
mais je ne connais pas la terre pour autant. Nous sommes capables de d�couper
les mol�cules en morceaux de plus en plus petits, mais nous ne sommes pas pour
autant capables de saisir le ph�nom�ne vie. Nous n'en serons sans doute jamais
capables... et je ne m'en plains pas...
...
Un dernier mot. Je crains que tu retombes dans le vieux pi�ge du "si tu es
contre une id�ologie, c'est que tu es pour l'id�ologie inverse". Ses
formes politiques sont connues : gauche/droite, fascisme/anti-fascisme,
colonialisme/tiers-mondisme,... Mais il peut prendre tout autant les formes
Science/Mysticisme, Progr�s/scl�rose, rationalisme/ irrationalisme... ou plus
journalistiquement totalitarisme/d�mocratie, Est/Ouest,... C'est oublier un peu
vite que la critique de fond d'une id�ologie contient (m�me si ce n'est pas
formalis�) la critique de ses reflets. Ainsi, le vain espoir dans la SCIENCE
(avec un grand S) peut se critiquer du m�me point de vue que l'espoir
mystique...